La clinique ancienne et ses écrituresLiminaire[Record]

  • Valéry Laurand

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  • Valéry Laurand
    UMR 4574 SPH, Université Bordeaux Montaigne

Le terme « clinique » est aujourd’hui omniprésent dans le discours médical, revendiqué à tous les niveaux, au point qu’il semble constituer une norme, voire même l’idéal du « bon médecin ». Dans le même temps, on ne peut que constater une très grande polysémie du terme, qui rend flous ses contours et ses usages. Or les diverses conceptions et compréhension de la nature de la clinique, d’un fait, d’une pratique ou d’un cas cliniques, engagent des conséquences à la fois sur le statut épistémique de la médecine mais également des conséquences éthiques sur sa pratique. Depuis 2015, dans le cadre du master « Philosophie : Soin, éthique et santé » de l’Université Bordeaux Montaigne, un colloque ou une journée d’étude réunit tous les ans des philosophes, des médecins, des professionnels du soin, des psychologues, des psychanalystes, auxquels s’ajoutent selon les années des historiens et des juristes, autour d’une question qui permet un abord renouvelé de la notion de clinique : « Parrhêsia (franc-parler) et médecine » (2015), « La honte, problématiques antiques et contemporaines » (2016), « Diagnostic : parrhêsia (franc-parler) et conflit des interprétations » (2017), « Extension du domaine de la clinique : un état des lieux » (2018), « Écritures de la clinique » (2019), « Ce que la Covid a fait à la clinique » (2021), « Clinique et transgression » (2022). La spécificité de ces rencontres pluridisciplinaires tient dans ce qu’une place importante est réservée à l’Antiquité — histoire et philosophie. Ce geste tend moins à annuler les distances historiques et les différences des problèmes qu’à favoriser ce qu’on pourrait appeler des phénomènes d’échos : les échos antiques dans les pratiques contemporaines peuvent permettre de lever des ambiguïtés au sujet de l’usage du terme (substantif ou adjectif) « clinique », tandis que les pratiques contemporaines et les interrogations qu’elles suscitent peuvent, en retour, fournir de nouvelles grilles d’analyses des textes antiques. Si le terme grec klinikos (littéralement : au lit du patient) est plus que rare dans la littérature ancienne, il n’en reste pas moins que la démarche, elle, est clairement avérée. Dans les occurrences anciennes comme modernes de la clinique, il s’agit bien d’articuler autour du corps du patient ou de son âme, observation, discours, traitement et souci éthique. Ce nouage implique une constante réévaluation de chaque élément par les autres, dans le respect des normes (légales, éthiques). Néanmoins, le statut épistémologique dont le discours s’autorise implique de profondes variations dans l’approche du fait clinique. Il s’agit de comprendre quel type de rationalité le terme « clinique » engage, rationalité qui mêle, hier comme aujourd’hui, observation de cas individuels, établissement de généralisations dans une recherche des causes, établissement d’un diagnostic, stratégie de soin, mais également, et depuis Hippocrate, souci éthique dans la relation entre soignant et patient. Les cinq contributions qui suivent, et qui ont d’abord été des interventions prononcées lors d’un de ces colloques bordelais, voudraient témoigner de cette démarche. Les textes ne peuvent hélas rendre compte des discussions qu’ils ont alors suscitées — il ne s’agit en somme que d’un versant du pari interdisciplinaire que se joue chaque année, le versant antique. Mais chacun d’eux indique suffisamment de passerelles, de ces « échos » qui font la richesse et la complexité de la notion de clinique, pour donner un aperçu de la pertinence de la référence à l’Antiquité : pertinence pour la compréhension de ce qu’on appelle « clinique » en ne sachant pas toujours ce que recouvre le terme, mais également pertinence pour la compréhension de ce qui s’impose toujours comme une pratique prise dans une relation entre soignant …