Abstracts
Résumé
Cet article interroge les tensions qui régissent l’injonction à se comporter en citoyen dans les quartiers populaires en France. Plus spécifiquement, il s’intéresse aux pratiques des professionnels du développement social urbain, recrutés ou mandatés par des organismes HLM pour lutter contre les incivilités dont les enfants des locataires sont rendus responsables (dégradations, vandalisme…). Les interventions sociales conçues par ces professionnels à l’intention des enfants et des jeunes s’apparentent à des formes d’éducation à la citoyenneté qui oscillent entre normalisation des conduites et valorisation de l’engagement pour le bien commun. D’un côté, elles constituent des expériences susceptibles d’engendrer des questionnements profanes sur le vivre-ensemble dans la Cité. De l’autre, en demeurant tributaires d’une approche gestionnaire de l’espace public, elles résistent mal au simple rappel des normes élémentaires du savoir-vivre en société. Pour éviter cette approche morale de la citoyenneté, les agents cherchent alors à donner des capacités à leur public afin que celui-ci résolve de lui-même les problématiques auxquelles il est confronté. Ce travail participatif est redevable d’une conception capacitaire de la citoyenneté, impliquant une maîtrise préalable de la civilité. Il s’adresse ainsi aux jeunes les plus influents, les « grands frères » qui détiennent des compétences d’encadrement de leurs pairs. Les professionnels cherchent alors à leur donner des « codes » pour être reconnus comme partenaires des institutions. Mais ce partenariat implique d’acquérir des compétences d’adaptation aux façons de faire et de dire la politique locale qui n’autorisent pas ces jeunes à publiciser leurs critiques ordinaires du fonctionnement institutionnel.
Mots-clés :
- citoyenneté ordinaire,
- logement social,
- développement social urbain,
- participation,
- enfants,
- jeunes
Abstract
This article examines the tensions that govern the injunction to behave like a citizen in the working-class neighborhoods in France. More specifically, it focuses on recruited or appointed professionals of social urban development’s practices by social housing organizations, who fight against antisocial behavior of which the tenants children are made responsible (damages, vandalism and so on…). The social interventions designed by these professionals for children and young people are similar to forms of citizenship education that oscillate between normalization behavior and development of commitment to the common good. On the one hand, they are meant to be encounters that can lead to questioning about living together in the neighborhood. And on the other hand, because they want to keep a managerial approach of public spaces, they find it hard to resist to the simple reminder of the basic norms of living together in a community. To avoid this moral approach to citizenship, agents seek to empower their audience so that it thinks itself about how to solve the problems it faces. According to a capability-driven of citizenship, this participatory work implies to master the rules of civility. Consequently, it is aimed at the most influential young people, the “bigger brothers” with coaching skills. The professionals then seek to give them “codes” to be recognized as partners of the institutions. But this partnership involves acquiring some skills, indeed these young people will have to adapt the ways of doing and saying local politics without publicizing their ordinary critics of the institutional functioning.
Keywords:
- ordinary citizenship,
- social housing,
- social urban development,
- participation,
- children,
- young people
Appendices
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