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La bâtisse néoclassique de l’Hispanic Society of America, dans l’Upper Manhattan, abrite une partie des archives du marchand de curiosités et d’antiquités Eugène Boban, actif à Paris, notamment, entre 1862 et 1908. Le parcours de ces archives est difficile à reconstituer, d’autant que d’autres sont conservées à la Bibliothèque nationale de France. Seules informations : elles ont été rassemblées vers 1910 par Hestermann, antiquaire de Leipzig[1]. La dispersion même de ces archives est au cœur de notre sujet. L’Hispanic Society y a vu les archives d’un américaniste. Car, sans que l’on sache comment, Boban démarre sa carrière avec l’expédition du Mexique, collectant dans le sillage des militaires des objets précolombiens (Riviale 2001 : 351-62). Mais installé rue du Sommerard à Paris, il vend toutes sortes de curiosités exotiques : objets du Pacifique, d’Afrique, des Indiens d’Amérique du Nord, des Caraïbes, pierres taillées de la Somme, meubles bretons...

Si la conservation de ses notes et de sa correspondance commerciale est exceptionnelle, Boban n’a rien d’extraordinaire dans une période qui fait commerce du monde. Il est un guide pour comprendre ces circulations et ces échanges, et pour écrire une histoire connectée et comparée de l’exotisme à Paris et à New York—le jeu d’espaces étant au cœur même de la fabrique de l’exotisme[2].

Ses archives donnent des pistes pour comprendre les procédures de création d’objets exotiques—englobant aussi bien un rouet de Long Island qu’une arme du Sénégal. « Exotique » désigne alors, comme le montrent archives commerciales et archives privées, tout ce qui vient d’un autre espace et d’un autre temps (Fabian 2006). Il s’agit ici de comprendre comment un objet est arraché à son espace pour devenir un bibelot qui fait sens par son étrangeté même. La seule opération de délocalisation ne suffit pas : circuits, acteurs, mises en scènes et en récits font qu’un objet devient exotique et le demeure. Cette enquête veut ainsi observer tous les temps de la vie de ces objets. Tout d’abord dans les espaces commerciaux où ils sont découverts par les clients, moment fondateur dans l’histoire privée de ces objets. Ensuite, en interrogeant les manières dont s’organise ce commerce, ce qui fait sa nature, et pour comprendre comment ces objets sont inventés, comment ils changent de statut en quittant le quotidien pour devenir des curiosités. Question tout aussi décisive au moment où le tourisme bourgeois se développe et avec lui le bibelotage. Enfin, ces objets commercialisés ont une destination : les intérieurs dans lesquels ils sont mis en scène, dernier horizon et condition de leur existence (Appadurai 1988 ; Bonnot 2002). La vie des objets se constitue donc ici à la fois de leurs horizons spatiaux successifs (Merleau-Ponty 1960) et de leurs horizons temporels, temps des objets eux-mêmes et temps dont ils sont les porteurs.

1. Espaces et mises en scène d’un commerce

Utopies commerciales

À Paris comme à New York, jusqu’au milieu du XIXe siècle, les quelques collectionneurs et spécialistes de curiosités exotiques peuvent trouver des pièces chez les marchands de curiosités, au sens du XVIIIe siècle, au milieu des objets d’histoire naturelle, des antiquités et des objets d’art (Glorieux 2002). Et les curiosités ethnographiques se découvrent par hasard : c’est dans une petite échoppe qu’Edmond de Goncourt trouve « flèches de sauvages et têtes d’Indiens boucanées » (Goncourt 1881 : 31-32).

L’extension de ces collections dans la bourgeoisie au milieu du siècle passe par une formalisation et une spécialisation du marché. Les antiquaires se distinguent des brocanteurs, et les magasins de curiosités des maisons d’objets d’histoire naturelle—même si pendant longtemps à New York, les objets ethnographiques amérindiens se trouvent significativement aussi dans les boutiques d’histoire naturelle[3]. Ils affichent désormais des spécialités, même si elles ne sont pas exclusives, à l’image de Heymann qui annonce vendre « armes sauvages » et « antiquités » ou de Boban qui affiche « archéologie mexicaine », « ethnographie » et « préhistorique »[4]. La spécialisation passe par le regroupement des boutiques : à Paris, autour du Palais-Royal, lieu de la curiosité et de la nouveauté, et sur les quais de la Seine ; et à New York, au sud d’Union Square et du « furnishing district »[5]. Les boutiques se présentent comme d’utopiques morceaux de territoires lointains (Marin 1973). Boban se place en face de Cluny et de nombreux marchands habillent leurs façades de colombages ; et à New York, les marchands empruntent volontiers leurs devantures à des boutiques des XVIIe et XVIIIe siècles.

La commercialisation de ces objets appelle une mise en scène capable de conserver leur sens et de leur attacher un récit. Un capharnaüm dans la pénombre promet une « trouvaille ». Équilibre subtil chez Boban : les objets les plus savants – préhistoriques et précolombiens – sont étiquetés et rangés dans des vitrines, évoquant un musée, alors que bouddhas, objets de piété populaire, crânes, curiosités naturelles, etc. sont présentés dans un bric-à-brac pittoresque[6]. À l’archaïsme des objets répond un archaïsme économique afin qu’ils n’apparaissent pas comme des marchandises. Les descriptions des boutiques de la 4e avenue soulignent qu’elles sont « fascinantes » par le « désordre poussiéreux » et pittoresque où se devine une « foule d’honorables » (Dyer 1910 : 14)[7]. Les objets, échappant ainsi au régime de la marchandise, peuvent devenir des curiosités signifiantes.

Les boutiques annoncent en outre faire de « l’importation directe », soulignant par là que les objets n’ont pas été dénaturés par le commerce[8]. Quelques caisses, de la paille et des certificats de douane deviennent sceaux d’authenticité. Les moyens de transport sont une composante de l’imaginaire : à Paris, on montre les tapis orientaux chargés sur des chameaux ; et à New York, Vantine & Co annonce par exemple qu’elle « vient juste de recevoir du bateau à vapeur Le Bengal des tapis et carpettes orientaux et des broderies anciennes. Directement à la source »[9]. Et quand Boban commerce avec des Américains à Paris, il prolonge ce simulacre en présentant ses objets dans les hôtels[10].

Enfin, il est préférable que le vendeur lui-même paraisse étranger. Les marchands parisiens n’hésitent pas à jouer de leurs noms[11]. Même logique à New York : Mandil importe des « objets d’art japonais et turc » authentiques puisqu’il « est un natif de Constantinople, et qu’il a résidé dans ce pays les six dernières années », ce qui en fait « le meilleur juge en matière de curiosités »[12].

Figure 1

Fig. 1 Coins de la boutique de l’antiquaire et marchand de curiosités Eugène Boban, boulevard Saint-Germain ou rue Du Sommerard, vers 1875. Fonds Eugène Boban, BnF Manuscrits et Hispanic Society of America, New York City, Box II.

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Figure 2

Fig. 2 Coins de la boutique de l’antiquaire et marchand de curiosités Eugène Boban, boulevard Saint-Germain ou rue Du Sommerard, vers 1875. Fonds Eugène Boban, BnF Manuscrits et Hispanic Society of America, New York City, Box II.

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De l’image au bibelot et retour

Ces objets appellent une publicité singulière. Les marchands font photographier leurs objets en format carte de visite ce qui permet d’en expédier de multiples par courrier[13]. En retour, les amateurs envoient des photographies de leurs objets à vendre et d’eux-mêmes avec leur collection[14]. Se met ainsi en place une publicité de l’objet unique à l’échelle internationale.

Grâce à ce lien entre image et commerce de l’exotisme se construisent des alliances entre marchands et peintres. Dans une période qui goûte une peinture documentée, les orientalistes travaillent à partir de collections d’objets pour dépeindre une « couleur locale » (Eudel 1888). En retour, leurs tableaux servent de publicités. Boban, qui fournit Jean-Paul Laurens en objets mexicains, utilise le succès de ses tableaux à des fins publicitaires[15] et le Bon Marché s’associe avec Gérôme dans les tableaux duquel les clients peuvent observer les tapis orientaux qu’il vend[16]. Les photographes jouent aussi un rôle dans la promotion des curiosités en exposant des petits musées qui peuvent devenir décor de pose. Disdéri expose « carquois », « arcs et flèches », « tableaux chinois en relief » et objets de Turquie et d’Inde[17] ; Mathurin de Nugent, une collection d’objets indiens[18] ; et Nadar, des objets orientaux. Sur Union Square, Sarony présente « admirablement » de « merveilleuses curiosités [...], poteries et antiquités Toltec et Aztèque [...] rappelant la vie sociale et les coutumes de ces peuples particuliers, leurs rites sanguinaires et leurs cérémonies religieuses » ainsi que « tous les genres d’armes et d’antiquités [...], y compris de l’Océanie ; des harpons en os esquimau [...] ; des frondes péruviennes ; des sagaies, armes terribles des Zoulous, [...] des idoles chinoises [...], et une authentique momie égyptienne »[19]. Rien de surprenant à ce que de nombreux marchands de curiosités après 1880 soient des peintres et des photographes, comme passés de l’autre côté du miroir[20].

Ces curiosités sont aussi vendues à distance, ce qui renforce leur caractère. De nombreux marchands expédient leurs curiosités par caisses qui miment le matériel d’import-export et dans lesquelles les amateurs peuvent puiser des objets et les remplacer ou les payer[21]. Est ainsi créé un commerce qui apparaît comme un échange entre amateurs et qui les inclut dans la circulation des objets. Le déballage à domicile devient une étape fondatrice du commerce avec le monde.

Figure 3

Fig. 3 Publicité pour la Compagnie de la Chine et des Indes, place Vendôme, vers 1910. Bibliothèque historique de la Ville de Paris, série actualités, « curiosités ».

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Figure 4

Fig. 4 Photo-carte de visite publicitaire d’un objet pré-colombien, Fonds Eugène Boban, Hispanic Society of America, New York City, Box II.

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Les ventes aux enchères ou l’institution de l’exotique

Les ventes aux enchères se transforment au milieu du siècle pour devenir les temples de la curiosité. Drouot ouvre en 1852 avec une nouvelle scénographie : un commissaire-priseur devenu mondain et savant préside les ventes et le bâtiment sépare les marchandises pauvres des objets anciens, artistiques et exotiques[22]. Les salles de ventes new-yorkaises sont, elles, de plus en plus nombreuses, le long de Broadway, près des magasins de curiosités, à se spécialiser dans les objets anciens et exotiques, comme Knickerbroker, Kirby, Ortgies, George Levitt ou la Richard Walters’ Sons qui se construit « une clientèle de première classe » dans le « bric-à-brac »[23]. Un amateur de curiosités « a tout intérêt, écrit-on en 1884, à être renseigné sur les méthodes, les entreprises et les qualifications des commissaires-priseurs de New York »[24].

D’abord dispersés dans les ventes de collections privées, les objets exotiques donnent lieu à des ventes spécifiques, avec experts, à partir des années 1860 avec des objets japonais et chinois et à partir des années 1880 avec des objets « ethnographiques »—d’Afrique subsaharienne et du Pacifique[25]. Larousse peut ainsi écrire : « il ne se passe guère de jour qu’il n’y ait à l’hôtel Drouot une vente de curiosités. Toutes les parties du monde, tous les peuples font défiler, sous le marteau du commissaire-priseur, les produits de leur art et de leur industrie »[26].

Les salles de vente captent le public grâce au jeu des enchères qui fabrique la valeur collective d’objets à la valeur indécise[27] et d’autre part, parce qu’elles fournissent experts et procédures d’authentification[28]. Enfin, les ventes habillent les objets de récits savants et romanesques, délivrés pendant les ventes, par les expositions les jours précédents, par les catalogues et la presse spécialisée.

Figure 5

Fig. 5 « Vente de curiosités à Drouot », gravure, Cabinet des estampes du musée Carnavalet, série Topographie 144B, vers 1885.

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Figure 6

Fig. 6 Catalogues de ventes aux enchères à New York, maisons Geo. A. Leavitt & Co et Bangs & Co, années 1880.

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2. Réseaux et écheveaux d’un commerce

Correspondants et agents

Le succès de ces objets appelle de nouveaux circuits d’approvisionnement, d’autant plus essentiels qu’en l’espèce provenances et circulations font sens. Dans les années 1840-1850 encore, ce sont avant tout explorateurs et militaires qui ramènent ces objets. À Canton, un officier note qu’il a « toutes les peines du monde à [se] contenir devant les étals des marchands de laques » car ces objets « seraient vite remboursés à Paris » (Melchior 1855 : 386 passim). Et les marins collectent aussi ces « petites chinoiseries si recherchées par les Européens » (Hounau 1854 : 62-63, 136 passim). Ces objets sont revendus dans les cercles de collectionneurs. Dès la fin des années 1840, émergent des figures intermédiaires de voyageurs-collectionneurs-marchands, à l’image d’Eugène Piot, érudit et marchand occasionnel[29].

Les années 1860 marquent un changement d’échelle, notamment du fait des expéditions militaires. Larousse peut écrire que « la conquête de l’Algérie nous a encombrés d’objets arabes ; l’expédition de Chine a fait affluer à Paris des magots sans nombre : la curiosité s’alimente de tout. Il n’est pas jusqu’à l’expédition du Mexique qui n’ait introduit chez nous certains monuments de l’art aztèque »[30]. Minutes des ventes aux enchères et correspondances de marchands le confirment : les militaires collectent des souvenirs mais aussi des marchandises qu’ils expédient[31]. Boban reçoit très régulièrement des objets du Mexique, certains militaires écrivant leur regret de n’avoir pas expédié plus d’« objets de curiosités » qui « trouveraient toujours un débit »[32].

Des fonctionnaires en poste dans les colonies nourrissent ce commerce et se font intermédiaires comme un certain Bruet à Médéah en 1871 qui écrit à Boban avoir « demandé dans le pays à votre intention de la céramique indigène » et déplore ne rien trouver « à faire en numismatique ni en archéologie »[33]. Les ingénieurs expatriés de plus en plus nombreux font de même. Pour exemple, Toselli écrit à Boban depuis Alep : « en qualité d’Ingénieur en chef des Ponts-et-Chaussées, je me suis occupé dans mes temps perdus et voyages dans la Province à recueillir quelques vieilles monnaies [...], des bracelets et statuettes [qui] sont les types les plus à la mode que les Européens de passage recherchent avec avidité, je vous les adresse pour voir s’il ne serait pas possible de faire affaire »[34]. À New York, c’est d’abord la colonisation intérieure qui nourrit le commerce de « reliques indiennes ». Les guerres d’expansion apportent des objets vers la côte Est ; ceux-ci sont également envoyés par les ingénieurs présents en Amérique du Sud, au Canada et dans les Caraïbes[35].

Les cercles diplomatiques se font eux aussi volontiers marchands. En Chine, note Jametel, « les petits cercles que forment les Européens » luttent contre le « spleen » par la collecte de « curiosités » qu’ils monnayent ensuite à distance (1886 : 60). Et des diplomates, comme Bedloe, consul américain à Xiamen, «  abondante en curiosités  », proposent d’utiliser les réseaux diplomatiques pour l’exportation[36].

Pour les objets préhistoriques et folkloriques, des chineurs écument la province. En France, brocanteurs et nobles désargentés fouillent châteaux, fermes et carrières, auxquels il faut ajouter en France comme à Long Island ou dans le Massachusetts, des figures indéterminées— pianiste-archéologue, dragueur et vendeur de sable...—pour qui la chine est un complément[37].

Trost synthétise ainsi, en 1879, le discours publicitaire : « Nous invitons le public à examiner notre stock d’articles sélectionnés par nos agents au Japon. [...] La majorité de ces porcelaines, etc. ont été [...] finies il y a longtemps, par des artistes qui avaient seulement pour but de produire de beaux articles bien finis, [...] et sans volonté d’exporter »[38]. Les « agents » sont présentés comme de purs intermédiaires qui se contentent de prélever les objets sans les dénaturer.

D’un monde à l’autre

On le voit, les curiosités sont des «  objets-frontières » qui mettent en dialogue marchands, savants et amateurs. Cela est manifeste à l’occasion des Expositions universelles. En 1867, le tiers des 20 000 objets du Musée de l’histoire du travail (qui comprend des objets de toutes les époques et de tous les pays) provient de 53 collections privées[39]. En 1878, la section de l’« ethnographie des peuples étrangers à l’Europe et à l’art ancien de tous les pays » est encore largement composée de prêts privés (Dias 2007 : 860-74). On célèbre la capacité des sociétés occidentales, musées, collectionneurs et marchands confondus, de protéger les traces de civilisations passées et menacées.

Les marchands annoncent volontiers fournir « les musées publics et les collections privées »[40], affichant ainsi leurs liens avec des institutions essentielles pour conférer un caractère savant à leurs activités. De fait, les circuits se confondent. Landrin, conservateur du Musée d’ethnographie du Trocadéro, peut ainsi écrire à Boban en 1884 : « [un] voyageur de mes amis [...] m’a envoyé quelques objets de la Nouvelle-Calédonie et en me chargeant de les vendre. Je vous serais obligé de me dire quel prix vous donneriez de la superbe hache de chef que je vous ai présentée. Quel prix valent les lances de spirites en os humain ? » En 1890, il écrit encore : « je vous serez [sic] très obligé de me faire savoir si vous avez en ce moment à un prix pas trop élevé une de ces petites têtes réduites et momifiées que préparent les Indiens de l’Équateur ». Le cas n’est pas marginal. Boban fournit des objets indiens au musée municipal d’histoire naturelle de Neuilly et des caisses de « préhistoriques » au Musée de Saint-Germain en Laye. Il est aussi en lien avec les musées privés, Guimet lui réclamant en 1883 « de l’Indien ou du Chinois, c’est pour affaire »[41]. Constamment, il expédie des objets vers la province : hache de Nouvelle-Guinée au Musée d’histoire naturelle de Toulouse, pièces océaniennes et préhistoriques à celui de Nantes, objets de l’Océanie au Musée de Chalon-sur-Saône et de Pointe-à-Pitre, « préhistoriques » au Musée historique de l’Orléanais, objets néo-calédoniens au musée de Sedan et au musée de Caen, « une série d’armes sauvages » d’Océanie, de Guinée, d’Australie, « une tête de chef maori tatouée »…[42] Boban fournit les musées d’histoire naturelle de Providence et de New York en antiquités françaises et pièces préhistoriques, le Smithsonian en objets préhistoriques et en un « lot d’objets mérovingiens », le Musée anthropologique et archéologique de Buenos-Aires, et les musées d’ethnographie de Copenhague, Stockholm et Dresde. Les correspondances montrent que les marchands se placent, moyennant finances, comme intermédiaires internationaux entre musées. Boban supervise par exemple l’échange d’« une hache canaque contre 20 haches caraïbes » entre les musées de Guadeloupe et de Caen[43]. Par ces opérations, les musées deviennent des maillons essentiels de la fabrique du marché et les marchands de la fabrique de l’ethnographie.

Les marchands s’insèrent aussi dans les réseaux savants en fournissant les universités. Boban vend à la Faculté des sciences de Caen des momies égyptiennes, des «  statuettes en pierre ancien Mexique », une « armure complète d’un guerrier japonais » et des « panoplies ». Les marchands investissent les sociétés savantes. Boban se rapproche de la Société d’ethnographie et de quantité de sociétés locales de province, et il est membre de la Société d’anthropologie de Paris, de la Société française d’archéologie, de la Société des Américanistes... À New York, il se met en lien avec des « juges, avocats, médecins, membres du parlement, professeurs d’université ; la plupart ayant voyagé dans l’Égypte, la Grèce, l’Italie »[44]. La production de l’exotisme marchand passe par une chaîne d’institutions et d’acteurs savants.

Un commerce du temps

Les réseaux marchands internationaux réinventent la valeur des objets par le jeu des déplacements. Boban, à lui seul, commerce par trains et bateaux avec près de cinquante marchands, à Zurich, Berne, Munich, Copenhague, Londres, Alger, Istanbul, New York, Providence, Philadelphie, Cincinnati, Los Angeles...[45] D’où que viennent les objets qui circulent dans ces réseaux—« provenant des naturels de l’Asie, de l’Afrique, de l’Amérique et de l’Océanie » annonce sans distinction Boban[46]—, leur caractéristique première est leur appartenance à un autre temps. En Amérique du Sud, Boban collecte ainsi des objets précolombiens, autrement dit d’avant l’intrusion du temps européen. Par ses réseaux, il achète des objets des îles du Pacifique, largement recherchés à Paris comme à New York parce que les clients imaginent que ces îles vivent dans une sorte d’insularité temporelle—notamment depuis la découverte de la Nouvelle-Calédonie encore à l’âge de pierre—et des objets d’une Afrique de l’Ouest « mystérieuse » (voir par exemple, sur la formation de ces imaginaires, Coombes 1997 ; Barringer et Flynn 2012). Tous ces objets, qu’on retrouve chez les marchands parisiens et new-yorkais et dans les ventes aux enchères, ne sont jamais datés[47], étant ainsi donnés comme appartenant à un temps si traditionnel et archaïque qu’il est indéterminé.

Le « temps des autres » est aussi celui des clients (Fabian 2006). Ce commerce est manifeste entre la France et les États-Unis. Boban, après un premier séjour à New York en 1872, installe un échange régulier avec trois marchands américains. Il procède avant tout à des échanges : il reçoit des « indian relics »—armes en pierre, poteries, crânes…—et expédie en retour de menus objets celtiques et des bibelots du XVIIIe siècle, de l’Empire et de la Restauration[48]. Il reçoit d’un antiquaire de Philadelphie des calumets et des parures en plumes en échange notamment d’« une hache en bronze trouvée en Bretagne » et de pipes grecques et parisiennes des XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles[49]. En parallèle, il réceptionne des « box of antiquities » d’un antiquaire de Cincinnati qui propose pêle-mêle des casse-têtes des Indiens du Canada, des flèches, des vêtements, des tomahawks avec « calumet de la paix [...], propriété d’un grand chef, probablement il y a 100 ans »[50]. Boban, qui séjourne à nouveau à New York entre 1886 et 1888, fait acheter des « indian curiosities » en salle des ventes[51]. Alors que les marchands parisiens commercialisent des curiosités amérindiennes, à New York, ils se spécialisent dans les antiquités européennes comme la maison Herts & Sons qui a « ses sources d’approvisionnement à Paris, Londres, Amsterdam, Berlin, Vienne, Limoges et Rudolstadt  », dans les «  familles nobles d’Europe »[52]. Se joue ici un véritable trafic des temps : les bibelots de l’Empire et de la Restauration sont encore trop peu anciens pour intéresser les collectionneurs français, et les objets « indiens », souvent pillés, ont peu de valeur aux États-Unis. Boban n’est pas le seul à pratiquer ces échanges : la maison Warneck et Sambon ne cesse d’organiser des échanges entre Paris et le Nord de l’Italie, et Seligmann de faire circuler des marchandises entre sa boutique de Paris et celle de New York[53].

Les collectionneurs pratiquent aussi ces échanges entre eux. Boban sert ainsi d’intermédiaire entre amateurs américains et français[54]. Et La Curiosité universelle, journal parisien dédié aux échanges entre amateurs, ouvre un bureau à New York pour mettre en relation des amateurs des « deux continents »[55].

Alors que les New-yorkais rêvent leurs racines européennes, les Parisiens achètent des objets primitifs amérindiens : c’est leur étrangeté même d’avec le monde dans lequel ils sont exposés qui leur confère valeur documentaire, imaginaire et financière. Il ne suffit pas « qu’une chose vienne de loin pour qu’elle soit classée comme curiosité »[56], encore faut-il qu’elle porte une temporalité autre et qu’elle témoigne d’une société perçue comme mourante ou obsolète.

Figure 7

Fig. 7 Facture à en-tête de la maison Eugène Boban avec ses nombreuses spécialités—antiquités, archéologie précolombienne, ethnographie…—Fonds Eugène Boban, Hispanic Society of America, New York City, Box II.

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3. Bibeloter le monde : le sens des lieux

La transformation d’un objet en objet exotique tient à son origine attestée et à son déplacement. Si acheter une curiosité est une aventure, y compris en boutique, le tourisme bourgeois qui se développe au milieu du siècle ouvre un nouvel âge du bibelotage, constitutif du caractère exotique des objets.

Gestes et récits

Le rôle du texte est ici décisif : tout au long du siècle, les récits qui entremêlent écrits diaristes, souvenirs de voyages et bibelotages promeuvent un voyage qui repose sur l’invention d’objets. Dans la première partie du siècle, les voyageurs-écrivains romantiques collectionnent la couleur locale, et donc des objets quotidiens, en province (Parsis-Barubé : 2008 : 271-92). Dans le même temps se multiplient les récits d’explorateurs, de militaires et de diplomates qui détaillent leurs bibelotages dans les « lointains » d’objets à la fois curiosités, souvenirs et trophées (Beauvoir 1874 : 115 ; Rochechouart 1878 : 109 passim). Par le récit, le moindre achat se transforme en aventure dont l’objet devient un souvenir (Yvan 1855 : 110 ; Revue des deux mondes 1840 : 810).

Ces récits repris par les guides promeuvent des lieux qui paraissent hors de la modernité commerciale. Un exemple est emblématique : le bazar d’Istanbul. Les textes romantiques se multiplient à partir des années 1830 qui en font un lieu d’héroïques marchandages (Gautier 1856 : 27 passim ; Lamartine 1848 : 223-26 ; du Camp 1972). Le New York Mirror s’arrête ainsi longuement sur « son infinie variété de merveilles » (1er novembre 1834 : 140 ; 29 décembre 1834 : 196). Le guide d’Amicis publié en France, à New York et Istanbul décrit le bazar avec ses « petites portes secrètes » comme un « musée, débordant de trésors [...] qui transportent la pensée dans la région de l’histoire et des légendes » (Amicis 1878 : 87 passim ; voir aussi Godins de Souhesmes 1893). Les grands magasins de Paris et New York reprennent cet imaginaire et organisent de faux bazars pour donner une puissance exotique aux objets orientaux (voir par exemple Carré 1932 ; sur les bazars de Beyrouth, voir Chantre 1889 : 225 passim).

Plus radicalement, ces textes promeuvent un bibelotage hors du commerce, dans le quotidien. Nombreux à déplorer la perte des singularités locales—la Bretagne se « désembretonne » dit Flaubert (1924 : 122-23)—, ils invitent à sauver les traces de mondes menacés, en France, aux États-Unis comme à l’autre bout du monde. Les textes de militaires et de collectionneurs soulignent que les vraies trouvailles se font en arrachant les objets au quotidien où ils sont, ou ont été, en usage. La recherche d’armes « sauvages » mène ainsi Melchior Yvan dans les villages malaisiens car « un touriste qui sait son monde se garderait bien d’acheter ces instruments redoutables à d’autres qu’à ces farouches insulaires » (1855 : 215-17). À propos du Japon, on peut écrire que « ces courses au bibelot [sont] l’occasion de pénétrer dans l’intimité de la vie japonaise »[57]. Partout le touriste gagne « à glaner des choses curieuses et à bon marché [...] dans ces monceaux de débris de la vie domestique » (Jametel 1886 : 57). L’opération d’écriture participe ainsi à l’invention et à la conversion des objets quotidiens en curiosités. Ces textes sont d’autant plus décisifs qu’ils font la jonction entre collection privée, commerce et récit.

Tous ces récits ont un écho important tant ils sont traduits et circulent sur divers supports : ils passent des illustrés—Le Magasin Pittoresque, Le Tour du Monde, le Harper’s Weekly, le New York Mirror...—aux livres à succès de littérature de voyage. Ces textes lient des pratiques déterminantes dans la collecte : bibelotages, souvenirs de voyage et écrits intimes. Ces opérations d’écriture sont fondatrices : elles racontent l’invention d’objets et les chargent de récits (Pomian 1999 : 255).

Figure 8

Fig. 8 « The Rage for Old Furniture », Harper’s Weekly, 18 novembre 1878. © Manuel Charpy.

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Figure 9

Fig. 9 Frederick Litchfield, How to Collect Old Furniture, Londres, George Bell and Sons, 1906. Légendes sous l’image en haut : « Quand vous êtes en quête de vielles faïences ou de meubles anciens dans la campagne, prêtez attention aux maisons comme celle-ci» ; image en bas : « Si l’habitante de la maison vous invite à prendre le thé dans sa porcelaine ancienne, vous avez de la chance ». Collection Manuel Charpy ©Manuel Charpy.

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Figure 10

Fig. 10 Page de Walter Alden Dyer, The Lure of the Antique, New York, Century Company, 1910. Collection Manuel Charpy © Manuel Charpy.

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Quitter la ville, souvenirs du passé

L’avènement au milieu du siècle d’un tourisme bourgeois organisé à grande échelle fait entrer le bibelotage dans une nouvelle ère. Dans les campagnes ou à l’autre bout du monde, voyager et bibeloter se confondent (Hume 2014 : chapitre 2). Et le voyage touristique est toujours un voyage dans le passé : en quittant la ville, le touriste remonte dans le temps (Corbin 1992 : 777-823). Les « territoires du particulier » paraissent à la fois immuables et paradoxalement désuets (Gasnier 1992). À Long Island comme en Normandie, au Japon comme en Algérie, on cherche de l’artisanat local, et des objets que leur ancienneté enracine dans le lieu et semble détacher de l’économie touristique.

Pour trouver des objets «  dans leur jus »—l’expression date des années 1870—, les guides recommandent de « chiner » dans les campagnes où « dorment encore des merveilles » (Guide complet du tourisme en Normandie 1861). Flaubert se souvient ainsi que dans les années 1860 « les gens distingués recherchaient les vieux plats de Rouen » dans la campagne normande (1885 : 150 ; voir aussi Joachim 1857 : 16-39). En 1863, en écho, Piot déplore ce goût parisien qui « est aujourd’hui à la basse curiosité [...] arrachée aux dressoirs des auberges de province [...], à la bonne paysannerie réaliste » (1863 : 425). On s’entiche d’objets paysans—huches, armoires, jougs, outils...—qui dorénavant, aux yeux d’un collectionneur parisien, semblent « merveilleux lorsqu’il les trouve en furetant » (Champfleury 1889 : 5). Dès la fin des années 1860, cette fièvre emporte toute la société bourgeoise : « l’antiquaire voyageur, le touriste érudit, écrit Roqueplan, courent les fermes, les villages, entrent dans les maisons de paysans toujours préoccupés de moyen-âge et de renaissance, achetant des bahuts bretons, des crédences normandes qu’ils [...] remportent fièrement à Paris » (1869 : 167-68). Et les guides accompagnent cette quête de « meubles de pays » (Guide Conty 1881 : 155-81 ; Guides Joanne 1913 : x ; Herpin n.d. : 11).

La bourgeoisie se plaît à négocier avec les paysans qu’on imagine ignorants de ce qu’ils possèdent. Affaire de regard exotique qui fait croire que le touriste voit, parce qu’esthète détaché, ce que l’autochtone est incapable de voir (sur les processus « d’artialisation », voir Roger 1997). Et de fait, la distance radicale vis-à-vis des fonctions de l’objet est la condition pour qu’il soit esthétisé et devienne « curiosité ». D’où l’incrédulité des paysans devant les collectionneurs achetant « lits-clos » ou vieilles poteries (Schreiber 1911 : 303).

À partir des années 1870, de nombreux touristes américains se mettent eux aussi à écumer les campagnes européennes au point que le Harper’s Weekly rapporte que « la saison pour l’affluence annuelle des Américains en Europe approchant [...], les antiquaires [...] se mettent au travail » (« Antiques Abroad » : 25 mai 1907 ; voir aussi 7 janvier 1888). Mais on bibelote aussi aux alentours de New York : à Long Island, en Pennsylvanie et dans toute la Nouvelle-Angleterre, où l’on cherche des objets enracinés dans ces territoires, soit des objets « coloniaux » et paysans (ceux des Quakers par exemple) qu’on imagine inchangés depuis le XVIIe siècle. Des manuels conseillent les amateurs qui pratiquent l’archéologie des traces des premiers colons, notamment hollandais et français (voir par exemple Matson 1874 : 174 passim). En 1878, le Harper’s Weekly résume ce mouvement dans un article illustré, « The Rage of Old Furniture », consacré au « zèle enthousiaste qui a dévalisé tant de maisons rurales » (16 novembre 1878 : 917). Une gravure montre un New-yorkais quittant une ferme, ravi, un rouet sous le bras ; une autre montre une foule devant une maison rurale, ironiquement sous-titrée : « La rumeur s’est répandue qu’une vieille dame a de vieilles faïences de Chelsea ; quelques collectionneurs viennent la voir ». Les guides sur les alentours de New York recommandent de prêter attention aux fermes et aux foires (Drake 1876 ; Bayles 1885 ; New England, A Handbook for Travellers 1888) et de nombreux ouvrages sont publiés pour aider à identifier les objets coloniaux[58]. Pragmatique, Dyer montre par la photographie le genre de maisons et de fermes où l’on peut faire des trouvailles, rappelant qu’à défaut de monuments, les racines européennes de la région de New York existent à travers les objets (Dyer 1910). En complément se multiplient les manuels qui inventorient les « maisons coloniales » authentiques (voir par exemple Eberlein et Lippincott 1912).

«  Quand vous êtes en quête de vieilles faïences ou de meubles anciens dans la campagne, prêtez attention aux maisons comme celle-ci ».

« Si l’habitante vous invite à prendre le thé dans sa porcelaine ancienne, avez de la chance ».

« N’espérez pas acheter ces vieux trésors en échange d’une chanson. Vous serez chanceux de les avoir au final ».

Si le tourisme international reste exceptionnel, il devient rituel jusque dans la petite bourgeoisie[59]. Il s’agit d’abord de voyages en Europe : en Angleterre, en Italie, en Suisse et en Espagne, et, pour les New-Yorkais, en France. Ces touristes collectent des souvenirs, authentiques car achetés dans le lieu même de leur production, contemporaine ou passée[60]. Grâce au train, les voyages en Italie, cette terre qui contient les vestiges de l’Antiquité, se banalisent dans les années 1870. Aux abords des monuments règne le bibelot-souvenir—vieux bronzes, fragments de sculptures et de peintures... (Handbook for Travellers in Northern Italy 1860). À Venise, à « chaque pas, écrit-on en 1884, des marchands de bric-à-brac vous tentent en vous montrant un tas de bibelots plus ou moins authentiques, mais ayant toujours un certain cachet, une certaine couleur locale » (Quarante jours en Italie 1884 : 24-25). Et les guides indiquent les antiquaires « de confiance » (voir Répertoire-Annuaire général des collectionneurs... 1892 ; Baedeker 1886). On se plaint de la flambée des prix et de la fin du « trafic des antiquités » car « l’Italie est épuisée par suite de ce drainage incessant qui dure depuis un demi-siècle ; on trouve plus facilement et à meilleur marché le bibelot italien à Paris qu’à Florence ou à Rome » (Müntz 1892 : 129, 141-42). Le tourisme dévore le monde sous forme de bibelots. À Nuremberg, les touristes achètent « toutes sortes de bibelots du siècle dernier [...]. On m’affirme que les Anglais ou les Américains, qui reviennent des apothéoses wagnériennes de Bayreuth, font leurs choux gras de ces souvenirs » (Müntz 1897 : 325)[61]. Partout, les marchands affichent leur vocation par des publicités en français et en anglais et des services d’expédition[62].

Dès 1869, Roqueplan se fait le porte-parole de l’inquiétude aristocratique :

il n’y avait jadis aucune place pour ces conteurs médiocres qui récitent les Guides Richard [...] ; les savants, les artistes, les diplomates et les soldats parcouraient seuls l’Europe et en rapportaient des récits dont le merveilleux s’est évanoui depuis que les échappés de collège s’établissent touristes, depuis que l’Afrique est dans notre main, depuis que le bateau-poste nous jette à une heure dite en Grèce, à Constantinople, au Caire [...]. Tous les pays ont perdu et leur physionomie et leurs produits ; il n’y a pas de couleur locale qui ne s’expédie pas de Paris. (Roqueplan 1869 : 199-202)

En réponse, les voyageurs cherchent des objets fabriqués avant la révolution industrielle ou au plus loin de la civilisation occidentale. Un voyage s’accompagne alors nécessairement de caisses remplies de bibelots (Guth 2004 ; voir aussi Le Tour du Monde 1893 : 226), et notamment en Égypte et à Constantinople, destinations qui se banalisent grâce aux messageries maritimes (Dictionnaire du commerce, de l’industrie et de la banque 1901). Une inflation de guides accompagne ce tourisme[63]. Un voyage à Constantinople ne se conçoit pas sans une visite au bazar pour y acheter « toutes les marchandises de l’Orient [...] : les soieries d’Alep, de Brousse, de Damas ; les vêtements brodés de l’Albanie [...] ; les pipes, les narguilés, les tapis de Smyrne et de Perse » (Eudel 1885  ; voir aussi «  Constantinople  » dans Dictionnaire du commerce... 1901  ; Les guides bleus... 1920 : 178 ; Tynaire 1909). Pour l’Égypte, le tourisme massif s’accompagne d’achats d’antiquités (Guide pour une excursion dans l’Égypte ancienne... 1869). L’interdiction de les exporter encourage les touristes à arpenter le souk et les boutiques de bibelots anciens, encadrés par des guides[64].

Car le touriste doit ramener de ses voyages des objets porteurs de couleur locale. Les objets varient selon l’image que les touristes se font du pays visité. Plus le pays est proche sur le plan culturel, plus l’impératif d’exotisme invite à rechercher des objets anciens.

4. Décors et déguisements : le faux ou la fabrique de l’exotisme

Une activité permet d’interroger le processus de fabrication de l’exotisme : la production de faux. Les anecdotes sont nombreuses tant la question de l’authenticité est au fondement du commerce des objets exotiques et de leur pouvoir distinctif[65]. Boban lui-même prend quantité de notes et reçoit un abondant courrier sur le sujet[66]. Faire des faux ne consiste pas seulement à fabriquer un objet mais à construire un récit. L’offre s’adapte à la demande : « un amateur de vieilleries ou de curiosités locales et anciennes qui s’en va passer l’été dans un coin retiré de province [...] peut très bien [en] faire la fortune [car...] le “Parisien” [...] recherche les bibelots de l’ancien temps » (Warnod 1914 : 129). On peut encore écrire : « ce serait de la naïveté de s’imaginer que les paysans et les provinciaux ignorent la valeur des bibelots » (Bayard 1914  : 95). Le faux, en procédant à un renversement du regard, donne à voir les processus qui font l’objet exotique.

Figure 11

Fig. 11 « Au bon vieux temps», Quimper, Finistère. Photographie anonyme vers 1900. Archives du Touring-Club de France, médiathèque de l’architecture et du patrimoine.

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Décors

Au début du XXe siècle, Dyer conseille aux amateurs américains « de ne pas acheter du Louis XV ou Louis XVI sans assistance [car] une grande partie de ce qui est importé des ateliers parisiens de faux est souvent si bien fait qu’il peut tromper les meilleurs » (Dyer 1910 : 486), mais d’acheter les objets sur le lieu de leur fabrication. Le premier élément décisif est en effet le cadre de vente. Si c’est en boutique, celle-ci doit être en désordre : en Bretagne comme en Chine les « magasins de bric-à-brac [...] ont le privilège de la plus grande malpropreté ; s’il n’en était ainsi, les acheteurs ne croiraient pas sans doute à l’antiquité des objets » (Poussielgue 1866). Même phénomène en Orient. Dans le bazar d’Istanbul, les touristes admirent des artisans en train de produire des «  armes historiques ou légendaires  » (Eudel 1884 : 360-61). Les touristes ne peuvent imaginer qu’un artisan indigène, pris dans son décor et donc attaché à la tradition, puisse produire un faux (Les Guides bleus 1920 : 244-45 ; Fetridge 1862). Et si les touristes américains en Europe ont la réputation d’être faciles à tromper, car « riches mais ignorants », c’est qu’en réalité, le territoire européen leur semble attaché au passé. L’auteur de « Making Curios for Tourists » précise que les boutiques écossaises de faux « offrent leurs poteries dans le plus grand désordre qu’on perçoit à travers une vitrine couverte de toiles d’araignées ». Malgré la mise en garde, l’article dit la force du lien entre décor et authenticité en concluant : « les campagnes et les villes hors des grands axes sont une mine d’authentiques antiquités et curiosités » (Harper’s Weekly, 27 juin 1908 : 31).

Le seul déplacement confère aux objets authenticité et étrangeté. Les touristes en Italie ne peuvent imaginer que dans les campagnes comme dans les villes les artisans ont « repris la chaîne interrompue des traditions du passé, pour la plus grande joie des Américains en voyage » (Harper’s Weekly, 23 mai 1857 : 333, et 14 avril 1906 : 520). En Chine, « bien des fois les touristes en voyage dans la patrie des Mandarins ont acheté, sans s’en douter, à Shang-Haï ou à Hong-Kong, des produits de fabrication » parisienne (Eudel 1884 : 243). Les faux sont aussi partout dans les îles du Pacifique où les « canaques se sont mis à fabriquer des armes anciennes » pour satisfaire les « insatiables demandes des gens de l’armée, de la marine et du gouvernement » (O’Reilly 1970  : 33-38). Les voyageurs découvrent ces objets dans leur décor « naturel » : « les armes fidjiennes sont généralement des objets faux [...] déterrées de la boue noire du marais, où elles avaient été vieillies, avant d’être proposées aux touristes » (Thomson dans O’Reilly 1970 : 37). Achetés dans le Pacifique, les objets deviennent ethnographiques ; en Chine, chinois ; en Italie, anciens. Le cadre d’achat suffit à communiquer de la couleur locale aux objets.

En sortant des circuits commerciaux pour entrer dans le quotidien, la question du décor devient plus aiguë encore. Dans les campagnes, les touristes croient découvrir des «  trésors héréditaires » quand ils « entrent dans les maisons de paysans  » (Roqueplan 1869  : 167-68). Et Roqueplan de préciser qu’ils « ont été fabriqués à Paris puis déposés en province pour y prendre le parfum de la vétusté et le crédit de l’histoire. [...] Les paysans [s’en] chargent, pour le compte des marchands de Paris ». Bayard, inspecteur des Beaux-Arts, confirme en 1914 le phénomène en racontant la découverte dans une écurie, par un amateur ébahi, d’un « coffre Renaissance » servant de « mangeoire » dans un « cadre ingénieusement imprévu » et Bayard de conclure que « le changement d’air est excellent pour ce genre de duperie » (Bayard 1914 : 79-92). Il en vient à mettre en garde les touristes contre les tableaux « exécutés à Paris par des rapins [et] déposés, pendant la belle saison, chez les pêcheurs  » normands (Dyer 1910 : 26-27) ou encore « dans une petite boutique, chez un marchand de cigares ou dans un café », place « toujours modeste, et la peinture est accrochée dans un coin sombre » (26-27). Et si Dyer recommande aux amateurs de parcourir les fermes de Long Island, il souligne qu’il faut se méfier des mises en scène trop rustiques (475 passim).

Radicale mise en scène pour produire de l’authenticité : les objets sont déterrés sous les yeux des touristes, comme si le décor les enfantait. C’est vrai en Égypte où les faux sont enterrés par « les guides [...] dans des lieux connus, et devant les Anglais émerveillés, ils vont ensuite les découvrir » (Eudel 1884 : 66 ; voir aussi Joanne 1861 : 1108). Et d’ajouter : « Qui dira le nombre des scarabées, de petites idoles et statuettes égyptiennes semés par l’industrie parisienne aux environs des pyramides ? » (Eudel 1884 : 9 ; voir aussi Wakeling 1912). Il en va de même des objets préhistoriques : la correspondance de Boban regorge d’informations sur ceux qui font « des assiettes, des peignes, que sais-je, des brosses à dents, de l’époque de la pierre polie », vendus à même le champ de fouilles ou la carrière où ils sont censés avoir été trouvés[67]. Les journaux américains mettent en garde contre ce « genre d’archéologie » qui, en France et en Italie, consiste à déterrer les objets sous les yeux des touristes (Harper’s Weekly, 7 février 1903 : 233). La mise en scène fonctionne aussi pour les curiosités ethnographiques : dans les îles du Pacifique, Gordon-Cumming (1885) avoue avoir été dupé par les indigènes qui vendaient des idoles et des ustensiles qu’ils prétendaient avoir découvert en labourant. L’« habitat naturel » des objets suffit à en faire un morceau du pays visité.

Déguisements

Complément indispensable du décor, les vendeurs qui ne peuvent ressembler à des marchands. Les « contrefaçons primitives, écrit Eudel, fabriquées aux Batignolles, abondent dans les villes d’eaux et surtout chez les paysans, en Normandie et en Bretagne. [...] Le paysan reste indispensable pour donner de la couleur locale, et du pittoresque au marché » (1884 : 132). Le vêtement est essentiel : en Normandie, des « individus habillés en marins proposent à domicile, des étoffes, et bibelots d’Orient qu’ils rapportent soi-disant de leurs voyages. Or, [ils] n’ont pour la plupart jamais navigué » (Bayard 1914 : 94). Le matelot, le paysan normand, l’artisan stambouliote ou le marchand italien sont suffisamment pittoresques pour donner de la couleur locale aux objets. D’autant qu’ils prennent soin grâce au « pittoresque [...] qu’ils savent mettre dans le marchandage » de «  convaincre de [leur] ignorance en matière d’antiquité » (94). Dans les villes de la côte Est, si on fait confiance aux vieilles paysannes, on conseille de se méfier des faux liquidateurs de successions (Dyer 1910 : chapitre 20). Les marchands laissent toujours accroire que les objets sont du patrimoine familial ou qu’ils ont été pillés, certificat d’authenticité s’il en est.

Au final, l’objet apparaît second  : ce qui importe, c’est que le décor et le costume proposent un dépaysement de régime culturel, temporel et économique. Le commerce doit sembler d’une autre nature du fait de la profonde dissymétrie entre l’amateur et le vendeur qui est censé ignorer la valeur des choses, car trop attaché au quotidien.

5. Le monde à demeure : entre décor quotidien et mise à distance

L’opération qui consiste à arracher un objet d’un espace pour le muer en curiosité—le regarder à distance—a un terminus : son exposition. Même si les modèles mis en place dans les musées infusent dans toute la société, les présentations sont avant tout domestiques. Une fois l’objet «  trouvé  » ou déballé, une série d’opérations matérielles permet d’en conserver le caractère exotique et de le donner à voir.

Objets à discours : entre vitrines et bibliothèques

Au début du XIXe siècle, les objets exotiques appartiennent, dans le prolongement du XVIIIe siècle, au domaine des œuvres d’art (Glorieux 2002). Quant aux objets ethnographiques et archaïques, ils sont encore inclus dans des collections à vocation universelle : collections d’objets d’histoire naturelle et collections qui prétendent réunir les productions depuis « l’Antiquité de l’Homme » (Guichard 2008). Les objets sont alors des témoins de l’enfance de l’humanité, sortes de repoussoirs et de contrepoints au monde qui les accueille[68]. Dans cette didactique, les collectionneurs mettent en ordre une narration du progrès dont le contenant est le terme ultime. La collection de l’éditeur Panckoucke est emblématique : dans son hôtel particulier, il rassemble le monde sous forme d’échantillons.

J’ai donc voulu, écrit-il à son petit-fils dans une brochure imprimée, classer par siècles et par pays les objets que j’avais rassemblés [...]. Pour bien connaître l’humanité et son histoire, on doit étudier l’homme dans l’état sauvage, à son début dans la civilisation. [...] L’objet sur lequel j’attire ton attention est une hache grossière : un éclat de pierre dure [...] ; un morceau de bois péniblement coupé et fendu [...]. Tu admireras dans cette salle les travaux et la patience des sauvages qui déjà savent, avec les moyens les plus simples, former, sculpter, graver.

Ces objets sont environnés « des oiseaux des parties encore sauvages de l’Asie, de l’Afrique et de l’Amérique, entretenant l’ambiguïté de leur statut (Panckoucke 1841 : 7-8).

Avec les années 1820-1830, les collections se font ethnographiques et le plus souvent dédiées à une région. Pour les officiers, les objets sont des documents sur les populations abordées et des souvenirs[69]. À côté des marins, se multiplient les voyageurs qui mêlent prospection commerciale et sorte de Grand Tour océanique. Eugène Delessert voyage ainsi entre 1844 et 1847 en Asie et dans le Pacifique. Il revient en France, pour débuter sa carrière de banquier, avec une « collection de curiosités remarquables, autant par leur nombre et leur valeur ethnographique, que par les circonstances particulières qui ont permis de réunir des objets de plus en plus rares, et dont l’acquisition [...] sera bientôt rendue impossible ». Sa collection se veut le havre d’un monde perdu. Ces collectionneurs-voyageurs documentent les objets : « on rencontre quelques-unes de ces armes, s’attriste Delessert, cachées dans un coin de musée ou placées en trophée dans le cabinet d’un amateur, mais rarement on en connaît la valeur ou l’usage. On s’inquiète encore moins du lieu d’où elles viennent » (Delessert 1848 : 381 passim). Ces collections de la première partie du siècle ont en commun de mobiliser le texte ; elles existent par les récits qui les accompagnent. Dans les intérieurs, à la collection matérielle répond une sorte de mode d’emploi, sous forme de journal intime, de mémoires, de bibliothèque autour du sujet et parfois de catalogues de vente aux enchères. Ce lien entre récits et collection a une traduction matérielle. Une vitrine peut réunir bibelots et textes, sous forme de manuscrits[70] mais bien souvent une bibliothèque—vitrée—est mise en regard de vitrines d’exposition. De même style, elles se répondent dans l’espace de la galerie, du bureau, ou parfois du salon[71].

Entre vitrines et décors

Dans la seconde partie du siècle, il n’y a plus un seul appartement bourgeois sans curiosité exotique, ethnographique ou archaïque. Les photographies d’intérieurs permettent de se figurer la mise en scène de ces objets[72]. Deux modèles qui cohabitent selon les nécessités apparaissent à New York comme à Paris : d’une part, des mises en scène qui se veulent savantes ; d’autre part, une dispersion dans tout le décor.

Les mises en scène savantes singent les musées par la vitrine, droite ou à plat. Banalisée au milieu du siècle, elle constitue et institue la collection, soulignant par le verre, le velours et la fermeture, la préciosité des objets et forçant à un ordre des choses. Le verre met en outre les objets à distance ce qui souligne leur préciosité mais aussi leur appartenance à un autre espace-temps. Condition du bibelotage, le regard à distance se rejoue ici par le verre. Les marchands eux-mêmes commercialisent les petits objets dans des vitrines. Boban propose ainsi des petites panoplies de silex sous boîtes vitrées, présentation que l’on retrouve sur la côte Est des États-Unis. Des étiquettes qui légendent les objets et parfois un catalogue abrégé collé au dos achèvent de donner un vernis scientifique à ces collections. À défaut, des artisans font cette mise en ordre ou vendent socles, trépieds, etc. qui permettent aux amateurs de s’adonner à la mise en scène de leur propre collection.

Autre mise en scène : une dispersion qui mue les objets en décor quotidien. À observer les photographies d’intérieurs comme les inventaires, deux grands récits apparaissent : soit une pièce dédiée, portion d’intérieur qui devient une utopie—et souvent une anachronie— ; soit une présentation qui, dans la logique pittoresque, joue des contrastes.

Dans le premier cas, les bourgeois qui n’ont jamais quitté New York ou Paris évoquent ainsi le décor d’intérieurs de colons, de militaires ou d’explorateurs, comme une sorte de chambre des souvenirs (Jasanoff 2005)[73]. Cette mise en scène répond aux conseils des manuels de décoration qui invitent à donner une cohérence à chaque pièce (voir Havard 1884 ; Rodman-Church 1881 ; Wheeler 1903 ; Priestman 1910). Ce modèle a l’avantage de proposer une puissante évasion : en habillant les murs, à New York comme à Paris, de quelques pièces exotiques, il s’agit de créer un espace avec sa propre couleur locale, loin d’une architecture jugée sans profondeur historique et trop commune. À l’âge du simili, ces objets signent un intérieur où les habitant savent s’émouvoir d’apparences parfois grossières mais authentiques. Les contrastes disent le plaisir de la délocalisation.

C’est dans les ateliers—devenus espaces mondains au milieu du XIXe siècle—qu’on apprend à mettre en scène ces objets qui servent aux peintres à produire de la couleur locale. Parcourant l’intérieur du peintre Bernier, Eudel est séduit : « Au-dessus d’une armoire normande [...], des flèches au dard acéré, des massues terribles, des sagaies primitives, des lances emplumées, des poignards barbares, des sabres sauvages qui rayonnent autour d’un immense chapeau de paille marocain » (Eudel 1888 : 374). Les nombreux ateliers de peintres « exotisants » à New York et à Paris apparaissent comme des espaces intérieurs où la rêverie vers les lointains peut se développer sans entraves[74] car « dans les ateliers, on est évidemment dans un autre monde », coupé de la ville (Duranty 1881 : 153 ; voir aussi Wolff 1881 : 146 passim). Derrière la façade de l’hôtel particulier de Gérôme, aux airs d’immeuble de rapport, « s’ouvre le monde des « Mille et une nuits [:] dans le vestibule, un lit chinois [...], un remarquable coffre japonais [...], une pagode ruisselante d’or, un vitrail très pittoresque, une porte arabe [...]. – Il me semble que je suis transporté loin de Paris [...] et que je vais voir entrer une sultane du Bosphore ou des armées du Caire » (Eudel 1888). Il faut dire que ce sont les mêmes marchands, à New York comme à Paris, qui fournissent les « artistes » et les amateurs en costumes et objets exotiques[75]. En imitant les intérieurs de peintres, les amateurs captent un motif, des modèles d’exposition et en même temps se placent au cœur de la fabrique même de ces objets.

Figure 12

Fig. 12 Boîte-vitrine de silex taillés commercialisée à la fin du XIXe siècle à New York (boutique d’antiquaire, Baltimore) © Manuel Charpy.

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Figure 13

Fig. 13 « Un coin d’atelier », Émile Bayard, L’art de soigner les oeuvres d’art, Paris, Ernest Gründ, 1928 [rédaction avant guerre].

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Conclusion

La transformation d’un objet en objet exotique ne tient pas uniquement, loin s’en faut, à une opération conceptuelle—notamment taxinomique—mais à une série de processus et de procédures qui inventent, préservent et maintiennent son caractère exotique. Point d’objet exotique en soi, donc, mais une série de lieux, d’acteurs et de dispositifs—commerciaux comme d’exposition—qui le font exotique. Autrement dit, l’objet n’existe, pour reprendre les termes de Merleau-Ponty, que par son horizon—et en l’occurrence, ses horizons multiples. Ces processus mettent en œuvre un commerce d’espaces et de temporalités, constamment rejoué selon les territoires.

Connecter et comparer les espaces parisiens et new-yorkais montre que les objets sont faits de l’étoffe des territoires, eux-mêmes attachés à des temporalités. Dans les deux cas, les horizons des objets sont ceux qui échappent à la vie moderne, qu’il s’agisse d’un lit breton ou d’une sagaie d’Afrique de l’Ouest. Les circulations d’une métropole à l’autre soulignent aussi que le temps des autres devient exotique dès lors qu’il apparaît sur le point de disparaître—beauté du mort pourrait-on dire. C’est sans doute là la singularité de ces objets—et de leur marché—dans le paysage de la culture matérielle du XIXe siècle que de dialoguer étroitement avec la question de l’espace et du temps. À une société du multiple industriel où les objets apparaissent de plus en plus comme incréés, les objets exotiques opposent des provenances—autres lieux, autres temps.

Au final, interroger ce marché, entre commerces et consommations, c’est aussi revenir sur l’histoire de la culture matérielle dont les fondements reposent autant sur la capacité des objets à faire documents que sur un regard ethnographique et touristique sur des objets arrachés à leur quotidien.