Recensions

Jean Delumeau, Marcel Gauchet, Danièle Hervieu-Léger, René Rémond, Paul Valadier, Chrétiens, tournez la page. Paris, Bayard, 2002, 139 p.[Record]

  • Nestor Turcotte

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  • Nestor Turcotte
    Matane, Québec

Ce petit livre présente, en cinq entretiens, quelques-uns des meilleurs experts et observateurs actuels du phénomène religieux. Il dresse particulièrement un état des lieux du christianisme. Les auteurs nous livrent la « radioscopie » du monde chrétien contemporain et aident à évaluer la faille qui sépare les chrétiens de la réalité moderne. Leurs approches et leurs conclusions divergent mais tous arrivent à un constat unanime : sans changement d’attitude et de mentalité, l’avenir du monde chrétien risque bien d’être compromis. Pour René Rémond, auteur du livre Le christianisme en accusation, le constat ne fait guère de doute : on observe tous les indices d’une régression, sinon d’un déclin plus ou moins marqué des pratiques religieuses dans l’Église catholique. Il déplore particulièrement le fait que les générations qui grandissent n’auront aucune information religieuse, aucune culture chrétienne. Jadis, les gens étaient tentés de juger la religion sur son utilité sociale. Aujourd’hui, on s’intéresse surtout à ses effets thérapeutiques personnels. De plus, les gens ne raisonnent plus dans la perspective d’une longue durée. Il est donc difficile de présenter un ensemble de vérités à croire, un message qui devrait métamorphoser toute une vie. La disparition progressive du personnel permanent de l’Église ne favorise pas les choses. Les laïcs vont être obligés, dit l’A., de prendre en charge une partie des responsabilités dans l’Église. Cela risque, évidemment, de les rendre indisponibles pour certains engagements dans la société. Pour Jean Delumeau, auteur du livre choc Le christianisme va-t-il mourir ?, il faut plus qu’un enseignement sommaire pour discerner un brevet de christianisation. On ne peut, selon l’A., parler de christianisation quand il n’y a pas à la fois un minimum de connaissance du dogme chrétien et une certaine pratique évangélique. Selon lui, l’adhésion au dogme chrétien se résume ainsi : croire au Dieu créateur, au Christ fait homme mort et ressuscité. C’est aussi, pour lui, la mise en relief de deux sacrements majeurs que sont le baptême et la sainte Cène. Le christianisme, loin de là, n’a pas fini sa carrière. Il a d’abord un très beau passé. Il est porteur d’un message original du point de vue religieux : le Christ est le premier à avoir présenté Dieu comme un père et un père qui va chercher l’enfant prodigue. Dieu est le compagnon de route de tous les hommes. L’A. plaide en faveur de structures où l’on mettrait en commun ce qui rassemble du point de vue doctrinal les grandes religions monothéistes. Pour Marcel Gauchet, philosophe, spécialiste des religions et auteur du livre Le désenchantement du monde, le combat, depuis deux siècles, tourne autour de la question de la mort de Dieu. On annonce périodiquement le décès de Dieu, puis finalement, Dieu ne meurt jamais, la religion et les croyances se recomposent et Dieu réapparaît sous un angle nouveau. L’A. affirme que l’originalité du christianisme se retrouve dans ce qu’il y a de plus fragile, c’est-à-dire dans l’incarnation du Christ lui-même. Cette idée, forcément, ne brille pas par sa rationalité. Un Dieu qui prend forme d’homme, un Christ qui ne vient pas renforcer la loi mais qui vient témoigner de l’intérêt du Père pour le salut des hommes. Un Christ qui ne nous dit pas immédiatement ce qu’il faut faire, mais qui vient nous dire que la création est en gestation et qu’elle se réalisera, mystérieusement, dans une seconde naissance, dont les prémices se retrouvent dans sa propre Résurrection. L’actualisation de ce témoignage christique est à faire dans notre monde. La question la plus fondamentale pour l’A. est de savoir comment, dans le monde actuel, et la culture de notre temps, …