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Les dernières années ont vu fleurir divers projets de théologie oecuménique, dont les premières réalisations remontent aux années 1940. Parmi les essais les plus marquants, je retiens ces titres dans diverses langues occidentales et de diverses confessions : G.R. Evans, Method in Ecumenical Theology : The Lessons so far (1996) ; P. Evdokimov, « Notes préliminaires pour une théologie oecuménique » (1947) ; R. Hoeckman, Unité de l’Église-unité du monde. Essai d’une théologie oecuménique de la mission (1974) ; P. Lengsfeld, Ökumenische Theologie : ein Arbeitsbuch (1980) ; B. Sesboüé, Pour une théologie oecuménique : Église et sacrements, eucharistie et ministères, la Vierge Marie (1990) ; G. Tavard, The Church, Community of Salvation : An Ecumenical Ecclesiology (1992) ; G. Thils, La « Théologie oecuménique » : notion, formes, démarches (1960) ; J. Vercruysse, Introduzione alla teologia ecumenica (1992). La considération de cet ensemble nous permet de mieux appréhender la notion de « théologie oecuménique » et d’apprécier, sur cet horizon, l’ouvrage de Peter Neuner.

Comme c’est souvent le cas, on met sous le titre « théologie oecuménique » un certain nombre de réflexions sur l’oecuménisme, mais cela ne constitue pas encore, à mon sens, une véritable théologie oecuménique. L’intéressant ouvrage de Neuner, qui comporte cinq chapitres, ne constitue réellement un essai de théologie oecuménique que dans sa dernière partie (« Problèmes théologiques principaux », qui occupe tout de même 150 pages) où il affronte, dans une perspective oecuménique et suivant une démarche et une méthode proprement oecuméniques et en engrangeant les résultats des divers dialogues oecuméniques, des questions théologiques abondamment traitées ailleurs suivant une perspective confessionnelle. Autrement, l’ouvrage traite de l’oecuménisme et le fait de manière compétente et rigoureuse.

Le premier chapitre, le plus bref, discute du concept d’oecuménisme et en retrace l’histoire, en plus de fonder la nécessité et l’urgence du travail oecuménique. Le deuxième chapitre retrace une histoire du mouvement oecuménique depuis Édimbourg (1910) jusqu’à Harare (1998). Cette histoire se limite à l’oecuménisme pratiqué dans le cadre du Conseil oecuménique des Églises : ses origines, sa mise sur pied et ses diverses assemblées. Ce n’est qu’au chapitre suivant que l’histoire de l’oecuménisme est envisagée à partir des contributions des diverses Églises chrétiennes et des dialogues bilatéraux ou multilatéraux qu’elles entretiennent entre elles. Cette section est construite de manière étonnante. D’une part, la partie réservée à l’Église catholique fait 70 pages alors que celle qui revient aux Églises orthodoxes fait moins de 30 pages, celle consacrée aux Églises de la Réforme moins de 40 pages (pour couvrir l’Église luthérienne, les Églises de la Réforme et l’anglicanisme). La difficulté n’en est pas seulement une de proportion. Toutes les sections sont construites de manière semblable (la naissance de ces Églises « séparées » et un bref développement sur leur engagement oecuménique), sauf celle consacrée à l’Église catholique, qui examine sa position relative à l’oecuménisme depuis le xixe siècle avant de développer longuement les relations bilatérales ou multilatérales qu’elle entretient avec les autres Églises. On observe également que l’on fait état des dialogues entre l’Église catholique et les autres Églises seulement dans la section sur l’engagement oecuménique de l’Église catholique et non dans la section où l’on s’intéressait à l’engagement oecuménique des autres Églises. Cela dit, cette section est bien documentée, l’exposé bien conduit, précis et clair. L’ensemble est solide, même si l’on passe vite, parfois, sur certains dialogues, notamment le dialogue anglican-orthodoxe qui aurait mérité plus que quelques lignes en raison de son importance. Déjà l’on sent — et cela se confirmera par la suite — que l’on privilégie les relations entre l’Église catholique et les Églises luthériennes. C’est le seul cas, par exemple, où l’on fait référence à des commissions nationales, celle des États-Unis, alors qu’elles existent dans plusieurs autres dialogues bilatéraux.

Le troisième chapitre est consacré aux avancées oecuméniques, regroupant la matière autour de huit points. Ici encore, on privilégie ce qui touche l’Europe et, en particulier, l’Allemagne (ou l’aire germanophone) et les événements qui concernent les Églises issues de la Réforme continentale. Du coup, l’anglicanisme et l’orthodoxie ne figurent plus à l’horizon de la réflexion. Certes, les avancées sur la justification, le BEM, la « Charta oecumenica » ou la « Concorde de Leuenberg » sont des avancées de grande importance, mais d’autres éléments retenus ne m’apparaissent pas mériter plus d’importance que ce qui se développe, notamment dans le monde anglo-saxon ou avec les Églises préchalcédoniennes, par exemple. Ainsi, le « Kirchentag » oecuménique à Berlin n’a pas marqué profondément l’oecuménisme, de ce côté-ci de l’Atlantique.

La pièce maîtresse de l’ouvrage est le dernier chapitre où, s’appuyant sur les acquis des divers dialogues, P.N. aborde, dans une perspective oecuménique, les problèmes clés des discussions entre les Églises : Écriture-Tradition et traditions ; la doctrine des sacrements, avec, en son centre, l’eucharistie ; le ministère de l’Église, notamment le ministère épiscopal et primatial, et la théologie du sacrement de l’ordre, la doctrine du mariage, qui a d’importantes incidences sur les couples mixtes et touche plus immédiatement les fidèles ; la justification et l’Église. Certes, la question de l’autorité dans l’Église est sous-jacente à celle des ministères, mais elle aurait probablement mérité un développement spécifique, surtout qu’elle a occupé beaucoup de place dans le dialogue entre anglicans et catholiques. Enfin, la dernière section de ce chapitre aurait mérité de constituer un chapitre autonome. Elle aborde la question de la réception, de la méthode oecuménique (consensus fondamental et différence fondamentale) et la représentation de l’unité.

Malgré les réserves que j’ai pu exprimer ici ou là, il s’agit d’un livre de grande valeur qui mérite bien sa place dans la collection « Initiations ». On y trouvera une excellente introduction à la question oecuménique que l’on peut recommander sans réserve à des non-spécialistes intéressés par la question, plus sans doute qu’un ouvrage de « théologie oecuménique ». Sa traduction en italien et en français indique déjà bien la qualité de cet ouvrage où les questions sont abordées avec précision, l’exposé solidement informé, la documentation donnée en référence abondante et à point, l’auteur ayant mis à jour (jusqu’en 2000 et jusqu’en 2004, dans certains cas) son ouvrage publié en édition originale en 1997. L’ensemble est complété par une bibliographie qui signale les titres essentiels dans le domaine et par un index des personnes et des auteurs cités.