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Je suis vraiment très touché de participer à l’hommage que l’Université Laval rend à l’oeuvre théologique de Christoph Theobald. C’est un devoir d’amitié envers Christoph Theobald, qui m’a incité à accepter cette invitation. Nous avons commencé à travailler ensemble sur l’oeuvre de Jean-Sébastien Bach il y a une trentaine d’années et l’aventure se poursuit aujourd’hui encore à travers des enseignements au Centre Sèvres à Paris et diverses publications sur l’oeuvre du Cantor. C’est pourquoi évoquer le dialogue que Christoph Theobald comme théologien a engagé avec l’art et, plus précisément, avec la musique est aussi pour moi l’occasion de lui témoigner publiquement ma reconnaissance pour cette aventure partagée.

Une aventure, en effet, car les rapports entre la musique et la théologie restent un domaine de recherche encore peu exploré : la théologie sonne le plus souvent comme un langage hermétique aux oreilles des musiciens, tandis qu’aux yeux des théologiens, la musique recèle une étrange complexité qui intimide les plus fins mélomanes d’entre eux. Une telle situation rend le dialogue difficile. Dans un colloque au Centre Sèvres, Christoph Theobald rappelait la conférence de Friedrich Blume à Mayence en 1962, « véritable réquisitoire, disait-il, contre le portrait esthétique et journalistique de Bach, dessiné et promu à la fin du xixe siècle et pendant la première moitié du xxe siècle, et contre l’abandon de la recherche musicologique par la théologie[1] ». Depuis, certes, des travaux ont vu le jour qui manifestent un rapprochement entre musiciens et théologiens et des attentes sensibles chez les uns comme chez les autres, mais beaucoup reste encore à faire.

Notre travail sur l’oeuvre de Bach s’inscrit dans ce contexte. S’il a une spécificité, il faudrait la chercher du côté de sa dimension interdisciplinaire qui engage une méthodologie propre. Lorsque nous nous penchons sur une oeuvre de Bach, ce sont deux regards croisés qui se portent sur la partition, mais c’est une seule question qui nous mobilise et conduit notre recherche : comment Bach se fait-il l’exégète des textes qu’il met en musique ? Ou encore, en termes de méthode : peut-on remonter, à partir de l’analyse musicale de ses oeuvres, jusqu’au principe de lecture des textes qu’il met en musique, et si oui, comment ? Une question centrale donc mais qui fait aussi entendre une modulation à laquelle nous sommes sensibles : qu’en est-il de la pensée musicale de Bach dans les oeuvres composées sans référence à un texte ?

De l’expérience de ce travail interdisciplinaire, je retiendrai d’abord la posture intellectuelle que j’ai rencontrée chez Christoph Theobald, posture intellectuelle fondatrice, à mon sens, d’une certaine manière de faire de la théologie. Je voudrais montrer ensuite comment cette manière de faire de la théologie inaugure chez lui un mode de relation avec les oeuvres musicales, qui se veut attentif à leur réalité sensible et à une conception génétique de leur forme où se profile « l’opération même du style[2] » selon l’expression merleau-pontienne. À chacun de ces niveaux, le théologien entre en dialogue avec les oeuvres, c’est-à-dire les interroge et se laisse interroger par elles. Nous verrons comment ce dialogue l’a conduit à « penser le mystère chrétien comme style en relation avec d’autres styles impliquant un rapport absolument spécifique au beau[3] ».

I. Une posture intellectuelle fondatrice

Christoph Theobald prend acte et tire les conséquences de la lente progression des arts vers leur autonomie, une progression qui ouvre l’accès à la modernité. Il aime rappeler le moment kantien, capital en effet dans cette conquête d’une autonomie des arts, autonomie qui marque chez Hegel la fin de la confusion art-religion et fonde l’esthétique moderne forgeant ses propres catégories d’analyse. Or cet envol des arts vers leur liberté est un point névralgique pour le théologien. Il est en effet invité à franchir le seuil de leur autonomie au risque de rester enfermé dans la nostalgie de la « belle totalité » esthético-théologique du Moyen Âge ou encore, pour reprendre les mots de notre théologien, d’être obligé « dans la célébration post-moderne du pluralisme religieux, d’esthétiser à outrance sa proposition de sens, pour la rendre crédible sur le marché concurrentiel des biens religieux[4] ».

Sur ce seuil et pour en rester à la musique, Christoph Theobald a bien perçu que la musique attend d’être accueillie pour elle-même, sans céder à la tentation de la récupérer dans du déjà connu ou de l’instrumentaliser à des fins qui lui sont extérieures, comme le seraient une « stratégie apologétique » ou une esthétisation de l’expression du mystère chrétien. Il écrit que le théologien doit « s’intéresser à la musique en son autonomie propre en tant que manifestation sonore, faisant appel à son oreille d’auditeur mais aussi à sa vue intérieure et à ses autres sens[5] ». Il ajoute par ailleurs que le théologien doit s’interroger aussi « sur le rapport que la tradition chrétienne entretient avec le beau et les beaux-arts, tenant précisément compte de l’historicité et de la pluralité des styles et donc des rencontres possibles avec eux, en tant qu’ils constituent comme une « trace de vie spirituelle », « un irremplaçable champ oecuménique[6] ».

Ainsi, la reconnaissance de l’autonomie de l’oeuvre et l’introduction de la notion de style en théologie pour penser l’expérience chrétienne, représentent deux points autour desquels, me semble-t-il, se noue la rencontre de Christoph Theobald avec les arts et en particulier avec la musique. Ils dessinent une posture intellectuelle et engagent une manière nouvelle de penser le mystère chrétien dont il nous faut maintenant préciser quelques traits essentiels.

II. La réalité sensible de l’oeuvre…

Dire que le théologien « s’intéresse à la musique en son autonomie propre en tant que manifestation sonore », c’est dire qu’il consent à s’engager dans une approche patiente de l’oeuvre dans sa réalité sensible, c’est-à-dire son rythme intérieur, son langage, son écriture et ses couleurs instrumentales. Theobald parle d’une « exigence proprement moderne reconnue par tous les commentateurs, du simple guide de musée jusqu’à l’analyste le plus cultivé : la nécessité absolue d’une traversée effective des oeuvres d’art dans leur densité sensible[7] ». Moment incontournable en effet puisque l’oeuvre attend d’être reçue telle quelle se donne dans l’instant de sa manifestation. Cet instant ne se programme pas, il n’est le fruit d’aucune stratégie, il survient. Personne ne peut prétendre l’offrir à quiconque de sa propre initiative. Mais le musicien peut se faire « passeur » — un mot typiquement théobaldien — c’est-à-dire qu’il peut affiner l’oreille de l’auditeur et rendre son intelligence sensible, puis s’effacer devant sa liberté et le laisser à son inaliénable solitude dans sa rencontre de l’oeuvre toujours autre que ce qu’il pense ou imagine. Le travail interdisciplinaire est un lieu privilégié où le théologien peut avoir besoin de ce type de « passeur », pour risquer l’aventure de sa propre « traversée effective » de l’oeuvre « dans sa densité sensible ».

III. …qui vient au jour de la forme

Il s’agit bien de traverser la densité sensible de l’oeuvre et non de s’y complaire. Car le sensible de l’oeuvre qui se donne, vient au jour d’une forme. Christoph Theobald a fréquenté la musique du xxe siècle et a bien entendu et retenu la leçon des grands maîtres sur ce point, à commencer par celle que nous devons à Claude Debussy. Leurs oeuvres nous ont convaincus que la musique ne peut se couler dans une forme préétablie, « forme administrative » comme le disait plaisamment le compositeur de Jeux. Loin de pouvoir être appréhendée de l’extérieur, la forme d’une oeuvre est au contraire à comprendre comme se déterminant du dedans, par le jeu des forces qui l’engendrent comme un monde vivant et unifié. Seul son mouvement intérieur assure sa cohérence. Très proche de Debussy sur ce point, le peintre Paul Klee écrivait : « La genèse comme mouvement formel et formateur est l’essentiel de l’oeuvre[8] ». Claude Ballif rejoint cette conception génétique de la forme, lorsqu’il oppose « forme formée » et « forme formante ». Dans le même sens, Varèse disait que « la forme est le résultat d’un processus ». Jamais conformité à un modèle a priori, la forme ne cesse d’inventer le chemin de sa propre formation. Ce chemin n’est pas repérable à partir d’un système de référence extérieur à elle, comme le sont les formules harmoniques ou les formes archétypiques préétablies, mais elle-même crée à chaque instant et de façon chaque fois nouvelle son propre système de référence. « Il n’y a donc pas d’oeuvre faite, mais seulement se faisant[9] ».

IV. L’émergence du style dans le champ esthétique

Or on peut dire que la forme musicale, telle que nous venons de l’envisager, est le berceau du style, si on veut bien comprendre le style, à la suite de Merleau-Ponty, comme « l’emblème d’une manière d’habiter le monde, de le traiter, de l’interpréter par le visage comme par le vêtement, par l’agilité du geste comme par l’inertie du corps, bref d’un certain rapport à l’être[10] ». C’est bien en effet une manière d’habiter le monde que l’artiste fait venir au jour de la forme lorsque le monde lui devient « en quelque manière et pour quelque part que ce soit, intérieur[11] », selon les mots du poète Philippe Jaccottet. Cette rencontre avec le monde, le musicien pour sa part la danse et la chante : il chante et danse son « être-avec » le monde. Mais chaque musicien chante et danse cette rencontre de façon unique : c’est là son style dans lequel se dit le tout de son « être-avec » le monde. Un style incomparable parmi beaucoup d’autres, eux aussi incomparables. C’est pourquoi Raymond Court peut écrire : « La référence au style semble bien chaque fois désigner ce qui dans une oeuvre la singularise dans son geste créateur. En ce sens général on peut donc définir le style comme structure singularisante[12] ».

L’approche stylistique d’une oeuvre, ne consiste donc pas à la référer à des traits formels stéréotypés et classés ou à des schémas de composition abstraits et squelettiques. Elle invite plutôt à se rendre attentif à la manière dont elle se donne en sa réalité sensible, réalité sensible qu’elle ne quitte jamais, mais à laquelle elle reconduit sans cesse. Elle est fondée sur la conviction que le propre du style est de faire venir au jour de la forme sensible un sens qui lui est immanent : ce que signifie un style ne peut être séparé du comment de sa manifestation. Le style, écrit Henri Maldiney, « est constitutif et non pas expressif de la pensée[13] ».

L’émergence d’une telle conception du style dans le champ esthétique autorise-t-elle à « penser légitimement le mystère chrétien en termes de style ? » Christoph Theobald s’est laissé longuement habité et travaillé par cette question qui est devenue le centre rayonnant de sa pensée théologique : Le christianisme comme style[14].

V. Une approche du christianisme comme style

Poser la question de l’expression du mystère chrétien en termes de style, c’est déjà signifier, estime-t-il, « une relativisation considérable de sa forme dogmatique[15] ». Mais avec cette remarque, il suggère dès l’abord qu’il y aurait une autre forme possible du christianisme, celle que lui inspire l’approche stylistique des oeuvres d’art et plus précisément le fait que le propre du style, comme nous venons de le rappeler, est de faire venir au jour de la forme sensible un sens qui lui est immanent : ce que signifie un style ne peut être séparé du comment de sa manifestation. Reprenant la distinction que faisait déjà Henri Focillon entre « le signe qui signifie » et « la forme qui se signifie[16] », il estime pouvoir appliquer la seconde formule au style de vie du témoin de l’Évangile[17]. S’il est vrai qu’au coeur de l’Évangile est révélé un Dieu communiquant sa sainteté à la multitude, c’est-à-dire ce qui le constitue lui-même, dans une concordance absolue entre ce qu’il est et ce qu’il dit et fait, il faut dire que ses témoins sont engendrés par sa Parole à la même forme de vie, une forme de vie qui ne renvoie à rien d’autre qu’à elle-même : la forme de vie du témoin se signifie elle-même, dans une concordance advenue, entre intérieur et extérieur, entre parole et acte. La sainteté ne s’explique pas, elle ne se prouve pas, elle reste pauvre et ignorante d’elle-même, mais elle apparaît dans une forme de vie qui se signifie elle-même tout entière, dans un geste ou une parole juste qui a lieu, soudain, ici et maintenant. Ce fut le style de vie du Galiléen, le Verbe fait chair. La dynamique d’une telle approche stylistique du mystère chrétien conduit Christoph Theobald à apporter deux précisions importantes.

La première précision explicite ce qu’il entend par « penser le mystère chrétien comme style en relation avec d’autres styles ». Dieu, dont on vient de dire qu’il se communique lui-même, excède tout ce qu’on peut imaginer ou concevoir. Méditant sur cette démesure, Christoph Theobald y découvre les dimensions paradoxales du style de l’existence chrétienne. En effet, « cette démesure divine, écrit-il, reste à la mesure de tant et de tant de mesures humaines, devenues toutes de ce fait incomparables[18] ». Incomparables et uniques certes, mais cependant toutes marquées d’un trait commun : un « invariant », créateur d’un signe de reconnaissance entre toutes celles et tous ceux qui demeurent pourtant uniques, un invariant que Christoph Theobald appelle « la démesure à la mesure de chacun[19] ». Cet invariant avait déjà été formulé au mieux dans la célèbre sentence ignatienne : « Ne pas être enserré par le plus grand, être cependant contenu tout entier dans le plus petit, est chose divine[20] ». Ce double mouvement d’expansion vers le dehors — « ne pas être enserré par le plus grand » — et de concentration vers le dedans — « être cependant contenu tout entier dans le plus petit » — est typique du jeu relationnel du style baroque. Il en représente l’invariant par excellence, dont la musique de Bach offre une réalisation exemplaire. Ainsi retrouverait-on dans le style chrétien la « structure singularisante » qui est le propre de tout grand style.

Christoph Theobald apporte une seconde précision à son approche stylistique du mystère chrétien. Il a perçu un aspect fondamental du style chrétien dans la conception de la forme que les arts du xxe siècle et en particulier la musique ont élaborée. Nous l’avons rappelé : la forme d’une oeuvre, jamais conformité à un modèle a priori, ne cesse d’inventer le chemin de sa propre formation. Si bien que les chemins de la forme ne sont pas repérables à partir d’un système de référence extérieur à elle, comme le sont les formules harmoniques ou les formes archétypiques préétablies, mais la forme elle-même crée à chaque instant et de façon chaque fois nouvelle son propre système de référence. Cette émergence de l’oeuvre au jour de la forme est l’instant de l’Ouvert, au sens rilkéen du terme. L’instant où, pour parler comme Maldiney : il y a et j’y suis. Je suppose que Christoph Theobald aimerait ajouter : « pour rien », un mot qui lui est cher ! Car cet instant fondateur du surgissement du « il y a et j’y suis » est à l’opposé d’une vision mécaniste des choses qui s’en tient à la conception d’un mouvement nécessaire procédant de cause à effet. Le « pour rien » introduit dans l’expérience du temps vécu une gratuité qui ouvre sur un à-venir qu’on ne tient pas et qui a toujours goût de nouveauté surprise. Or cette déprise est au coeur d’une forme de vie d’inspiration évangélique, dont le mouvement procède plutôt « de commencement en commencement, par des commencements qui n’ont pas de fin[21] », selon le mot bien connu de Grégoire de Nysse. Ces « commencements » rythment le chemin de sainteté, qui n’est jamais tracé une fois pour toutes, mais auquel chacun peut décider de se laisser accorder dans la patience des jours. Tel était le style de vie d’un Ignace de Loyola dont Nadal disait : « Il suivait l’Esprit, il ne le précédait pas. Et de cette manière il était conduit avec douceur il ne savait où. Il ne pensait pas alors fonder l’Ordre. Et pourtant, peu à peu, le chemin s’ouvrait devant lui et il le suivait, sagement ignorant, son coeur livré avec simplicité au Christ[22] ». N’est-ce pas une vision semblable qu’exprime Christoph Theobald lorsqu’il voit dans le « aussitôt » ou le « à l’instant même » des récits évangéliques, « l’instant de l’ouvert, écrit-il, qui émerge de décisions prises lesquelles, séparant un avant et un après, ouvrent chaque fois de nouvelles possibilités imprévisibles[23] » ?

S’il en est ainsi, la voie de sainteté où s’accomplit l’Évangile dans une existence humaine, ne passe pas par l’imitation extérieure d’un maître ou d’une figure de sainteté, ni par une rectitude légaliste. Ni séduction, ni passivité, ni perfection volontariste ne tiennent ici. Mais la prolifération des figures de sainteté dans l’histoire, tout autant que celle des formes de vie authentiques, font entrevoir des libertés qui, rendues à elles-mêmes par grâce, ont inventé leur propre style de vie avec détermination et imagination, mais aussi aisance et simplicité, cherchant à accorder intérieur et extérieur, à l’écoute du Verbe fait chair dans notre histoire.

Celles et ceux qui ont entendu sa voix et l’ont gardé en eux comme principe de vie, n’ont pu éviter de rencontrer, comme lui, les violences de l’histoire, mais ils ont pu s’y frayer un passage qui est toujours une voie étroite où court la vie entre les écueils. Là s’engendrent des formes de vie humaine, selon le désir de l’Esprit qui murmure en leur coeur : elles représentent la multitude des « uniques dans le Fils unique ». C’est là que Christoph Theobald nous invite à contempler la « beauté » des saints, beauté reconnue moins comme rayonnement du sensible selon la perspective de l’esthétique classique, que comme révélation de la sainteté de Dieu en tant de formes de vie étant allé au bout de leur humanité et jusque dans « la sobre beauté de la création elle-même, perçue dans l’ouverture d’un monde sans temple (Ap 21,22)[24] ».

Je rappelais au début de cette communication, la conférence de Friedrich Blume à Mayence dans laquelle il déplorait vivement l’abandon de la recherche musicologique par la théologie. J’ai tenté de montrer comment Christoph Theobald, comme théologien, s’est risqué à renouer ce dialogue. Prenant acte de l’autonomisation des « beaux-arts », nous avons vu qu’il ne cède ni à la tentation de revenir à la belle « totalité esthético-théologique » du Moyen Âge, ni à celle « d’esthétiser à outrance la proposition de sens du christianisme ». Passant outre ces écueils, il estime que « d’urgence, la théologie doit s’interroger sur le rapport que la tradition chrétienne entretient avec le beau et les beaux-arts, tenant précisément compte de l’historicité et de la pluralité des styles et donc des rencontres possibles avec eux[25] ». Nous avons vu comment cette visée l’a conduit à formuler une double exigence : « La nécessité absolue d’une traversée effective des oeuvres d’art dans leur densité sensible, et le caractère par principe pluriel des styles ou manière d’habiter le monde et des “théologiques” qu’ils véhiculent[26] ». Telle est la voie qu’il ouvre à la recherche.

Cette recherche prend nécessairement ici l’allure d’un travail interdisciplinaire. Il revient au musicien de garder un doigt posé sur la partition, ramenant sans cesse à l’exigence de la « traversée effective des oeuvres en leur densité sensible », de cultiver une approche stylistique des oeuvres qu’il analyse et d’encourager une écoute de l’oeuvre musicale pour elle-même, telle qu’elle se donne à entendre gratuitement. De son côté le théologien initie le musicien à « une manière de faire de la théologie » qui respecte l’autonomie de l’oeuvre musicale et plus généralement celles des arts, tout en leur donnant « la place spirituelle qui leur revient dans le mystère chrétien », sans verser ni dans « l’iconoclasme » ni dans « la sacralisation du monde[27] ». Il lui révèle plutôt les résonances théologiques et spirituelles de « l’instant de l’Ouvert[28] » auquel peut accorder l’écoute de la musique et elle seule.

Arrivé à ce point, il n’y a plus ni théologien, ni passeur. Ils doivent s’effacer devant le parcours insaisissable et imprévisible de l’oeuvre en celui ou en celle qui l’écoute. Ils n’en connaissent pas le tracé et « l’instant de l’Ouvert » ne leur appartient pas. Mais dans leur retrait silencieux, ils trouveront du goût à méditer ce mot de sagesse du compositeur Edgar Varèse : « La vérité et la beauté doivent toujours être surprises juste au-delà de notre attente : nous ne les tenons jamais[29] ».