Recensions

Jean-François Pradeau, La communauté des affections. Études sur la pensée éthique et politique de Platon. Paris, Librairie Philosophique J. Vrin (coll. « Bibliothèque d’histoire de la philosophie »), 2008, 226 p.[Record]

  • Yvon Lafrance

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  • Yvon Lafrance
    Université d’Ottawa

Dans cet ouvrage, Jean-François Pradeau présente à ses lecteurs dix études sur différents aspects de la pensée éthique et politique de Platon. Parmi ces études on en trouvera six qui ont déjà été publiées dans des revues ou recueils que l’auteur signale en p. 10-11, et quatre qui sont des inédits, à savoir les études des chapitres 1, 4, 5 et 9. Ces études forment un ensemble de dix chapitres dont les quatre premiers abordent des aspects psychologiques et anthropologiques de la doctrine politique de Platon à travers les notions de plaisir (hèdonè), de passion (pathos) et d’âme (psuchè), telles qu’elles sont développées surtout dans le Timée et le Philèbe, alors que les chapitres 5 à 10 abordent plutôt, à travers les notions de loi (nomos), de démocratie (dèmocratia), de savoir (épistèmè) et d’« utopie », certains aspects proprement politiques de la pensée platonicienne. Le trait caractéristique de toutes ces études, et qui suscitera sans doute le plus grand intérêt, est l’originalité dans la lecture que l’auteur présente du texte platonicien, ce qui lui permet de remettre en question, ou du moins de nuancer, les lectures courantes et majoritaires de certains textes de Platon. On voit déjà, par le titre même de l’ouvrage, que Pradeau aborde la doctrine politique de Platon sous l’aspect des affections, des plaisirs, des désirs, bref de la partie sensitive de l’âme humaine, alors que la lecture majoritaire favorisait plutôt la partie rationnelle dans l’analyse des réalités sociales et politiques de la cité platonicienne. Nous soulignerons brièvement ces points d’originalité en passant en revue chacune de ces études. Dans sa première étude intitulée : « Tous les plaisirs du philosophe. L’hédonisme platonicien considéré rétrospectivement » (p. 13-31), l’auteur cherche à nuancer la conception courante d’un ascétisme intellectuel platonicien que l’on pourrait tirer d’une lecture du Phédon, en défendant l’idée d’un hédonisme platonicien qui accorde une place au plaisir (hèdonè) dans la poursuite du bonheur et de la vertu. Sur ce point l’auteur défend, contre l’opinion courante, un accord entre Platon et le livre X de l’Éthique à Nicomaque d’Aristote (p. 22-28). Les deux philosophes soutiennent que la vie vertueuse est la plus heureuse et la plus plaisante, dans la mesure où il est fait un bon usage du plaisir par la pratique de la tempérance. Pour les deux philosophes, le plaisir ne doit donc pas être exclu du comportement vertueux, comme le soutenaient les stoïciens, mais tout simplement intégré et maîtrisé. Cette nuance hédoniste dans l’ascétisme intellectualiste de Platon est présente dans les textes des Lois, II, 660d-663e et V, 732d-734e que l’auteur considère comme étant la dernière définition platonicienne du plaisir (p. 15-18). La seconde étude porte sur les passions et les affections (pathè) et s’intitule : « Platon, avant l’érection de la passion » (p. 33-47). La notion de pathos est analysée par l’auteur sous deux aspects : l’aspect psychologique et l’aspect ontologique. Sous l’aspect psychologique, Platon distinguerait, selon l’auteur, trois espèces de pathè dans l’âme humaine : les passions relatives aux besoins corporels (la soif, la faim et le sexe), les passions indépendantes des besoins corporels, telles que la joie, l’amour, la jalousie, et les passions liées à la connaissance, telles que l’étonnement et l’émerveillement. L’auteur trouve un sens ontologique aux passions, sens qui est particulier à Platon selon le texte du Sophiste sur la définition de l’être comme « puissance d’agir et de pâtir » (248a8). Cette conception très générique des pathè permet à Platon de présenter toutes les réalités sensibles comme …