Recensions

Jean Grondin, Du sens de la vie. Saint-Laurent, Éditions Bellarmin (coll. « L’essentiel »), 2003, 143 p.[Record]

  • Étienne Haché

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  • Étienne Haché
    Tours

Dans Le métier des autres, Primo Lévy dit que « l’écrivain le plus propre se met [toujours] à nu ». Ces propos sont à méditer. Car si un livre mérite d’être lu ou qu’on s’en souvienne, n’est-ce pas au fond parce qu’on y trouve ce souci d’intégrité morale et d’honnêteté intellectuelle ? On ne saurait en dire autrement du très beau livre de Jean Grondin, intitulé Du sens de la vie. Un livre que toute « grande bibliothèque de culture » se doit d’avoir sur ses rayons. Riche, suggestif, doté d’un bon sens de la repartie, qui plus est au style souple, élégant et limpide — hormis quelques passages abrupts, imputables au caractère tragique de la question —, bref, très accessible, ce qui est d’ailleurs un autre mérite, dans la mesure où c’est le propre de tout grand écrivain, en l’occurrence du philosophe de renom qu’est Jean Grondin, conformément aux idées défendues, de constituer une sorte d’espace public de discussion digne de ce nom. D’une longueur respectable, l’essai en question contient une excellente entrée en matière et 12 petits chapitres bien équilibrés qui rythment le travail de la pensée. Concrètement, la thèse défendue par le professeur Grondin dans ce livre s’articule autour de l’idée que la vie vaut la peine d’être vécue, qu’« elle peut avoir un sens », donc qu’elle n’est pas qu’une « passion inutile » comme le prétendait Sartre. Là réside, selon lui, tout l’espoir de la philosophie. Et l’espoir de son livre est justement d’essayer « d’articuler cette philosophie ». Or deux mises en garde s’imposent d’entrée de jeu. Premièrement, à rebours des solutions technico-scientifiques toutes faites et des théories socio-constructivistes qui, prétendant en dégager le sens, contribuent plus souvent qu’autre chose à oblitérer ou à jeter le discrédit sur cette grande question métaphysique, J. Grondin considère que si la vie « ne peut pas ne pas avoir de sens », pour autant celui-ci ne peut venir que du « dialogue intérieur » ; et ce pour la simple raison que « celui qui existe […] est toujours un “je” » qui pense, geste philosophique (du deux-en-un) qu’on retrouve aussi bien chez Platon — qui n’a fait que suivre sur ce point « l’injonction de son maître Socrate » —, chez saint Augustin, que chez les précurseurs de la modernité tels que Descartes et Spinoza (sous forme d’examen de conscience). Deuxièmement, entendons bien que ce « penser par soi-même » ne veut pas dire cependant se retrancher dans « un ego impérial », bien au contraire. La vie de l’esprit étant universelle, au sens d’une activité commune à tous les hommes, « il n’est pas intrinsèquement débile » d’admettre que tout questionnement sur l’existence puisse, de ce fait, se partager ou se communiquer. Seulement, note Grondin, « si je ne peux penser sans autrui, […] autrui ne peut penser pour moi » (introduction, p. 6‑15). Récente, la question du sens de l’existence l’est à coup sûr en sa forme dramatique et urgente. Aux dires de J. Grondin, si Nietzsche doit être considéré comme « le premier à parler expressément d’un sens de la vie » — dans une perspective nettement individualiste —, c’est parce qu’à partir de lui l’idée traditionnellement admise d’une vie réglée sur le cosmos fut éclipsée. Autrement dit, à y regarder de plus près, la question serait donc très ancienne, beaucoup plus ancienne que Nietzsche. Fidèle à la tradition herméneutique, l’auteur expose avec rigueur et minutie les diverses acceptions que revêt la notion de sens : 1) tout d’abord, le sens appliqué au sens de la vie est un « sens …