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Deux petits ouvrages de format identique sont parus chez le même éditeur — mais dans deux villes différentes, avec pratiquement le même titre et un nombre similaire de pages : voilà qui pourrait occasionner bien des confusions chez l’éventuel lecteur ! On pourra facilement les distinguer par le nom de leurs auteurs respectifs, l’année de parution et leurs numéros d’ISBN. À première vue, je dois admettre que la quatrième de couverture de chacun de ces deux livres avait soulevé en moi quelques réticences, surtout en y voyant deux allusions presque enthousiastes au « surhomme » nietzschéen, concept qui avait jadis donné lieu à des interprétations malheureuses, comme l’avaient écrit plusieurs commentateurs dont Christophe Baroni (Ce que Nietzsche a vraiment dit, Verviers, Marabout Université, 1975, p. 132). Cependant, Bruno Favrit rappelle brièvement l’origine de ces dérives ainsi que le rôle néfaste de la soeur de Nietzsche, Élisabeth, dans certaines publications posthumes du philosophe (p. 75). Nous sommes conscients que plusieurs études sont consacrées chaque année à Friedrich Nietzsche (1844-1900) ; nous ne présenterons ici que celles reçues par la revue. Ces deux livres écrits par des journalistes sont destinés à un large public et seront ici recensés successivement. Ils sont désormais disponibles au Canada grâce au bon travail de la maison de Diffusion Raffin.

Dans Nietzsche, Bruno Favrit propose un portrait succinct et général du philosophe ; son ouvrage se distingue surtout par l’originalité de ses subdivisions. Après un court rappel biographique (p. 9-28), l’auteur propose un survol des principales oeuvres (de La Naissance de la tragédie à La volonté de puissance) regroupées selon trois thèmes : « Nietzsche l’inactuel », « Nouvelles valeurs, nouvelle morale », « L’affirmation dionysiaque ». La dernière moitié porte spécifiquement sur la réception critique des écrits nietzschéens, particulièrement en France mais aussi en Allemagne. Les avis d’écrivains français réunis ici se limitent toutefois à des citations de quelques lignes et non à un texte continu situant des opinions aussi diverses que celles de Jules Renard, Philippe Sollers, Jean Cocteau, André Gide. On appréciera en outre une série de photographies rares de Nietzsche, dont plusieurs datent de la période (1889-1900) où celui-ci avait sombré dans la folie. Enfin, quelques repères chronologiques, une étude astrologique (!) et une bibliographie centrée presque uniquement sur la France complètent l’ouvrage de Bruno Favrit.

Pour son Nietzsche. Manuel de savoir-vivre surhumain, Olivier Meyer a choisi librement une multitude de citations extraites de différents ouvrages philosophiques de Nietzsche, sans toutefois considérer son abondante correspondance. L’auteur a patiemment regroupé les aphorismes, maximes et citations sous près d’une centaine de thèmes, allant d’« action » à « Zarathoustra », en passant par « folie », « juif », « Napoléon », et « volonté de puissance ». Les extraits varient d’une seule ligne à une pleine page, en spécifiant le titre de l’ouvrage cité et parfois le folio de l’aphorisme, mais sans toutefois indiquer la date ni les numéros des pages, ce qui compliquera sans doute le travail de l’étudiant voulant éventuellement situer le contexte d’un passage. Néanmoins, les pages sur des thèmes riches comme « noblesse », « philosophie », « religion » sont particulièrement fertiles, juxtaposant divers passages tirés de différents ouvrages de Nietzsche. Mais puisque la majeure partie de cet ouvrage est constituée de textes d’un éminent philosophe, le contenu pourra naturellement se passer de mes commentaires et de mes éloges.

Évidemment, les nombreux livres de Friedrich Nietzsche demeurent en soi la meilleure porte d’entrée vers sa pensée ; toutefois, j’estime que le lecteur non initié pourrait également trouver dans sa correspondance la sensibilité, la courtoisie, le grand humanisme et l’amour de l’art chez un homme trop souvent décrit comme étant hostile et imprévisible (voir par ex., Nietzsche, Lettres à Peter Gast, trad. Louise Servicen, Monaco, Éditions du Rocher, 1957). Les ouvrages respectifs de Bruno Favrit et d’Olivier Meyer sont indéniablement accessibles et favorables, mais ceux-ci ont l’inconvénient de s’ajouter à la suite d’une longue liste d’excellentes références déjà existantes (voir par ex., Jean Granier, Nietzsche, Paris, PUF [coll. « Que sais-je ? », 204], 2004).