Recensions

Alain Bellaiche-Zacharie, Don et retrait dans la pensée de Kierkegaard, Melancholia. Paris, L’Harmattan, 2002, 384 p.[Record]

  • Dominic Desroches

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  • Dominic Desroches
    Centre de recherche en éthique et droit, Copenhague

L’ouvrage dont il sera ici question surprendra le lecteur kierkegaardien de plusieurs manières différentes. D’abord, aussi étonnant que cela puisse paraître, le travail que nous offre ici Alain Bellaiche-Zacharie fait passer son auteur tantôt pour un adepte de la déconstruction, tantôt pour un auteur religieux et tantôt pour un essayiste. Si l’auteur (A.) interprète l’énorme corpus kierkegaardien sans se soucier de la genèse des oeuvres, sans s’attacher à la langue de Kierkegaard, aussi persiste-t-il à travailler seul, plus souvent qu’autrement dans les papiers, comme si les notes personnelles de Søren pouvaient à elles seules dévoiler l’essentiel du message philosophique de son auteur. On notera que l’A., qui ne distingue pas les textes pseudonymes des textes signés, propose une interprétation si personnelle que nous sommes parfois obligés de nous demander si l’oeuvre de Kierkegaard reste le sujet de sa recherche. Car interpréter sans se référer aux études, sans définir les concepts, sans jamais se demander si le lecteur est présent, peut poser certains problèmes herméneutiques insolubles. Mais qui est Alain Bellaiche-Zacharie ? Si nous prenons un instant pour le présenter, peut-être comprendrons-nous un peu mieux les qualités de son travail. Diplômé de l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts, Alain Bellaiche-Zacharie, qui nous livre ici, sauf erreur, ses tout premiers travaux sur Kierkegaard, est à la fois docteur en philosophie et docteur des Hautes Études Commerciales. La formation de l’A. est variée, c’est peut-être ce qui l’autorise à travailler si librement dans l’oeuvre de SK. Or, dans le présent livre, il choisit d’étudier des thèmes décisifs pour Kierkegaard. Car en plaçant sa lecture sous le signe du don et du retrait, il se trouve au coeur de la pensée kierkegaardienne. Mais justement, que propose de nouveau l’A. ? Comment aborde-t-il précisément la pensée de Kierkegaard ? Il faut d’abord considérer le don et le retrait comme « distance ». Kierkegaard mènerait une double quête : non seulement se chercherait-il lui-même en éprouvant la distance (comme l’a souligné D. Brezis, que l’A. ne cite pas), mais il aide les autres à chercher la vérité en tenant compte de la distance à parcourir pour y arriver (p. 7). L’intéressant en fait, c’est que l’A. constate que Kierkegaard est bien à distance de lui-même, à « double distance ». Voilà ce qui explique pourquoi l’écrivain est réduit au statut de « tiers » par rapport à son oeuvre, comme il l’explique d’ailleurs lui-même dans le Point de vue explicatif (1848) et Sur mon oeuvre d’écrivain (1851). Dans la première partie intitulée « L’expérience de la distance d’après les papiers », l’A. nous invite à reconnaître dans les figures de Socrate et du Christ des paradigmes de distance (p. 19-40). Ici, le concept de distance n’est malheureusement pas défini, bien qu’il le soit chez Kierkegaard (OC IX 143 [SV, VI 166]). Nous avons montré ailleurs (Expressions éthiques de l’intériorité, Paris, L’Harmattan, 2004) que la distance est déterminée chez Kierkegaard, car, comprise comme « distance-teori », elle sert à montrer comment l’éthique peut être falsifiée si l’on ne tient pas compte de l’intériorité, tandis que comprise comme parole et don, elle permet au contraire de réhabiliter l’éthique dans un horizon religieux. Mais ces précisions ne doivent toutefois pas porter ombrage au travail original de l’A. de Don et retrait. Or l’A. pressent que la distance constitue l’une des notions décisives de la pseudonymie kierkegaardienne, c’est pourquoi il se propose de développer ce type de distance dans le chapitre 2. Pour l’A., la distance dans les textes pseudonymes s’avère religieuse. En étudiant la Parole, par exemple, nous pouvons établir une « rhétorique de …