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Ce livre porte sur le premier chapitre de l’Évangile selon Matthieu à partir d’un intérêt pour la paternité de Joseph et des autres pères de la généalogie de Jésus. Il s’ouvre en promettant que les lecteurs vont « découvrir quelque chose d’extraordinaire » (p. xi) qui, selon l’auteur, n’a pas été travaillé avant lui. Malgré cette formulation un peu prétentieuse, il est vrai que la caractérisation de la paternité et des structures patriarcales en Mt 1 est un sujet fécond et curieusement sous-étudié pour un texte qui présente Jésus comme le descendant d’une quarantaine d’hommes. L’auteur réfère bien à une dizaine de travaux précédents, mais uniquement pour tenter de souligner son originalité. Après le troisième chapitre (sur les dix que compte le livre), il n’y a pratiquement plus de discussion avec les autres chercheurs.

La thèse centrale du livre est que Mt 1 est un texte patriarcal qui critique le patriarcat pour ouvrir une possibilité différente « d’être père ». Ainsi cet évangile aurait été compris par un lecteur de l’Antiquité comme une attaque du patriarcat (p. xii). La méthode préconisée est synchronique, notamment par une attention à la structure du texte. L’auteur met beaucoup d’effort pour distinguer ce qui est dans le texte biblique et ce qui n’y est pas. En effet, l’histoire de l’interprétation de Mt 1 est particulièrement marquée par de nombreux présupposés de lecture qui sont habillement déconstruits dans ce livre. Cela dit, la prétention de l’auteur à poser des « texts based questions » ne va pas de soi. Même avec une grande attention portée au texte biblique, les questions proviennent bien du lecteur qu’il est. Sur le plan méthodologique, les études de genres auraient pu donner un ancrage théorique important. Par exemple, les études des masculinités sont à peine mentionnées et le concept de patriarcat au coeur du projet n’est jamais défini et n’est pas situé par rapport à la critique féministe qui l’a développé.

La grande majorité des interprétations proposées sont pertinentes. Par exemple, l’auteur souligne avec justesse que l’héritage davidique attribué à Jésus en Mt 1 comporte une critique de cet héritage (p. 22). Le parallèle entre Judas en Genèse 38,24-26 et Joseph en Mt 1,18-25 est particulièrement intéressant. Dans les deux cas, il s’agit d’une histoire d’un homme qui découvre qu’une femme est enceinte sans connaître l’origine de l’enfant. Si Judas prend une décision rapide, sévère et publique, la réponse de Joseph est quant à elle privée, discrète et mesurée. La paternité des deux est marquée par la surprise et révèle un passage vers la reconnaissance d’un héritier qu’ils n’attendaient pas. L’auteur souligne que les patriarches associés aux cinq femmes de la généalogie sont au coeur de paternités non planifiées.

Le court épilogue oriente le regard vers l’ensemble de l’Évangile selon Matthieu pour des indices d’un recadrage du patriarcat dans cet évangile qu’il situe en l’opposant au féminisme. « In Matthew, we do not find a modern western kind of feminism in which the women are raised up to have the same kind of powers and privileges as those possessed by the free men. Instead, there is a demoting of human patriarchy by challenging the desire for patriarchal powers and privileges » (p. 131). La mise en parallèle du premier et dernier chapitre de Matthieu montre le passage d’une généalogie linéaire vers une mission « adelphi-lateral » donnée aux « frères de Jésus » pour une extension horizontale.

L’ensemble est un livre facile à lire avec plusieurs courts chapitres qui explorent Mt 1 avec un angle d’approche intéressant. Malheureusement, le travail reste déconnecté des importantes analyses du patriarcat en études féministes et des travaux sur la question des masculinités. La thématique de la paternité en Matthieu pourrait donner lieu à des réflexions herméneutiques en lien avec les conceptions contemporaines des paternités ou des manières chrétiennes « d’être père », mais l’auteur se limite à discuter du texte biblique.