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Dans La passion de l’infini, Jean-Pierre Jossua poursuit une entreprise de « théologie littéraire » qui a déjà donné beaucoup de fruits. Qu’il suffise de penser à l’ouvrage monumental Pour une histoire religieuse de l’expérience littéraire (publié en quatre volumes, de 1985 à 1998) ou encore aux bulletins critiques que l’auteur signe dans la Revue des sciences philosophiques et théologiques depuis plusieurs années.

La passion de l’infini est constitué de vingt-cinq études écrites depuis la parution du dernier volume de Pour une histoire religieuse de l’expérience littéraire : certaines de ces études sont inédites mais la plupart ont déjà été publiées dans des revues ou encore dans des ouvrages collectifs. Elles ont été regroupées en trois parties. La première partie contient les études portant sur le xixe siècle. Les auteurs abordés sont : Leopardi, Kierkegaard, Lacordaire, Baudelaire et Henri Bremond. La seconde partie du livre contient des « notes sur les formes littéraires ». Jossua y traite du « journal comme forme littéraire et comme itinéraire de vie », des formes romanesques dans leur « visée de transcendance » (à partir de Michel Tournier), de « réécritures littéraires de la Bible », du rôle des sermons dans quelques romans et enfin du rapport entre le langage mystique et le langage poétique. Dans la troisième partie du livre, la plus importante avec quinze chapitres, sont regroupées les études sur le xxe siècle. Parmi les auteurs abordés, notons : Georges Bernanos, François Mauriac, René Char, Jean Grosjean, Henry Bauchau et Yves Bonnefoy.

Jean-Pierre Jossua a eu la bonne idée d’introduire son ouvrage par une courte mais éclairante présentation de son projet de « théologie littéraire ». Évoquant le contexte de « crise de la théologie » au point de départ de ce projet, il en présente les deux versants constitutifs d’une « théologie littéraire » : d’une part, la « poursuite de la recherche théologique par le moyen […] d’une écriture littéraire de l’expérience et de la réflexion chrétiennes » (p. 8) ; d’autre part, « une fréquentation assidue de la littérature » (p. 9). Relatant les problèmes, les difficultés et les questions que soulève nécessairement le projet d’une « théologie littéraire », Jossua reconnaît que son approche a évolué au cours des années : « […] j’en suis venu, écrit-il, à rendre compte davantage de ma démarche en termes de présence juste, ajustée, dans les cultures contemporaines, par opposition à la perspective de pouvoir, de savoir, de surplomb […] qui a été et reste assez largement celle des autorités et des milieux ecclésiastiques. Présence juste : accepter loyalement le pluralisme, participer à un débat ouvert et à une recherche commune » (p. 11).

La passion de l’infini témoigne avec éloquence de la pertinence de l’entreprise d’une « théologie littéraire », en même temps qu’il révèle la hauteur des exigences que cette théologie requiert : étendue de la culture, sensibilité littéraire, respect du lieu d’où l’autre parle, finesse théologique, précision des analyses, etc. À chaque page, le lecteur reconnaît la mise en oeuvre de cette éthique de la « présence juste » que Jossua théorise en introduction. Il lui pardonne ainsi facilement les quelques répétitions et recoupements qui parsèment l’ouvrage, un problème difficile à écarter dans un recueil d’articles écrits dans des circonstances diverses, sur plusieurs années. On peut toutefois déplorer l’absence d’un index nominum et d’un index thématique, deux instruments qui auraient été très utiles. Mais cela n’entache en rien la valeur de ce bel ouvrage, qui constitue une autre pierre posée à une oeuvre théologique profondément originale et très stimulante.