Notes critiques

À propos d’un ouvrage récent de Johann Michel[Record]

  • Jean-François Côté

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  • Jean-François Côté
    Département de sociologie, Université du Québec à Montréal

On se doit se souligner l’importance de la publication de ce livre de Johann Michel, et cela à plus d’un titre, car non seulement présente-t-il une vue d’ensemble nouvelle sur une anthropologie philosophique, mais il le fait en introduisant une problématique et une méthodologie herméneutiques, ce qui le place dans la catégorie très restreinte des livres programmatiques appelés, sinon à faire école, du moins à ouvrir un immense champ de questionnements et d’analyses en sciences humaines, en devenant leur point de référence. En logeant son approche du côté de la philosophie de Paul Ricoeur, Johann Michel opte pour un parti pris au sein de la théorie herméneutique contemporaine, qui demeure tout de même un incontournable dans cette voie de réflexion, mais qui n’est pas sans poser quelques problèmes, ne serait-ce que par le ou les débat(s) qu’il appelle ce faisant. Cette note critique est écrite dans cet esprit. L’ouvrage se présente en deux grandes parties (« Le dévoilement ordinaire du monde » et « Le déchiffrement savant des signes »), comportant chacune trois chapitres, dans un souci de répartition systématique visant à cerner l’ensemble des questions à l’étude en posant les jalons nécessaires à leur traitement. Il s’agit ici, fondamentalement, de poser l’interprétation comme étant inhérente à la condition humaine, en tant qu’elle est « constitutive de l’ensemble des manifestations de l’être humain » (p. 9). La perspective globale s’ouvre sur une problématique aussi simple que complexe, exprimée comme suit : « L’homo interpretans se dresse lorsque le monde des significations a perdu son évidence. L’absence de sens transparent appelle la conquête corrélative d’une présence signifiante » (p. 10). Cet appel trouve il va sans dire un écho frappant dans l’époque actuelle, autant du point de vue existentiel que du point de vue du programme des sciences humaines, et c’est bien à ces deux versants de la question que le livre se consacre. L’entrée en matière se fait d’ailleurs dans le vif du sujet, alors que le chapitre 1 (« Le dévoilement ordinaire du monde ») passe en revue l’enracinement animal dans l’horizon de la signification (intégrant entre autres la notion de Umwelt de von Uexküll), afin de passer à l’humaine condition dans l’univers de la symbolisation, telle que l’a traitée la philosophie du langage au 20e siècle, de Cassirer à Heidegger et jusqu’à Wittgenstein, et au-delà, pour culminer sur une interrogation sur « l’auto-interprétation et l’étrangeté à soi-même » (p. 51-61). On reconnaîtra dans ce dernier thème déjà un rappel à la réflexion de Ricoeur, qui ira s’approfondir tout au long du parcours proposé, et qui marque de manière précoce une préoccupation réflexive dont ne peuvent se passer ni la subjectivité individuelle en général, ni la conduite analytique dans l’horizon scientifique. Le chapitre 2 (« Le monde de la vie et le miroir du sens ») pose la question des grands registres interprétatifs des mondes préhistoriques et historiques, allant du mythe à la religion, puis à l’anthropologie sociale et culturelle et à l’ethnologie, afin de camper de façon nette l’universalité de cette inscription signifiante dans le registre du fondement des sociétés humaines. Les références à Descola, Lévi-Strauss ou Bourdieu, qui appelleraient des distinctions de niveaux et d’orientations, sont plutôt mises à contribution afin de parfaire une problématique qui vise à cerner comment le monde de la signification symbolique s’établit mais aussi se fracture, au travers d’une évolution dont le sens même ne peut nous apparaître que sous cet angle de ruptures et de tentatives de reprises de la continuité — avec, ici, une manière surprenante de voir comment cela peut s’accorder avec la « théorie de l’agir …

Appendices