En entrant dans l’âge mûr, Voltaire tenta de se convaincre, ou peut-être souhaitait-il convaincre la postérité, que le respectable notaire parisien François Arouet n’était pas son père. On ignore si le jeune François-Marie remettait en question la paternité d’Arouet. En revanche, on sait qu’âgé de 50 ans, Voltaire commença à laisser entendre qu’il était un enfant naturel et que son vrai père était le chevalier Rochebrune, un aristocrate, officier, auteur de chansons populaires et, pour reprendre les termes de Voltaire, « un homme d’esprit ». Dans sa récente biographie, René Pomeau soutient que Voltaire lui-même finit par croire qu’il était de naissance illégitime. Comme on pouvait s’y attendre, plusieurs critiques ont fait le lien avec la naissance de sa création la plus pérenne : Candide, autre enfant naturel. La croyance qu’il était un bâtard aux origines aristocratiques peut, en partie, expliquer pourquoi Voltaire se laisse séduire par l’Histoire de Tom Jones de l’Anglais Fielding. La Correspondance de Voltaire révèle que dès 1750, le poète avait pris connaissance de l’adaptation française de ce roman intitulée l’Enfant trouvé. Un exemplaire de ce livre se trouve à ce jour dans sa bibliothèque à Saint-Pétersbourg. Voltaire disait ne pas particulièrement goûter le roman. En parlant de l’Ancien Testament, il écrit à la marquise du Deffand : « cela me parait meilleur que Tom Jones, dans lequel il n’y a rien de passable que le caractère d’un barbier ». Une étude récente montre néanmoins que par le truchement de la traduction de La Place, il est possible de soutenir que l’Enfant trouvé influença Candide de manière significative, contribuant à ses personnages, à ses thèmes, à sa narration, ainsi qu’au langage qui sous-tend l’ensemble. Que Voltaire sondât sa propre vie en termes littéraires n’a rien de surprenant pour ceux qui connaissent ses multiples déguisements. Qu’il s’identifiât à divers aspects du roman de Fielding n’est donc pas invraisemblable. C’est ainsi qu’on peut mettre en lumière les incidents communs à la vie de Voltaire et à l’Enfant trouvé. Hormis les circonstances de la naissance de Voltaire, mentionnées plus haut, je soulignerai sa relation avec son frère aîné, le janséniste Armand Arouet. Ensuite, une crise déterminante dans la vie du jeune Voltaire : sa bastonnade rue Saint-Antoine par les laquais du chevalier de Rohan. Enfin, je suggérai que Voltaire voyait non seulement son passé dans l’histoire de l’Enfant trouvé : il portait ce roman avec lui pendant une trentaine d’années et en dramatisa un passage bien connu vers la fin de sa vie. Le célèbre épisode de « l’aube sur le Jura » dérive du récit de « l’Homme de la Montagne » rapporté à la fin du Livre 8 de l’Enfant trouvé. Deux événements liés à la naissance de Voltaire touchent notre propos. En premier lieu, Voltaire contesta sa date d’anniversaire officielle. Ensuite, il prétendait que son père biologique était Rochebrune, cité plus haut. À partir de 1750, l’année même où parut l’Enfant trouvé, Voltaire fit circuler que sa naissance était clandestine, et que son père naturel était Rochebrune. L’âge aidant, Voltaire ressentit le besoin d’évoquer une version révisée de sa « nativité ». Mais pourquoi ? Dans une lettre datée du 8 juin 1744, le poète laissa entendre au duc de Richelieu, son ami proche, qu’il était « le bâtard de Rochebrune ». Quel était son but ? Voltaire était enclin aux commentaires provocateurs. Aussi est-il tentant d’interpréter ce propos comme un caprice passager, une foucade. Mais dans la dizaine d’années qui suivirent, Voltaire soutint à au moins deux reprises que Rochebrune était son père. Dans une lettre à sa nièce …
Vie ou fiction ?La biographie de Voltaire à la lumière de l’Histoire de Tom Jones[Record]
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Édouard M. Langille
St. Francis Xavier University