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C’est sous le titre « Penser le témoignage : perspectives sociales, psychanalytiques et théologiques » que s’est tenu un colloque les 28 et 29 octobre 2013, à la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval. Cette activité a été organisée par le Groupe de recherche « Christianisme : régulations et subversions », qui rassemble des professeurs de l’Université Laval et de l’Institut protestant de théologie (Paris et Montpellier). Jusque-là, les travaux du Groupe avaient été consacrés à l’exploration des thématiques connexes du don, de la participation et de la kénose. La question du témoignage a été l’occasion de poursuivre une réflexion commune stimulante, dont le présent numéro du Laval théologique et philosophique constitue — nous semble-t-il — un éloquent… témoignage.

Dans l’étude qu’il consacre à « L’herméneutique du témoignage[1] », Paul Ricoeur évoque l’existence d’un témoignage proprement « philosophique », à côté ou en excès par rapport au témoignage historique ou encore par rapport au témoignage juridique. Ce témoignage, dans l’herméneutique duquel l’être humain se comprend, renvoie à une forme d’absolu ; c’est là une manière de dire que l’être humain appartient au témoignage, au même titre que le prophète appartient à la Parole qu’il annonce.

Le témoignage constitue une modalité particulièrement forte du « dire-vrai » chrétien. Dans le Nouveau Testament, le lexique du témoignage est utilisé à 198 reprises. Le terme est spécialement présent dans les écrits de Jean — l’Évangile, les Lettres et l’Apocalypse —, à tel point que la notion de témoignage apparaît comme synonyme du terme « révélation ». Le Père (Jn 5,36s), l’Esprit Saint (Jn 16,13s), Jean Baptiste (Jn 1,29-34), le « disciple que Jésus aimait » (Jn 19,35) et surtout les oeuvres de Jésus (Jn 10,25) sont tour à tour convoqués au titre de témoin de Jésus le Christ, qui est lui-même présenté comme étant « venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité » (Jn 18,37). D’une certaine façon, le christianisme est lié au caractère testimonial de la vérité, de telle sorte que l’acte du témoin ne peut pas être extérieur, ni à l’affirmation de la foi, ni à son intelligence. Chez les Pères de l’Église, il est évident qu’il n’y a pas d’intelligence croyante en dehors de la dimension testimoniale de la foi, comme il n’y a pas de théologie sans sainteté. Comme l’a fait remarquer Hans Urs von Balthasar, la sainteté n’était pas vue comme étrangère à l’intelligence théologique, mais comme la condition de son déploiement[2].

Le témoignage constitue encore une forme privilégiée de la présence publique des croyants. L’attestation individuelle et communautaire de la foi, des croyances, des règles et des valeurs qui sont tenues pour vraies et salutaires est encouragée par les Églises chrétiennes. Les manifestations populaires, les marches de protestation, les processions, les événements ecclésiaux internationaux de grande envergure, voilà autant de formes que prend l’attestation. Les autorités ecclésiales ne sont pas en reste en faisant la promotion de l’attestation auprès de catégories ciblées de croyants, soit directement (exhortations auprès des politiciens, des professionnels soignants dans des débats moraux particulièrement épineux), soit indirectement, comme les stratégies de béatification et de canonisation de masse par lesquelles l’Église catholique veut promouvoir l’héroïsme moral dans la vie quotidienne, ou encore par la présence publique des Églises 2.0 dans les médias électroniques et internet.

Quels sont les postulats de ces modalités « attestantes » de la présence publique ? Quels sont les enjeux ecclésiologiques, oecuméniques, politiques associés à l’attestation ? En quoi et jusqu’où cette posture publique permet-elle de « rendre compte de l’espérance » ? Que peut-on dire, du lieu de la théologie, sur cette forme d’être-en-relation-au-monde et de ces modalités ? Telles sont quelques-unes des questions abordées par les contributeurs de ce dossier.