Pratiques cartographiques en Nouvelle-FranceLa prise en charge de l’État dans la description de son espace colonial à l’orée du xviiie siècle[Record]

  • Jean-François Palomino

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  • Jean-François Palomino
    Bibliothèque et Archives nationales du Québec

Le présent article s’inscrit dans une enquête plus large sur le rôle des savoirs géographiques en milieu colonial, plus spécifiquement en Nouvelle-France. Il se veut une présentation des principaux enjeux cartographiques accaparant l’État français à l’orée du xviiie siècle. Faut-il y voir les effets d’une meilleure organisation archivistique sous la férule de Colbert ? Toujours est-il que les années 1680 sont particulièrement fastes en matière de cartographie. En effet, les archives coloniales regorgent de cartes du Canada datant de cette période, durant laquelle des professionnels aguerris à l’art du dessin jettent les bases d’une nouvelle cartographie appuyée par l’État. Ils se nomment Villeneuve, Deshayes, Jolliet et Franquelin et, tous ensemble, couvrent l’essentiel de la cartographie pratiquée en Nouvelle-France : topographie, hydrographie, description continentale. D’autres avant eux se sont adonnés à cet art, mais pas de façon aussi systématique. L’un d’entre eux, le géographe du roi Jean Baptiste Louis Franquelin, expose d’ailleurs assez clairement ces enjeux dans deux mémoires présentés aux secrétaires d’État à la Marine. Dans le premier mémoire, datant de 1689, Franquelin suggère d’explorer, de cartographier et de tracer les limites de l’empire français pour empêcher l’ennemi de s’y installer et d’en contrôler les voies d’accès. Il propose d’envoyer, au sud ou au nord, « une personne qui puisse tirer des lignes justes et former des limittes en plantant des bornes avec les armes de Sa Majesté ». Trois ans plus tard, après avoir perdu sa femme et plusieurs de ses enfants dans un naufrage sur le fleuve Saint-Laurent, Franquelin rédige un vaste programme cartographique décliné en plusieurs volets : Si, dans leur ensemble, ces propositions apparaissent relativement ambitieuses par rapport aux moyens alors consentis par l’État, elles permettent néanmoins de cerner les enjeux d’ordre géographique qui occupent les Français au début du xviiie siècle, alors que l’État se construit et cherche à mieux administrer son espace colonial. Ces propositions ne sont pas seulement le fruit d’un homme désemparé cherchant une occupation pour oublier son malheur ; il faut surtout les voir comme le reflet de ce qui est concrètement envisageable et de ce qui est localement nécessaire. Reste à savoir jusqu’à quel point l’État central est en mesure d’investir les sommes nécessaires pour en assurer la réalisation. « Voici Mgr l’un des dessineurs que j’ay eu l’honneur de vous proposer. […] Du surplus il est capable de bien lever les plans et profils de quelque lieu que ce soit et d’assez bien faire une carte qui est a mon avis tout ce qui peut vous faire besoing au pais ou vous voulez l’envoyer. » Écrivant au ministre Seignelay, le commissaire des fortifications Vauban poursuit ainsi : L’ingénieur dont il est question dans l’extrait ci-dessus promet d’être un excellent dessinateur. Tant mieux si, en plus, il est joli garçon… Recommandé par Vauban, Robert de Villeneuve est sur-le-champ engagé par le ministre Seignelay, qui lui ordonne de « partir incessamment […] à La Rochelle » pour y rejoindre Denonville, fraîchement nommé gouverneur de la Nouvelle-France. Dès son arrivée dans la colonie, en mai 1685, Villeneuve s’attelle à la tâche, cartographiant tout d’abord la ville et le château de Québec, puis, malgré la maladie qui l’afflige, Trois-Rivières, Montréal et Cataracoui. L’année suivante, il cartographie l’île d’Orléans ainsi que la « tête de la colonie », c’est-à-dire Ville-Marie, Chambly, la Prairie-de-la-Magdelaine, la rivière des Prairies et la seigneurie de la Chesnaye (Lachenaie). Il s’agit, pour le gouverneur, de bien montrer au ministre la nécessité d’occuper ces terres avec des troupes pour sécuriser le pays. La correspondance officielle souligne l’importance géostratégique de Chambly, qui contrôle l’accès au lac Champlain, l’une …

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