Recensions

Valentine Zuber, dir., Un objet de science, le catholicisme. Réflexions autour de l’oeuvre d’Émile Poulat (en Sorbonne, 22-23 octobre 1999). Avec le concours de l’École pratique des hautes études, de l’École des hautes études en sciences sociales et du Centre national de la recherche scientifique. Paris, Bayard Éditions (coll. « Colloque »), 2001, 364 p.[Record]

  • Paul-Eugène Chabot

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  • Paul-Eugène Chabot
    Missionnaires du Sacré-Coeur, Sillery

Ce livre qui est fait de « réflexions autour de l’oeuvre d’Émile Poulat », comme l’indique le sous-titre, intéressera d’abord ceux qui connaissent le travail d’É. Poulat. Mais il peut aussi servir d’introduction à une oeuvre monumentale dont on mesure encore mal toute l’importance. Car il faut ici rappeler la place qu’occupe É. Poulat dans le champ de l’histoire religieuse et de la sociologie des religions. É. Poulat est d’abord le grand spécialiste du modernisme. Et l’on sait à quel point la crise et la question modernistes sont centrales dans l’histoire contemporaine de l’Église catholique. En effet, ce qui est en jeu, c’est la relation de l’Église avec le monde moderne. Comme le dit É. Poulat, il s’agit de « comprendre ce qui s’est produit quand à la fin du xviiie siècle le catholicisme est passé du monopole à la proscription : la religion obligée de pourvoir à sa survie, réfractaire au cours nouveau… Devant l’ordo novus, le catholicisme ne pouvait qu’être intransigeant et rêver à un ordo futurum rerum » (p. 286). Ce qui est certain, c’est que cette question du rapport conflictuel de l’Église à la modernité va peser sur l’ensemble de la vie de l’Église et sur la réflexion théologique en particulier. Le débat est amorcé explicitement avec le Syllabus de Pie IX et il se poursuit bien au-delà de Vatican II (Gaudium et spes, L’Église dans le monde de ce temps) en passant par les condamnations de Pie X. Un instant, on a pu croire que l’encyclique Pascendi avait réglé le problème. En réalité, un des résultats de la condamnation du modernisme a été qu’on ne pouvait faire d’analyse que partiale de la situation de l’Église dans le monde moderne. Ce qui revient à dire qu’on ne pouvait plus envisager pour l’Église de chemin d’évolution vraiment praticable. Comme le note É. Poulat, parlant de ses premières approches de la question moderniste : « Modernisme et intégrisme, c’était un domaine tabou sur lequel pesait comme une chape de plomb toute une série d’interdits… C’était comme un sentiment de peur, comme un lourd secret de famille qu’on étouffe et qui parfois vous étouffe » (p. 256). Pour sortir de ce cul-de-sac intellectuel, É. Poulat tourne le dos à l’histoire polémique. « Prendre parti dans les querelles de nos pères, je n’ai jamais pu me convaincre que ce soit la bonne méthode » (p. 257). É. Poulat fait donc le pari de l’objectivité. C’est ce que reconnaissent unanimement ses collègues et ses disciples. Valentine Zuber parle du « décentrement radical du chercheur par rapport à son objet » (p. 7), ou encore de « l’objectivation moderne de la religion ». Et elle ajoute : « Il me semble que c’est là un des acquis majeurs des sciences de la religion telles que nous sommes maintenant de plus en plus nombreux à les pratiquer » (p. 11). En d’autres mots, Jean-Pierre Vernant dira qu’Émile Poulat a vu le catholicisme comme « un objet d’étude scientifique » (p. 18). Mais cette objectivité n’est en rien une solution de facilité. Car pour É. Poulat, la recherche de l’objectivité en histoire, c’est la quête de la complexité du réel. La plus mauvaise histoire, la moins « objective », c’est celle qui simplifie tout. Cet effort pour débusquer la complexité des choses est peut-être la caractéristique majeure de l’oeuvre d’É. Poulat. C’est d’ailleurs ce qui la rend d’un accès plus difficile qu’une autre. Comme le dit Yvon Tranvouez, Émile Poulat appartient à la famille des esprits qui « cherchent des difficultés aux solutions » (p. 49). Ou encore, …