Recensions

Pascal Bruckner, La tyrannie de la pénitence. Essai sur le masochisme occidental. Paris, Éditions Grasset, 2006, 258 p.Id., Le fanatisme de l’Apocalypse. Sauver la Terre, punir l’Homme. Paris, Éditions Grasset, 2011, 279 p.[Record]

  • Yves Laberge

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  • Yves Laberge
    Québec

En cette époque de sécularisation apparente, les titres des ouvrages de l’écrivain français Pascal Bruckner ne pouvaient pas manquer d’attirer l’attention des chercheurs s’intéressant aux phénomènes religieux et aux mouvements des idées. Essayiste prolifique et par ailleurs romancier, l’auteur avait déjà fait paraître plusieurs essais primés, dont Misère de la prospérité (2002) et L’Amour du prochain (2005). La présente recension présentera successivement deux de ses meilleurs essais : La tyrannie de la pénitence et Le fanatisme de l’Apocalypse. Dès les premières lignes de La tyrannie de la pénitence. Essai sur le masochisme occidental, Pascal Bruckner décrit avec un brin d’ironie les paradoxes de notre société sécularisée, en particulier dans la France actuelle, à propos du retour en force de certains thèmes venus d’une époque ancienne comme « le péché originel » et la repentance, que ce soit à propos de l’actualité, de la politique, de l’environnement, des relations internationales, ou de notre rapport avec l’histoire (p. 14). Et paradoxalement, ces discours inattendus sur la repentance et la culpabilité de l’Homme émanent précisément de penseurs qui se disent incroyants, au grand étonnement de Pascal Bruckner : « En terre judéo-chrétienne, il n’est pas de carburant aussi fort que le sentiment de la faute et plus nos philosophes, sociologues se proclament agnostiques, athées, libres penseurs, plus ils reconduisent la croyance qu’ils récusent » (p. 14). Tout ce livre pose un regard critique sur les attitudes de nos contemporains qui se sentent coupables de réussir, d’être riches, de faire partie de la civilisation ayant créé le colonialisme, l’esclavage, les guerres mondiales, d’avoir contribué collectivement à la pollution, au réchauffement de la planète, et à l’épuisement des ressources naturelles. C’est comme si nous portions tous le poids d’une culpabilité originelle, et ce message est reproduit massivement. Selon Pascal Bruckner, « les idéologies ne meurent jamais, elles se métamorphosent et renaissent sous une apparence nouvelle » (p. 24). Les sujets pour se culpabiliser collectivement semblent innombrables pour beaucoup d’intellectuels bien en vue, par exemple sur la délicate question de l’immigration : sans viser nommément un pays en particulier, Pascal Bruckner critique par exemple le principe général du multiculturalisme, car il bloquerait trop souvent l’intégration des immigrants qui ne demandent qu’à laisser de côté leur passé, mais aussi « un mode de vie, des traditions dont ils aspirent bien souvent à s’émanciper » (p. 172). Dans son chapitre sur la souffrance collective, que tant de groupes minoritaires tentent de revendiquer ou d’affirmer, Pascal Bruckner constate une amplification de la victimisation collective dans différents contextes et s’étonne par ailleurs de la création d’un « Secrétariat d’État aux victimes » en France, en 2004 (p. 176). L’auteur conclut dans son chapitre sur « le doute et la foi » en réaffirmant la nécessité de la réconciliation, citant les excuses officielles de nombreux chefs d’État (du Japon ; des États-Unis) envers des populations brimées ou d’anciens ennemis durant des conflits armés, et la création de nombreuses commissions de vérité et réconciliation, en Afrique du Sud et ailleurs, chargées de faire toute la lumière sur des époques troubles au lieu d’adopter une attitude punitive envers d’anciens tortionnaires, militaires et génocidaires (p. 240). Cependant, on terminera par une remarque éditoriale : en dépit de toutes ses qualités, on pourrait reprocher à Pascal Bruckner de ne pas toujours mentionner la source des extraits qu’il cite de mémoire, par exemple dans un long passage de Tocqueville, probablement tiré du livre De la Démocratie en Amérique (p. 111). On constate les mêmes lacunes dans des allusions trop vagues à des livres d’Imre Kertész et d’André Glucksmann (p. 134). Néanmoins, La tyrannie de …

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