Notes critiques

Les forces du bien et du mal dans les premiers siècles de l’Église[Record]

  • Paul-Hubert Poirier

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  • Paul-Hubert Poirier
    Faculté de théologie et de sciences religieuses, Institut d’études anciennes, Université Laval, Québec

Cette note critique reprend des éléments d’une présentation faite à la table ronde organisée par l’Institut de recherche pour l’étude des religions, à la Maison de la Recherche de l’Université de Paris Sorbonne-Paris IV, le vendredi, 9 décembre 2011, sous la présidence du professeur Marie-Françoise Baslez, autour de l’ouvrage suivant : Y.-M. Blanchard, B. Pouderon, M. Scopello, éd., Les forces du bien et du mal dans les premiers siècles de l’Église. Actes du Colloque de Tours, septembre 2008, Paris, Beauchesne (coll. « Théologie historique », 118), 2011, 414 p.

Cette publication est la quatrième « émanation » des Colloques de Tours organisés, avec une vaste collaboration française et internationale, par notre collègue, le professeur Bernard Pouderon. Ces colloques ont donné lieu à des Actes d’une grande qualité, comme en témoigne l’ouvrage que je présente maintenant et dont nous devons l’édition à Yves-Marie Blanchard, Bernard Pouderon et Madeleine Scopello. Le thème qui avait été retenu pour le quatrième colloque de Tours était tout aussi pertinent sur le plan scientifique que ceux des trois précédents : les forces du bien et du mal dans les premiers siècles de l’Église, mais surtout la lancinante question de l’origine, de la nature et de la signification du mal. Question lancinante parce qu’elle domine non seulement la réflexion théologique mais également la quête philosophique, tout comme elle traverse l’expérience humaine, celle de chacun de nous aux prises avec les limites de notre condition. C’est ainsi qu’Eusèbe de Césarée, dans l’Histoire ecclésiastique (V,27) pourra parler de « la question, maintes fois débattue chez les hérétiques (τοῦ πολυθρυλήτου παρὰ τοῖς αἱρεσιώταις ζητήματος) : D’où vient le mal ? », famossima quaestio, comme traduit Rufin. Déjà, avant Eusèbe, Tertullien avait ironisé : « Ce sont les mêmes sujets (eadem materia) qui sont agités chez les hérétiques et chez les philosophes, les mêmes enquêtes que l’on enchevêtre. D’où vient le mal, et quelle en est la cause ? D’où vient l’homme, et comment est-il venu ? Ou encore la toute récente question proposée par Valentin : D’où vient Dieu ? » Par-delà l’ironie, Tertullien a eu au moins l’honnêteté de reconnaître que ces questions, et celle de l’origine du mal au premier chef, n’étaient pas le seul fait de la curiosité déplacée des gnostiques : apud haereticos et philosophos, écrit-il. La réflexion philosophique, en effet, dès qu’elle s’est portée sur la condition intramondaine de l’homme, ne pouvait faire l’économie d’un ζήτημα sur l’origine du mal. Il suffira de mentionner ici l’un des derniers traités de Plotin, le cinquante et unième de la liste chronologique préservée par Porphyre, pour s’en convaincre. Dans cet écrit (I,8), intitulé par Porphyre Πόθεν τὰ κακά, « D’où viennent les maux ? », ou Τίνα τὰ κακά, « Quels sont les maux ? », et dont l’incipit est : Οἱ ζητοῦντες, πόθεν τὰ κακά, « Ceux qui cherchent d’où viennent les maux », Plotin, comme l’écrit Laurent Lavaud, « mobilise toutes les ressources du platonisme pour tenter de résoudre l’énigme du mal ». Ce faisant, il se situe dans une tradition, une « herméneutique croisée », où se rencontrent Platon et Aristote, et qui se poursuivra jusque chez Proclus et bien au-delà. La question de l’origine du mal et des maux figurera également au coeur de la réfutation du manichéisme, comme en témoigne le Contra manichaeos de Titus de Bostra. Celui-ci écrit en effet que, lorsque les manichéens sont poussés dans leurs derniers retranchements, ils rebondissent en demandant encore et toujours : « D’où viennent donc les maux ? Et d’où vient le désordre (ἀταξία) qui apparaît dans les choses ? » L’essentiel du livre II du Contra manichaeos cherchera à apporter une réponse rationnelle — c’est-à-dire sans référence scripturaire — à cette question δυσαπόδεικτον, « pouvant difficilement faire l’objet d’une démonstration » et « offrant de nombreuses prises contre l’interlocuteur ». Dans la préface de ces Actes, Madeleine Scopello montre bien à quel point l’interrogation Unde malum ? constituera « une question fondamentale qui marqua profondément la réflexion du christianisme des origines » (p. 7), et comment, à l’aune des diverses influences qui s’exercèrent sur la pensée des …

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