Recensions

Talitha Cooreman-Guittin, Marie-Jo Thiel, dir., La vulnérabilité au prisme du monde technologique. Enjeux éthiques. Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg (coll. « Chemins d’éthique »), 2020, 270 p.[Record]

  • Elaine Champagne

…more information

  • Elaine Champagne
    Université Laval, Québec

Le transhumanisme fait beaucoup plus que nourrir l’imaginaire. Il investit bien concrètement jusque dans les pratiques quotidiennes relatives au corps — et pas seulement en milieu médical. Alors que la familiarité avec les apports du monde technologique contribue à leur normalisation, ces apports et les pratiques qui en découlent nous concernent et nous affectent toujours plus intimement sans que nous prenions toujours la mesure de leurs impacts ou de leurs conséquences. Dans ce contexte, les questions éthiques deviennent encore plus cruciales. Prendre conscience de l’ampleur de la place qu’occupe déjà la technologie dans l’amélioration des « fonctionnalités » de notre corps (implants, reconstructions, mais aussi médications et vaccinations, par exemple) peut donner le vertige. Et s’intéresser au statut de la vulnérabilité en regard du désir « presque absolu » de mieux-être ou du dépassement de soi vient bousculer les croyances au sujet de ce que peut signifier « l’accomplissement humain ». La vulnérabilité vient ébranler l’illusion de l’humain augmenté. Le collectif qu’ont dirigé Marie-Jo Thiel et Talitha Cooreman-Guittin approfondit ces questions avec nuances et finesse. Il se situe clairement dans le champ éthique, et en particulier en éthique médicale, mais il touche aussi à la philosophie et la théologie, l’économie, l’éducation, le travail, l’environnement, le management, et jusqu’au monde militaire. La vulnérabilité se définit comme cette « capacité à être blessé ». Elle s’inscrit essentiellement dans un mode relationnel, et donc spirituel. Dans le même ordre d’idées, c’est justement cette capacité à être touché, influencé, transformé par son environnement qui constituerait la principale caractéristique du vivant. Le vivant sans cesse doit s’adapter à son environnement et interagir avec lui. Or, être humain, c’est aussi être conscient de sa propre vulnérabilité, être capable d’envisager sa finitude. La vulnérabilité renvoie donc indissociablement à ce qui fait que l’humain est non seulement vivant, mais humain. « Vivre, c’est toujours expérimenter la vulnérabilité liée à notre ouverture au monde et à notre dépendance » (Thiel, p. 67). Les recherches et les développements technologiques contribuent à pallier les limites de l’humain qui souffre, qui se trouve brimé dans son fonctionnement quotidien à cause de fragilités propres, ou qui cherche toujours à se dépasser. Loin d’intenter un procès au monde technologique dont la contribution est bien réelle, l’ouvrage expose les enjeux de l’articulation de la technologie et de la vulnérabilité. Je relève au moins trois questions transversales soulevées par les auteurs et autrices du collectif. La première de ces questions vise au coeur même de ce qui définit la spiritualité : la question de sens. Le monde de la santé et la société de manière plus générale sont passés d’une recherche de bien-être par des soins et des pratiques qui peuvent bénéficier de la technologie, à une recherche de mieux-être plus globalement partagée. Ce déplacement subtil, mais bien réel, fait passer l’humain d’une dynamique de soins à une dynamique du besoin qui ne connaît pas de limites. Si on n’y prend garde, le besoin (réel ou créé) risque de condamner à une perpétuelle insatisfaction puisque « mieux » reste toujours possible. Quelle est la visée d’une amélioration de l’humain ? Quel sens lui accorder ? D’un point de vue spirituel, quelle visée attribuer au mieux-être, selon ce que chacun conçoit, mais aussi selon ce que proposent les modèles explicites et implicites offerts par les sociétés et les cultures ? On ne peut se satisfaire de vivre « pour se sentir mieux », même si ce désir demeure légitime. Le mieux-être ne peut constituer le sens d’une vie. Comment ou vers quoi orienter ce désir ? S’agit-il alors de performer pour atteindre l’idéal collectivement construit d’une humanité …