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Ces deux ouvrages, publiés respectivement en Suisse et en France, prennent le pouls des études sur les rapports entre hommes et femmes et dressent fort utilement, chacun à sa manière, un « état de la question » telle qu'elle se pose aujourd'hui dans un grand pays de la francophonie. Le premier, il est intéressant de le remarquer, répercute de façon évidente les débats internationaux relatifs au féminisme et aux études sur le genre. À l'instar des recherches québécoises depuis déjà longtemps, il permet ainsi de faire circuler les connaissances scientifiques entre le monde francophone, l'Amérique du Nord anglophone et divers pays européens. Le deuxième livre, dirigé par Jacqueline Laufer et ses collègues, est le fruit d'un projet de « lecture sexuée » des sciences sociales (encore trop souvent appelées sciences de l'homme). L'attention est ici centrée sur les débats et la production scientifique de l'univers français.

Thanh-Huyen Balmer-Cao nous offre un rapport substantiel sur les résultats d'un programme national de recherche mis en place en 1990 par le Fonds national suisse de la recherche scientifique. Dans le cadre de ce programme intitulé « Femmes, droit et société » (PNR 35), plus de vingt projets de recherche, menés individuellement ou en équipe, ont été financés. Ce genre de programme est souvent accueilli avec scepticisme et celui-ci n'a pas fait exception, ayant été la cible constante de pourfendeurs qui, entre autres choses, y ont vu une opération à caractère plus politique que scientifique. L'auteur relate ce cheminement difficile dans un long chapitre d'introduction et fait la synthèse des principales conclusions issues des recherches, en les situant par rapport à la littérature internationale. La problématique de l'égalité des sexes est sans nul doute celle qui cimente tous les travaux. C'est sous cet angle qu'ont été examinées les lois, en tant qu'elles font obstacle à l'égalité des sexes, ainsi que les interventions de l'État, en particulier les politiques de l'État providence et les mesures de protection sociale. Deux chapitres entiers sont consacrés à des questions théoriques liées à la signification de l'égalité et aux apports du « féminisme de la troisième vague »; l'accent porte sur les notions de différence, de diversité et d'hétérogénéité des expériences vécues par les femmes.

Jacqueline Laufer et Catherine Marry sont les directrices et Margaret Maruani la fondatrice de l'important groupement de recherche MAGE (« Marché du travail et genre »), le seul, au sein du CNRS, à être centré sur la question de la différence des sexes. Pour réaliser cet ouvrage, elles ont posé à de nombreux sociologues, économistes, politologues et autres spécialistes français parmi les plus éminents la question suivante : face aux transformations sociales à la fois massives, complexes, évidentes et contradictoires vécues par les femmes dans la seconde moitié du 20e siècle, que disent les sciences de l'homme ? Elles ont également soumis à leurs collaborateurs cette réflexion de Michelle Perrot : les chemins qui mènent à l'égalité sont « interminables ». Les thèmes traités dans le livre couvrent tout l'éventail des préoccupations du MAGE, de la restructuration du marché du travail à l'éducation en passant par le travail domestique, les droits de la reproduction et la représentation politique. Certains chapitres, comme ceux de Catherine Marry sur les débats qui traversent le milieu de l'éducation et sur des questions théoriques, et celui de Margaret Maruani sur la sociologie du travail, épousent étroitement la problématique proposée et nous livrent un examen des interrelations entre le changement social et l'analyse scientifique. D'autres textes, cependant, s'écartent parfois du fil conducteur et leurs auteurs, perdant les sciences sociales de vue, procèdent à un inventaire des inégalités entre les sexes.

On aura profit à consulter ces deux ouvrages pour connaître l'état du savoir et la définition des problématiques en cette matière, tels qu'ils apparaissent dans des travaux de recherche enfin gratifiés par l'establishment scientifique, au cours des années 1990, de l'imprimatur si longtemps refusé aux études centrées sur la problématique du genre.