Recensions

Damien Clerget-Gurnaud, Agir avec Aristote. Paris, Éditions Eyrolles (coll. « Vivre en philosophie »), 2012, 186 p.[Record]

  • Louis Brunet

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  • Louis Brunet
    Cégep de Sainte-Foy, Québec

Le lecteur en est averti d’emblée : ce livre est un livre de philosophie pas comme les autres. Ce qui le distingue, c’est son intérêt pour les applications pratiques. L’auteur, agrégé de philosophie à Tours, entend manifester « ce que nous pouvons tirer d’une grande philosophie pour changer notre vie ». Comme tous les livres de la collection « Vivre en philosophie » (tels Cueillir l’instant avec les Épicuriens, Grandir avec Pascal, Être heureux avec Spinoza, S’affirmer avec Nietzsche, Être libre avec Sartre, Vivre passionnément avec Kierkegaard), il suit une progression en quatre grandes parties : les symptômes et le diagnostic, les clés pour comprendre, les moyens d’agir, une vision du sens de l’existence. Citant Aristote, qui dénonce ceux qui cherchent refuge dans l’argumentation pour devenir vertueux, l’auteur fait comprendre que changer ce qui ne va pas dans notre vie requiert bien autre chose qu’un simple changement d’opinion. Il refuse de voir dans notre ignorance l’origine de nos problèmes existentiels et insiste sur le rôle du désir dans le domaine pratique : « […] si nous voulons comprendre pourquoi la conduite de notre vie nous paraît souvent si pitoyable, c’est plutôt à nos désirs que nous devons nous intéresser » (p. 15). Nous découvrirons alors que le monde de nos désirs est beaucoup plus structuré que nous ne le pensons. Ils sont intriqués selon une organisation complexe de moyens et de fins. Il y a une hiérarchie des fins, une priorité à accorder au désir de bonheur, pour donner cohérence à notre vie. Mais quelle image du bonheur règle notre vie ? Attention, ici : « La recherche du plaisir en lieu et place du bonheur est la cause dissimulée de bien des souffrances que nous pourrions nous épargner » (p. 35). Voilà pour le diagnostic : nous en voulons toujours plus, « notre intempérance nous conduit à rechercher des occasions de douleur » (p. 43). La première clé pour comprendre comment échapper au malheur dans lequel nous entraîne notre recherche du plaisir, c’est de bien identifier ce qui fait problème : « […] ce n’est pas le plaisir lui-même qui est un mal, c’est seulement sa recherche en tant que “bien suprême” » (p. 48). Comment venir à bout de notre profond sentiment d’inachèvement ? À la suite d’Aristote, le lecteur est invité à chercher à satisfaire son désir naturel d’épanouissement, d’accomplissement. À désirer, en somme, l’excellence, la vertu, qui est, pour un homme, de bien agir et de bien penser. Pour y parvenir, il nous faudra sans cesse délibérer, pour trouver chacun notre vertu, au gré des circonstances. Et découvrir « les vertus de l’égoïsme » (c’est pour soi que l’on vise l’excellence), les « impasses de l’altruisme », se rendre compte que le vrai plaisir est dans l’action et qu’il est important de développer de bonnes dispositions affectives, quitte à devoir refaire, appétits irrationnels obligent, toute une éducation sentimentale. Quant aux moyens d’agir, il s’agira « d’agir comme agirait le vertueux » (p. 91). Les habitudes saines seront de puissants alliés dans notre combat contre les comportements routiniers tenaces et l’inattention. Et pour éviter de tomber dans le piège de l’inertie, de la mollesse. Comment défaire une habitude nocive ? Grâce à une autre : « […] des actes répétés peuvent installer en nous de bonnes dispositions » (p. 98). Une fois profondément enracinées, les bonnes habitudes viendront garantir la permanence d’un comportement réglé pour surmonter les situations de crise. Il faut aussi apprendre à sentir, former notre sensibilité au plaisir, devenir connaisseur en la matière, tel …