Notes de lecture

GODBOUT, Jacques T. 2000. Le Don, la dette et l'identité. Homo donator vs homo economicus. La Découverte/MAUSS, « Recherches ». [Record]

  • Catherine Paradeise

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  • Catherine Paradeise
    Département de sciences sociales (ENS de Cachan)
    Groupe d'analyse des politiques publiques (GAPP/CNRS)

Que se passerait-il si nous décidions de faire jouer à l'appât du don le rôle que nous nous sommes habitués à voir jouer à l'appât du gain comme fondement anthropologique de l'action humaine ? C'est à cette question qu'est consacré le dernier ouvrage de Jacques Godbout. Non, cette perspective n'est ni le pari sympathique mais insensé d'un intellectuel rêveur, ni la manifestation archaïque d'un intégriste du lien primaire, alors même que tout semble indiquer le triomphe des sphères marchande et étatique, du calcul d'intérêt et de la rationalité instrumentale. L'auteur veut en convaincre le lecteur avec deux types d'arguments qui s'enrichissent mutuellement. 1. D'abord, l'évaluation empirique de l'emprise du don dans la société moderne montre qu'il n'est pas une survivance archaïque, de surcroît limitée aux liens primaires. Échanges de cadeaux, de services, d'hospitalité occupent toujours une place majeure de la vie dans la parenté. Mais on assiste aussi à la croissance de la part du don dans les liens entre étrangers. Ainsi, le tiers secteur, où des bénévoles s'activent au service d'étrangers inconnus, est en plein développement. De même, l'accroissement des dons d'organe, rendus possibles et efficaces par le progrès de la science, peut difficilement s'analyser comme survivance ou comme pratique intéressée. Chacune de ces propositions s'alimente de travaux largement originaux, d'une trop grande richesse pour qu'on puisse ici les évoquer en détail. 2. Ensuite, nos routines cognitives sont si bien ancrées qu'elles nous conduisent trop vite à « penser marché » ou « penser État » en toutes circonstances. À qui accepte de pourchasser ces (mauvaises) habitudes s'ouvre un espace où le don se révèle comme un ressort naturel de l'action humaine, c'est-à-dire ni comme une forme masquée d'intérêt, ni comme le produit de l'intériorisation de normes sociales. Ainsi, nommer « tiers secteur » ce que le Québec connaît sous le label de « secteur communautaire », c'est déjà se livrer pieds et poings liés à ces mauvaises habitudes de pensée, en le caractérisant négativement à partir des secteurs marchand et étatique : le personnel y est bénévole, donc non salarié; la demande n'y est pas solvable; la production y est réputée plutôt inefficace, pour n'être sanctionnée ni par le marché ni par les évaluations de l'État. Traiter en revanche le tiers secteur comme un espace de don aux étrangers, dont l'emblème pourrait être le cas des Alcooliques Anonymes, c'est se donner le moyen de qualifier positivement les bénévoles comme volontaires mus par l'appât du don plutôt que comme refoulés du salariat. C'est se permettre d'apercevoir le manque de pertinence des dichotomies offre-demande, production-usage caractéristiques du monde marchand. C'est ainsi découvrir un univers d'échange qui n'est pas régi par la nécessité récurrente d'éteindre une dette, mais par le désir de donner. C'est encore ouvrir les yeux sur les trésors d'efficacité par la coopération dont peuvent disposer les organisations du tiers secteur. C'est enfin se donner les moyens de comprendre pourquoi ces dernières ne sont pas, contrairement aux idées reçues, soumises à une loi d'airain qui les ferait inéluctablement basculer, dès qu'elles gagneraient en maturité, dans le monde du marché ou de la bureaucratie. Jacques Godbout ne s'en tient pas à remettre en cause les idées reçues du monde profane comme du monde savant. Il propose un édifice théorique pour élaborer la question du don, dénaturée à son sens par l'application inadéquate des paradigmes individualiste ou holiste. Son dispositif repose sur quelques propositions essentielles, fortement ancrées dans l'observation empirique des diverses formes de don dans la parenté et aux étrangers, et dont on ne trace ici que les contours les plus généraux. 1. Le don se …