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Introduction

Dans l’environnement globalisé contemporain, l’international s’impose aux petites et moyennes entreprises (PME) comme un levier de croissance et de pérennité. Selon Bpifrance (2017), les PME engagées à l’international connaissent un chiffre d’affaires médian 1,7 fois supérieur aux autres. Parallèlement, le développement des PME à l’international est fortement favorisé par le digital, qui s’affirme depuis l’incident de la pandémie comme un nouveau partenaire de l’export (Bpifrance, 2022). Déjà plébiscités avant la crise, les réseaux sociaux numériques sont de plus en plus utilisés par les entreprises. Ainsi, le nombre d’entreprises françaises actives sur les réseaux sociaux marque une hausse significative, passant de 16 % en 2017 à 26 % en 2021 (Commission européenne, 2022). Contraint par la mobilité réduite, l’usage mondial des médias sociaux a continué sa progression fulgurante de plus de 10 % entre janvier 2020 et 2022 (We are social et Hootsuite, 2022), ce qui laisse entrevoir pour les entreprises de nouveaux horizons commerciaux à l’international. Cette tendance est-elle réellement durable et marque-t-elle un profond changement dans le processus d’internationalisation des PME ?

L’impact de la révolution numérique et des réseaux sociaux numériques, en particulier sur le processus d’internationalisation des entreprises, reste encore peu étudié dans la littérature académique. Les tenants de l’école suédoise d’Uppsala, Johanson et Vahlne (2017), qui ont par ailleurs fait évoluer considérablement leur modèle depuis 1977, n’ont intégré que très récemment cette dimension digitale dans leur modèle, qui reste le schéma de référence pour expliquer le processus d’internationalisation des entreprises. Si les travaux de Coviello, Kano et Liesch (2017) ont largement contribué à cette intégration, ils ne traitent pas spécifiquement du rôle des plateformes numériques dans ce processus d’internationalisation. Ils ne s’intéressent pas non plus spécifiquement aux PME traditionnelles.

Notre recherche s’inscrit dans cette volonté d’explorer le rôle des réseaux sociaux numériques et de comprendre leur impact sur le processus d’internationalisation des PME traditionnelles. Elle porte attention aux PME françaises telles que définies par l’Insee[1], créées avant 2003, année de l’apparition du phénomène des réseaux sociaux numériques, et engagées dans le processus d’internationalisation d’une façon incrémentale. Plusieurs auteurs que nous suivons (Bell, Mcnaughton, Young et Crick, 2003 ; Kalinic et Forza, 2012 ; Dominguez et Mayrhofer, 2017) s’accordent à désigner les PME adoptant un comportement graduel pour s’internationaliser comme traditionnelles.

Plus précisément, nous tentons de répondre à la question suivante : les technologies digitales, telles que les plateformes des réseaux sociaux numériques (RSN), modifient-elles l’approche incrémentale d’internationalisation mobilisée par les PME traditionnelles ? Peuvent-elles constituer un facteur d’accélération pour cette catégorie d’entreprises ? L’objectif de notre travail est d’étudier comment et à quelle étape les entreprises intègrent les plateformes des RSN dans leur démarche d’internationalisation.

En s’inscrivant dans l’approche comportementale, nous présentons d’abord l’articulation du processus d’internationalisation selon les trois types de trajectoires : incrémental (Johanson et Vahlne, 1977), born global (Rennie, 1993 ; Oviatt et McDougall, 1994) et born-again global (Bell, Mcnaughton et Young, 2001). Ensuite, nous nous appuyons principalement sur le modèle d’Uppsala, plus particulièrement sur les variables du Business Network Model de Johanson et Vahlne (2009), qui met particulièrement bien en évidence les effets de réseau. Ce modèle nous semble le plus pertinent pour introduire la question des réseaux sociaux numériques et pour analyser leur impact à travers des effets directs et indirects (Nooren, Van Gorp, Van Eijk et Fathaigh, 2018) sur les composantes clés du processus d’internationalisation : les connaissances, la confiance et les opportunités. Sur le plan méthodologique, et en cohérence avec le caractère exploratoire de notre recherche, nous avons adopté une approche longitudinale pour lui donner une perspective dynamique et évolutive. Ainsi, dès 2018, nous avons suivi une dizaine de PME traditionnelles françaises dans leur processus d’internationalisation. À la suite du déclenchement de la pandémie, nous avons décidé de nous focaliser sur un échantillon plus restreint et homogène de quatre fabricants de produits industriels pour le marché BtoB[2]. L’étude fait apparaître que la présence des entreprises sur les plateformes des RSN est devenue aujourd’hui un prérequis qui conditionne largement leur processus d’internationalisation. Cette condition nécessaire, mais pas forcément suffisante, conduit les entreprises à s’interroger sur leur identité numérique, sur les nouvelles compétences qu’elles doivent acquérir et/ou développer pour assurer cette fonction à l’international et, enfin, sur le rôle pivot qu’elles pourraient jouer dans un écosystème d’affaires à l’ère du numérique (Isaac, 2015).

1. Revue de la littérature

Nous justifions d’abord le recours au modèle d’Uppsala dans sa version 2009 pour le replacer ensuite dans un contexte digital afin d’élaborer plusieurs propositions quant à l’impact des réseaux sociaux numériques sur le processus d’internationalisation des PME.

1.1. Le modèle d’Uppsala, toujours un modèle de référence

Le processus d’internationalisation des PME est complexe du fait de la diversité des contextes économiques (niveau de développement des pays, émergents ou développés par exemple), sociaux (la diversité d’acteurs impliqués, start-up, ETI ou PME) et technologiques (connexion à Internet, couverture 4G, plateformes numériques) dans lesquels il s’inscrit.

La vision économique met l’accent sur les facteurs rationnels tels que l’excédent de ressources (Penrose, 1959), les faibles coûts de transaction (Williamson, 1975, 1981) ou encore les OLI-avantages (Dunning, 1988, 2000) qui incitent les entreprises à étendre leurs activités au-delà du territoire national. Face à ce défi, les entreprises adoptent des comportements variés, s’engagent à des degrés divers à l’international et poursuivent des trajectoires stratégiques différentes. Soit elles s’inscrivent dans un processus long, séquentiel et unidirectionnel (Johanson et Vahlne, 1977 ; Bilkey et Tesar, 1977), qui se matérialise par le choix d’un pays précis en considérant la distance psychique et le niveau de risque (Johanson et Wiedersheim-Paul, 1975), soit elles s’inscrivent dans un processus beaucoup plus rapide, multidimensionnel et global tel que décrit par les tenants du modèle du born global (Rennie, 1993 ; Oviatt et McDougall, 1994) et born-again global (Bell, Mcnaughton et Young, 2001).

La différence entre ces deux derniers paradigmes réside dans la typologie des acteurs. Si le terme born global (Rennie, 1993 ; Oviatt et McDougall, 1994) s’applique aux organisations du type start-up (ou international new ventures, INVs – Oviatt et McDougall, 1994) qui ambitionnent de se développer à l’international dès le début de leur existence, celui de born-again global (Bell, Mcnaughton et Young, 2001) correspond à des PME établies de longue date sur le marché domestique et qui connaissent une accélération internationale inopinée suite à un incident critique tel qu’un changement de propriétaire ou de l’équipe dirigeante, une acquisition (Bell, Mcnaughton et Young, 2001) ou encore l’accès à un nouveau réseau sur les marchés étrangers (Bell et al., 2003).

En observant le comportement de quatre firmes industrielles suédoises, les chercheurs de l’école suédoise d’Uppsala, Johanson, Wiedersheim-Paul et Vahlne, ont élaboré au milieu des années soixante-dix un modèle d’internationalisation par étapes. Depuis, ce cadre théorique, largement connu comme le modèle d’Uppsala, a servi de référence pour analyser le processus d’internationalisation des entreprises. Formalisé initialement en 1977, le modèle d’Uppsala a connu plusieurs évolutions majeures sur une période de 40 ans (Wach, 2021), les auteurs cherchant tour à tour à répondre aux critiques tout en intégrant de nouvelles approches. Il offre aujourd’hui un large éventail d’applications afin de mieux comprendre le comportement des entreprises, ce qui donne la liberté à chaque chercheur de choisir les variables statiques et dynamiques en adéquation avec son sujet de recherche (Vahlne et Johanson, 2020).

Pour les besoins de notre étude, nous nous intéressons plus particulièrement à la version 2009 du modèle, appelé le Business Network Model (BNM) (Johanson et Vahlne, 2009), et ce, pour trois raisons. Premièrement, en définissant le BNM, Johanson et Vahlne (2009) expliquent d’une façon pertinente le développement international applicable spécifiquement aux PME. Ensuite, les chercheurs mettent en évidence l’importance et le rôle des effets de réseau dans ce processus. Enfin, parmi de nombreuses mises à jour proposées, l’article de 2009 est le seul à avoir été distingué par le JIBS Decade Award (Verbeke, 2020) en tant que papier académique le plus influent sur les dix dernières années (2009-2019).

Il convient de préciser, à ce stade, que l’approche réseaux se définit au sein de ce paradigme par des relations à travers des échanges sociaux entre l’entreprise et de nombreux acteurs (fournisseurs, clients, etc.) constituant les réseaux d’affaires (Johanson et Vahlne, 2009), que ce soit au niveau managérial (niveau milli-micro) ou bien organisationnel (niveau micro) (Vahlne et Johanson, 2017, 2020). Dans ce sens, il s’agit des réseaux sociaux, c’est-à-dire les relations entre les humains, et non pas des réseaux techniques reliant des machines (ordinateurs, téléphones, antennes, etc.).

Selon les tenants du BNM, l’entreprise qui s’internationalise n’est pas un acteur isolé, mais intégré dans des réseaux d’affaires actifs qui se substituent alors à la structure du marché (Johanson et Vahlne, 2009). Le réseau se forme d’abord à travers des liens sociaux faibles, qui fonctionnent comme des ponts locaux vers d’autres membres plus éloignés, connectant ainsi le niveau micro à macro et vice-versa (Granovetter, 1973). Chaque entreprise possède une position précise dans son réseau, interagit, s’engage avec ses partenaires (fournisseurs, clients) et construit la confiance (Johanson et Vahlne, 2009). Sous cet angle, l’internationalisation se conçoit comme une entrée dans un réseau (Vahlne et Bhatti, 2019). Ne pas appartenir à des réseaux représente un obstacle majeur au développement international (Johanson et Vahlne, 2009 ; Meier et Meschi, 2010).

La conceptualisation du BNM (Figure 1) combine quatre variables interconnectées : deux variables statiques (les connaissances et les opportunités et la position dans le réseau) et deux variables dynamiques (les décisions d’engagement dans des relations au sein des réseaux et l’apprentissage, la création de connaissances et la confiance).

Figure 1

Le Business Network Model (Johanson et Vahlne, 2009)

Le Business Network Model (Johanson et Vahlne, 2009)

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La logique des réseaux met en évidence l’existence de connaissances spécifiques aux relations, fruit de l’interaction entre partenaires. L’interaction sociale enrichit les connaissances générales, fait découvrir les ressources et les capacités de chacune des parties et aide les partenaires à identifier les opportunités mutuellement attractives (Johanson et Vahlne, 2009). La reconnaissance des opportunités est considérée comme une forme de connaissances au même titre que les besoins, les capacités, les stratégies et les réseaux des entreprises reliées directement ou indirectement (Johanson et Vahlne, 2009). À l’intérieur du même réseau, les connaissances, la confiance et l’engagement ne sont pas distribués d’une façon homogène et égalitaire entre ses membres. Ainsi, la position dans le réseau conditionne le processus d’internationalisation (Johanson et Vahlne, 2009).

Sous l’angle des réseaux, émerge également la dimension affective, se cristallisant par la confiance, l’ingrédient clé pour le développement des réseaux d’affaires (Morgan et Hunt, 1994 ; Johanson et Mattsson, 1988) et de nouvelles connaissances (Johanson et Vahlne, 2009). S’appuyant sur la bienveillance, l’honnêteté et la compétence (Walter et Ritter, 2003), la confiance est définie comme « une capacité à prédire le comportement d’un autre » (Johanson et Vahlne, 2009, p. 1417). Elle est surtout cruciale dans l’environnement incertain et au début de la construction des relations d’affaires. La confiance, une fois acquise, permet d’accéder à un réseau (Coviello, 2006) et de profiter de ses avantages (Vahlne et Johanson, 2021). Son importance peut devenir permanente si la relation nécessite un effort continu pour créer et développer les opportunités (Johanson et Vahlne, 2009).

La confiance émerge et se développe, mais elle peut aussi se perdre. La construction de la confiance est un processus de long terme, qui induit ses propres coûts et nécessite la réciprocité et la coordination des actions (Charreaux, 1998 ; Madhok, 2006). La confiance existe entre les individus et entre les organisations, les premiers nourrissent les organisations, ce qui explique leur interdépendance (Vahlne et Johanson, 2021). Les interactions au sein des réseaux impactent les décisions d’engagement dans la relation. En fonction de la situation, l’entreprise peut varier, augmenter ou diminuer son niveau d’engagement dans la relation avec un acteur spécifique. Cette décision peut se manifester par le changement d’un mode d’entrée, du volume d’investissement, de la modification organisationnelle ou du niveau de dépendance (Johanson et Vahlne, 2009).

En définissant le Business Network Model et ses différentes variables, Johanson et Vahlne (2009) mettent en évidence les effets de réseau de l’économie classique (Colin, Landier, Mohnen et Perrot, 2015) et leur rôle déterminant dans le processus d’internationalisation, sans tenir compte de la révolution numérique. Or, l’environnement numérique représente aujourd’hui une nouvelle réalité pour les acteurs économiques (Colin et al., 2015). Il devient alors impératif d’étudier l’internationalisation dans le contexte digitalisé (Coviello, Kano et Liesch, 2017).

1.2. Replacer le modèle d’Uppsala (2009) dans un monde de plus en plus digital

S’inscrivant dans l’amélioration du modèle d’Uppsala (Johanson et Vahlne, 2017), Coviello, Kano et Liesch (2017) développent un cadre conceptuel mettant l’accent sur trois niveaux insuffisamment pris en compte : le contexte digital, le comportement individuel des décideurs et la gouvernance entre l’état dynamique et statique. Cette approche met en évidence que le processus d’internationalisation est impacté par les niveaux macro et micro continuellement. Au niveau macro, le numérique agit par le biais de nouvelles capacités technologiques, mettant en dialogue les machines et les humains. Au niveau micro, le processus est impacté par l’usage qu’en fait le décideur. Sous cet angle, le processus d’internationalisation subirait une transformation en termes de tempo et de rythme d’internationalisation, de choix d’emplacement et de mode d’entrée, d’apprentissage et de développement de connaissances sur les marchés visés, d’accessibilité aux ressources et capacités nécessaires sur les marchés nationaux ou étrangers (Coviello, Kano et Liesch, 2017).

Les auteurs soulignent que la digitalisation a créé et augmenté la taille d’un marché mondial d’échanges, impliquant des transactions économiques et sociales, et provoqué leur hybridation, dans lequel des éléments matériels et immatériels sont échangés (Coviello, Kano et Liesch, 2017). Cette notion du marché mondial digitalisé ainsi formulée se rapproche de ce qu’on appelle l’économie numérique définie comme le réseau mondial des activités économiques et sociales qui sont activées par des plateformes (Australian Bureau of Statistics, 2009) technologiques (les capteurs) ou d’affaires (marketplace, commerce en ligne ou réseaux sociaux) à effet de réseau (Colin et al., 2015). Le coût de diverses activités à l’international se trouve abaissé : la technologie digitale facilite l’authentification de l’autre partie d’une transaction et l’apprentissage de sa réputation permet de communiquer à deux ou à plusieurs sans friction géographique, instantanément, sous forme dématérialisée, et de retracer les échanges, mais aussi capturer, analyser et transférer un nombre considérable de données (Neubert, 2018) – en d’autres termes, d’établir la confiance entre des parties ne se connaissant pas (Colin et al., 2015).

Ces échanges peuvent impliquer des relations d’un à plusieurs ou de plusieurs à plusieurs (Coviello, Brodie, Danaher et Johnston, 2002) et non plus simplement les relations d’un à un, acheteur-vendeur, traditionnellement étudiées dans la littérature. Ce pluralisme observé par Coviello et al. (2002) soulève la question de la gouvernance simultanée de ces relations multipartites et multilatérales. Il permet aussi de mettre en exergue le rôle des décideurs ou de tiers dans l’orchestration des transitions entre « état » et « changement » tel que représenté dans le modèle de Coviello, Kano et Liesch (2017). Cela pose aussi la question du rôle des plateformes numériques d’intermédiation qui opèrent à une échelle sans précédent. Les échanges transactionnels ou relationnels se produisent à travers ce tiers de confiance, qui fournit de nombreux services numériques, renforçant les effets de réseau.

Pour bien comprendre l’impact de la digitalisation sur le processus d’internationalisation des entreprises, il convient de s’intéresser plus précisément à ces plateformes numériques complexes, explorant comme nous le faisons celles des réseaux sociaux.

1.3. Les plateformes numériques : un moteur sous contrôle ?

Plus de quatre milliards de personnes dans le monde utilisent aujourd’hui les réseaux sociaux (We are social et Hootsuite, 2022) à titre personnel et/ou professionnel. Selon Deprince et Arnone (2018), les réseaux sociaux numériques (RSN) sont des plateformes en ligne qui offrent un service d’intermédiation dans « l’accès aux informations, contenus, services ou biens édités ou fournis par des tiers » (CNNum, 2015, p. 59). Ces plateformes de service sont accessibles via des interfaces techniques connectées et mobiles, sans contrainte de temps et d’espace. Elles sont dotées d’une « dimension écosystémique caractérisée par des interrelations entre des services convergents » (CNNum, 2015, p. 59).

Chacune des plateformes numériques des réseaux sociaux possède une combinaison spécifique de caractéristiques clés. Une caractéristique commune aux différentes plateformes est qu’elles intériorisent les externalités au sein ou entre différents groupes d’utilisateurs (Nooren et al., 2018). Les externalités à l’intérieur d’un groupe d’utilisateurs entraînent un effet de réseau direct, typique des réseaux sociaux comme Facebook, LinkedIn, WhatsApp (Nooren et al., 2018). Les externalités entre les groupes d’utilisateurs entraînent un effet de réseau indirect, également exploité par Facebook et LinkedIn, mais pas par WhatsApp (Nooren et al., 2018).

Il apparaît pertinent de tenir compte des effets de réseau directs et indirects, exploités simultanément par des plateformes multifaces (Colin et al., 2015), telles que LinkedIn ou Facebook, et d’analyser leur impact sur les trois principales composantes du Business Network Model (Johanson et Vahlne, 2009) : les connaissances, la confiance et les opportunités (Figure 2). En effet, le pouvoir des plateformes de RSN réside dans l’éventail de services offerts aux utilisateurs, services qui présentent un potentiel relationnel (Bell et Loane, 2010) et marketing (Okazaki et Taylor, 2013) très important. Les effets de réseau de la technologie numérique permettent d’amplifier les effets réseaux sociaux. Dans l’optique du développement international, la recherche académique met en avant les bénéfices procurés par ces services en les regroupant en quatre catégories : visibilité internationale et présence en ligne ; identification de nouvelles opportunités ; formation de relations avec les acteurs internationaux ; source de fiabilité et réduction du risque (Deprince et Arnone, 2018).

Par l’intermédiaire de ces outils, il devient facile aux personnes physiques ou morales de créer une présence en ligne et de développer un réseau de contacts (Deprince et Arnone, 2018), d’interagir et de s’engager avec des partenaires des quatre coins du monde pour développer des relations dans un but personnel et/ou professionnel. Comme le soulignent Meier et Meschi (2010), la finalité de l’internationalisation consiste à mobiliser les capacités de l’entreprise pour intégrer les réseaux dont les membres sont déjà présents à l’étranger et qui peuvent donc procurer à ce nouvel entrant les ressources clés nécessaires à la réussite de l’internationalisation, d’où la proposition 1 :

Proposition 1 : les effets de réseau des plateformes de RSN impactent la décision des PME françaises traditionnelles en ce qui concerne le choix du pays.

Toute personne membre des RSN se trouvant, en principe, à la portée d’un clic, la capacité de réseautage est amplifiée (Okazaki et Taylor, 2013) pour trois raisons. Premièrement, les RSN sont un moyen simple et peu coûteux de créer et de maintenir des réseaux tout en augmentant le nombre de liens faibles (Granovetter, 1973) qui agissent comme des « ponts locaux » vers des parties du réseau qui seraient autrement déconnectées (Krackhardt, 1992). Deuxièmement, l’efficacité des RSN dans la formation des relations s’appuie sur l’efficacité du phénomène appelé le « bouche-à-oreille électronique » (Okazaki et Taylor, 2013). Ce dernier facilite l’échange d’informations, possède un côté récréatif et le pouvoir de rassembler les individus en créant des communautés (Okazaki et Taylor, 2013). Enfin, les entreprises développent des pratiques internes aux réseaux qui génèrent de nouvelles configurations de ressources qui permettent aux entreprises de mieux interagir avec leurs partenaires à travers le monde (Okazaki et Taylor, 2013).

Les liens formés avec les acteurs internationaux sont maintenus par les interactions sur les RSN pour assurer un contact de long terme (Deprince et Arnone, 2018). Accessibles en permanence sur les supports mobiles connectés en continu, les RSN réduisent le temps nécessaire pour interagir avec des personnes éloignées (Okazaki et Taylor, 2013). Les entreprises se dotent alors d’une capacité à surmonter le frottement de la distance et du temps. Pour l’entreprise qui veut pénétrer un marché étranger où elle ne possède pas de contacts, les RSN représentent un atout majeur pour pallier la « non-appartenance aux réseaux » (Johanson et Vahlne, 2009) puisqu’ils permettent d’avoir un accès permanent au plus grand nombre de personnes susceptibles de devenir clients ou partenaires, basés géographiquement dans de nombreux pays, d’où la proposition 2 :

Proposition 2 : les effets de réseau des plateformes de RSN permettent aux PME traditionnelles françaises de s’engager simultanément sur plusieurs pays.

Les RSN constituent une vitrine digitale des entreprises, complémentaire au site Internet et accessible aux quatre coins du globe. Ils permettent d’acquérir une visibilité et une notoriété mondiale avant même que le produit ou service soit disponible à l’étranger (Deprince et Arnone, 2018). Ce rayonnement international est étroitement lié avec la transférabilité de l’image, qui contribue à bâtir l’identité de marque, l’élément clé pour se rendre attractif auprès de la clientèle internationale (Okazaki et Taylor, 2013). Grâce à la portée mondiale des RSN, les entreprises disposent d’un outil pour localiser l’image de marque, tout en transférant le sens souhaité du message, d’une façon appropriée en fonction du pays en s’appuyant sur les fonctionnalités de ciblage extrêmement précis offertes par les plateformes (Deprince et Arnone, 2018). La notoriété ainsi créée au niveau mondial augmente la crédibilité auprès des partenaires potentiels, parfois psychologiquement distants et géographiquement éloignés. L’entreprise saisit des données et des informations qui permettent aux autres membres du même RSN de mieux la connaître, ce qui facilite la formation des relations avant même de se déplacer dans le pays étranger (Deprince et Arnone, 2018).

La plateforme de RSN donne à l’entreprise la possibilité d’effectuer plusieurs types d’activités instrumentales et relationnelles (Moore, Raymond et Hopkins, 2015). Les activités instrumentales, caractérisées par un sens unique, sont lancées et contrôlées par l’entreprise. Il s’agit de rechercher les informations, de collecter les données, d’observer les comportements, mais aussi de produire du contenu, saisir des données ou encore délivrer des messages publicitaires (Moore, Raymond et Hopkins, 2015). Ces activités de l’ensemble des utilisateurs de la plateforme de RSN produisent les connaissances propres à la plateforme, que nous allons nommer « les connaissances spécifiques aux plateformes » de RSN. Tout comme les connaissances expérientielles (Johanson et Vahlne, 1977), qui peuvent être acquises uniquement durant l’activité sur le marché étranger, ou relationnelles, issues des interactions entre les partenaires (Johanson et Vahlne, 2009), il est possible d’acquérir les connaissances spécifiques à la plateforme uniquement durant l’activité sur cette plateforme, d’où la proposition 3 :

Proposition 3 : les effets de réseau des plateformes de RSN améliorent les connaissances des PME traditionnelles françaises à propos des marchés étrangers.

Les entreprises se basent sur les profils personnels et professionnels des contacts pour évaluer le potentiel de la future collaboration et s’assurer de l’identité et de la fiabilité des partenaires étrangers (Deprince et Arnone, 2018). Pour se connecter aux autres membres du RSN et établir des liens avec les partenaires étrangers en envoyant des demandes de mise en relation ou en étant sollicité, il est indispensable d’inspirer la confiance. En phase initiale, pendant laquelle les membres du RSN s’observent mutuellement, la confiance se base sur les informations contextuelles, les convictions personnelles (images, concepts, préjugés) et l’état de certitude intérieure (Akrout, 2005).

En acceptant une connexion sur les RSN, les deux parties s’accordent mutuellement un certain degré de confiance, tout en assumant un certain degré de risque. Si le profil du dirigeant de l’entreprise est connecté à un nombre élevé de contacts, chacun accordant un peu de confiance, ce profil serait a priori jugé digne de confiance par l’ensemble des utilisateurs du RSN. Il s’agit d’un phénomène de validation sociale (Jauréguiberry, 2011). Dans le but du développement international, la confiance est un ingrédient clé, surtout cruciale au début de la construction des relations d’affaires (Johanson et Vahlne, 2009). D’après Madhok (2006), « la construction de la confiance est un processus long et coûteux ». Or, sur la plateforme de RSN, l’émergence de la confiance est à la portée d’un clic. Le désir de contact l’emporte sur le risque. Les informations collectées par les PME sur les RSN contribuent à réduire le risque perçu de transactions commerciales (Deprince et Arnone, 2018), d’où la proposition 4 :

Proposition 4 : les effets de réseau des plateformes de RSN contribuent à créer la confiance entre les PME traditionnelles françaises et leurs partenaires étrangers plus rapidement.

Les RSN aident à identifier de nouvelles opportunités plus facilement (Deprince et Arnone, 2018), par le biais des interactions avec une communauté d’experts ou de clients partenaires (Bell et Loane, 2010) ou bien grâce à l’utilisation des réseaux sociaux dans la collecte d’informations, devenue incontournable (Deprince et Arnone, 2018), à propos des marchés étrangers ou partenaires internationaux. Les RSN mettent à la portée des entreprises un volume d’informations à traiter quasi illimité et généré en flux continu. Les fonctionnalités disponibles sur les RSN permettent de facilement provoquer les opportunités internationales en publiant par exemple un message ou bien en répondant aux sollicitations spontanées des prospects étrangers sans réaliser d’effort particulier pour les identifier (Deprince et Arnone, 2018). La capacité des entreprises à recueillir et à traiter les informations diffusées par les membres de leur réseau à l’international constitue un paramètre favorisant leur internationalisation (Che Senik, Scott-Ladd, Entrekin et Adham, 2011). Mobilisant de puissants algorithmes, les plateformes des RSN organisent et hiérarchisent les contenus en vue de leur présentation et de leur mise en relation aux utilisateurs finaux (CNNum, 2015). Les interactions fréquentes et rapprochées deviennent possibles grâce, entre autres, à l’automatisation des processus, d’où la proposition 5 :

Proposition 5 : les effets de réseau des plateformes de RSN augmentent la capacité des PME traditionnelles françaises à développer les opportunités concrètes sur les marchés étrangers.

Figure 2

Design de la recherche

Design de la recherche
Source : inspiré de Johanson et Vahlne (1977, 2009), Coviello, Kano et Liesch (2017)

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2. Méthodologie

L’objet de la présente étude est de comprendre comment les réseaux sociaux numériques impactent le processus d’internationalisation des PME françaises traditionnelles. Trop peu de travaux traitent de l’impact des RSN sur les PME dans la perspective d’expansion internationale. Dans ce contexte, nous avons retenu une approche qualitative exploratoire, comme le recommande Yin (2003) pour l’étude de phénomènes encore peu approfondis par la communauté scientifique, afin d’enrichir les connaissances théoriques et les pratiques managériales.

En tenant compte de la complexité et de la dynamique de l’objet examiné, nous avons adopté la méthode d’étude de cas multiples, qui est par ailleurs souvent utilisée pour analyser le développement international des PME (Bell, 1995 ; Coviello et Munro, 1997). Nous avons focalisé notre attention sur des PME traditionnelles françaises, telles que définies par l’Insee, c’est-à-dire des entreprises occupant moins de 250 personnes et ayant un chiffre d’affaires annuel n’excédant pas 50 millions d’euros. Nous avons par ailleurs cherché des entreprises créées avant 2003 et l’apparition des RSN, qui affichaient une volonté de développer leur activité à l’export et qui étaient présentes au minimum sur deux plateformes de réseaux sociaux multifaces telles que LinkedIn, Facebook ou Instagram.

Nous avons identifié un premier échantillon de 24 entreprises, que nous avons sollicitées pour participer à l’étude. Sur ces 24 entreprises identifiées, 10 d’entre elles ont répondu favorablement, ce qui nous a permis de réaliser notre première série d’entretiens. Le déclenchement de la pandémie de Covid-19 a profondément impacté la disponibilité de certaines entreprises de notre échantillon pour la suite de l’étude. Tenant compte de résultats préliminaires obtenus lors de la première série d’entretiens et afin d’optimiser l’homogénéité de notre échantillon, nous avons décidé de nous focaliser sur quatre entreprises industrielles, fonctionnant en BtoB, choix qui nous est apparu d’autant plus cohérent qu’il correspondait à celui opéré par les auteurs du modèle d’Uppsala, qui ont étudié quatre entreprises industrielles suédoises.

Le tableau 1 présente les dix entreprises sélectionnées pour la première série d’entretiens et parmi elles, les quatre entreprises A01, A02, S04 et A06 que nous avons retenues pour la poursuite de l’étude.

Tableau 1

La liste des entreprises interviewées

La liste des entreprises interviewées

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2.1. Collecte de données

Comme le suggèrent Coviello et McAuley (1999), nous avons adopté une approche longitudinale pour donner une perspective dynamique et évolutive à notre recherche.

Comme indiqué dans la figure 3, nous avons ainsi démarré notre recherche en septembre 2018 en participant à un premier colloque sur l’internationalisation des entreprises et d’autres événements professionnels. Nous avons identifié un premier échantillon de 24 entreprises susceptibles de participer à l’étude et eu des échanges informels avec leurs dirigeants et chargés d’export, suivi de l’observation de leur présence digitale (site Internet et réseaux sociaux).

Au terme de cette première phase d’échanges informels et d’observation, nous avons formellement sollicité leur participation à l’étude. Dix entreprises, répondant favorablement à notre appel, ont participé à la première campagne d’entretiens réalisée à l’automne 2019. La majeure partie des personnes interviewées occupaient la fonction de dirigeant ou de responsable export et utilisaient les RSN dans une optique de développement international.

Nous avons ensuite poursuivi notre observation active de ces entreprises en échangeant régulièrement avec leurs représentants lors de webinaires et autres événements professionnels, en consultant leur site Internet et en nous abonnant à leur page entreprise sur les RSN. Nous avons décidé de réaliser une deuxième série d’entretiens avec les entreprises pour confirmer les résultats préliminaires de notre étude et tâcher d’évaluer les premiers impacts à la suite de la Covid-19. Notre attention s’est portée sur un échantillon plus réduit et surtout plus homogène d’entreprises, des entreprises industrielles, qui correspondaient davantage à notre cible et aux entreprises suédoises qu’avaient pu étudier les auteurs du modèle d’Uppsala. C’étaient aussi des entreprises plus matures au niveau du digital et avec lesquelles il était plus facile d’interagir et donc d’assurer un suivi de leur évolution. Nous avons enfin décidé de réaliser une troisième et dernière série d’entretiens à partir de juin 2022, des entretiens rétrospectifs avec les quatre entreprises industrielles retenues lors de la deuxième phase de l’étude, pour confirmer nos résultats et mieux isoler l’impact du facteur Covid-19.

Pour les trois séries, les entretiens semi-directifs ont suivi scrupuleusement le guide d’entretien (Annexe). La totalité des interviews fut enregistrée avec l’accord des répondants et retranscrite intégralement (Tableau 2).

Figure 2

Chronologie de l’étude

Chronologie de l’étude

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Le tableau 2 vient résumer la nature, le volume et les sources des données collectées et traitées pendant ces trois années de recherche.

Tableau 2

Synthèse de collecte de données

Synthèse de collecte de données

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2.2. Analyse des données

L’ensemble de données fut ensuite codé et analysé (Miles, Huberman et Saldana, 2014) à l’aide du logiciel NVivo 12 en utilisant une approche de codage a priori. Nos codes correspondent à nos propositions de recherche, auxquelles nous avons attribué des segments de données (phrase ou paragraphe) venant valider ou invalider nos propositions.

La structure de notre matrice d’analyse des données se présente de la façon suivante.

Tableau 3

La matrice d’analyse

La matrice d’analyse

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L’étude a été réalisée par deux auteurs, le premier avec une posture de chercher « immergé », le second avec celle de chercher « émergé ». Le chercheur « immergé » a assuré l’observation directe et active des entreprises, la conduite des entretiens et l’essentiel des interactions avec leurs représentants, dirigeants et responsables export. Le chercheur « émergé » a participé à la préparation du guide d’entretien, supervisé la conduite des entretiens et assuré le double codage des données. Il a participé par ailleurs aux principales restitutions de la recherche en cours, lors de conférences ou webinaires. Les auteurs ont ainsi pu présenter leur étude et confronté leurs résultats préliminaires à de très nombreuses reprises (Nantes Digital Week, Fabrique de l’exportation, une vingtaine de webinaires, etc.).

Ce double positionnement et les restitutions nombreuses et régulières ont contribué à assurer la pertinence et l’objectivité dans l’analyse de données par l’articulation subtile entre engagement et distanciation par rapport à l’objet de recherche (Lahire et Norbert, 1993).

Le résultat final tient compte du nombre de répondants et du nombre de segments référencés (Tableau 4).

Tableau 4

L’exemple de traitement des données

L’exemple de traitement des données

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3. Résultats

La présente étude vise à comprendre l’impact des RSN sur le processus d’internationalisation des PME traditionnelles. Nous présentons les résultats en regroupant nos propositions selon les variables impactées de notre cadre d’analyse, en respectant la matrice de codage (Tableau 3) et en rendant compte de convergences et divergences entre les trois séries d’entretiens. Les verbatim cités sont suivis du code de l’entreprise (Tableau 1, exemple A01) et du numéro de l’interview (I1, I2 ou I3).

3.1. Des connaissances spécifiques aux plateformes numériques des réseaux sociaux

3.1.1. Les effets de réseau et le choix du pays (P1)

Lors de la première série d’entretiens, huit entreprises sur dix rejettent la proposition que les effets de réseau propres aux plateformes de RSN impactent leur choix du pays. Les deux autres entreprises ne se sont pas exprimées sur le sujet. Il ressort que le choix du pays est influencé par l’expérience antérieure du responsable export (« la directrice export est plutôt axée et a une expérience sur ce marché donc on est présent au Japon et en Chine » [A02, I1]), ainsi que par les effets de réseau provenant des réseaux d’affaires de l’entreprise (tel que conceptualisé par le modèle d’Uppsala) : « C’est du bouche-à-oreille, un marché de relationnel, il faut avoir travaillé avec tel ou tel architecte pour que l’on puisse développer avec lui un projet en Belgique, en Pologne, puisque les architectes travaillent sur différents projets en Europe. » (A01, I1) Les répondants mettent en avant l’approche par opportunité via les agents et/ou par relation : « On réfléchit encore assez traditionnellement et quand on ouvre un nouveau pays, c’est souvent qu’on a un partenaire sur place avec lequel on a une relation commerciale soit de longue date soit avec un potentiel important. » (S10, I1)

Pour le choix du pays, les répondants se réfèrent aussi aux acteurs institutionnels de l’accompagnement international tels que la CCI[3], la Bpifrance ou Business France. Avant de se positionner sur le choix de tel ou tel pays, les répondants effectuent des recherches sur le moteur de recherche (Google) et dans la moindre mesure prennent en compte les données issues de leur site Web. Aucune entreprise n’analyse les RSN sur lesquelles elle est présente pour prendre une décision en termes de choix du pays.

Lors de la deuxième série d’entretiens post-Covid-19, cette position est devenue plus nuancée : deux entreprises sur quatre ont réussi à générer des opportunités sur de nouveaux marchés via les RSN. Néanmoins, les quatre entreprises s’inscrivent plus dans une consolidation de marchés existants que dans l’engagement vers de nouveaux marchés. La troisième série d’entretiens confirme que la proposition est invalidée. Les effets de réseau des plateformes de RSN n’impactent pas le choix du pays.

3.1.2. Les effets de réseau et l’engagement simultané sur plusieurs pays (P2)

Les réponses collectées lors de la première série d’entretiens (neuf entreprises sur dix) et la totalité d’entreprises questionnées ensuite valident cette proposition. Les répondants s’engagent par l’intermédiaire des plateformes de RSN simultanément sur plusieurs pays. Les verbatim d’une des entreprises interviewées d’abord en novembre 2019 et ensuite en février 2021 (post-Covid-19) illustrent le processus : « sur Facebook alors cela m’a ouvert parfois des portessur des chaînes de magasins sur des pays un petit peu lointains comme la Roumanie, la Bosnie, ou la Croatie… » (A02, I1, 2019) ; « mardi, en une seule journée, de mon bureau, j’ai pu faire l’Allemagne, la République tchèque, l’Angleterre » (A02, I2, 2021).

Au même instant, les plateformes des RSN offrent un accès facile et rapide à un large éventail de contacts internationaux : « Tu te promènes comme dans un salon, tu sautes d’un stand à l’autre. » (A06, I3)

Les actions marketing sur les RSN telles que la production de contenus ou l’adaptation linguistique embrassent une logique globalisée : « on a créé notamment le compte Instagram qui lui est en anglais. Du coup il est plus destiné à une cible d’architectes et nous permet de viser plus l’international » (A01, I2) ou régionalisée « pour Facebook, on fait pour l’instant des posts en français, mais on sait qu’il y a la traduction automatique, donc parfois on s’intéresse aussi à une autre cible, et pour ça, on va s’intégrer dans des groupes de partage, par exemple d’architectes ou de paysagistes sur les villes dans d’autres pays. On l’a notamment fait avec la Pologne ou de plus l’Allemagne » (A01, I2).

3.1.3. Les effets de réseau et les connaissances spécifiques aux RSN (P3)

Pour l’ensemble des répondants, les RSN permettent d’accéder à des sources de connaissances uniques. Disponibles dans plusieurs langues étrangères, elles proviennent des membres de ces RSN, de blogueurs, de consommateurs, de clients, de concurrents ou encore d’agents localisés dans les pays.

Il s’agit des connaissances « expérientielles » de plusieurs catégories : des connaissances à propos des prospects ou clients de différents pays qui permettent de mieux percevoir leurs habitudes de consommation et leur comportement : « ce qui générera le plus d’attention ce sera toujours nos aménagements » (A01, I2) ; à propos de la demande : « s’inspirer de nouvelles tendances » (A02, I1), « de voir qui ça pourrait intéresser » (A06, I2) ; à propos des partenaires, y compris des concurrents : « faire de la veille concurrentielle » (A06, I1) ; à propos des distributeurs : « je suis allée chercher quasiment toutes les chaînes que je connaissais en Ukraine sur LinkedIn, ou sur Instagram oui, ou sur Facebook, parce que je ne l’avais jamais fait » (A02, I1).

La plateforme est également une source de connaissances grâce à la collecte et l’analyse des données. Les statistiques mises à disposition des PME par les plateformes permettent de connaître les pays, les comportements, les préférences ou intérêts des clients et ainsi mieux les qualifier pour ajuster ses actions marketing et commerciales : « ce qui est bien avec Instagram, c’est que chaque semaine on a un petit bilan statistique pour voir qui nous suit […], voir les interactions, les “j’aime”, […] et il y a pas mal de personnes en France, en Belgique, mais aussi en Amérique du Sud […] alors qu’on travaille pas du tout en Amérique du Sud » (A06, I2) ; « toutes les semaines, j’ai des statistiques tout simplement des réseaux sociaux que j’analyse selon le nombre d’abonnements et surtout le taux d’interactions » (A01, I2).

L’accès à ce type de connaissances est considéré comme une source de valeur. L’ensemble des participants utilise les RSN pour réaliser les études de marché à distance : « Avoir un retour de la part de membres basés à l’étranger plutôt que de partir de zéro […] permet d’avoir une vraie analyse du marché sans être obligé d’y aller […] dans un premier temps. » (A02, I1)

Les entreprises endossent une double posture, étant à la fois le créateur et le consommateur de ces connaissances. Les entreprises postent sur les réseaux sociaux pour apporter de la compétence, partager du contenu ou des solutions techniques. Les plateformes numériques récompensent les auteurs de contenus par des « like », « partage », « nombre de vues » et « abonnés ». Les entreprises surveillent également les statistiques de ces récompenses : « on voit immédiatement qui a vu, qui n’a pas vu. […] j’ai publié sur LinkedIn […], j’ai eu 3 500 vues » (S04, I1) ; « si moi je poste quelque chose […], je peux peut-être avoir entre 20 et 40 commentaires ou notifications, ou partages » (A06, I1). Nous constatons lors de la deuxième et troisième série d’entretiens que la surveillance des interactions et des statistiques des RSN devient une tâche professionnelle récurrente.

Pour les professionnels de l’international interviewés, les plateformes de RSN sont les carnets d’adresses en ligne du monde entier. Ainsi, les RSN permettent d’avoir cette base de contacts « toujours sous la main » (A01, I1). L’une des entreprises explique, par exemple, « qu’il y a un côté rassurant de se dire “ben oui, on est en contact sur LinkedIn, donc on peut se trouver” » (A01, I1). Les RSN sont le lieu d’une première rencontre professionnelle, en phase de prospection sur des pays où l’entreprise est faiblement engagée : « On va apprendre à se connaître virtuellement, et un jour on se rencontrera, sur une occasion particulière, mais du coup on aura déjà fait connaissance. » (S04, I2)

Si les répondants mettent en avant les bénéfices des RSN et de leurs fonctionnalités, ils sont conscients aussi des risques associés : « Il faut faire attention aussi à ce qu’on partage sur les réseaux sociaux. » (A2, I2) Par exemple, la politique prix peut être impactée, comme l’évoque un des répondants : « Si les clients belges voient que les prix diffèrent énormément en France, cela peut créer de gros problèmes. » (A06, I2) L’image d’entreprise peut être dégradée par l’activité jugée inappropriée d’un employé (« une photo de vacances pourquoi pas, mais faut pas que ce soit trop vulgaire ni rien parce qu’après c’est moi et l’image de mon entreprise qui est impactée » [SO4, I3]) ou par de fausses informations provenant d’un tiers : « On a tout de suite identifié qui au départ avait diffusé cette vidéo sur les réseaux sociaux, et en fait on s’est aperçu que c’était un faux, que c’était une fausse vidéo et que nos produits ce n’était pas nos produits parce qu’on en avait jamais vendu là-bas. On s’est rendu compte que c’était une contrefaçon. » (S10, I1)

Les difficultés de plusieurs types sont également évoquées dans une moindre mesure : la difficulté de créer un contenu attractif (« je ne sais pas quoi dire » |S04, I2]), le manque de temps (« je n’ai pas le temps pour ça » [A06, I2]), la méconnaissance technique liée au fonctionnement de la plateforme, par exemple de l’algorithme (« on a du mal à identifier les influenceurs » [M08, I1]).

Les deuxième et troisième séries d’entretiens ont validé indéniablement la proposition 3 et pointent la complémentarité des connaissances provenant des RSN avec d’autres canaux digitaux (sites Web, moteurs de recherche) et physiques (« les gens compétents dans le pays » [A02, I2]). Depuis la pandémie, les visioconférences et les webinaires sont devenus de nouveaux canaux de transmission et d’accès à l’information et aux connaissances : « Pour moi c’est un saut dans le numérique, ça veut dire qu’effectivement je fais plus de visioconférences aujourd’hui que je n’en ai jamais fait de ma vie. Ça veut dire que le support change, mais l’activité pas forcément, à part les déplacements parce que t’en fais moins, effectivement tu ne vas pas prendre l’avion pour une conférence que tu peux suivre à distance. » (A06, I3)

3.2. Les réseaux sociaux comme référent pour faire émerger la confiance (P4)

Dans l’univers des plateformes numériques des réseaux sociaux, le premier lien social s’installe à distance via le profil de l’utilisateur. Neuf entreprises sur dix reconnaissent accepter immédiatement ou en quelques semaines seulement des demandes de connexion, reçues d’un nouveau contact à l’international, jamais vu auparavant. La proposition 4 est validée par les deuxième et troisième séries d’entretiens. L’un des témoignages illustre le procédé : « J’ai utilisé LinkedIn, je me suis abonné à plein de pages et groupes de discussion […] en Espagne, en Angleterre et aux États-Unis, et forcément pendant 15 jours, trois semaines, j’ai accepté beaucoup de monde. » (A06, I1)

Accepter un contact sur les réseaux sociaux n’échappe pas à une procédure de contrôle. Plusieurs indices digitaux constituent des preuves pour inspirer confiance : le nombre d’abonnés, les amis en commun et l’intérêt du profil sont pris en compte : « sur LinkedIn, il y a beaucoup de démarchage. […] Tous les jours on reçoit deux trois demandes… Je fais du tri, je les regarde toutes, je ne réponds pas forcément à toutes. Quand mon avis est tranché ou si ça ne m’intéresse pas, je ne prends pas le temps de répondre » (S10, I1) ; « j’ai quand même tendance à vérifier qui c’est avant d’accepter, et quand j’accepte, c’est que j’estime qu’il est fiable forcément, on ne le connaît pas totalement, mais je l’estime digne d’intérêt » (A06, I3). Les répondants acceptent plus facilement la demande de connexion provenant des contacts ayant manifesté un intérêt pour leur publication par des « likes » ou commentaires, ainsi que des contacts ayant formulé une demande d’information via la messagerie privée : « Si c’est un commentaire, je vais envoyer un message privé à la personne pour qu’elle précise éventuellement sa demande directement, mais on demande quand même d’envoyer un courriel au standard pour que ça aille au bon service. On demande les coordonnées ou on donne les nôtres à ce moment-là. » (A01, I2) À cet égard, les répondants soulignent la pertinence du format vidéo, qui permet plus facilement de se forger un premier avis sur les partenaires potentiels : « Sur LinkedIn ou sur Facebook […] des fois tu vois une vidéo, tu sais que cette personne-là peut être ton partenaire ou pas… que oui, tu as envie de travailler avec eux ou pas. » (A02, I2)

Les participants sont conscients que l’image de marque sur les RSN est une composante importante à l’international : « il va falloir faire attention à l’image qu’on donne, pour être bien moderne, rendre une image bien réelle de l’entreprise » (A02, I2) ; « C’est une vitrine qu’est obligée d’avoir une entreprise. Ça permet de développer sa cible et encore plus sa notoriété et son image » (A06, I2). Les profils d’une entreprise et de ses employés deviennent des « références ». En cas de doute, la demande de connexion est déclinée, supprimée ou reste sans réponse. L’une des entreprises précise en parlant de Facebook que « quand il y a plus de 300 amis en commun, c’est que c’est la communauté qui s’agrandit […] et puis après, il y en a où c’est 0, […], là je… décline » (T09, I1). Les répondants n’acceptent pas les personnes faisant du démarchage, ayant un profil « bizarre » ou s’ils ne sont pas « dans le métier » (S04, I2).

Pour favoriser un rapprochement entre les personnes étrangères, LinkedIn et Instagram mettent à disposition une fonctionnalité de suivi : « sur LinkedIn, les personnes qui ne me connaissent pas peuvent s’abonner à moi. J’ai peut-être 2 000 contacts LinkedIn et 2 300 abonnés dont certains ne sont pas encore de vrais contacts » (A06, I1) ; « sur Instagram, il n’y a pas de distinction entre les pages personnelles ou professionnelles, du coup on peut s’abonner à tous les gens ou les entreprises que l’on souhaite » (A01, I1). LinkedIn particulièrement est perçu comme un « gage de sérieux » de la communauté professionnelle internationale : « Si c’était un escroc, sur les 5 000 [contacts] que j’ai, il y en aurait bien plus d’un où l’information serait remontée en disant “faites attention à ce mec-là”. » (A02, I1)

Depuis la pandémie, le premier lien avec un contact potentiel à l’export se tisse sur la toile avant d’être renforcé par la rencontre en présentiel : « La relation face à face intervient pour moi désormais vraiment au dernier degré, au dernier recours. Cela démarre par courriel ou par les réseaux, ensuite on se fait des visios et ensuite en dernier recours, on se rencontre sur tel ou tel salon ou tel lieu parce que y’a un projet. » (S04, I3) La confiance entre les partenaires se développe à distance via les interfaces techniques : « Aujourd’hui, je fais 2, 3, 4 visioconférences, tout ce que tu veux avant, sans recevoir la personne sur l’usine ou se déplacer là-bas. On n’y va pas pour feuilleter un catalogue. Les rendez-vous deviennent beaucoup plus pertinents, décisifs. » (A06, I3) Les entreprises interviewées lors des deuxième et troisième séries d’entretiens confirment cette tendance.

3.3. De nouvelles opportunités sans contraintes spatiotemporelles (P5)

Les dix PME interviewées s’appuient sur les effets de réseau des plateformes numériques de réseaux sociaux pour créer, entretenir et nourrir des relations avec différents types d’acteurs économiques dans le monde afin de développer des opportunités à l’international. La proposition 5 est validée tout au long de l’étude.

Les interactions se produisent avec les contacts du premier niveau, mais aussi au-delà à travers la dimension écosystémique de la plateforme. Les répondants prospectent et interagissent aussi bien avec les pays limitrophes à la France (Belgique, Espagne, Angleterre), à l’intérieur de l’Union européenne (Hongrie, Bulgarie, Roumanie), qu’avec les pays plus éloignés géographiquement et culturellement (Japon, États-Unis, Brésil) : « ça m’arrive souvent d’avoir aussi des clients brésiliens » (M08, I1) ; « un groupement que j’ai connu déjà via LinkedIn moi-même nous ouvre des portes sur des marchés où on ne pourrait pas arriver en direct, frontalement, comme ça, comme la Hongrie, la Bulgarie, la Slovénie » (A06, I1).

Percevoir et détecter des opportunités devient facile grâce à une interface mobile connectée en permanence : « Le fait de partager des promotions de nouveaux produits, des manifestations, des salons, cela permet aux gens d’avoir cette information toujours avec eux. Je vais suivre la page de l’importateur X ou Y dans tel pays et pouvoir le contacter dès qu’il postera une information qui m’intéresse. » (A02, I2) Les réactions aux contenus publiés sur les réseaux sociaux en forme de « like », commentaire ou demande de téléchargement représentent des signaux faibles permettant d’entrevoir de nouvelles opportunités d’affaires : « Via les réseaux sociaux on a selon les années entre 1 000 et 1 500 personnes qui “aiment” nos articles que l’on ne connaît pas et que l’on va contacter. C’est l’intérêt pour moi des réseaux sociaux en termes de lead, ça produit plus de prospects que le site Internet. » (C03, I1) L’interaction est souvent immédiate et l’opportunité bien réelle : « La dernière fois en République tchèque, j’ai vu un importateur de produits français qui adorait certains de nos produits. Je suis allé voir sa page Facebook, lui ai envoyé un message et ai fini par commencer à échanger avec lui. » (A02, I2)

Depuis le début de la pandémie, et les difficultés de se déplacer, les PME se tournent vers les réseaux sociaux comme s’ils constituaient un pont virtuel vers de nouveaux contacts dans le monde. Certaines fonctionnalités des réseaux sociaux se substituent aux salons professionnels internationaux, momentanément fermés à cause de la Covid-19 : « Tous les déplacements qu’on va faire à partir de maintenant, ce ne seront que des déplacements utiles, on ira moins en vadrouille, en balade sur un salon. On ne pourrait pas toutefois s’en passer à 100 %. » (A02, I2) Au début de l’étude en novembre 2019, huit entreprises sur dix ont considéré que les RSN sont susceptibles de créer une opportunité d’affaires à travers le monde (« Facebook, LinkedIn, Instagram sont incontournables » [S04, I1]) et n’imaginaient plus leur développement international sans ces plateformes : « Ce serait donner une image trop vieillotte. » (S04, I1) Lors des entretiens post-Covid-19, la proposition se confirme. Les quatre entreprises notifient un « gros impact » et l’accélération en termes de croissance du nombre d’abonnés et de contacts potentiels : « Il y a un an, on avait… 150 abonnés, et là on en a plus de 700 et ça s’accélère. » (S04, I2) Les quatre entreprises avec lesquelles nous avons poursuivi nos échanges se disent être conscientes que le potentiel des RSN est encore sous-exploité, tout en reconnaissant leurs difficultés à mesurer de manière précise et chiffrée l’impact de ces réseaux sur les ventes à l’export.

4. Discussion

Notre étude qualitative longitudinale auprès des PME traditionnelles françaises s’inscrit dans la volonté de comprendre comment l’approche traditionnelle de l’internationalisation, incarnée par le modèle d’Uppsala, est impactée par l’intégration des RSN dans ce processus. Comme ses tenants (Vahlne et Johanson, 2017, 2020, 2021), nous cherchons à replacer le modèle dans le monde qui est le nôtre aujourd’hui. Il ne s’agit pas simplement d’un changement de contexte devenu digital et marqué par l’irruption de technologies digitales (Coviello, Kano et Liesch, 2017 ; Vahlne et Johanson, 2021), mais d’une transformation radicale de l’environnement de l’entreprise où le monde numérique global coexiste avec le monde physique.

Nos résultats suggèrent justement cette hybridation du processus d’internationalisation avec un dosage différent en fonction du contexte. Ainsi, avant la pandémie, les entreprises rencontraient leurs futurs partenaires internationaux sur des salons ou lors des missions de prospection, ensuite, le contact ainsi créé rejoignait le RSN de l’entreprise. Durant la période post-Covid-19, avec les restrictions de mobilité, les entreprises commençaient à créer des liens commerciaux via les RSN, y compris à l’aide de la fonctionnalité de visioconférence. La troisième vague d’entretiens réalisée dernièrement a mis en évidence la présence d’un arbitrage entre la rencontre physique et virtuelle, la dernière étant privilégiée au début de la relation d’affaires, tandis que la rencontre physique était désormais réservée aux moments forts, pour signer un contrat ou prendre une décision stratégique notamment.

Nous avons également identifié que les RSN altéraient le processus de création de confiance entre différents partenaires. Dans le processus d’internationalisation, l’établissement d’un premier lien relationnel ou social est crucial parce qu’il offre l’opportunité à la confiance d’éclore et de se développer via les interactions. Sans repère, les utilisateurs cherchent une validation sociale du profil d’un nouveau contact auprès d’autres utilisateurs. La confiance émerge rapidement si le profil répond aux critères jugés crédibles par la communauté numérique : posséder un nombre de contacts suffisants, avoir des contacts en commun, évoluer dans la même filière, partager le contenu pertinent, avoir des recommandations. Comme l’a résumé une des entreprises, « cela accélère la prise de contact » (A06, I3). Cette facilité et l’accélération dans la prise de contact peuvent s’expliquer par les technologies digitales des RSN, mais également par une théorie sociologique postulant que la confiance est fondée sur l’idée d’intérêts enchâssés (Hardin, 2006). En acceptant une invitation sur les RSN, le représentant de l’entreprise fait confiance à ce nouveau contact parce qu’il a des raisons de croire que ce dernier saura se montrer digne de confiance au moment opportun.

La confiance est un prérequis pour le partage des connaissances et l’engagement mutuel, elle est longue à développer et nécessite des interactions fréquentes et rapprochées entre les partenaires. Les RSN facilitent la connexion entre les utilisateurs psychiquement éloignés et contribuent à dépasser plus rapidement le handicap de ne pas appartenir à des réseaux (Johanson et Vahlne, 2009) grâce au mécanisme de la validation sociale qui augmente considérablement la confiance entre les partenaires et les rend beaucoup plus à l’aise pour faire des affaires. Selon le comportement fondé sur des seuils (Granovetter, 1978), la participation d’un acteur à l’action collective dépend de la proportion d’autres acteurs ayant déjà décidé de participer. Pour les acteurs de l’international, la validation sociale par les RSN constitue un des éléments de réponse face à la situation d’incertitude. Ainsi, les profils professionnels des employés, celui du dirigeant et la page de l’entreprise sur les RSN contribuent à construire, à développer et à renforcer le capital confiance de l’entreprise, un des éléments clés de son image de marque. Sous cet angle, la validation sociale devient un mécanisme de gouvernance au sein des RSN.

Notre étude met aussi en relief l’émergence et le développement de connaissances spécifiques aux plateformes des RSN, qui ne peuvent être acquises qu’à travers leurs canaux. La création de ces connaissances, stimulée par les plateformes elles-mêmes (engagement de la communauté) via les récompenses (par exemple les likes ou vues), qui créent de la dépendance et produisent de la viralité, encourage chaque membre à produire toujours plus de connaissances. Nous avons identifié trois catégories de connaissances : des connaissances « expérientielles » provenant d’autres membres des RSN, qui permettent de mieux connaître l’environnement du marché (réseau de distribution, spécificité culturelle) et d’éventuels partenaires avant de se déplacer ; des connaissances produites par les entreprises sur les RSN à travers leur page entreprise ou les profils de leurs employés, qui permettent de renforcer l’engagement avec les abonnés existants et en attirer de nouveaux ; des connaissances « analytiques » libérées sur la base des données et des informations fournies par la plateforme (clics, nombre de commentaires et likes, impressions, etc.), qui permettent de mieux connaître les comportements, les attitudes et les centres d’intérêt des partenaires, et ainsi adapter sa stratégie de développement à l’international.

Enfin, l’étude apporte une perspective écosystémique au développement d’opportunités d’affaires à l’international. En effet, la plateforme de RSN mobilise chaque membre en tant que ressource potentielle et peut assurer aux autres membres un accès à cette ressource à l’échelle mondiale au travers des effets de réseau lorsque l’entreprise s’y positionne en tant que pivot. Cette dimension technologique associée à ce rôle « pivot » dote l’entreprise d’une capacité augmentée de coordination simultanée, à distance, entre plusieurs pays et continents. Cette nouvelle donne modifie le comportement des PME, qui s’apparente à celui d’un « multinational trader » (Oviatt et McDougall, 1994) qui dessert un grand nombre de pays et qui recherche en permanence des opportunités commerciales là où ses réseaux sont établis ou peuvent s’établir rapidement. Les plateformes des réseaux sociaux constituent en ce sens des éléments déclencheurs ou des « incidents critiques » au sens de Bell, Mcnaughton et Young (2001).

Les réseaux sociaux numériques offrent un pont virtuel vers le monde et ont un effet accélérateur au stade de la conquête de nouveaux marchés pour les entreprises les plus préparées. Les entreprises interrogées n’imaginent plus qu’un développement international soit possible sans l’intégration des RSN dans ce processus. Plaçant préalablement les RSN au niveau stratégique, elles ont pu absorber plus facilement le choc de la pandémie en assurant la continuité de leur activité internationale par le canal numérique et via les réseaux sociaux. La Covid-19 a fait sauter les derniers freins à l’usage des RSN de la part des professionnels partout dans le monde et mis en évidence des inégalités entre les PME à maturité digitale faible et élevée (Vadana, Torkkeli, Kuivalainen et Saarenketo, 2019). Dans ce sens, nous identifions un caractère a priori discriminant de la pandémie. La PME sans présence structurée sur les RSN s’expose au risque d’être invisible et difficilement identifiable par des partenaires internationaux. Elle fait planer un doute sur sa crédibilité, par exemple sur sa capacité à innover, renvoie une image vieillotte et se prive d’accès aux informations stratégiques pour s’internationaliser (Dominguez, Mayrhofer et Obadia, 2020). Bien que présentes sur les trois plateformes des RSN, à savoir LinkedIn, Facebook et Instagram, les PME de notre échantillon mettent en avant surtout l’utilité, le sérieux et le professionnalisme de la plateforme LinkedIn. Elle est jugée comme la plus appropriée au segment BtoB grâce à son service de médiation en phase avec les attentes professionnelles (la curation de contenus, tenue à jour des profils, suggestions et notifications de l’algorithme, respect du RGPD, fonctionnalité de mise en relation et large éventail de filtres pour la recherche).

Renforcés par la connectivité et la mobilité des interfaces, surtout dans le contexte de sédentarité des personnes, les RSN incitent les entreprises à revoir leur stratégie de développement international et à penser dorénavant non seulement à la présence physique dans le pays étranger, mais aussi à une forme de présence digitale via les RSN. La stratégie du développement international prend alors une forme mixte : physique et digitale, même si l’entreprise peut privilégier l’une des deux.

La mise en oeuvre de cette stratégie oblige aussi les entreprises à acquérir et à développer de nouvelles compétences, directement par le recrutement et la formation de nouveaux profils ou indirectement par le biais de partenariats forts avec des acteurs spécialisés dans l’utilisation de ces réseaux sociaux. En effet, le manque de compétences constitue un frein pour exploiter pleinement le potentiel offert par les RSN. Selon leur propre évaluation, les entreprises interviewées n’exploitent pas plus de 30 % de l’ensemble des possibilités mis à leur disposition par les RSN. L’enjeu de l’accompagnement devient une évidence pour renforcer la compétitivité internationale des PME françaises. Mixant l’accompagnement à l’exportation et à la transformation digitale, il est pertinent de le concevoir autour des quatre dimensions d’accompagnement identifiées par Catanzaro, Messeghem, Sammut et Swalhi (2015) : « formation et information », « mise en réseaux » et « prospection » enrichies par les réseaux digitaux et la prospection digitale et, enfin, « le soutien financier ».

Conclusion

Dans le monde économique à digitalisation croissante, notre recherche explore le phénomène des réseaux sociaux numériques et tente de comprendre l’impact de cette technologie sur le développement international des PME traditionnelles en France.

Sur le plan théorique, nos résultats suggèrent un glissement du Business Network Model (Johanson et Vahlne, 2009) vers un modèle de développement à l’international hybride, reposant sur les RSN et leurs particularités. La présence sur les plateformes de RSN n’est plus une option, elle devient un prérequis sans laquelle il ne deviendra plus possible de se développer à l’international. Dopée par la crise de la Covid-19, l’utilisation de ces plateformes de RSN, à travers leur système de récompense, leur principe de validation sociale et leur logique écosystémique, confirme un effet d’accélération du processus d’internationalisation des PME traditionnelles à l’étape d’exportation, pour celles au moins qui se sont engagées préalablement à l’international et qui avaient déjà amorcé leur transformation numérique. La pandémie semble ainsi revêtir un caractère discriminant.

Sur le plan managérial, notre recherche apporte aux PME traditionnelles une compréhension plus fine des plateformes de RSN pour les intégrer dans leur stratégie de développement international. La question de la confiance met au coeur de la stratégie internationale la construction de l’identité numérique de l’organisation. Les RSN incitent l’entreprise à quitter l’échelle locale pour rejoindre l’échelle mondiale. Dans cette optique, l’identité numérique d’une PME ne peut se limiter à son dirigeant et à ses employés et doit inclure l’ensemble de ses représentants nationaux et internationaux. Pour construire une identité numérique de confiance, il semble indispensable de s’appuyer sur le principe de validation sociale à tous les niveaux d’utilisation.

Pour réussir son internationalisation, la PME traditionnelle doit créer, développer et exploiter des connaissances spécifiques aux plateformes des RSN. L’entreprise devient à la fois l’auteure et la consommatrice de ces connaissances. En tant qu’auteure, elle peut s’appuyer sur le système de récompense des plateformes numériques afin d’exploiter son pouvoir affectif pour renforcer le lien relationnel avec ses partenaires étrangers. En tant que consommatrice, elle doit former son personnel pour qu’il soit capable d’utiliser ces RSN dans un but d’internationalisation, par exemple à la prospection digitale, sans tomber dans l’emprise de leur système de récompense.

Enfin, l’entreprise traditionnelle doit s’assurer que ses activités sur les RSN convergent à produire de la valeur pour l’ensemble des membres de son réseau, mais aussi pour la plateforme elle-même qui agit comme un agent d’intermédiation. L’enjeu pour la PME est de devenir un élément pivot en créant son propre écosystème au sein de l’écosystème plus grand de la plateforme numérique des réseaux sociaux.

Par sa nature exploratoire et longitudinale, notre recherche présente inévitablement plusieurs limites. D’abord, les limites méthodologiques liées à notre échantillon, trop hétérogène initialement. Nous n’avons pas mesuré non plus la maturité digitale des entreprises étudiées avant le début de la recherche, ce qui pouvait apporter un élément pertinent contextuel. L’étude suggère l’existence d’un lien fort entre l’accélération à l’export et le degré de digitalisation, un aspect partiellement soulevé dans les travaux de Vadana et al. (2019) et qui mériterait d’être approfondi. Ensuite, notre travail ne nous permet pas d’affirmer d’une façon évidente l’effet d’accélération des entreprises à l’international sur toutes les étapes d’internationalisation. La période de trois ans de recherche a subi des turbulences géopolitiques : la pandémie en 2020 et la guerre en Ukraine récemment. Ces événements ont produit un effet de ralentissement sur l’ensemble de l’économie mondiale (la logistique internationale mise à mal, la difficulté d’approvisionnement en matières premières, le chômage forcé des entreprises, etc.). Les entreprises de notre étude ne font pas exception. Enfin, de nombreuses facettes du monde numérique restent à explorer. Nous invitons à l’approfondissement des sujets en lien avec les compétences digitales des décideurs, la mutation du métier de responsable export et l’accompagnement des entreprises exportatrices à la transformation digitale de l’ensemble de leur chaîne de valeur.