Recensions

Olivier Ducharme, Pierre-Alexandre Fradet, Une vie sans bon sens. Regard philosophique sur Pierre Perrault. Préface de Jean-Daniel Lafond. Québec, Éditions Nota Bene (coll. « Philosophie continentale »), 2016, 210 p.[Record]

  • François Arsenault

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  • François Arsenault
    Université de Montréal

Il n’existe, du moins en apparence, aucune affinité entre le documentariste québécois Pierre Perrault et la pensée philosophique. Perrault fut très critique à l’égard de la philosophie ; il la croyait, entre autres, incapable d’exprimer adéquatement la vérité qui émane de la parole d’un peuple. Dans leur ouvrage intitulé Une vie sans bon sens. Regard philosophique sur Pierre Perrault, les auteurs Pierre-Alexandre Fradet et Olivier Ducharme relèvent un défi ambitieux : montrer qu’il est possible d’établir un dialogue entre l’oeuvre perraultienne et la philosophie. Pour y arriver, des auteurs tels Friedrich Nietzsche, Michel Henry et Pierre Bourdieu seront convoqués. Selon Fradet et Ducharme, le cinéma de Perrault et la pensée de ces auteurs convergent sur la question de la vie. Dans la première partie de l’ouvrage, Fradet et Ducharme mettent en relief l’idée selon laquelle le concept de vie parvient à s’accorder, chez Nietzsche et Perrault, lorsqu’on le traite sous l’angle du devenir. Dans l’optique nietzschéenne, le devenir est lié à l’une des principales tâches auxquelles doit se vouer le philosophe : désamorcer la croyance voulant que le réel soit fondé ontologiquement. Une fois dépouillé de cette croyance en des catégories fixes et éternelles, le réel est perçu comme fourmillant de possibilités inouïes. Conscient du caractère incoercible du réel, l’homme n’oriente plus son devenir en fonction d’un modèle que lui imposerait, par exemple, sa société ; ainsi, plutôt que de devenir le reflet des autres, il se crée à sa propre image. Il devient alors qui il est. À partir de ces quelques remarques sur le devenir chez Nietzsche, il est possible, selon les auteurs, de tisser des liens avec le cinéma de Perrault. Tout d’abord, Perrault insiste sur le potentiel émancipateur de la mémoire. Lorsqu’il réactualise des traditions quasi oubliées, son objectif n’est pas de promouvoir un retour à des pratiques du passé, mais d’enrichir le présent de nouvelles possibilités d’existence. La mémoire ne doit pas servir à préserver le présent dans les formes du passé, mais bien à éclaircir le présent de nouvelles possibilités. L’importance accordée au devenir est également observable, chez Perrault, dans la critique qu’il adresse au cinéma de fiction. Il reproche notamment à la fiction d’obstruer le devenir en subsumant les comédiens sous des types d’existence réifiés. En effet, « ces comédiens refusent de forger leur propre personnalité et de devenir qui ils sont, dans la mesure où ils agissent en fonction d’attitudes et de manières prédécoupées, jugées immuables et transmises par la société […] » (p. 63). Le documentaire perraultien, beaucoup plus souple dans sa forme, laisse aux participants le loisir de devenir qui ils sont. Enfin, le devenir est mis de l’avant par Perrault sur la question de la culture vernaculaire et, plus particulièrement, sur la question du rapport entre le créateur et la société. Selon le cinéaste, le créateur doit libérer la société de ses habitudes sclérosantes en lui permettant d’élargir le cercle de ses expériences. Le créateur doit donc inciter la société à se transformer. Dans la deuxième partie de l’ouvrage, Fradet et Ducharme se concentrent sur le second versant de la notion de vie, c’est-à-dire l’actualisation. Il sera question, cette fois, de rapprocher l’oeuvre perraultienne de la pensée de Michel Henry et de Pierre Bourdieu. Selon Henry, la tâche de la phénoménologie est de décrire l’affectivité, soit le rapport charnel qui fonde notre accès au monde. Tandis que la phénoménologie henryenne circonscrit les conditions de possibilité de notre accès au monde par le biais de l’écriture théorique, l’oeuvre de Perrault, soulignent les auteurs, « fait voir comment le rapport à la vie peut s’incarner à travers la parole et …