Notes critiques

À propos d’un ouvrage récent d’Isabelle Koch[Record]

  • Francis Lacroix

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  • Francis Lacroix
    Faculté de philosophie, Université Laval, Québec

*Cette note critique porte sur l’ouvrage d’Isabelle Koch, La causalité humaine. Sur le De fato d’Alexandre d’Aphrodise, Paris, Classiques Garnier, 2019, 533 p.

L’introduction revient d’abord sur le statut paradoxal du De fato. En utilisant la littérature secondaire, Koch rappelle que « l’ouvrage est perçu comme une oeuvre philosophiquement moins réussie que les autres traités ou que les commentaires qu’Alexandre a consacrés à l’oeuvre d’Aristote » (p. 10). Il faut savoir que le De fato demeure à ce jour « le traité d’Alexandre d’Aphrodise le plus traduit et le plus étudié » (p. 14). Le destin était un thème très en vogue au iie siècle de notre ère, mais en lisant Aristote sur ce sujet, l’élève devait rester sur sa faim, le terme εἱµαρµένη n’apparaissant pratiquement pas chez le Stagirite, et n’étant jamais utilisé dans un sens technique (p. 12). Plusieurs commentateurs de renoms (Donini, Thillet, Duhot, Long) ont par ailleurs relevé de nombreuses incohérences dans ce texte qui aurait un « plan superficiel » et qui se « forge un adversaire sur mesure » (p. 10, n. 5-6). Sharples indique quant à lui que le De fato n’est pas vraiment intéressant pour sa théorie du destin, mais qu’il le serait plutôt pour sa polémique contre les déterministes, plus particulièrement contre les stoïciens (p. 11-12, n. 13). Néanmoins, le De fato constitue un témoignage majeur des débats antiques sur le déterminisme et sur l’éthique. Alexandre est, selon Suzanne Bobzien, « le premier auteur, historiquement, qui est parvenu à formuler en des termes modernes, proches du débat contemporain, les problèmes qui se posent lorsque la question physique du déterminisme causal croise la question éthique de la responsabilité humaine ». L’ouvrage n’est donc certainement pas sans intérêt philosophique et le défi que Koch souhaite relever dans son étude n’est pas simple : nous révéler le travail d’actualisation exégétique qu’est le De fato, lequel tire des solutions aristotéliciennes aux problèmes scientifiques et philosophiques contemporains d’Alexandre (p. 40-41). Pour ce faire, Koch s’intéressera à la structure du traité, qui comporte une pars destruens et une pars construens. En effet, après deux chapitres introductifs, Alexandre présente la doctrine péripatéticienne du destin (chap. 3-6), mais s’y attarde très brièvement, car les chapitres 7 à 38 sont consacrés à réfuter les stoïciens. La première partie de l’ouvrage retrace une définition du destin propre à Alexandre dans la pars construens du De fato. Le philosophe définit le destin comme « une cause qui fait que les choses se produisent comme elles se produisent » (p. 47), donc à une cause efficiente. La commentatrice replace le traité dans son contexte historique et mobilise des textes stoïciens et aristotéliciens tout au long de son ouvrage. L’exemple de la statue, qu’Alexandre utilise en De fato 3 et qui se retrouve également chez Sénèque, en est un bon cas de figure (p. 50-54). À première vue, ces multiples recours aux textes antiques semblent parfois fastidieux, mais le plus souvent, l’auteure réussit à faire des rapprochements qui nous aident à mieux comprendre le contexte de confrontation entre Alexandre et ses adversaires. Koch s’intéresse aux τὰ κατὰ λόγον γινόμενα, qui peuvent être considérés comme des produits de la τέχνη ou encore comme des actes gouvernés par une προαίρεσις, à savoir les πράξεις. Construire une maison ou faire une action à la suite d’un choix ne peuvent, selon Alexandre, être des actions qui se produisent selon le destin. Les passages à l’étude sont bien discutés et éclairants. Alexandre place le destin sous l’égide des causes efficientes naturelles et assimile celui-ci à la nature, mais élimine la possibilité de placer le destin dans la classe des choses qui n’arrivent en vue de rien et de ce qui se produit κατὰ λόγον, ce qui vise …

Appendices