Notes critiques

Les évêques dans tous leurs étatsRéponses épiscopales aux crises de l’Antiquité tardive[Record]

  • Christel Freu

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  • Christel Freu
    Département des sciences historiques, Université Laval, Québec

Au sujet de : Pauline Allen, Bronwen Neil, Crisis Management in Late Antiquity (410-590 CE). A Survey of the Evidence from Episcopal Letters, Leiden, Boston, Brill (coll. « Supplements to Vigiliae Christianae », 121), 2013, xiv-284 p.

Les deux savantes australiennes de l’Australian Catholic University, éminentes spécialistes de la patristique tardive et de la pensée sociale de l’Église, nous livrent ici un nouvel opus consacré à la manière dont les évêques des ve-vie siècles répondirent aux « crises » environnementales, humaines et institutionnelles auxquelles ils furent confrontés. Ces crises (déplacements des populations et crise des réfugiés, désastres naturels, disputes religieuses, conflits violents, abus sociaux) et les réponses qui leur furent apportées, forment autant de chapitres du livre, qui dessine ainsi, pas à pas, un tableau nuancé de la puissance épiscopale aux ve-vie siècles ap. J.C. Le livre s’inscrit dans la lignée des projets de recherche déjà menés par les auteures à partir du milieu des années 2000 et méthodiquement développés depuis. Plusieurs livres ont déjà paru, dont un ouvrage écrit en collaboration avec Wendy Mayer, Preaching Poverty in Late Antiquity : Perceptions and Realities, Leipzig, 2009, qui analysait l’approche de la pauvreté par certains Pères de l’Église (Jean Chrysostome, Augustin et Léon le Grand). Le livre de 2009 contenait déjà une réflexion sur la manière d’analyser les réalités sociales anciennes selon les genres littéraires, malgré des différences parfois ténues entre eux, une homélie ou une lettre pouvant être de véritables traités, un sermon pouvant prendre la forme d’une lettre — comme c’est le cas des Lettres festales des évêques d’Alexandrie — ou bien une lettre pouvant être lue dans une assemblée liturgique et devenir sermon. L’épistolographie y était déjà apparue aux côtés de l’homilétique comme un des genres littéraires les plus importants dans l’Antiquité tardive (cf. aussi, à ce propos, A. Gillett, « Communication in Late Antiquity : Use and Reuse », dans Scott Fitzgerald Johnson, éd., The Oxford Handbook of Late Antiquity, Oxford, 2012, p. 815-846). Dans le livre ici recensé, les auteures cherchent donc à reconstituer les réponses des évêques aux crises de leur temps par l’analyse d’un corpus d’environ 2 000 lettres des ve-vie siècles, dont la chronologie retenue, les années 410-590, exclut volontairement les lettres les mieux étudiées (celles d’Athanase d’Alexandrie ou de Basile de Césarée au ive siècle, de Jean Chrysostome au début du ve siècle et celles de Grégoire le Grand à la toute fin du vie siècle) : une annexe, p. 207-229, rappelle brièvement les auteurs anciens retenus pour le corpus et le nombre de lettres qu’ils ont écrites. Le choix de ne travailler que sur l’épistolographie est expliqué au chapitre II du livre (« Studying Late antique crisis management through letters », p. 11-35) : ces lettres, courtes ou longues, polémiques, pastorales, dogmatiques ou parénétiques, étaient en effet les premiers moyens à disposition des clercs pour régler, par pétition aux autres évêques ou aux autorités civiles et par activation des réseaux d’entraide, des problèmes posés (cf. la conclusion du livre, p. 193-203). Bien des cas étudiés dans le livre sont effectivement passionnants et montrent clairement les modes de réaction possibles. Toutefois, si ce corpus est prolixe en ce qui concerne les controverses ecclésiastiques, d’autres problèmes majeurs connus par ailleurs y sont peu évoqués : les épidémies, les famines, l’accueil massif des réfugiés ou les abus sociaux. Cela s’explique en partie par le fait que les compilations de lettres dans les recueils canoniques ou ceux des décrétales papales ont opéré au Moyen Âge un filtre important : ont surtout été conservées les lettres écrites pour régler les problèmes disciplinaires ou les controverses doctrinales, dont les évêques étaient souvent eux-mêmes à la source (p. 26-31). Ainsi les lettres romaines, très nombreuses (plus de 600), …

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