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Le dossier de la présente livraison du Laval théologique et philosophique veut rendre hommage au professeur Christoph Theobald auquel l’Université Laval a décerné un doctorat honoris causa le 14 juin 2011. Celui-ci, après avoir réalisé une thèse sur Maurice Blondel et la Modernité à l’Université de Bonn, devint professeur de théologie aux Facultés jésuites de Paris. Enraciné dans la culture allemande et française, toutes deux marquées, mais de manière différente, par le christianisme, il s’interroge depuis une trentaine d’années, non seulement sur la contribution de la tradition chrétienne à la vie du monde au cours des siècles passés, mais surtout sur son apport possible au monde actuel et à la nouvelle génération.

À travers ses nombreuses contributions scientifiques, on peut identifier une préoccupation dominante, celle de penser la contribution de la tradition, et en particulier de la tradition chrétienne, à la formation des personnes et de penser l’inscription des traditions religieuses et de la théologie dans les sociétés plurielles. Ces deux préoccupations, on le devine, dépassent largement les frontières de la théologie et elles sont partagées par de nombreux intellectuels. En effet, cette question qui traverse toute son oeuvre, celle de notre rapport à la tradition qui nous a façonnés comme sujets et qui a façonné la culture et les sociétés que nous habitons, traverse aussi la cinématographie québécoise actuelle ; je pense en particulier à celle de Bernard Émond dont les plus récents films, La donation, et Tout ce que tu possèdes, posent à nouveaux frais la question de l’héritage et de notre rapport à ce qui nous est légué par les générations qui nous précèdent.

Inscrivant d’emblée sa réflexion dans la situation actuelle de la postmodernité, Christoph Theobald s’intéresse non seulement à penser l’émergence d’êtres humains libres et responsables, mais à réfléchir à la contribution de la tradition chrétienne — et plus largement de toute tradition — à la croissance et à l’épanouissement des êtres humains. Cette réflexion revient à nous demander comment mobiliser un héritage de telle manière qu’il puisse aider des personnes à imaginer aujourd’hui une manière humaine d’habiter le monde. En d’autres termes, cette réflexion nous conduit à nous demander à quelle condition une tradition — et singulièrement la tradition chrétienne — peut favoriser l’émergence des sujets et non les étouffer ? Dans son ouvrage récent, Le christianisme comme style : une manière de faire de la théologie en postmodernité, Christoph Theobald propose une approche stylistique du christianisme, une approche très originale qui rompt avec certaines perspectives étroitement doctrinales encore dominantes dans le catholicisme. Proposant un diagnostic théologique du « moment présent », en lien avec les débats actuels sur la modernité et la postmodernité, il a développé non seulement une réflexion sur la manière de faire de la théologie dans un tel contexte, mais aussi sur une manière possible de se rapporter de façon féconde et fructueuse à cette tradition qui a pétri la civilisation occidentale.

Son effort pour renouveler la théologie connaît également deux autres versants : l’exploration, en tandem avec un musicologue, de la tradition théologique à partir de l’oeuvre de Jean-Sébastien Bach et la proposition de reprendre avec nos contemporains, surtout la jeune génération, la lecture de la Bible à partir de son statut culturel de « classique ».

Sa réflexion originale, en dialogue avec la philosophie contemporaine, est l’expression d’une pensée curieuse et toujours en mouvement, pensée préoccupée par la croissance des êtres humains et le devenir de nos sociétés et de la culture. Cette réflexion nourrit aujourd’hui la pensée de plusieurs sur nombre de questions et d’enjeux contemporains. Ainsi, sa contribution apparaît exceptionnelle et elle connaît peu d’équivalents dans la théologie francophone récente. L’ampleur et la générosité de ses implications dans diverses activités, telles que l’organisation de colloques, la direction d’ouvrages collectifs et la présence à de nombreux groupes, le situe au carrefour des débats actuels.

Non seulement il est un des plus importants théologiens de sa génération en raison de l’ampleur de son oeuvre et de son rayonnement, mais à travers toute cette activité scientifique, il est demeuré un animateur des milieux de recherche en théologie francophone.

Des publications conjointes et des rencontres de toutes sortes ont permis que se tissent des liens de recherche et d’amitié très profonds entre lui et des professeurs de la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval. Ces liens ont déjà une histoire très riche et sont appelés à se fortifier encore à l’avenir à travers la poursuite de projets qui ont été initiés et sont toujours en cours. L’attribution de ce doctorat honoris causa vient en quelque sorte sceller et fortifier une collaboration qui s’est déjà avérée très fructueuse et enrichissante et dont nous nous honorons. Les contributions à ce dossier de collègues de l’Université Laval et du Centre Sèvres veulent exprimer notre admiration et notre reconnaissance à l’égard de C. Theobald, dont le travail théologique ne cesse de nous inspirer.