Dossier

Croyance et psychanalyse. Liminaire[Record]

  • Valérie Chevassus-Marchionni

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  • Valérie Chevassus-Marchionni
    Centre Écritures, UFR Lettres et Langues Université de Lorraine, Metz

Croyance et psychanalyse : ces deux champs d’action, d’exercice et d’expression de la pensée, de l’esprit, voire de l’âme humaine, entrent, plus souvent qu’on ne le croit, en relation l’un avec l’autre. La croyance touche à la sphère du spirituel et du religieux, la psychanalyse à celle du psychique et de la clinique. Croyance et psychanalyse concernent des domaines a priori éloignés l’un de l’autre, et, dans l’existence d’un individu, il ne semble pas à première vue que l’exercice de l’une fasse bon ménage avec celui de l’autre. La croyance est d’ordre irrationnel, l’analyse paraîtrait se situer davantage du côté de la raison, ce qui pourrait rendre difficile leur fréquentation, voire leur coexistence. Il n’est que de penser à Freud dont Julia Kristeva affirme qu’il a été « l’homme le moins religieux de son siècle » pour ressentir à quel point l’inventeur de la psychanalyse a dû s’arc-bouter contre la vague affolante de la pulsion de croire qui ne peut venir que fragiliser ou déstabiliser les fondements solides d’une construction qu’on voudrait un tant soit peu scientifique. Dès le début de Malaise dans la civilisation, Freud se montre sceptique et peu réceptif à ce fameux « sentiment océanique » dont Romain Rolland lui a fait état dans une de ses lettres. « En moi-même, impossible de découvrir pareil “sentiment océanique” », dit-il. Cette description par Romain Rolland d’une « sensation de l’éternité », du « sentiment de quelque chose d’illimité » dans lequel « l’énergie religieuse » puiserait sa source sans nécessairement se soumettre à une croyance déterminée, répond à la thèse de Freud selon laquelle la religion est une illusion. Romain Rolland avançait là contre Freud un argument de taille : il ne refusait pas l’idée que toute religion soit une illusion, mais il représentait à Freud qu’il existait, en aval de la croyance et de la religion, une région un peu trouble où prenaient naissance des potentialités humaines, des tendances inattendues pouvant nous amener à croire, à adhérer à quelque chose en dehors de nous-même. Cette origine profonde de la tendance à croire, Freud va aussitôt tenter de la situer topologiquement et de la définir rationnellement. Il ne peut envisager que le sentiment océanique ou cette disposition particulière de la psyché dont provient vraisemblablement la croyance ou tout au moins le besoin de croire ne soit pas localisable, définissable et analysable. Cette idée lui semble si « étrange », dit-il, elle « s’insère si mal dans la trame de notre psychologie » qu’il va tenter « un essai d’interprétation psychanalytique, c’est-à-dire génétique » concernant la genèse de ce sentiment. Psychanalyser revient dès lors, pour Freud, et il le dit en toutes lettres, à « insérer dans une trame » préalablement établie et constituée des catégories de la psychologie des profondeurs qu’il a mise sur pied. Freud réagira de la même manière face au phénomène mystique qu’il définira ainsi : la mystique, c’est « l’autoperception obscure du règne au-delà du moi, du ça ». Là encore, il réduit le phénomène et le contraint d’entrer dans ses catégories, sans paraître concevoir ou vouloir reconnaître que la mystique n’est peut-être pas entièrement analysable à l’aide des instances de sa deuxième topique. Cependant il est clair, en lisant attentivement le texte de Freud, et tout particulièrement dans la dernière traduction de Bernard Lortholary, que Freud, en aucun cas, ne réfute l’existence objective de cette « obscure auto-perception », de ce sentiment dont il semble férocement refuser de se sentir jamais la proie. Car la force de l’irrationnel, la puissance de la croyance, voire de la foi, ou de ce « besoin …

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