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Ce premier tome des Oeuvres de Spinoza (1632-1677) aux Presses Universitaires de France comprend deux de ses ouvrages : le « Traité de la réforme de l’entendement » (p. 60-135) et son « Court Traité » [de Dieu, de l’homme et de son bien-être], pourtant plus long que le titre précédent (p. 182-437). Ces deux textes de Spinoza sont ici publiés dans une édition bilingue (en latin et en français) ; les notes abondantes sont de Pierre-François Moreau et les introductions sont de Filippo Mignini. Ces deux nouvelles traductions françaises des manuscrits de Spinoza ont été réalisées respectivement par Michelle Beyssade et Joël Ganault. On ne peut que se réjouir du « rajeunissement » de ce texte dans notre langue : certaines des traductions françaises encore sur le marché (ou disponibles sur Internet) dataient de plus de 75 ans. En fait, deux autres tomes des Oeuvres de Spinoza, édités par la même équipe de recherche, étaient déjà parus dans cette collection (III. Traité théologico-politique, 1999 ; V. Le traité politique, 2005). Un peu comme pour les éditions complètes de l’oeuvre de Freud en français (également aux PUF), l’ordre de parution de ces tomes de la nouvelle édition ne correspond pas forcément avec la chronologie de rédaction (ou de publication initiale) de ses livres, ce qui amène Pierre-François Moreau à faire référence dans son « Introduction générale » à la « stratégie éditoriale » de Spinoza, qui renonçait à écrire sur des débats vains ou à propos de sujets sur lesquels il aurait risqué d’être censuré (p. 9).

Les deux exposés de Spinoza réunis ici restent en soi magnifiques, et je les commenterai peu (qui suis-je pour oser critiquer Spinoza ?). Dans le « Traité de la réforme de l’entendement » [et de la meilleure voie qui le dirige vers la connaissance de la vérité], Spinoza est en quête de « la meilleure méthode pour rechercher la vérité » (p. 81), en tant que « nouvelle règle de vie » (p. 65) et il songe par conséquent au « moyen de guérir l’entendement et, autant qu’on le peut, de le purifier » (p. 73). Dans les dernières pages nous étant parvenues, Spinoza osera même définir ce que serait la définition par excellence, qui « pour être parfaite, devra expliquer l’essence intime de la chose et prendre de ne pas lui substituer certains caractères propres » (p. 123). Dans sa présentation exhaustive, Filippo Mignini note les contradictions pouvant être relevées dans le Traité de la réforme de l’entendement  ouvrage qui est resté inachevé : la conception de l’entendement défini par Spinoza comme un « organon et critère de vérité » ou encore « comme esprit, compris comme faculté de connaissance diverses, même erronées et, en tant que telle, objet d’emendatio, c’est-à-dire de correction » (p. 37). C’est ainsi que Spinoza discutera dans son Traité de la réforme de l’entendement de diverses questions touchant la fiction, les idées vraies et fausses, puis élaborera une théorie de l’imagination : « […] nous avons montré que les idées fictives, fausses, et les autres, tirent leur origine de l’imagination, c’est-à-dire de certaines sensations fortuites » (p. 119).

Dans son « Court Traité » qui occupe la deuxième moitié du livre, Spinoza explore les sentiments humains les plus profonds : il examine et commente tour à tour ce que sont l’amour, la haine, la joie, la tristesse, l’estime, le regret, le remords, le repentir, l’honneur, le désir, après avoir médité sur la question de Dieu (dans la première partie) puis exploré des thèmes comme l’immortalité de l’âme, l’opinion, la croyance, et la science (dans la seconde partie). Les définitions abondent chez Spinoza ; il écrit par exemple : « […] la vérité est une affirmation (ou négation) que l’on fait sur une chose et qui s’accorde avec la chose même ; et la fausseté une affirmation (ou négation) concernant la chose qui ne s’accorde pas avec la chose même » (p. 325). Ouvrage posthume, le « Court Traité » de Spinoza contient plusieurs démonstrations et conceptualisations ; par exemple pour distinguer la volonté et le désir, il citera Aristote pour tenir compte du bien, considérant la volonté comme étant bonne, et la volupté comme la « volonté mauvaise » (p. 341).

La présentation générale et les notes de cette nouvelle édition totalisent à elles seules presque une centaine de pages réparties dans plusieurs sections ; elles servent principalement à situer le texte dans son contexte, à en souligner la richesse, et à signaler des variantes ou des erreurs apparaissant dans d’autres éditions (p. 45). Dans son introduction détaillée, Filippo Mignini établit brillamment les étapes ayant mené Spinoza à la rédaction du « Court Traité », qui avait tenu compte de certains commentaires de son entourage (p. 172). Le style des notes et des introductions est pédagogique et très rigoureux ; c’est une des forces de cette nouvelle version, l’autre étant le renouvellement de la traduction en français. Cette édition plus coûteuse conviendra particulièrement aux lecteurs voulant comparer les versions latine et française de ce texte considéré à juste titre comme un classique. On ne peut toutefois que déplorer la brièveté de l’index ― de seulement une demi-page (p. 475) ― ne regroupant que des noms propres. De plus, la petitesse des caractères de cette édition pourtant si soignée (et en particulier pour les portions comprenant les notes abondantes des p. 135-157) s’apparente parfois au format minuscule d’un livre de poche et réduit considérablement la lisibilité des annotations. On ne peut qu’espérer que cette lacune quant au calibrage des caractères sera corrigée pour les prochains tomes de cette série.