Notes critiques

Philosophie du langage, études narratives et nouvelles théories de la narrationDe Roland Barthes aux récits narrés anglo-saxons (« Studies in Narrative »)[Record]

  • Yves Laberge

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  • Yves Laberge
    Faculté de philosophie
    Université Laval, Québec

Cette note critique sur le rôle de la narration en tant que mode d’appropriation et de moyen de communication se subdivise en trois sections. La première partie recense deux ouvrages méconnus contenant des notes de cours du sémioticien français Roland Barthes, en mettant en évidence le caractère intuitif, hermétique, et parfois fragmentaire de ses écrits datant des années 1970. Dans la deuxième partie, on parcourt une série de cinq ouvrages théoriques en études narratives publiés pour la plupart aux Pays-Bas entre 2004 et 2008, et qui reprennent sans le savoir certaines des intuitions que Barthes avait déjà formulées dans ses cours au Collège de France, trente ans plus tôt. Cette partie centrale tente — provisoirement — de situer ces observations et ces similitudes dans différents champs disciplinaires proches de la rhétorique : sémantique, linguistique, études sur la culture et en philosophie du langage. Enfin, dans la troisième partie, d’autres correspondances sur la narration seront établies avec la réflexion du philosophe Thierry Hentsch dans son dernier livre consacré au rôle essentiel de la narration dans la formation de notre imaginaire occidental. La conclusion récapitulera brièvement les apports de chaque approche. La découverte et la publication d’oeuvres posthumes du grand sémioticien français Roland Barthes (1915-1980) aura de quoi réjouir ses lecteurs et bon nombre de chercheurs en sémiologie. Cet influent théoricien de la littérature ayant écrit Le degré zéro de l’écriture (1953) et Mythologies (1957), il y a plus d’un demi-siècle, redevient une source d’inspiration pour toute une nouvelle génération d’étudiants en lettres et pour plusieurs courants interdisciplinaires émergeant chez les universitaires anglo-saxons : les études culturelles et les études narratives. La première partie de notre note critique sera centrée sur Roland Barthes en tant que théoricien et professeur, puisque ses notes de cours et de séminaires donnés au Collège de France sont sorties des archives de l’Institut « Mémoires de l’édition contemporaine » (IMEC), à Paris, pour être désormais accessibles aux étudiants et lecteurs des générations l’ayant suivi. La deuxième moitié de ce texte mettra en évidence la postérité de Barthes et certaines des études récentes qui rejoignent ses intuitions, particulièrement dans quelques ouvrages portant spécifiquement sur les études narratives. Tous ces livres seront recensés successivement. Un premier tome de notes de cours inédites rassemble sous le titre interrogatif Comment vivre ensemble ? des fiches et des exposés denses donnés par le professeur Roland Barthes, lors de sa leçon inaugurale au Collège de France, en janvier 1977, et durant les cinq mois qui ont suivi. Le présent ouvrage contiendrait l’intégralité du cours hebdomadaire prononcé par Barthes durant ce trimestre ; d’ailleurs, des enregistrements attestent que Barthes avait lu textuellement ses notes de cours, en y ajoutant très peu de commentaires. Le sujet est très vaste et les auteurs conviés ou cités y sont nombreux. D’emblée, Barthes mentionne des philosophes comme Nietzsche et Deleuze pour tenter d’établir un système personnel qui guidera tout son cours, organisé autour d’une trentaine de thèmes, identifiés dans l’ordre alphabétique et présentés individuellement comme des « Traits » : akèdia, anachôrèsis, animaux, Athos, jusqu’à « utopie » et « xénitéia ». Ici, le « Vivre ensemble » de Barthes ne réfère pas à la sociologie ou à l’anthropologie ; ce concept est plutôt défini comme une sorte de fantasme personnel : il imagine un lieu idéalisé, utopique, servant au recueillement, à la méditation (p. 35). Le propos de ces notes est souvent ardu, quelquefois proche de l’hermétisme. Mais Barthes explique dans un passage sur le télos qu’il veut révéler son goût particulier, presque un caprice, pour ce qu’il nomme affectueusement « un mot vague, un …

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