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Dans le contexte actuel de la publication du motu proprio Summorum Pontificum, suivi de la levée des excommunications des évêques de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X, la publication du livre de Nicolas Senèze vient à point. Le geste de réconciliation de Benoît XVI est en effet à lire dans le contexte de la crise intégriste. Alors, vingt ans après le schisme de Mgr Lefebvre, le geste d’apaisement du Souverain Pontife sera-t-il fécond ? Telle est la problématique de l’auteur, qui montre avec pertinence que, au-delà de la liturgie, c’est bien le Concile Vatican II qui est la véritable pierre d’achoppement entre Rome et Écône.
Dans cette question délicate du lefebvrisme, Nicolas Senèze ne cherche pas à polémiquer, mais plutôt à comprendre en remontant aux sources de ce que l’historiographie a retenue sous le nom de « crise intégriste ». Aussi, commence-t-il son livre en résumant la vie de Marcel Lefebvre à partir du livre de Bernard Tissier de Mallerais, Marcel Lefebvre, une vie (Clovis, 2002). Nicolas Senèze continue ensuite son ouvrage en analysant la rupture que représente le Concile pour les conservateurs ; il présente l’opposition majorité/minorité, puis s’attarde sur le Coetus Internationalis Patrum et plus particulièrement sur son opposition à la collégialité et à la liberté religieuse, thèmes récurrents dans la dialectique « traditionaliste ».
C’est avec son chapitre sur « La dérive intégriste », et lorsqu’il présente le refus du Concile menant à la création du séminaire d’Écône, que l’auteur arrive véritablement au cœur de son sujet. Après avoir essayé de définir l’intégrisme catholique, Nicolas Senèze arrive rapidement à « La guerre de la messe », chapitre dans lequel il présente l’évolution de la réforme liturgique depuis le vote de Sacrosanctum concilium jusqu’au Bref examen critique du Nouvel Ordo missae des cardinaux Ottaviani et Bacci. Ensuite, l’auteur montre comment s’est effectuée la rupture avec Rome et comment, au début des années 1970, la question de la messe a servi de bannière au ralliement des intransigeants.
Malgré plusieurs discussions avec Rome qui tente d’éviter la rupture, le schisme est consommé suite au sacre de quatre évêques sans la permission de Rome, le 30 juin 1988. Ce jour-là, Marcel Lefebvre, son compagnon du Concile Antonio de Castro Mayer, et les quatre évêques nouvellement sacrés sont excommuniés latae sententiae. Le surlendemain, le 2 juillet, paraît un motu proprio créant la Commission Ecclesia Dei, chargée des relations avec ceux qui suivaient Marcel Lefebvre, mais qui voulaient rester unis au successeur de Pierre. Ainsi, plusieurs prêtres et fidèles se séparent de Mgr Lefebvre. Dans les derniers chapitres, Nicolas Senèze fait le point sur les discussions qui ont lieu depuis l’an 2000 entre les lefebvristes et Rome, de Jean-Paul II à Benoît XVI, et il termine enfin sur le motu proprio Summorum Pontificum en montrant encore une fois que le refus lefebvriste n’est pas uniquement une résistance liturgique, mais bien une question doctrinale avec en arrière-plan le refus de Vatican II.
Cet ouvrage est donc d’actualité et sa problématique est pertinente. Mais l’auteur répond-il vraiment au défi qu’il s’est donné en rédigeant ce livre ? Nicolas Senèze est journaliste, chef adjoint du service Religion du quotidien La Croix, et président de l’Association des journalistes d’information religieuse. Sa plume est légère et son niveau de réflexion est bon, mais le livre semble avoir été écrit un peu rapidement. L’ouvrage fourmille en effet d’une multitude d’erreurs factuelles qui ne vont pas sans le dévaloriser un peu. Voici donc, en vrac, quelques-unes de ces inexactitudes : énumérant les épiscopats ayant eu une forte influence sur la majorité conciliaire, Nicolas Senèze cite les Français, les Allemands et les Hollandais, mais il oublie les Belges qui, avec Suenens, de Smedt, Charue, Delhaye, Phillips, Cerfaux, Onclin, etc., ont joué un rôle capital pendant le Concile. Quelques lignes plus bas, nommant cette fois les experts les plus connus de la majorité, il présente Rahner comme étant Suisse, alors qu’il s’agit d’un Allemand, il parle de Schillebeeckx comme d’un Néerlandais alors qu’il est Belge, et il fait de Hans Küng un Allemand, alors qu’il est Suisse (p. 36). Outre quelques confusions de dates sur lesquelles nous n’allons pas nous attarder, mentionnons que, parlant des communautés qui se sont rattachées à Rome après les sacres de 1988, il inclut avec la reconnaissance de l’abbaye du Barroux, le rattachement à Rome et la reconnaissance des abbayes de Fontgombault, de Randol et de Triors. Or ces abbayes étaient reconnues par Rome dès le début de leur existence (p. 129). Accordons à l’auteur que toutes ces erreurs factuelles n’enlèvent rien à l’argumentation générale de son ouvrage, mais elles laissent tout de même un certain scepticisme sur la qualité intrinsèque de l’œuvre.
De plus, au terme de la lecture du livre, on reste tout de même sur sa faim. L’auteur n’apporte en effet pas grand-chose de nouveau. Très (trop ?) centré sur Marcel Lefebvre, il ne parle pas du mouvement sectaire « Contre-Révolution Catholique » de Georges de Nantes, ni du sedevacantisme et très peu de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pierre, alors que ces mouvements ont tous leur importance dans la crise intégriste. En arrière-fond de l’ouvrage, on discerne toujours le livre de Bernard Tissier de Mallerais, déjà cité, sur Marcel Lefebvre. Précisons également que l’intégrisme est présenté comme un phénomène exclusivement français, alors que l’Allemagne, la Suisse, les Philippines et surtout les États-Unis, comptent un très grand nombre de « traditionnalistes ». Une réflexion plus profonde sur le terme même d’« intégrisme » et sur ses origines profondes aurait été pertinente et aurait beaucoup apporté au raisonnement général de l’auteur.
En conclusion, quand bien même nous concédons qu’il fut écrit pour le « grand public », le livre de Nicolas Senèze relève davantage de l’article ou de l’essai que du travail scientifique. Alors, si le sujet est pertinent, si la problématique est bonne, le véritable ouvrage historique sur la question reste à faire. Malgré ses faiblesses, le livre a cependant ses mérites, en particulier celui de donner au lecteur non spécialiste une synthèse générale de l’« intégrisme » à la française.