Recensions

Jean-François Chiron, L’infaillibilité et son objet. L’autorité du magistère infaillible de l’Église s’étend-elle aux vérités non révélées ? Préface par Hervé Legrand. Paris, Les Éditions du Cerf (coll. « Cogitatio Fidei », 215), 1999, viii-584 p.[Record]

  • Gilles Routhier

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  • Gilles Routhier
    Université Laval, Québec

Les discussions des dernières années ont ramené sur le devant de la scène la question du magistère et de son objet dans l’Église catholique. Parmi tous les ouvrages ou articles parus sur le sujet, ce volume de J.-F. Chiron se démarque nettement, aussi bien en raison de sa méthode que par la profondeur de ses analyses. L’ouvrage présente un dossier historique remarquablement bien informé, ce qui contribue à donner à sa thèse une solidité à toute épreuve. Après un bref bilan rétrospectif sur les concepts de « fides, mores et disciplina » et d’« inerrance et d’indéfectibilité » du concile de Trente au concile Vatican II, Chiron entre dans le vif de son sujet dont la première partie pourrait s’intituler l’origine de la foi ecclésiastique et de l’infaillibilité dans les questions de fait, de la condamnation de Baïus à Vatican I. Voilà une première période dans ce long parcours qui nous fait traverser pratiquement cinq siècles d’histoire. Au coeur de cette première période qui couvre pratiquement les quatre premiers chapitres de l’ouvrage, deux figures centrales, Pascal et Fénelon. Le premier, en raison de l’introduction de la distinction entre droit et fait. Le deuxième aura eu une influence déterminante sur l’évolution de la conception de l’infaillibilité en raison de ses thèses qui auront une certaine postérité grâce à la réception qu’on en fera dans les manuels de théologie aux xviiie et xixe siècles, aussi bien en France qu’en Italie ou dans la théologie de l’école romaine. Tout commence donc dans une controverse, celle entourant la condamnation de l’Augustinus et le refus de se soumettre qui s’ensuivit. Cette polémique donna lieu à une escalade, tant et si bien que, de fil en aiguille, on en vint à distinguer le droit et le fait et à affirmer l’infaillibilité de l’Église dans des questions de fait. Une condamnation à l’origine (1567) sur le droit, c’est-à-dire visant des propositions fausses et détachées de tout contexte, s’est muée en une condamnation sur le fait : quatre bulles pontificales, toujours plus précises et toujours suivies du refus d’obéir. Enfin, la proposition d’un Formulaire qui suggérait l’extension de l’infaillibilité aux questions de fait et une soumission de foi divine à des propositions de droit et de fait. On s’en doute, même l’invitation à souscrire au Formulaire n’allait pas régler le différend, certains soutenant qu’on ne pouvait considérer de foi divine ce qui n’avait pas été révélé par Dieu, la déférence à l’égard du chef de l’Église, elle, ne commandant qu’un silence respectueux. C’est dans ce contexte polémique que l’archevêque de Paris avancera une solution de compromis en vue de ramener une certaine paix, la foi ecclésiastique, une foi humaine ou soumission du jugement à celui des supérieurs et non une soumission à Dieu lui-même. Aux yeux des commentateurs de l’époque, il s’agissait là d’une idée nouvelle, d’une opinion inventée de toutes pièces sans précédent dans l’histoire. Cette nouveauté avait pourtant un motif valable : mettre fin à une querelle qui divisait l’Église depuis déjà près d’une centaine d’années (1567-1664). La foi ecclésiastique représentait un moyen de faire appel à une forme d’assentiment aux décisions portées par l’autorité de l’Église dans un contexte conflictuel. À court terme, le concept ne semblait pas avoir beaucoup d’avenir puisqu’il semblait déjà mort du vivant de son auteur. Reste que ce premier chapitre, qui reprend les évolutions des xvie et xviie siècles, est très instructif pour le débat actuel. On l’a vu, c’est dans un contexte de controverse que l’on voit apparaître les premières évolutions au sujet de l’objet de l’infaillibilité. Si, au point de départ, on n’avait …