Notes critiques

Vues nouvelles sur l’évangile marcionite et le tétraévangile[Record]

  • Paul-Hubert Poirier

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  • Paul-Hubert Poirier
    Faculté de théologie et de sciences religieuses, Université Laval, Québec

* À propos de Matthias Klinghardt, The Oldest Gospel and the Formation of the Canonical Gospels. Part I : Inquiry. Part II : Reconstruction - Translation - Variants, Leuven, Paris, Bristol, Peeters (coll. « Biblical Tools and Studies », 41), 2021, 2 vol., xvii-502 p. et p. 503-1409.

Depuis une dizaine d’années, le nombre de publications consacrées à l’évangile de Marcion a littéralement explosé. Cette situation est essentiellement due à la remise en question de l’opinio communis qui prévaut depuis Tertullien, selon laquelle Marcion aurait publié une version abrégée et modifiée de l’évangile canonique de Luc expurgé de ses traits judaïsants, dont il aurait fait son « évangile ». Celui-ci, joint à l’édition marcionite du corpus paulinien, réduit à dix lettres (dans cet ordre : Ga, 1-2 Co, Rm, 1-2 Th, Laodicéens [= Ep], Col, Ph, Phm), constituait le « Nouveau Testament » marcionite. Cette façon de voir les choses s’est imposée surtout à la suite des travaux de Theodor Zahn et d’Adolf von Harnack, qui, à partir des citations de Tertullien, d’Épiphane de Salamine et du De recta in Deum fide d’Adamantius, ont reconstitué l’Euanggelion et l’Apostolikon ou Apostolos de Marcion. La perspective imposée par Tertullien et les autres hérésiologistes a été récusée plus récemment par Markus Vinzent, dont le Marcion and the Dating of the Synoptic Gospels renversait en quelque sorte la pyramide : l’évangile composé par Marcion, loin d’être une révision tendancieuse de celui de Luc, était promu au rang de premier évangile et devenait la source des quatre canoniques. La thèse de Vinzent n’était toutefois pas nouvelle : elle a été avancée à de multiples reprises depuis la fin du xviiie siècle. Déjà en 1767, Johann Salomo Semler affirmait l’originalité et l’antériorité de la recension évangélique marcionite par rapport à l’évangile canonique de Luc. L’attaque frontale menée par Vinzent a eu au moins le mérite de montrer les faiblesses de la thèse traditionnelle et de rappeler qu’on ne peut réduire Marcion à la caricature qu’en ont faite les hérésiologues ni faire abstraction de son rôle dans la constitution des écritures chrétiennes. L’ouvrage que nous présentons dans cette note constitue l’essai le plus massif de reconsidération de l’évangile marcionite à avoir jamais été publié. Il s’agit de la traduction anglaise d’un ouvrage allemand paru en 2015 sous le même format. L’équivalent anglais n’est toutefois pas une simple traduction de l’original allemand. Il s’agit pratiquement d’une nouvelle édition. De nombreux éléments de détail ont été ajoutés, modifiés ou corrigés au fil du texte et, outre une préface propre à l’édition anglaise, l’auteur a rédigé, pour la fin de la première partie (p. 409-441), un « Epilogue on Methodology » intitulé « The Marcionite Gospel in Recent Discussion » dans lequel il répond aux critiques formulées à la suite de la parution de l’ouvrage allemand. Le premier volume de cette monographie s’intitule « Enquête » et comporte quinze sections (identifiées par le signe §) réparties en cinq chapitres suivis d’un épilogue. Le premier chapitre, « Inquiry and Topic », propose tout d’abord (§ 1) un aperçu de la recherche consacrée aux évangiles canoniques au xixe siècle (question synoptique et relation de Luc et de l’évangile marcionite [désigné par le sigle *Ev, que nous reprenons]). Dans la seconde section du chapitre (§ 2, « Inquiry and Thesis »), l’auteur énonce clairement et son projet et le résultat final de son enquête : « En inversant la relation traditionnelle entre Luc et l’évangile marcionite, on obtient un texte supplémentaire — l’évangile marcionite — qui est très pertinent pour le réseau des relations synoptiques. Ce renversement de la relation éditoriale entre l’évangile marcionite et Luc constitue le coeur de cette enquête » (p. 22). Il énonce ensuite les trois thèses, curieusement qualifiées d’« aperçus » ou « points de vue » (Insights, dans la version allemande : Einsichten), qui constituent le socle …

Appendices