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Note sur le Commentaire d’Ockham au Traité de l’interprétation d’Aristote[Record]

  • Claude Panaccio

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  • Claude Panaccio
    Département de philosophie, Université du Québec à Montréal

La plus grande partie du prologue d’Ockham à son commentaire du Perihermeneias est consacrée à un excursus sur le statut de ce qu’Aristote appelle (dans la traduction latine de Boèce) des « passiones animae », dont les mots oraux, dit-il, sont les symboles. De quoi s’agit-il, demande Ockham ? Sont-ce des choses extérieures, des réalités dans l’esprit ou des entités purement idéales qui n’auraient pour seule existence que d’être pensées ? Ce passage montre une structure assez énigmatique en ce qu’il propose sur cette question deux rondes successives de discussion et deux listes de positions qui se recoupent l’une l’autre. Ockham présente d’abord quatre doctrines, dont les deux dernières lui paraissent plausibles (§ 4.1-7.4 dans l’édition Lafleur-Carrier), puis il semble reprendre le sujet au début pour exposer maintenant trois positions (§ 8.2-10.3). Philotheus Boehner, l’un des grands spécialistes d’Ockham au milieu du vingtième siècle, trouvait cette organisation « quelque peu désordonnée » et « confuse » et il croyait que le passage avait dû faire l’objet de deux rédactions successives, tandis que les responsables de l’édition critique du Franciscan Institute ne le pensent pas. Claude Lafleur et Joanne Carrier exposent bien dans leur introduction la conjecture de Boehner et les arguments avancés de part et d’autre. Je voudrais ici expliquer pourquoi je ne souscris pas, quant à moi, à l’hypothèse de la double rédaction. Le texte se comprend mieux à mon avis si l’on y voit le travail continu d’une pensée en gestation. La clé de l’organisation du passage se trouve dans une distinction entre des positions que j’appellerais « déterminées » ou « spécifiques » et qui ont vraisemblablement été soutenues telles quelles à l’époque d’Ockham ou dans les décennies précédentes — ce sont les quatre premières dans son exposé — et des positions « génériques », qui correspondent aux trois autres ; il utilise lui-même au sujet de ces dernières les expressions « opinio in genere » (§ 8.1) et « opinio principalis » (§ 10.1). Cette distinction se comprend bien quand on porte attention au rapport entre la deuxième position de la deuxième liste (les passions de l’âme sont des qualités réelles de l’esprit) et les trois premières de la première liste, qui spécifient de quelles qualités au juste il pourrait s’agir : des qualités réellement distinctes des actes d’intellection et qui en seraient les objets (§ 4.1), des « species » qui précéderaient les actes d’intellection et en constitueraient le point de départ (§ 5.1), ou les actes d’intellection eux-mêmes (§ 6.1). Comme les commentateurs l’ont souvent observé, l’essentiel du texte tient dans la confrontation entre les deux théories des concepts (ou « passions de l’âme ») que Guillaume estime alors les plus plausibles : celle qui les identifie à des actes d’intellection, qu’il adoptera peu après, et celle qui en fait de purs objets de pensée, la théorie dite des ficta, qu’il favorisait dans son commentaire des Sentences. Il conserve temporairement les deux possibilités à la fin de l’excursus, laissant aux « hommes d’étude » (les studiosi) le soin de creuser la question davantage (§ 10.4). Mais il est frappant que la théorie de l’acte occupe au total dans cette discussion beaucoup plus d’espace que l’autre : trente et un paragraphes dans l’édition Lafleur-Carrier (§ 6.1-6.14 et § 9.1-9.17) contre sept seulement pour la théorie des ficta (§ 7.1-7.4 et § 10.1-10.3). Tout se passe comme si Ockham en rédigeant ce texte se livre à une réflexion beaucoup plus approfondie qu’avant sur l’idée que les concepts pourraient bien n’être que les actes d’intellection eux-mêmes. La distinction entre les opinions déterminées et les …

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