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Introduction

Les difficultés économiques, sociales et psychologiques liées à la crise de la Covid-19 ne font que renforcer les attentes envers l’entrepreneuriat. Diffuser un état d’esprit entrepreneurial, favoriser les créations, soutenir l’innovation et la création de valeur reste au coeur des agendas politiques comme des programmes de recherche et d’éducation en entrepreneuriat depuis des années (Kuratko, 2005 ; Katz, 2008). Récemment, cette volonté d’améliorer les conditions favorisant l’entrepreneuriat (Acs, Stam, Audretsch et O’Connor, 2017) a changé de dimension. Les approches parcellaires en entrepreneuriat (l’entrepreneur, le processus entrepreneurial, les opportunités), en stratégie (la firme, l’avantage concurrentiel) ou en économie régionale (districts industriels, systèmes régionaux d’innovation) ont vu la discussion s’orienter vers une approche plus systémique, biologique (Kuckertz, 2019) utilisant la métaphore écologique des écosystèmes. Depuis une proposition formulée par Moore (1993) sur les écosystèmes d’affaires, les travaux se sont multipliés et les définitions se précisent. Les écosystèmes entrepreneuriaux (EE) sont des ensembles d’acteurs indépendants et de facteurs coordonnés de manière à faciliter l’action et un entrepreneuriat porteur de succès et d’ambitions (Stam, 2015 ; Stam et Spigel, 2016) au sein d’un territoire. Pour créer les conditions favorables à l’entrepreneuriat, l’EE comporte certains éléments[1]. Isenberg (2011) identifie six dimensions importantes : des politiques incitatives, des marchés, des capitaux, des compétences humaines, une culture et des accompagnements. Feld (2012) souligne neuf éléments clés des EE performants : un leadership, des intermédiaires, une densité des réseaux, une forme de gouvernance, des talents, des services d’accompagnement, de l’engagement, des entreprises et des capitaux.

Les universités et écoles ont leur rôle à jouer dans ces écosystèmes en soutenant l’innovation et l’entrepreneuriat, ce qui constitue petit à petit leur troisième mission avec l’enseignement et la recherche (Duruflé, Hellmann et Wilson, 2018). Leur réponse aux sollicitations politico-économiques s’est traduite par le développement considérable de programmes d’éducation en entrepreneuriat. à l’instar du Babson College en 1996, de nombreux établissements incluent dans leurs curriculum la création d’entreprise par les étudiants. Partant du postulat que la création d’organisation doit permettre de développer le capital humain des étudiants (Delanoë-Gueguen, 2015) avec un état d’esprit entrepreneurial de développement (Dweck, 2006), des compétences (Lans, Hulsink, Baert et Mulder, 2008 ; Lackéus, 2015) et des connaissances nées de l’action (Frese, 2009), cette pratique tend à se multiplier et cherche à bénéficier des soutiens formels et informels des acteurs de l’EE (Kuckertz, 2019). Pour faciliter l’action et pour réaliser les nombreuses activités propres à un projet entrepreneurial, la plupart des programmes pédagogiques utilisent le travail en équipe étudiante et c’est à plusieurs que l’écosystème est investi. Si ce qui se passe dans la classe est connu et évalué, il n’en va pas de même pour les démarches « hors les murs ». Les analyser suppose une observation des activités, des collaborations entre les étudiants et des interactions avec les membres de l’EE au-delà des programmes (Rae et Wang, 2015) et au-delà des mondes connus – la classe, le campus – pour inclure l’incertitude et la contingence (Neck et Greene, 2011) propres aux écosystèmes. Dans une vision de plus en plus systémique (Toutain, Mueller et Bornard, 2019), le modèle des écosystèmes éducatifs entrepreneuriaux (EEE) positionne l’éducation en entrepreneuriat dans un environnement dynamique plus vaste que la classe et vise à comprendre les interactions entre les universités, les étudiants et les parties prenantes les entourant. Si la littérature est abondante sur les structures d’accompagnement des étudiants (incubation, accélération, etc.), elle l’est beaucoup moins sur leurs conditions d’accès à l’EE, sur la nature de cet environnement (Bergmann, Hundt et Sternberg, 2016) et sur son présumé rôle éducatif. Si certains établissements au centre de leur écosystème ont institutionnalisé leur réseau et le mettent à disposition des étudiants, l’ouverture des EEE reste souvent un défi (Lahikainen, Kolhinen, Ruskovaara et Pihkala, 2019). Sans concerner l’intégralité de l’université, des micro-EEE se mettent en place (Rehák, Diegoli et Montes, 2020), les étudiants tentant de construire des canaux vers l’EE régional. Novices en la matière et sans certitudes sur leurs compétences, ils doivent créer une entreprise en s’insérant dans un écosystème dont ils ne connaissent ni le fonctionnement, ni les acteurs. Cet accès à l’écosystème est important pour obtenir les ressources nécessaires au projet entrepreneurial, mais aussi pour y développer les apprentissages souhaités.

Apprendre à entreprendre pour être capable de créer un jour sa propre organisation suppose l’acquisition individuelle de compétences, de connaissances et d’attitudes. Si les compétences attendues sont connues et font l’objet de productions scientifiques et de référentiels (Bacigalupo, Kampylis, Punie et Van den Brande, 2016 ; Brenet, Schieb-Bienfait et Authier, 2017), l’influence des membres de l’équipe et des acteurs de l’EE sur leur développement l’est moins. Il y a donc trois niveaux entremêlés de questionnement dans les actions entrepreneuriales étudiantes en équipe : le niveau individuel objet du développement des compétences attendues, le niveau de l’équipe au travers de laquelle les actions sont entreprises et le niveau des acteurs de l’EE avec qui les étudiants interagissent. Les travaux interrogeant le rôle et la place des tiers (coéquipiers, clients, fournisseurs, etc.) dans la formation renvoient à des recherches récentes et morcelées (Paul, 2011) et il nous semble important d’avoir une meilleure compréhension de ce qui se passe à leur contact et de formuler précisément notre question de recherche : comment les collaborations au sein de l’équipe étudiante et les interactions dans l’écosystème agissent-elles sur le développement des compétences entrepreneuriales souhaitées chez chaque étudiant ?

Pour investiguer ce front flou de l’EEE, nous utilisons le modèle multidimensionnel d’analyse de Toutain, Mueller et Bornard (2019) et l’appliquons à un EEE français faiblement ouvert sur l’extérieur présenté dans la section suivante. L’utilisation du modèle multidimensionnel nous permet de décrire ce que nous connaissons de cet EEE et d’envisager ce que nous ne savons pas, ce qui se passe hors les murs. Avant d’aller sur le terrain, nous avons complété nos connaissances par une revue de littérature intégrative (Torraco, 2016 ; Elsbach et van Knippenberg, 2020). Chaque dimension du dispositif est ainsi investiguée et permet une présentation claire des actions des étudiants. Nous analysons ensuite les retours de 44 étudiants impliqués dans ce programme. Nos résultats montrent que : i) l’équipe permet aux étudiants de dépasser les peurs individuelles et d’oser agir dans l’EE, ii) renforcée par une pratique réflexive accompagnée, l’équipe permet aux membres de développer un apprentissage vicariant de la démarche entrepreneuriale, iii) les parties prenantes de l’EE jouent un rôle important dans ces apprentissages et les relations développées avec les étudiants sont proches du mentorat informel. Ces résultats nous amènent à proposer un continuum d’accompagnement des activités dans et hors les murs et ainsi adapter les solutions pédagogiques aux objectifs, dans un souci d’alignement (Biggs, 2003).

1. Analyse multidimensionnelle d’un EEE

1.1. Campus des Entrepreneurs[2]

L’EEE que nous étudions se situe en France et fait partie de l’Université de Lyon. Plus précisément, nous nous concentrons sur le campus roannais, distant d’environ 90 kilomètres des agglomérations de Lyon et de Saint-Étienne. Sur le campus sont proposés des modules de sensibilisation à l’entrepreneuriat et, depuis 2012, Campus des Entrepreneurs, programme pédagogique proposant un apprentissage à, pour, par et en entrepreneuriat (Kirby, 2007 ; Neck et Greene, 2011). Sur une durée de dix mois[3], des étudiants volontaires se constituent en équipe pour suivre, dans un environnement juridique protégé, toutes les démarches nécessaires à la création d’une entreprise réelle (Lackéus, 2020), de l’idée à la gestion quotidienne. Ils s’inscrivent dans la dynamique de l’EE (Maritz, Koch et Schmidt, 2016) dans lequel des transactions sont réellement réalisées. Campus des Entrepreneurs a pour objectif d’accompagner les étudiants dans leurs démarches vers l’EE pour en tirer les apprentissages qui leur permettront de développer des projets entrepreneuriaux à l’avenir, ce sont donc les apprentissages individuels qui forment l’objectif principal, plus que la réussite du projet lui-même. Ouvrir un EEE sur l’EE qui l’entoure semble indispensable dans la mesure où cet environnement dispose des ressources nécessaires et joue un rôle éducatif, façonne le mental et les dispositions émotionnelles de ses individus (Dewey, 1916). Agir dans l’EE permet également d’acquérir des connaissances, compétences et attitudes authentiques (Ruskovaara et Pihkala, 2015), c’est-à-dire celles réellement utilisées par les entrepreneurs sur un territoire donné à l’instant présent. À partir du moment où l’EE a un impact sur le processus entrepreneurial des étudiants, il doit être inclus dans nos recherches (Minniti, 2005).

Cependant, si l’éducation en entrepreneuriat est en développement sur le campus qui nous intéresse, elle n’est pas encore centrale. Ces changements sont longs et se heurtent encore à des différences d’opinions pédagogiques, voire idéologiques (Duruflé, Hellmann et Wilson, 2018) qui freinent les interactions structurées entre le monde universitaire et l’écosystème entrepreneurial local. Seules de petites initiatives démontrant leur intérêt par leur capacité à développer les apprentissages souhaités peuvent assouplir cette résistance au changement (Rice, Fetters et Greene, 2014). Le rôle de la composante universitaire reste celui de facilitateur ou de coordinateur des activités entrepreneuriales (Brush, 2014).

1.2. Les six composantes de l’EEE

Le modèle d’analyse multidimensionnelle des EEE de Toutain, Mueller et Bornard (2019) permet de présenter l’EEE objet de notre étude et de faire le lien entre ses différentes dimensions, leurs fondements théoriques et notre question de recherche.

1.2.1. Le cadre d’apprentissage

Campus des Entrepreneurs se rattache à l’apprentissage expérientiel (Kolb, 1984) et s’inscrit dans les programmes en entrepreneuriat, encore minoritaires, intégrant l’écosystème en proposant aux étudiants de créer leur entreprise (Pittaway et Edwards, 2012). L’objectif est que les étudiants apprennent en utilisant la création d’entreprise comme méthode (Neck et Greene, 2011) et acquièrent individuellement l’état d’esprit, les compétences et la pratique nécessaires pour créer un jour leur entreprise (Neck et Corbett, 2018). Reposant sur des bases théoriques et méthodologiques solides (Fayolle et Gailly, 2015), ce dispositif pédagogique a été amélioré depuis 2016 par un programme de recherche en classe (Loyd, Kern et Thompson, 2005). Concrètement et dans une logique d’effectuation (Sarasvathy, 2001), l’essentiel des actions se passe en dehors de la classe après un temps de préparation et nécessite un degré d’autonomie important de la part des étudiants. À l’inverse des démarches causales, les démarches entrepreneuriales n’ont pas de procédures prédéfinies à suivre à la lettre ni de résultat connu d’avance à atteindre, seulement des outils permettant l’action. L’erreur n’est pas uniquement imputable au non-respect d’une méthodologie et peut provenir de nombreux facteurs exogènes souvent difficiles à percevoir. Entreprendre nécessite une adaptation permanente aux conditions changeantes de l’environnement et un processus d’apprentissage en double boucle (Argyris, 2002). Savoir comment faire les choses émerge d’un discours permanent avec les praticiens (Van de Ven et Johnson, 2006). La connaissance de la pratique est « dans l’action » (Schön, 1984) et constitue le maître mot du cadre d’apprentissage. Cela suppose que tous les étudiants prennent part à cette action. Se répartir le travail, comme c’est souvent le cas dans les travaux de groupe, ne permet pas le développement individuel des apprentissages souhaités (Foliard et Le Pontois, 2017). L’apprentissage repose sur l’alternance d’expériences vécues et de pratiques réflexives individuelles et collectives. Développer les réseaux et les connexions de l’EEE, apprendre comme le font les entrepreneurs expérimentés (Smilor, 1997), le faire avec eux n’est pas chose aisée et des stratégies doivent être mises en place pour pouvoir vivre ces situations (Frese et Fay, 2001) et en tirer profit. Campus des Entrepreneurs est un modèle d’enseignement hybride (Béchard et Grégoire, 2005) proposant un environnement propice à l’acquisition de connaissances et de compétences et aidant à l’organisation des activités des étudiants.

L’évaluation du module renvoie quant à elle à la performance de la démarche entrepreneuriale souvent mesurée à l’aide de critères quantitatifs faciles d’accès : le nombre de contacts noués, de ventes, la maîtrise des outils de gestion de projet, la qualité de la comptabilité, etc. (Tixier, Loi, Le Pontois, Tavakoli et Fayolle, 2018 ; Le Pontois et Foliard, 2018). Elle prend également en compte des critères plus qualitatifs, non académiques, comme la diversité et l’originalité des actions engagées et le développement perçu des compétences et de l’esprit entrepreneurial[4]. Elle est le reflet de ce que les étudiants ont appris dans l’EE (Le Pontois, 2020).

1.2.2. Les réseaux et connexions

L’université propose des outils et des méthodes (matériels, espaces, connaissances, expertises) pour identifier les ressources nécessaires et engager la relation avec leurs détenteurs. Elle accompagne ces étudiants, entrepreneurs novices engagés dans l’opérationnel (Westhead et Wright, 1998 ; Bergmann, Hundt et Sternberg, 2016), mais ne joue pas le rôle de médiateur sophistiqué évoqué par Albert, Fayolle et Marion (1994). Si les étudiants reçoivent de l’aide pour sélectionner les offres les plus intéressantes (Delanoë-Gueguen, 2015), il n’y a que peu de mises en relation, les contacts nécessaires dépendant des caractéristiques des projets. Pour les trouver, les étudiants agissent par opportunisme, cherchant de l’information sur Internet et essayant d’établir des contacts. Ne bénéficiant pas d’un capital social suffisant, de relations sociales facilitant l’action (Adler et Kwon, 2002), les étudiants doivent alors développer un réseau indispensable (Batjargal et al., 2013) au projet. Les EE se distinguent ici du monde traditionnel des affaires fondé sur les relations transactionnelles, par la forme de collaborations particulières entre acteurs qu’ils proposent, par une ouverture aux phénomènes périphériques, aux idées créatives et aux apprentissages que les acteurs peuvent en tirer (Rae, 2017). Les EE peuvent être vus comme des réseaux intermédiaires permettant une diversité de l’information comme sources d’opportunités (Stam, 2015). Il y a une mixité des acteurs, des trous structuraux, une circulation de l’information et une ouverture à de nouveaux savoirs, de nouveaux acteurs avec quelques règles tacites de fonctionnement. Les nouveaux entrants, les étudiants, doivent identifier ces règles, ces barrières à l’entrée (Audretsch, Cunningham, Kuratko, Lehmann et Menter, 2019), ces conventions (Lewis, 1969 ; Gomez, 1997) pour pouvoir communiquer, obtenir les ressources et apparaître légitimes dans leur démarche (Soublière et Gehman, 2019) dans un environnement qui ne leur est pas a priori hostile. Cette démarche de recherche de ressources est également facilitée par les besoins limités des projets étudiants et par la recherche de solutions alternatives, effectuales en générant de la trésorerie par un décalage des délais clients et fournisseurs (Politis, Winborg et Dahlstrand, 2012). Ils évitent ainsi des relations conflictuelles ou des rapports de force avec les détenteurs de ces ressources. L’intérêt pédagogique de la pratique des réseaux est, entre autres, le flux de connaissances apportées, explicites ou tacites. Certaines sont des routines, d’autres apportent du sens et de nouvelles découvertes (Rae, 2017).

L’entrepreneuriat est une activité par essence profondément sociale (Gartner, 1985 ; Miller et Acs, 2017). En interagissant avec les parties prenantes externes de l’EEE, les étudiants nous amènent à étudier ces interactions et leurs résultats tant sur l’avancée du projet que sur le développement des apprentissages souhaités. Interagir et exister dans l’EE suppose de motiver les détenteurs de ressources (Maroufkhani, Wagner et Ismail, 2018), d’être capable de vendre le projet et ses produits à des partenaires sceptiques et prudents pour reprendre les propos de Penrose et Penrose (1959). Cela suppose de réelles compétences interpersonnelles (Bedwell, Fiore et Salas, 2014) au coeur des objectifs pédagogiques de Campus des Entrepreneurs.

1.2.3. La culture

L’esprit d’entreprendre est vu comme un ensemble de valeurs, attitudes et aptitudes qu’il convient de susciter et transmettre, ce qui rend l’éducation entrepreneuriale à la fois très importante (Neck et Corbett, 2018) et très difficile à cerner et à évaluer (Verzat, Barbosa, Foliard et Tavakoli, 2019). La culture entrepreneuriale locale est une institution informelle et dynamique qui comporte une densité importante d’entrepreneurs modèles de rôle (Malecki, 2018). Construire une communauté entrepreneuriale dont les étudiants seraient naturellement membres ne se fait pas de novo, il est important de se concentrer sur les éléments qui préconfigurent cette communauté élargie (Marti, Courpasson et Barbosa, 2013) et ses règles de fonctionnement. Les démarches entrepreneuriales apparaissent comme des activités risquées et conduisent les acteurs en place, intégrés dans un monde des affaires avec une histoire et une continuité (Granovetter, 1985), à privilégier des relations fortes avec un nombre limité de personnes de confiance (Foliard, 2010). Mener un projet entrepreneurial amène les étudiants à se confronter aux conventions des espaces sociaux dans lesquels ils agissent et à partager celles des détenteurs de ressources afin d’être entendus d’eux (Jouison-Laffitte et Verstraete, 2008). Ils doivent intégrer des connaissances tacites et maîtriser les procédures complexes (Aldrich et Yang, 2014), leur identification pouvant être facilitée par l’accompagnement (Verstraete, Krémer et Néraudau, 2018). Ces règles du jeu remplacent la sélection naturelle (Aldrich et al., 2008), les acteurs ne les respectant pas limitent leurs chances de survie.

L’apprentissage entrepreneurial dépend de la capacité à agir des étudiants. Ces derniers ont une position centrale dans l’EEE, mais marginale dans l’EE local au sens de Rae (2017). Leur participation périphérique est légitime (Lave et Wenger, 1991) et correspond à leur inclusion dans une communauté de pratique en se déplaçant de la périphérie vers le centre (Rae, 2017). L’apprentissage est un processus essentiel de cette démarche et traduit également un phénomène de socialisation entrepreneuriale (Nonaka et Konno, 1998) ou « d’infusion culturelle » pour reprendre les termes d’Harrison et Corley (2011), quand les étudiants importent la culture de l’EE et la traduisent dans leur équipe. Le transfert des connaissances tacites et de la culture exige de fortes relations sociales entre les dépositaires de la culture, les entrepreneurs et les futurs récipiendaires, les étudiants (Stuart et Sorenson, 2005). La nouveauté est reconnue comme un atout pour les entrepreneurs, mais également un défi (Tan, Shao et Li, 2013 ; Kuratko, Fisher, Bloodgood et Hornsby 2017). Il y a socialisation et transmission d’éléments culturels, car les étudiants contraints par le temps et par l’espace dans lequel ils agissent ne peuvent que se conformer aux règles existantes et au discours dominant (Da Costa et Silva Saraiva, 2012) et agissent par mimétisme. Cette notion de légitimité est relative et dépendante de la culture locale ouverte aux changements (Stam et Spigel, 2016) ou prônant l’isomorphisme. Apprendre pour, par et en entrepreneuriat suppose non seulement d’acquérir des connaissances, mais cela demande également aux étudiants d’intégrer des normes, des pratiques et visions en observant et interagissant avec les entrepreneurs (Aldrich et Yang, 2014).

1.2.4. Les solutions pédagogiques

Les solutions pédagogiques doivent d’abord permettre l’entrée en relation et la création d’un lien de confiance (Burt, 2001) pour obtenir les informations et les ressources nécessaires au projet. L’université est un vecteur de capital humain et propose des solutions pour accompagner et soutenir les étudiants dans cette recherche (Politis, Winborg et Dahlstrand, 2012). Si l’accompagnateur a une bonne maîtrise de ce qui se passe dans la classe et de la préparation des étudiants, il n’a que peu de prise sur le monde réel et c’est aux étudiants de faire le lien entre les deux. Or, créer une entreprise est un chemin semé d’embuches et les étudiants sont des novices en tant qu’entrepreneurs, mais également en tant que personnes. Ils peuvent être timides ou avoir peur d’agir et redouter les conséquences négatives d’un échec (Cacciotti, Hayton, Mitchell et Giazitzoglu, 2016). Pour limiter l’inhibition, la création d’entreprise est souvent confiée à une équipe étudiante en misant sur la coopération et la stimulation collective. L’équipe entrepreneuriale peut en effet renforcer l’engagement et la volonté d’atteindre des objectifs et des résultats communs rendus possibles par la combinaison des actions individuelles (Forsstrom-Tuominen, Jussila et Goel, 2018).

Nous avons vu dans les sections précédentes l’importance d’agir dans l’EE pour partager les connaissances, en particulier celles non codifiées, tacites, difficiles à comprendre et à verbaliser et diffusées par interactions informelles (Stam, 2015). Ces savoirs tacites sont indéterminés, en ce sens que leurs contenus ne peuvent être explicitement énoncés (Polanyi, 1966). Ils sont échangés par socialisation dans des activités communes, avec une proximité physique (Nonaka et Konno, 1998) et ne peuvent être obtenus en classe. La présence sur le terrain de tous les étudiants est donc indispensable et le travail en équipe permet l’observation du comportement des pairs. Tous les étudiants n’ont pas la même propension à l’action et accompagner et être accompagné rassure et permet d’agir. Cela facilite la transmission des croyances, des pratiques dans un modèle de contagion (Burt, 2001) et d’apprentissage vicariant (Bandura, 1965). Le rôle de la classe est de préparer à la pratique, mais également d’aider à la comprendre a posteriori dans un processus spiralaire.

Appliquées à l’EEE étudié, ces réflexions se traduisent dans les tactiques pédagogiques. Pour faciliter les interactions dans l’EE, un fonctionnement en doublon sur le terrain est proposé dans Campus des Entrepreneurs pour limiter les appréhensions et les freins à l’action, mais également pour aider à comprendre ce qui s’y passe et en tirer les apprentissages attendus. Le dispositif de tuilage de compétences est conçu en six étapes.

  1. Pour avoir confiance et prendre l’initiative, l’étudiant doit disposer d’un minimum de connaissances, de compétences et d’habilités (Frese et Fay, 2001). Celles-ci sont transmises par l’enseignant ou par l’observation asynchrone d’une situation (vidéo).

  2. L’étudiant observe sans participer une situation scénarisée réalisée par d’autres étudiants. En apprentissage vicariant (Bandura, 1965), l’étudiant observateur essaie de comprendre ce qui est fait par ses pairs pour les imiter par la suite.

  3. Toujours en apprentissage vicariant, deux étudiants réalisent une action dans l’EE, l’étudiant « en apprentissage » (rôle 2) observe l’étudiant « à l’aise[5] » (rôle 1) qui mène les débats.

  4. L’étudiant « en apprentissage » prend le rôle principal dans le doublon et bénéficie si besoin de l’aide de l’étudiant « à l’aise » qui l’accompagne.

  5. L’étudiant agit seul et évalue sa performance en fonction du résultat. Il développe des routines d’action dans un fonctionnement en simple boucle.

  6. L’étudiant réalise seul l’action et est capable de réflexivité pour analyser sa pratique. Il peut remettre en cause le fondement de ses connaissances, il modifie ses routines d’action (Argyris, 2002).

1.2.5. Les espaces et le matériel

Campus des Entrepreneurs est un programme s’insérant dans un cursus universitaire de premier cycle. Les étudiants bénéficient à ce titre des espaces et équipements proposés par l’université. Ils ont à leur disposition une salle de créativité et tout le matériel audiovisuel et informatique nécessaire à la préparation des projets et des supports de communication physiques ou digitaux. Cet espace de travail collaboratif est partagé par les groupes participants pour favoriser les échanges (trois groupes en 2018 et 2019, quatre groupes en 2020). Le dispositif est présenté aux étudiants dans cet espace, la préparation et l’accompagnement y sont également réalisés. Les années précédentes, certains projets se sont concentrés sur le campus en ciblant uniquement une clientèle étudiante, seule la recherche de fournisseurs et de quelques ressources avait réellement lieu dans l’EE. Certes, un campus universitaire est un environnement propice pour reconnaître des opportunités et démarrer une création d’entreprise (Miller et Acs, 2017), mais il manque la relation avec les parties prenantes externes indispensables à l’activité d’une réelle entreprise et la relation avec un client s’apprend… face à un client. Les flux permettant de mixer les personnes constituent une ressource importante pour les entrepreneurs (Stangler et Bell-Masterson, 2015), une ouverture de ces microécosystèmes est donc nécessaire. L’action se déroule alors alternativement dans cet espace créatif et en dehors des murs.

Les étudiants doivent alors, en équipe, investir l’EE qui devient un espace d’apprentissage important comme souligné dans les sections précédentes. Questionner les espaces revient à éclairer la cohérence et la continuité des activités dans et hors les murs.

1.2.6. La motivation

Pour Ryan et Deci (2000), la motivation est une source d’énergie, une direction ou encore une persévérance que les individus éprouvent dans leurs actions ainsi que dans leurs intentions. Pour les étudiants, la motivation en tant que force les amenant à entreprendre a des origines diverses : avoir une bonne note, réaliser le projet, travailler avec des amis, préparer son avenir, etc. Cette motivation va les conduire à interagir avec l’environnement dans l’espoir de se développer en tant qu’individu (Vallerand, 2012), étudiant ou entrepreneur. Pour investir l’EE, cette force se décompose en une motivation à agir, à oser et tous les étudiants n’ont pas la même propension à le faire et la même motivation à développer le projet entrepreneurial. La première concerne essentiellement les premiers accès à l’EE et nous permet de distinguer les étudiants « à l’aise » de ceux « en apprentissage ». Cette distinction n’est pas fondée sur les compétences réelles des étudiants, mais bien sur cette capacité à agir, à faire le premier pas. Certains étudiants sont certainement très compétents, mais sont également timides et rencontrent des freins à agir[6], d’autres engagent rapidement l’action, quelques fois maladroitement. La seconde motivation concerne le développement du projet entrepreneurial dans l’EE, la persistance de l’action commerciale plus particulièrement. Si la motivation à agir n’est pas suffisante, il n’y aura que très peu de contacts avec l’EE et donc très peu d’apprentissages.

L’autonomie est le maître mot de Campus des Entrepreneurs et la préparation en classe ainsi que les modules thématiques aident à développer les compétences indispensables à l’action. Les étudiants souhaitent également de la sociabilité et espèrent être appréciés, approuvés ou admirés par les autres (Granovetter, 2002). Ils appréhendent les comportements opposés.

Pour Toutain, Mueller et Bornard (2019), la motivation est l’énergie qui circule entre les parties d’un EEE permettant son développement ou entraînant sa détérioration. Nous avons abordé dans les sections précédentes le fonctionnement des EE sous une forme de bienveillance engendrée par les relations sociales et pouvant être mobilisée pour faciliter l’action (Adler et Kwon, 2002). La motivation des acteurs de l’EE à accompagner les étudiants dans leur projet a sans doute un impact sur les apprentissages qui peuvent être obtenus et sur la persistance de la motivation à agir.

Le travail de groupe présenté dans les solutions pédagogiques vise à limiter les appréhensions de l’échec. Aller ensemble sur le terrain est également impliquant, responsabilisant (Mueller et Anderson, 2014), engageant (Forsstrom-Tuominen, Jussila et Goel, 2018) et limite les problèmes généralement liés aux travaux de groupe (tensions nées des différences d’implication et de répartition des tâches) et aux stratégies individuelles (Foliard et Le Pontois, 2017). Surmonter ensemble des difficultés est de nature à développer une véritable coopération dans l’équipe et limite ainsi les baisses de motivation individuelle.

Le groupe permet enfin de renforcer la motivation des étudiants par un contrôle accru exercé sur l’activité réalisée. Il permet d’avoir de meilleurs apprentissages par une activité mentale plus approfondie grâce au travail collaboratif (Cosnefroy et Lefeuvre, 2018). Les apprentissages apparaissent entre les étudiants quand ils travaillent ensemble et s’entraident dans la classe et en dehors. Cet enseignement par les pairs semble avoir un impact important sur les étudiants (Colvin et Ashman, 2010) que nous souhaitons comprendre.

Pour développer les apprentissages individuels souhaités, les six dimensions du cadre conceptuel de Toutain, Mueller et Bornard (2019) soulignent l’importance des collaborations entre étudiants et des interactions avec les parties prenantes de l’EE. La figure 1 reprend les principaux éléments de l’EEE, support de notre recherche. Les étudiants-entrepreneurs font partie du programme Campus des Entrepreneurs, lui-même inséré dans une université française. Les étudiants y puisent les connaissances nécessaires à l’action, agissent dans l’EE puis reviennent en classe pour participer à des séances réflexives pour comprendre et apprendre. La cohérence et la continuité entre les programmes d’éducation en entrepreneuriat et l’EE sont de première importance (Wright, Siegel et Mustar, 2017). Le cadre d’apprentissage, les solutions pédagogiques et dans une certaine mesure la motivation et les espaces et matériels sont les dimensions de l’EEE que l’équipe pédagogique peut maîtriser. Penser un continuum d’accompagnement suppose de mieux connaître les réseaux, la culture de l’EE, le comportement des acteurs et leur motivation. La connaissance des parties ne suffisant pas à connaître le tout, la complexité au sens de Morin (1990) nous demande d’essayer de comprendre les relations entre l’écosystème formant le tout et les parties qui le composent. Plus précisément, nous souhaitons comprendre comment l’action en binôme et les interactions avec les parties prenantes de l’EE impactent les apprentissages individuels. Pour découvrir ce qui se passe dans l’EE, nous poursuivons notre recherche par une démarche qualitative inductive.

Figure 1

Les étudiants acteurs de l’ouverture de l’EEE

Les étudiants acteurs de l’ouverture de l’EEE

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2. Méthodologie, approche qualitative inductive

Nous nous sommes concentrés sur l’étude du dispositif d’éducation en entrepreneuriat, Campus des Entrepreneurs. L’analyse des six dimensions du modèle nous a permis de préciser nos questionnements de départ. Comme nous avions peu de connaissances sur les apprentissages potentiels liés à l’ouverture de l’EEE et à la pratique entrepreneuriale authentique des étudiants, nous avons choisi de poursuivre notre étude de manière inductive pour comprendre, décoder, traduire, donner du sens aux actions des étudiants (Van Maanen, 1979). Nous nous appuyons sur une approche qualitative et interprétative (Corley et Gioia, 2004).

2.1. Collecte de données

Nous souhaitons comprendre comment les actions dans l’écosystème influencent les apprentissages individuels des étudiants. La constitution de notre échantillon s’inscrit dans cette volonté et se concentre sur les étudiants vivant l’expérience entrepreneuriale en équipe. Les étudiants constituent un groupe restreint d’individus dans lequel nous souhaitons bénéficier d’un maximum de diversification interne (intragroupe[7]). Pour cela, l’échantillon comprend tous les étudiants ayant participé à Campus des Entrepreneurs pendant trois ans et nous permet une étude en profondeur de ce groupe restreint. En suivant Gioia, Corley et Hamilton (2013), nous considérons que les étudiants qui construisent leur réalité entrepreneuriale dans et hors les murs sont des « agents bien informés ». Ils savent ce qu’ils essaient de faire et peuvent expliquer leurs pensées, leurs intentions et leurs actions dans l’écosystème. Ils constituent des informateurs (Pires, 1997) du processus d’apprentissage que nous souhaitons étudier. Le tableau 1 reprend les caractéristiques de l’échantillon et les modalités de collecte de données.

Tableau 1

Constitution de l’échantillon et modalité d’entretien[8]

Constitution de l’échantillon et modalité d’entretien8

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En cohérence avec les méthodologies utilisées dans les recherches qualitatives inductives (Eisenhardt, 1989), nous avons mené des entretiens semi-structurés comme source de données primaires. Le guide d’entretien ne comporte que des questions ouvertes exprimées à la deuxième personne du singulier (toi en tant qu’étudiant) ou au pluriel (vous en tant qu’équipe ou binôme). Il comprend cinq rubriques nous permettant d’investiguer la cohérence entre ce qui se passe dans la classe et dans l’EE : 1. Les préconceptions/capital psychologique/perception du risque ; 2. Intention/désirabilité/motifs de motivation initiaux ; 3. Déroulement du projet/activités/motivation(s) ; 4. Qualités, connaissances et compétences développées/capital psychologique/apports du groupe sur les apprentissages et 5. Relations avec les parties prenantes de l’EE/apports et impacts. La souplesse de notre guide d’entretien a permis aux répondants de s’exprimer sur des thématiques jugées importantes, nous assurant une certaine forme de saturation théorique. Nous adoptons une approche maïeutique pour faire parler les étudiants, car il est évident que ce n’est pas un exercice facile pour eux. Pour avoir accès à la dimension factuelle, nous avons utilisé des éléments de médiation de la subjectivité (Pires, 1997). Comme nous sommes également évaluateur de ce programme, nous avons présenté la démarche de recherche comme indépendante de la notation et réalisé les entretiens après les soutenances finales. La durée moyenne des entretiens est d’environ 40 minutes. Ils ont été intégralement retranscrits puis codés en utilisant le logiciel NVivo 11 Pro permettant de garder un lien étroit entre les concepts émergents et les données dans une optique de validité (Yin, 2009).

2.2. Analyse des données

Pour explorer les relations étudiants/acteurs de l’écosystème et les apprentissages obtenus, nous avons utilisé une méthodologie dérivée de la théorie enracinée (Glaser et Strauss, 1967 ; Corbin et Strauss, 1990) et suivi les conseils et méthodes propres aux études de cas (Yin, 1984 ; Eisenhardt, 1989 ; Miles et Huberman, 2003). Notre objectif étant de capturer et de modéliser les représentations des étudiants, nous nous rapprochons de la « méthode Gioia » que Langley et Abdallah (2011) proposent comme modèle. En recueillant les données, nous avons structuré leur analyse en respectant scrupuleusement les directives des techniques de comparaison constante (Glaser et Strauss, 1967) et en nous inspirant de recherches récentes les ayant employées avec succès (Shankar et Shepherd, 2019). Notre période de collecte étant particulièrement longue, nous avons analysé les données au fur et à mesure et comparé les résultats de l’analyse en cours avec les nouvelles données. Ces approches constituent la base d’une collecte et d’une analyse rigoureuses des données qualitatives. Elles permettent de délimiter clairement les thèmes et les dimensions agrégées (Corley et Gioia, 2004) grâce à l’examen et à la comparaison des idées discutées par les informateurs.

Nous avons commencé notre analyse par un codage ouvert des entretiens en nous concentrant sur des mots ou expressions clés reflétant comment les étudiants percevaient leurs dynamiques d’apprentissages et le rôle de l’équipe et des parties prenantes de l’EE. Pour effectuer cette analyse initiale des données, nous avons essayé de maintenir l’intégrité du codage conceptuel de premier ordre (Gioia, Corley et Hamilton, 2013) en utilisant des codes in vivo (Corbin et Strauss, 1990) ou de simples phrases de description (Corley et Gioia, 2004). En comparant les mots ou expressions utilisés par les étudiants, nous avons commencé un travail de catégorisation puis de définition des codes de premier niveau (Glaser et Strauss, 1967). Au fur et à mesure des campagnes de collecte, nous avons relu les entretiens et affiné nos codes pour dessiner une première architecture ancrée dans les données de la perception des apprentissages réalisés hors les murs par les étudiants. Nous avons identifié 64 codes de premier ordre que nous avons catégorisés au fur et à mesure du processus itératif de collecte-analyse.

Nous avons ensuite réalisé un travail d’abstraction par codage axial (Strauss et Corbin, 1998) pour identifier de manière inductive les thèmes de second ordre que nous avons également catégorisés. Nous avons identifié l’impact des deux sources d’apprentissage que sont les pairs et les acteurs de l’EE. À ce stade, une partie des informations fournies par les étudiants était surprenante. Le travail de catégorisation des codes de premier ordre montre des interactions avec l’écosystème dépassant la simple relation transactionnelle entre des entrepreneurs et des détenteurs de ressources. Pour gagner en profondeur, nous avons décidé d’organiser partiellement les codes de premier ordre en thèmes de second ordre en utilisant une grille théorique non prévue initialement, celle du mentorat informel des entrepreneurs novices (Kram, 1983 ; Chao, Walz et Gardner, 1992 ; Ragins et Cotton, 1999 ; Simard et Fortin, 2008 ; St-Jean, 2010). Ce retour à la littérature nous a conduit à utiliser dans notre analyse les fonctions psychologiques, professionnelles et de modèle de rôle du mentorat. Cette démarche d’analyse rejoint celle concernant l’impact des pairs sur les apprentissages individuels autour de deux dimensions agrégées : oser et apprendre.

La structure finale des données est illustrée dans la figure 2. En suivant la méthode de Gioia, nous avons pris plusieurs mesures pour garantir la fiabilité de nos données. Pour gagner en cohérence, tous les entretiens ont été menés par le même chercheur. Le codage a été présenté et discuté auprès des membres de notre communauté de recherche spécialisés dans les méthodologies qualitatives.

Figure 2

Structure des données – impacts des pairs et des acteurs de l’EE sur les apprentissages individuels des étudiants

Structure des données – impacts des pairs et des acteurs de l’EE sur les apprentissages individuels des étudiants

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Les structures de données ne permettent cependant pas une interprétation dynamique d’un phénomène aussi complexe que celui que nous souhaitons étudier. Les données nous permettent d’identifier deux dimensions agrégées (oser et apprendre), mais les liens dynamiques entre ces deux dimensions doivent être précisés. Nous avons différencié deux sources d’apprentissages authentiques intervenant de manière simultanée dans l’EE. Là encore, la dynamique entre ces deux sources doit être présentée. Enfin, nos données ne concernent qu’une partie de l’expérience entrepreneuriale, celle se déroulant dans l’EE, et elle doit être réintégrée dans un modèle plus large incluant l’espace de la classe et l’impact de l’équipe pédagogique. En nous inspirant de recherches qualitatives récentes, nous avons réexaminé les données et la théorie pour trouver des séquences et des liens entre les thèmes pour proposer un modèle dynamique de l’accompagnement des équipes entrepreneuriales étudiantes. La figure 3 repart du modèle d’apprentissage expérientiel de Kolb (1984) que nous appliquons à la pratique entrepreneuriale authentique, c’est-à-dire les actions en qualité d’entrepreneur des étudiants dans l’EE. Nous soulignons ce qui permet d’engager cette pratique authentique (oser), à savoir la généralisation avec l’équipe pédagogique et le transfert vers l’équipe et le binôme. Les vecteurs permettant de tirer des enseignements de la pratique (apprendre) sont le binôme et les acteurs de l’EE dans la pratique authentique et dans son analyse à chaud, analyse soutenue par l’équipe étudiante et l’équipe pédagogique par la suite. La figure 3 illustre les relations dynamiques entre les différents facteurs présents dans la littérature et ceux étudiés dans la présente recherche. La dynamique de ce modèle est présentée au travers de nos résultats.

Figure 3

Apprentissage expérientiel authentique des étudiants-entrepreneurs

Apprentissage expérientiel authentique des étudiants-entrepreneurs

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3. Résultats

Si nous avons également recueilli des informations sur ce que les étudiants déclarent avoir appris, nous nous concentrons sur l’impact des collaborations avec les membres et l’équipe et des interactions avec les partenaires extérieurs sur les apprentissages verbalisés.

3.1. Collaborations dans l’équipe, prise d’initiative et tuilage de compétences

L’analyse des données souligne que les apports du groupe concernent d’une part la capacité d’action dans l’EE de chaque étudiant (oser) et, d’autre part, l’impact du groupe sur ces apprentissages. Ces deux dimensions agrégées sont étroitement liées dans l’expression des étudiants.

3.1.1. Le groupe pour oser agir et sécuriser l’action dans l’EE

2018BF1[9] : « j’étais en panique, je me disais on va jamais y arriver, on va jamais réussir à vendre nos coffrets ».

2018CF2 : « moi j’étais incapable de parler ».

Quelles que soient les modalités, développer un projet entrepreneurial dans l’EE suppose d’abord d’y avoir accès. De nombreux étudiants ont exprimé de l’appréhension à entrer dans la démarche pour différentes raisons : ne pas savoir faire, la peur de l’échec et de ses conséquences, l’appréhension de prendre la parole ou le manque de connaissance du monde professionnel. Pour tenter de dépasser ces peurs exprimées, les étudiants ont adopté la solution pédagogique du binôme pour les démarches hors les murs : un étudiant « à l’aise » (rôle 1) accompagne un autre étudiant « en apprentissage » (rôle 2). Dix-neuf étudiants sur quarante-quatre se sont décrits comme rôle 1, à l’aise à un moment du projet et ont pu accompagner un autre étudiant. La même proportion (dix-neuf sur quarante-quatre) s’est décrite comme en apprentissage pendant une activité précise. Les étudiants ont conscience du contexte et de la nécessité d’agir. Le principe des binômes a offert un cadre rassurant et sécurisant aux dix-neuf étudiants (rôle 2) qui ne se sentaient pas à l’aise et cela leur a permis de dépasser leurs peurs pour agir. L’objectif de faire interagir les étudiants dans l’EE semble atteint. Seuls quatre étudiants sur quarante-quatre ne mentionnent pas dans les entretiens la réalisation d’activité hors les murs.

Pour les étudiants « à l’aise » (rôle 1), le binôme est également un élément rassurant. Le sentiment de donner l’exemple semble important même si peu d’étudiants en rôle 1 décrivent précisément ce qu’ils en retirent personnellement. La réussite du projet passant par le travail collectif ressort toutefois, ainsi que la dynamique de groupe.

Le binôme permet une certaine sécurisation de la prise d’initiative et une autorégulation. Les rôles 2 deviennent acteurs et bénéficient du soutien des étudiants rôle 1 passés à une fonction de support. L’action collective permet également de gérer le stress et peut apporter un certain « réconfort » en cas d’échec.

Au fur et à mesure de l’avancée dans l’action, les étudiants se sont davantage réparti les responsabilités, les rôles 2 identifiant les bonnes pratiques et prenant l’initiative. Le rôle 1 est également incitatif dans la prise d’initiative. Oser a également permis de concrétiser le projet et d’y trouver du plaisir.

3.1.2. Apprentissage vicariant et démarche réflexive

2020DM1 : « à force de le voir faire j’ai réussi à comprendre comment il fallait faire ».

S’il permet l’action, le groupe est aussi un vecteur d’apprentissage dès la préparation. Nos résultats montrent que les étudiants sont allés sur le terrain sans chercher de modèle d’action à imiter comme le proposent Bedwell, Fiore et Salas (2014). Ils ont préféré une préparation collective de la présentation du projet mentionnée par dix-neuf étudiants.

Spectateur de l’action, puis acteur accompagné, l’étudiant en apprentissage (rôle 2) développe sa future manière de faire. Nos résultats montrent que l’apprentissage vicariant rassure et aide à trouver le quoi et le comment. La complexité de la tâche semble également moins prégnante. L’étudiant démystifie l’action et sa peur de l’échec et peut en tirer une motivation à agir (Cacciotti et al., 2016). Voir au plus près l’autre réussir améliore la faisabilité perçue de l’action à mener.

Ensuite, pour savoir quoi dire et comment le dire, le tuilage a donné lieu à de l’écoute et de l’observation des étudiants en rôle 2. Ils identifient les mots ou arguments et les manières de le faire et engagent rapidement une démarche réflexive. Les étudiants échangent après chaque entretien et cherchent à identifier ce qu’ils ont bien fait et ce qu’ils peuvent améliorer. Les retours en classe donnent lieu à d’importants échanges collectifs sur les bonnes pratiques entre les groupes, au sein du groupe et à des démarches individuelles d’amélioration continue sur le fond du discours, mais également sur la forme.

Les étudiants décrivent le fonctionnement en binôme comme une incitation à réaliser de nouvelles activités et un vecteur de développement individuel de compétences entrepreneuriales. Cet apprentissage par les pairs semble efficace (Topping, 2005) et les étudiants identifient les soutiens reçus comme les soutiens donnés et se rapprochent d’une situation de mentorat entre pairs. Les étudiants vivent une expérience commune, s’identifient à leurs camarades en action, se projettent, ont envie de faire comme eux et partagent les réussites comme les échecs. Si nous faisons une distinction entre étudiants « à l’aise » et étudiants « en apprentissage » à un moment donné du projet et pour une activité précise, il n’y a pas un réel différentiel de connaissance ou d’expertise. Ils ne disposent pas de plus de connaissances sur l’écosystème, ils ont juste une propension plus importante à aller de l’avant soit parce qu’ils ont des expériences préalables d’interactions professionnelles (comment faire), soit parce qu’ils ont juste plus de culot.

En lien direct avec les solutions pédagogiques, ces premiers résultats montrent l’importance du groupe sur la capacité de chaque étudiant à agir dans l’EE et à apprendre de cette action. En accord avec Davidsson et Honig (2003), le capital humain dégagé de ces apprentissages doit favoriser la reconnaissance future des opportunités, mais toujours en suivant ces auteurs, ce capital humain n’a de sens que combiné au capital social permettant d’entrer dans le processus. Si le groupe permet l’action dans l’EE, le rôle des parties prenantes doit également être investigué.

3.2. Interactions avec les membres de l’EE : mentorat informel et rôle éducatif

Nous avons vu dans la section précédente que les expériences des étudiants dans un EEE élargi leur permettent de pratiquer et de bénéficier de l’apprentissage vicariant. L’analyse des entretiens montre toutefois que le développement des connaissances, compétences et attitudes des étudiants ne s’est pas fait que par l’écoute, l’observation et l’action réflexive. Les parties prenantes de l’EE ont joué un rôle nettement plus actif que ce qui était attendu, ont dépassé leur rôle transactionnel de pourvoyeur de ressources et ont développé des relations proches du mentorat informel (Chao, Walz et Gardner, 1992). Dans ces relations non organisées et non formalisées, les protégés sont les étudiants dans une situation d’apprentissage, à la recherche d’assistance de la part d’entrepreneurs en position de mentors.

La relation de mentorat se met en place sur des bases de compétences perçues et d’un certain confort dans la relation (Ragins et Cotton, 1999). Notre analyse montre que les étudiants préparés collectivement en classe ont visiblement renvoyé une image suffisante de compétence pour cette entrée en relation qu’ils ont prise très au sérieux. L’analyse des perceptions des étudiants montre que les professionnels ont investi le rôle de mentor en se projetant dans la démarche des étudiants, en parallèle de ce qu’ils ont eux-mêmes vécu. Ils sont également curieux des projets nouveaux portés par des étudiants-entrepreneurs ainsi que des nouveaux outils ou méthodes proposés par l’université. Trente étudiants sur quarante-quatre mentionnent des contributions au sens de Ragins et Cotton (1999) et des conseils apportés par les professionnels pour plus de cent occurrences dans les entretiens, ce qui en fait la catégorie la plus importante de notre codage.

Pour présenter la relation entre les étudiants et les acteurs de l’EE, nous avons choisi d’organiser nos données et nos résultats en utilisant les fonctions de mentor de l’entrepreneur novice (St-Jean, 2010) qui semblent le mieux correspondre à la situation vécue par les étudiants : la fonction psychologique, la fonction reliée à la carrière et la fonction de modèle de rôle.

3.2.1. La fonction psychologique

2018CF2 : « ceux qui nous ont soutenus : les professionnels quand ils nous ont fait confiance ».

La fonction psychologique correspond au développement de la confiance en soi chez les étudiants et au sentiment de compétence. Notre analyse fait ressortir les sous-dimensions de réflecteur, de sécurisation et de motivation.

La fonction de réflecteur est décrite comme un retour sur les points à améliorer quand certaines règles de présentation ou de gestion n’ont pas été utilisées. Les retours peuvent inclure la validation de l’idée des étudiants. Ces avis sont pris très au sérieux, même quand ils sont critiques, les étudiants prenant ces retours comme des voies de progrès. Enfin, la fonction de réflecteur valorise l’engagement des étudiants et renforce leur motivation à entreprendre.

La fonction de sécurisation aide les entrepreneurs novices dans les moments difficiles. Elle est ressentie dans le bon accueil qui a été réservé aux étudiants, dans les facilités accordées et dans les conseils reçus qui sécurisent dans la démarche et pondèrent le risque.

La dernière fonction psychologique est la motivation. Elle n’apparaît pas de manière claire dans les retours des étudiants, qui n’ont pas décrit de situation dans laquelle des professionnels les auraient confortés ou incités à avancer. Cela se traduit davantage par la confiance accordée et les retours positifs synonymes de validation du projet.

3.2.2. La fonction reliée à la carrière

2020CM1 : « c’est le fait d’être en relation des professionnels […] on ne parlait plus comme des étudiants, on parlait vraiment comme des entrepreneurs ».

La fonction reliée à la carrière correspond à ce qu’il convient de faire pour réussir dans le monde des affaires. Pour St-Jean (2010), elle se décline en intégration, soutien informationnel, confrontation et guide.

L’intégration dans l’écosystème entrepreneurial facilite le développement des affaires par partage des contacts. Cette fonction est assez peu représentée dans les données, seuls cinq étudiants mentionnent l’obtention de contacts auprès des professionnels. Le soutien informationnel est également faible et mentionné par huit étudiants. Ces informations destinées à mieux comprendre l’environnement d’affaires concernent les nouvelles tendances, les méthodes et le vocabulaire technique.

Les apports de cette forme de mentorat informel résident davantage dans la confrontation et le guide. La confrontation est un retour des professionnels qui permet à l’étudiant de réfléchir sur des éléments (croyances, attitudes, pratiques) susceptibles de freiner l’atteinte d’un objectif. Conscients de ces apports (exprimés par treize étudiants), la formulation reste toutefois très générale sans pouvoir définir ce qu’il faut modifier précisément. Les étudiants semblent modifier leur comportement par mimétisme. La fonction de guide est la plus présente dans les données (dix-huit étudiants et vingt-six occurrences). Elle permet une meilleure compréhension du problème et s’accompagne de conseils. Les étudiants soulignent l’intérêt des entrepreneurs pour la faisabilité technique du projet.

3.2.3. La fonction de modèle de rôle

2020DM1 : « au final il y a des règles à respecter en fonction d’avec qui on communique ».

Les entrepreneurs sont vus comme des experts maîtrisant leur sujet et les relations interpersonnelles professionnelles. Les étudiants ont perçu les éléments de communication et le caractère direct des échanges. La description du comportement des professionnels est rare dans les données et reste très générale et l’écart avec les étudiants n’est pas perçu comme important.

3.3. Intégration des résultats et continuum d’accompagnement

En suivant Toutain, Gaujard, Mueller et Bornard (2014) et Rae et Wang (2015), nos résultats proposent un décryptage du fonctionnement des EEE, des collaborations, des interactions et des pratiques entrepreneuriales authentiques menées par les étudiants hors les murs. Ces résultats doivent à présent être complétés par ce qui se déroule en classe et articulés avec les dimensions du modèle d’analyse des EEE. Ce faisant, nous proposons un continuum d’accompagnement des étudiants-entrepreneurs dans et hors les murs. Il commence par la phase de préparation, l’accompagnement se concentre sur les connaissances indispensables pour envisager l’action dans l’EE. L’équipe étudiante se saisit de ces enseignements en équipe, se les approprie et engage l’action dans l’EE en binôme. Le binôme régule l’action et permet une analyse « à chaud » de la pratique, qui sera verbalisée en groupe élargi avec le soutien de l’équipe pédagogique, pour comprendre, améliorer la préparation et engager les actions suivantes. Le processus est itératif et de nombreuses boucles sont réalisées, améliorant la manière de faire et les résultats. Au fur et à mesure de l’avancée dans le processus, les besoins de connaissances pour agir des étudiants deviennent de plus en plus spécifiques, idiosyncrasiques (Davidsson et Honig, 2003). De plus en plus à l’aise pour interagir dans l’EE, ils privilégient les acteurs de cet écosystème comme source d’information principale.

Ce continuum proposé dans la figure 4 illustre les dimensions de l’EEE impactant les apprentissages. L’alternance des espaces est indispensable à l’apprentissage obtenu par analyse et ajustement de l’action entrepreneuriale authentique. Les solutions pédagogiques sont importantes pour préparer l’action, la faciliter et l’analyser. Nos résultats montrent l’impact des pairs sur la capacité à agir de chaque étudiant et sur ses apprentissages. Le travail en groupe facilite également l’analyse par la comparaison des points de vue des membres ayant vécu la même expérience. L’action entrepreneuriale authentique des étudiants est quant à elle rendue possible par la culture civique (Malecki, 2018), la motivation des acteurs à apporter une aide.

Figure 4

Continuum d’accompagnement de l’expérience entrepreneuriale étudiante

Continuum d’accompagnement de l’expérience entrepreneuriale étudiante

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Conclusion

L’intérêt d’une recherche qualitative est d’apporter, selon Harrison et Corley (2011), une interprétation locale – et le terme est bien choisi quand on évoque les écosystèmes – à un phénomène pour apporter une avancée théorique. En ce sens, nous apportons des connaissances sur les EEE et plus particulièrement sur le modèle d’apprentissage expérientiel appliqué à l’éducation en entrepreneuriat. Nos résultats soulignent l’impact de l’équipe étudiante et des parties prenantes externes sur le processus d’apprentissage individuel. Les implications managériales de ce travail sont également importantes pour les concepteurs de programmes pédagogiques en entrepreneuriat ainsi que pour leurs accompagnateurs.

L’EEE, un espace d’apprentissage entrepreneurial entre formel et informel

Apprendre à entreprendre est une dynamique complexe où le chemin est sans doute aussi important que la destination. L’apprentissage entrepreneurial est souvent décrit du seul point de vue de l’entrepreneur qui expérimente, prend des initiatives, copie l’existant et apprend de ses erreurs (Gibb, 1997). Développer cet agir autoréflexif n’est pas inné et nous montrons que le chemin proposé par l’éducation en entrepreneuriat peut enrichir les apprentissages individuels en reposant sur le triptyque étudiant/équipe/acteurs de l’EE. L’action entrepreneuriale confronte en effet les étudiants à l’incertitude au sens le plus large. Certains doutent de la valeur du projet, de leurs connaissances, de la réaction des acteurs en place, de leur capacité à les aborder, etc. et n’osent pas engager l’action. Nous montrons que les étudiants-entrepreneurs novices doivent s’adapter à des situations d’une considérable complexité et cela demande d’acquérir des connaissances explicites et tacites sur ce qui est approprié autant que sur ce qui marche (Aldrich et Yang, 2014). Nos résultats apportent une meilleure connaissance des soutiens utiles ou nécessaires pour oser et tirer de l’action les compétences souhaitées. Plus précisément, notre recherche éclaire la partie « hors les murs » d’un EEE. L’action est tout d’abord préparée formellement en classe et fait partie intégrante des solutions pédagogiques. Nous montrons que de manière informelle les collaborations dans l’équipe sont une source importante d’apprentissage vicariant et permettent à chaque étudiant d’oser et de prendre l’initiative. Les démarches réflexives suivant l’action permettent de formaliser les apprentissages et de soutenir la motivation à agir et à entreprendre. Quand il n’est pas basé sur la répartition des tâches, nous montrons que le travail en équipe peut devenir un vecteur important d’apprentissage individuel.

Les interactions volontaires entre différents partenaires indépendants favorisant les démarches entrepreneuriales (dont celles des étudiants) font partie des définitions des écosystèmes. Nos résultats illustrent indirectement la motivation des acteurs à accueillir les projets étudiants et à proposer une aide conséquente. Ces relations de mentorat informel sont un des aspects de l’influence de la culture locale sur le développement de l’entrepreneuriat (Stam et Spigel, 2016) et de l’écosystème. L’EEE étudié répond aux définitions des écosystèmes, en particulier celle de Kuckertz (2019), à savoir que les démarches entrepreneuriales bénéficient de soutiens informels susceptibles d’augmenter leurs probabilités de réussite. Nos résultats vont aussi dans le sens de ceux de Malecki (2018) pour qui l’importance de cette culture civique est un des éléments forts des EE, les membres contribuent gratuitement par leur temps, leur expérience et leur « sagesse » à des événements ou des relations de mentorat. Ils constituent ainsi les premiers éléments du capital social que les étudiants peuvent mobiliser. Les dynamiques d’apprentissage dans les EEE passent par ses interactions avec les acteurs de l’EE. Ces interactions permettent une phase de socialisation importante que l’externalisation transfère à tous les membres du groupe. Les étudiants intègrent ce qui est vécu pour pouvoir le reproduire. En plus d’informations utiles pour les projets, elles apportent des connaissances tacites complexes (Polanyi, 1966) ainsi que les règles de fonctionnement indispensables pour intégrer une communauté et sa culture. Les étudiants adoptent les codes et les comportements identifiés comme « professionnels ». Une fois ce niveau minimum de connaissances atteint, les interactions et l’ouverture des acteurs motivent et permettent d’intégrer plus finement les codes de l’EE. Dans les espaces dynamiques de l’EEE, l’alternance classe/EE n’est pas linéaire. Le rôle de la classe comme préparation à l’action est plus important en début de projet, puis diminue au fur et à mesure de l’aisance des étudiants. La nature même des programmes d’éducation en entrepreneuriat basés sur la création d’entreprise concentre l’essentiel des activités des étudiants sur la phase d’émergence, de découverte et d’exploitation d’opportunités (Gartner, 1988 ; Shane et Venkataraman, 2000) dans laquelle l’immersion dans l’écosystème est importante. Faciliter les communautés et le réseautage, développer les contacts et les échanges avec les acteurs de l’écosystème est le coeur de l’accompagnement. Cela passe par un travail de préparation du projet et de sa présentation et le développement de compétences relationnelles. En complément du capital humain développé par l’expérience, c’est bien le capital social et la capacité à mobiliser les compétences et les ressources au sein de l’EE qui est importante et, suivant Adler et Kwon (2002), positivement corrélés à l’entrée dans les affaires.

Continuum d’accompagnement et apprentissages authentiques

Les connaissances que nous apportons sur les EEE doivent permettre de mieux préparer nos étudiants et de les aider à développer les apprentissages authentiques, les connaissances et compétences actuellement utilisées par les entrepreneurs. Notre recherche a des implications managériales pouvant intéresser les concepteurs et les accompagnateurs de programmes pédagogiques utilisant l’effectuation. Si les principes de l’effectuation sont simples, ils comportent également des éléments susceptibles de freiner l’action de certains étudiants. Habitués aux certitudes (résultat à trouver, méthode à appliquer), les étudiants peuvent être déstabilisés par la faiblesse relative des moyens dont ils disposent, leur méconnaissance des parties prenantes avec qui coconstruire, mais également leur ignorance de la manière d’interagir dans un EE. Ces craintes ressortent clairement dans les comptes rendus. Nos résultats nous permettent de mieux comprendre les dynamiques en place dans l’EE. Le continuum d’accompagnement que nous proposons vise à faciliter l’action et la compréhension de l’expérience vécue en précisant trois temps importants : la préparation, l’action accompagnée, la verbalisation réflexive.

Entrer dans un processus entrepreneurial nécessite de collaborer, d’interagir et de développer des compétences relationnelles, mais ces compétences ne sont que rarement développées de manière explicite dans les programmes en entrepreneuriat ou en management (Bedwell, Fiore et Salas, 2014). Pourtant, les appréhensions manifestées par les étudiants dans notre recherche montrent que construire ces relations est particulièrement important et complexe. Des modules comme la prise de rendez-vous téléphoniques ou des simulations d’entretien ont par exemple été intégrés depuis dans le dispositif Campus des Entrepreneurs.

La préparation collective, les enseignements et outils traditionnels (créativité, proposition de valeur, plan d’affaires, présentation orale, etc.) et le fonctionnement en binôme permettent de lever les freins et d’engager l’action. Nos résultats illustrent l’importance des pairs dans le déroulement de l’action et dans son analyse à chaud. Des consignes simples peuvent être données aux étudiants pour les aider dans cette démarche : comme identifier ce qui a marché et que nous pourrons reproduire ? Pourquoi le rendez-vous n’a pas abouti et que pouvons-nous améliorer ? Loin d’être naturelle pour les étudiants restant très proches de l’expérience, la verbalisation de l’expérience et des apprentissages dans les espaces réflexifs demande un accompagnement important pour aider, d’une part, l’expression de tous et, d’autre part, la prise de recul. La démarche effectuale rend en effet délicate l’identification des erreurs, car sans procédure type à suivre ni de résultat connu d’avance à atteindre, l’étudiant doit composer à chaque fois avec une situation nouvelle qui peut lui échapper pour nombre de raisons ne le concernant pas. La réflexivité lui permet de modifier ses routines personnelles par l’intégration des informations en provenance des membres de l’équipe et d’acteurs de l’EE. La cohérence de l’accompagnement proposé tient essentiellement à la capacité des accompagnateurs à s’adapter aux expériences vécues pour aider à en tirer les bons enseignements, même si les besoins deviennent de plus en plus idiosyncrasiques. Les étudiants peuvent à un certain moment privilégier l’EE comme source d’information principale.

Limites, regards critiques et conclusion

Ce travail, comme toute démarche qualitative, a également des limites. Nous avons certes interviewé un nombre important d’étudiants (44), mais tous font partie de la même composante universitaire et ont des profils finalement proches dans des équipes homogènes. Si la diversité est une richesse en entrepreneuriat, elle peut apporter son lot de difficultés avec par exemple une communication plus délicate dans le groupe, communication dont nous avons montré l’importance dans les apprentissages. Nos résultats demandent naturellement à être comparés avec ceux provenant d’autres populations. Nous montrons également l’impact des pairs généré par une solution pédagogique particulière (le binôme). D’autres solutions sont bien entendu envisageables.

Nous souhaitons également apporter des éléments pour l’élaboration d’un continuum d’accompagnement dans un EEE. Nous n’avons ici que le point de vue des étudiants, avec tous les biais que cela peut comporter. Comprendre le point de vue des acteurs de l’EE est certainement une voie de recherche porteuse. Enfin, le modèle multidimensionnel utilisé pour étudier l’EEE est un modèle très récent. Si chacune des dimensions est largement étudiée dans la littérature, il n’en est pas encore de même pour les relations dynamiques entre ces dimensions. Nous avons utilisé une revue de littérature intégrative pour chacune d’elles et proposé une application à un cas. De plus amples recherches permettront d’en affiner les contours, mais surtout les trajectoires, les EEE étant des systèmes dynamiques.

Si notre recherche montre la capacité à agir dans l’EE d’une grande majorité des étudiants, ces résultats méritent d’être pondérés sur certains aspects pour éclairer l’entrepreneuriat et travailler aux conditions d’émancipation des étudiants. Tout d’abord, les programmes d’éducation en entrepreneuriat basés sur des créations d’entreprise se concentrent naturellement sur la partie « développement » du processus entrepreneurial jusqu’à une gestion quotidienne limitée. Trois limites apparaissent à cette surreprésentation de la phase d’émergence dans l’EE : i) les étudiants peuvent avoir une vision idéalisée de l’acte d’entreprendre en ne travaillant que sur la partie créative et sans éprouver les difficultés de la gestion quotidienne de l’entreprise (faire face à la concurrence, optimiser, manager, perdre, etc.) ; ii) les acteurs de l’EE perçoivent les étudiants comme… des étudiants et leur portent assistance, iii) les étudiants doivent se conformer à certains attendus.

Le positionnement étudiant est également problématique. Ils ne sont pas toujours vus comme des partenaires, des concurrents potentiels ou de réels acteurs de la négociation susceptibles d’infléchir la position des entrepreneurs en place (Levy et Scully, 2007). Si nous montrons que l’accueil réservé est plutôt favorable, les acteurs de l’EE ne vont pas plus loin dans le mentorat informel et n’ouvrent pas leur réseau pour accélérer les projets étudiants. La relation est déséquilibrée : elle bénéficie certes à l’apprentissage, mais ne permet pas aux étudiants d’éprouver certains aspects de l’entrepreneuriat et des réseaux. Intégrer durablement ces réseaux suppose de négocier, de constituer des accords et de rentrer dans un jeu d’influence et de pouvoir permettant l’accès aux informations et aux ressources (Levy et Scully, 2007). L’EEE propose un cadre privilégié, il faut en avoir conscience, avec des ressources gratuites et limite donc ce type de relations pourtant quotidiennes chez les entrepreneurs. L’apprentissage de la difficulté est alors limité. Cela dit et même si des programmes comme Campus des Entrepreneurs s’intègrent dans le discours hégémonique de promotion de l’entrepreneuriat soutenu par l’ensemble du monde politique et économique (Papatsiba, 2009), la pratique entrepreneuriale des étudiants dans l’EE n’est pas une version idéalisée dissimulant les côtés obscurs. Notre recherche souligne la perception des étudiants des difficultés, des doutes et des risques de l’acte d’entreprendre.

Enfin, la nécessité pour les étudiants d’utiliser les outils proposés et d’adopter les comportements attendus pourrait limiter leur créativité et conduire à l’isomorphisme (Van Dijk, Berends, Jelinek, Romme et Weggeman, 2011) et la reproduction de l’existant. Toutefois, l’EE étudié semble proposer suffisamment de diversité pour que les étudiants puissent s’y exprimer une fois certaines règles admises. La socialisation entrepreneuriale que nous décrivons permet de développer les contacts dans l’écosystème et, suivant Davidsson et Honig (2003), c’est certainement là que les efforts de promotion de l’éducation en entrepreneuriat doivent porter.

Pour conclure, cette recherche en appelle d’autres pour améliorer les connaissances du processus d’apprentissage expérientiel entrepreneurial ou juste effectual et consolider le continuum d’accompagnement. Comprendre les apports des acteurs de l’EE sur les apprentissages des étudiants est une contribution importante de cette recherche. C’est également une voie de recherche future pour étudier pourquoi ces acteurs se sont investis dans les projets des étudiants. Nous avons cherché à comprendre l’engagement dans le mentorat informel par l’analyse des retours des étudiants. Des entretiens avec ces parties prenantes nous semblent à présent indispensables. Enfin, le point de vue des accompagnateurs est également important pour comprendre comment les programmes sont adaptés aux évolutions des écosystèmes et comment évolue l’accompagnement lui-même.