Dans son rapport de 2018, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC — en anglais IPCC) estime que les impacts écosystémiques, sanitaires et économiques du réchauffement climatique seront considérablement moins élevés si ce dernier est limité à 1,5° par rapport à l’ère préindustrielle, plutôt qu’à 2°. Au rythme actuel (+ 0,2° par décennie), ce seuil sera pourtant dépassé dès 2040, selon le même rapport. Les conséquences sont connues et, pour certaines, déjà tangibles : fonte des calottes glaciaires, hausse du niveau des océans, augmentation de la fréquence d’épisodes climatiques extrêmes, dégradation ou perte d’écosystèmes et de biodiversité, dégradation des conditions économiques et sanitaires dans les régions les plus exposées ou les moins capables d’adaptation. À 2°, ces risques sont nettement accentués et certaines conséquences deviennent irréversibles. Limiter le réchauffement climatique impliquerait des « transitions systémiques rapides et de grande envergure dans les systèmes énergétiques, urbains, industriels et liés à l’usage des sols, ainsi qu’une augmentation importante des investissements », relève le GIEC. De telles transitions sont-elles amorcées ? Un « schisme de réalité » déconnecte les engagements internationaux — en eux-mêmes insuffisants — des politiques concrètes menées par la plupart des États (Aykut et Dahan, 2014), qui accordent encore une place prépondérante aux énergies fossiles, à l’extraction minière, aux industries émettrices de gaz à effet de serre, à l’exploitation intensive des sols et aux mobilités carbonées. Cette incapacité politique à combattre efficacement le réchauffement nourrit des mobilisations grandissantes. Depuis plusieurs années, des communautés de proximité s’engagent dans le mouvement des « villes en transition ». D’autres adoptent des plans de « décarbonisation » avec l’espoir de faire advenir au niveau local ce que les États sont incapables de mettre en oeuvre. En Europe, en Amérique du Nord, les « Marches pour le Climat » se succèdent à un rythme soutenu, tandis que des élèves de lycées et d’écoles secondaires se mettent régulièrement en « grève pour le climat ». Des mouvements comme « Extinction Rebellion », « Beyond Extreme Energy » et d’autres encore qui se constituent en solidarité avec les nations autochtones touchées par l’extraction d’énergies fossiles, notamment en Alberta et à Standing Rock, s’engagent dans la voie de la désobéissance civile et des occupations. Ce sont là les figures les plus visibles parmi une multitude de mobilisations visant à amorcer une « transition » énergétique et climatique conforme à celle que les scientifiques du GIEC considèrent comme indispensable. Mais que recouvre exactement cette notion de « transition » ? Initialement, la transition énergétique est un concept d’histoire de la technique utilisé pour désigner la substitution d’une source d’énergie par une autre : de la force animale à l’usage de la vapeur, puis aux énergies fossiles. Depuis les années 1990 cependant, l’appropriation militante, puis politique, du concept dans le contexte du réchauffement climatique en a redessiné les contours. Dans cette perspective, l’attention peut se porter non seulement sur le critère de l’émission plus ou moins importante de carbone des différents modes de production d’énergie, mais aussi sur celui de la consommation plus ou moins élevée d’énergie induite par les modes de vie, les modes de production, l’organisation sociale et territoriale, l’urbanisme. D’où l’intérêt de l’expression de « transition énergétique et climatique », qui permet de ne pas aborder ce sujet sous le seul prisme des changements du secteur de production d’énergie, mais dans le cadre d’une approche intégrée des usages de l’énergie en lien avec l’enjeu climatique. En Europe, une telle « transition » fait aujourd’hui figure de mot d’ordre consensuel. Le terme est devenu omniprésent dans les discours, ralliant sous sa bannière aussi bien des entreprises …
Appendices
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