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Problématique

L’évaluation de l’orthographe lexicale (OL) constitue un intérêt autant pour les chercheurs en sciences de l’éducation que pour les praticiens, comme les enseignants et les orthopédagogues. Les théories actuelles montrent qu’orthographier est une compétence sollicitant de multiples connaissances langagières puisque les mots renferment des informations phonologiques, morphologiques et orthographiques (Bahr, Silliman et Berninger, 2009 ; Berninger et al., 2003 ; Berninger, Abbott, Nagy et Carlisle, 2010 ; Masterson et Apel, 2014). D’ailleurs, les scripteurs compétents sont ceux qui parviennent à exploiter les liens entre les représentations phonologiques, morphologiques et orthographiques des mots (voir la théorie de triple word form ; Berninger et al., 2003 ; Berninger et al., 2010 ; Garcia, Abbott et Berninger, 2010). Dès lors, il importe de considérer ces trois types de représentations dans l’évaluation de l’OL afin de préciser lesquelles sont fonctionnelles et lesquelles doivent faire l’objet d’une intervention. Étonnamment, que ce soit en recherche ou en enseignement, l’évaluation de l’OL ne tient généralement pas compte de ces dimensions langagières (Graham et al., 2008 ; Masterson et Apel, 2010a ; Moats, 2009). En effet, la méthode d’évaluation la plus fréquemment recensée est le dénombrement d’erreurs et sa cotation correcte/incorrecte (Fayol, 2008 ; Graham et al., 2008 ; Masterson et Apel, 2014).

En milieu scolaire, plusieurs études canadiennes et américaines (Daigle et Bastien, 2015 ; Graham et al., 2008 ; Scott, Jamieson-Noel et Asselin, 2003) révèlent que peu de temps est accordé à l’évaluation de l’OL en classe. Par exemple, les enseignants évaluent l’OL plusieurs fois par mois, principalement à l’aide de la «dictée de la semaine» (Daigle et Bastien, 2015 ; Graham et al., 2008). Lors de la correction des erreurs, la plupart du temps (57,7  %), les enseignants québécois recensés signalent uniquement l’erreur à l’élève sans lui fournir la production adéquate du mot (Daigle et Bastien, 2015). D’ailleurs, Graham et ses collègues (2008) ont rapporté un constat similaire auprès d’enseignants américains. Autrement dit, lors de la correction, les erreurs ne sont bien souvent que dénombrées, ce qui offre peu de repères pour l’élève sur ses connaissances orthographiques, mais aussi peu d’informations à l’enseignant sur les forces et les difficultés de ses élèves.

Dans les études scientifiques et en contexte clinique ou orthopédagogique, le recours à des mesures normalisées est fréquent. Ces mesures permettent de quantifier la performance orthographique de l’élève et d’obtenir un point de comparaison par rapport à l’âge chronologique ou le niveau de scolarité de l’élève (Apel, Masterson et Niessen, 2004 ; St-Pierre, Dalpé et Giroux, 2010). Comme le soulignent Masterson et Apel (2010b), la cotation correcte/incorrecte, proposée dans les mesures normalisées, est rapide pour évaluer les compétences des élèves, pour relever la présence de retard et pour émettre une conclusion ou une hypothèse de trouble. Cependant, elle manque de sensibilité pour déceler les connaissances langagières qui sont impliquées en OL. Par exemple, pour le mot boulanger, un élève pourrait écrire *boulanjer et un autre *poulancher. Avec une cotation correcte/incorrecte, les deux élèves obtiennent un score identique, ce qui écarte des informations importantes. En fait, la première production respecte la structure phonologique du mot et témoigne de connaissances orthographiques en développement, tandis que la seconde met en lumière des difficultés à traiter des phonèmes proches sur le plan articulatoire.

Néanmoins, certaines mesures normalisées proposent une analyse plus fine des erreurs. Traditionnellement, des listes de mots contrôlant des variables linguistiques sont dictées à l’élève. Ces listes comprennent des mots réguliers et/ou des pseudomots et des mots irréguliers. Cette sélection de mots s’inscrit dans un paradigme relatif aux modèles à deux voies (voir Caramazza, 1988 ; Kreiner et Gough, 1990 ; Tainturier, Bosse, Roberts, Valdois et Rapp, 2013). Succinctement, l’efficience de la procédure phonologique (voie d’assemblage ou indirecte) est évaluée par le biais de la production de mots réguliers sur le plan orthographique (p. ex., frite) ou de pseudomots (p. ex., gontra). En revanche, la procédure lexicale (voie d’adressage ou directe) est évaluée par le biais de la production de mots irréguliers (p. ex., oignon). Les modèles à deux voies constituent fréquemment les assises théoriques pour évaluer l’identification et la production de mots écrits (Sprenger-Charolles et Colé, 2013), et ont généré un grand nombre d’outils cliniques (Lefebvre et St-Pierre, 2010). Bien qu’il s’agisse de modèles phares, leur vision réductrice est de plus en plus remise en question. En effet, la production de mots écrits – qu’ils soient réguliers ou irréguliers ou qu’ils soient des pseudomots – est aussi influencée par le contexte lexical et sublexical (Pacton, Perruchet, Fayol et Cleeremans, 2001 ; Pacton, Fayol et Perruchet, 2005 ; Pacton, Sobaco, Fayol et Treiman, 2013 ; Treiman, 2017a, 2017b ; Treiman et Kessler, 2016). Ce type d’évaluation offre alors un éclairage sur les connaissances phonologiques et sur la conversion phonographémique, mais ne fournit que peu d’informations sur les connaissances orthographiques et morphologiques.

Quelques tâches normalisées (p. ex., le sous-test Ortho3 de la Batterie d’évaluation du langage écrit et de ses troubles (BELEC ; Mousty, Leybaert, Alegria, Content et Morais [1994]) proposent une analyse de différentes graphies (p. ex., les graphies consistantes acontextuelles, c.à-d. les graphèmes réguliers et indépendants du contexte, et les graphies dérivables et non dérivables par la morphologie, soit les lettres muettes). Cette tâche offre un portrait plus précis des connaissances orthographiques et morphologiques. Or, la cotation se centre sur la production de certaines graphies dans les mots, et non sur chacune d’entre elles, ce qui offre une vision réduite des trois dimensions. Par exemple, pour l’item taudis, la graphie acontextuelle < t > et la graphie non dérivable < s > sont uniquement évaluées et valent chacune un point. Ainsi, un élève ayant produit *taudit obtiendrait un point pour la graphie < t >, mais perdrait un point pour la production erronée de la graphie < s >. En revanche, un élève ayant produit *touti perdrait également et uniquement un point sur deux puisque la graphie < t > est bien orthographiée et la graphie < s > est omise. Les productions *taudit et *touti valent quantitativement le même nombre de points, mais, qualitativement, elles expriment un type de difficulté fort différent. Par conséquent, des informations orthographiques et phonologiques importantes sont écartées des analyses. Les mesures normalisées et leurs méthodes de cotation correcte/incorrecte demeurent ainsi insuffisantes pour offrir un portrait détaillé des trois dimensions de l’OL (Apel, Masterson et Niessen, 2004).

Ainsi, dans le but d’obtenir un portrait plus précis des connaissances en OL des élèves, il importe que chercheurs et praticiens bonifient les méthodes de dénombrement d’erreurs et la cotation correcte/incorrecte afin de considérer les trois dimensions de l’OL dans l’évaluation. L’objectif de cet article est donc de proposer une démarche d’analyse fine des erreurs en OL et d’en illustrer le potentiel. Il ne s’agit pas de présenter une méthode complète d’évaluation, mais bien de proposer un canevas pouvant guider l’analyse des erreurs et mieux cerner les forces et les difficultés. Pour appuyer nos propos, les productions orthographiques de deux élèves québécois de 2e année du primaire sont comparées à l’aide de la cotation correcte/incorrecte et de l’analyse fine des erreurs.

Cadre de référence

Les trois dimensions de l’orthographe lexicale

L’OL renvoie aux correspondances phonèmes-graphèmes qui interviennent dans la transcription précise des mots à l’écrit. Elle comprend les aspects idéographiques (trait d’union, majuscule, apostrophe, etc.) et les informations morphologiques dérivationnelles (Allal, 1997 ; Catach, 2003). En revanche, l’OL ne tient pas compte du rôle syntaxique que joue un mot écrit dans une phrase ni de ses variations grammaticales (Dalpé, Giroux, Lefebvre et St-Pierre, 2010).

L’OL française fait partie des systèmes alphabétiques ayant pour principale visée de transcrire les phonèmes en graphèmes. Dans un tel système, un code orthographique idéal comprendrait un ensemble de correspondances phonographémiques simples, où chaque phonème serait représenté par un seul graphème (p. ex., le mot /ami/ écrit ami). Bien que quelques langues s’approchent de cet idéal, comme le finnois ou le turc, la plupart des langues dérogent de cette consistance et de cette transparence ; c’est particulièrement le cas du code français (Caravolas, 2004). L’OL française est considérée comme étant semi-opaque, notamment en raison des règles orthographiques et de la forte présence de marques morphologiques (Jaffré et Fayol, 2006).

Orthographier est considéré comme une habileté complexe puisqu’elle sollicite de multiples informations langagières (Berninger, Lee, Abbott et Breznitz, 2013 ; Masterson et Apel, 2010a, 2010b, 2014 ; Moats, 2009). Ces informations peuvent être examinées dans les productions orthographiques sous trois grandes dimensions : 1) la dimension phonographique, 2) la dimension orthographique et 3) la dimension morphographique (voir Apel, Masterson et Niessen, 2004 ; Bahr et al., 2009 ; Bahr, Siliman, Berninger et Dow, 2012 ; Berninger et al., 2003 ; Berninger, Garcia et Abbott, 2009 ; Berninger et al., 2010 ; Fayol, 2008 ; Masterson et Apel, 2014). Lorsque les connaissances langagières relatives à ces dimensions sont prises en considération dans les interventions, une amélioration significative de la production orthographique chez les scripteurs est notée (Apel et Masterson, 2001 ; Apel, Masterson et Hart, 2004 ; Wolter, 2009). Ces dimensions sont donc particulièrement importantes et méritent d’être prises en considération lors de l’évaluation de l’OL (Bahr et al., 2012 ; Berninger et al., 2010 ; Berninger et al., 2013 ; Masterson et Apel, 2010a, 2014).

Dimension phonographique

L’OL française renvoie principalement à une transcription de phonèmes en graphèmes. Au fil de l’apprentissage, les élèves sont amenés à produire des mots écrits qui respectent la structure phonologique. Les élèves développent leurs habiletés phonologiques orales pour segmenter le mot à produire en phonèmes et pour identifier chacun d’entre eux (Ball et Blachman, 1991 ; Pacton, 2018). Ce traitement et cette manipulation explicite (conscience phonologique) sont donc essentiels pour mettre en place les habiletés de conversion séquentielle des phonèmes en graphèmes (Caravolas, Hulme et Snowling, 2001 ; Lervåg et Hulme, 2010). L’examen du respect ou non de la structure phonologique des mots réfère alors à la dimension phonographique.

Les erreurs altérant cette dimension sont des productions phonologiquement inacceptables, aussi nommées erreurs phonographiques (p. ex., chaise – *chège). Ces erreurs sont surtout observées au début de l’apprentissage formel de l’écrit. Elles s’expliquent par une conscience phonologique immature et par une faible expérience avec l’écrit (Caravolas et al., 2001 ; Écalle et Magnan, 2010 ; Masterson et Apel, 2000). Lorsqu’elles persistent au-delà des premières années d’apprentissage, les erreurs phonographiques peuvent aussi mettre en évidence des lacunes importantes sur le plan des habiletés phonologiques orales, comme c’est le cas pour les élèves ayant un trouble langagier (Bishop et Clarkson, 2003, Godin, Gagné et Chapleau, 2018a, 2018b ; Larkin, Williams et Blaggan, 2013).

Dimension orthographique

La mise en oeuvre des connaissances phonographémiques est certes importante, mais elle demeure insuffisante pour orthographier correctement tous les mots (Daigle et Montésinos-Gelet, 2013 ; Pacton, 2018). La mobilisation d’autres connaissances est alors essentielle pour orthographier correctement. Lors de la production de mots écrits, les scripteurs doivent choisir entre différents patrons orthographiques qu’ils connaissent et auxquels ils ont été exposés. L’analyse de la dimension orthographique permet d’examiner les connaissances orthographiques du scripteur (Bahr et al., 2012 ; Masterson et Apel, 2000, 2010a, 2010b). Ainsi, lorsque la production de l’élève est phonologiquement acceptable, mais que le choix des graphèmes pour représenter les phonèmes est inadéquat (p. ex., chaise – *chaize), il s’agit d’erreurs dites orthographiques (Fayol, 2008), aussi appelées visuo-orthographiques (Daigle et Montésinos-Gelet, 2013). Durant le parcours scolaire au primaire, les erreurs des élèves sont majoritairement phonologiquement plausibles et altèrent de manière dominante la dimension orthographique (Bahr et al., 2012 ; Godin et al., 2018a, 2018b ; Fayol, 2008 ; Plisson, Daigle et Montésinos-Gelet, 2013).

Les erreurs dites orthographiques sont généralement classées en deux catégories : les erreurs non plausibles et les erreurs plausibles sur le plan orthographique. Cette distinction fait référence à la légalité orthographique (Bruck et Waters, 1988 ; Cassar et Treiman, 1997 ; Masterson et Apel, 2010b ; Masterson et Crede, 1999). Ce concept renvoie aux règles de positionnement des lettres dans les mots. Par exemple, en français, un mot ne peut débuter par une consonne géminée, telle que < ll >, mais celle-ci peut être employée en position médiane (aller, vallée). Or, en espagnol, cette suite de consonnes est tout à fait possible en position initiale (llamada, llaneza). Autrement dit, les erreurs non plausibles sur le plan orthographique sont celles qui dérogent de la légalité orthographique de ladite langue (lavabo – *llavabo). En revanche, les erreurs plausibles sur le plan orthographique permettent de constater que le graphème choisi pourrait être possible dans le contexte lexical et sublexical, mais qu’il s’agit tout de même d’un choix erroné (lavabo – *lavabeau). Une telle erreur représente donc un patron ou une règle orthographique possible, mais appliquée dans un contexte inadéquat (Masterson et Apel, 2014). Ces erreurs révèlent des habiletés de conversion phonographémique fonctionnelles et montrent que les connaissances orthographiques sont encore en développement (Bahr et al., 2012 ; Masterson et Apel, 2000, 2010a, 2010b).

L’exposition répétée aux mots lors de la lecture favorise le développement d’une sensibilité à certaines combinaisons fréquentes de lettres, ce qui renvoie aux régularités graphotactiques (Pacton, 2018). Le concept de régularité réfère à un ensemble d’éléments qui cooccurrent plus souvent que par chance (Deacon et Spark, 2015 ; Treiman, 2017a). Ce concept renvoie à la fréquence d’occurrence de lettres ou de groupes de lettres selon leur position spécifique dans les mots (Pacton et al., 2005). Ainsi, les productions de l’élève peuvent refléter les caractéristiques de l’input auquel il est exposé (Deacon et Spark, 2015). Une des régularités du français réside dans la forte présence de lettres muettes en fin de mot. Les travaux récents de Gingras et Sénéchal (2016) ainsi que de Sénéchal, Gingras et L’Heureux (2016) montrent qu’au moins 28 % des mots en français ont une lettre muette en position finale et que les plus fréquentes sont les lettres t, e, s, x et d. Ces lettres peuvent être une source d’information morphologique dérivationnelle puisqu’elles permettent d’établir un lien avec des mots dérivés (bord – bordure). Certaines études (Sénéchal, 2000 ; Sénéchal, Basque et Leclaire, 2006) montrent que les scripteurs du primaire tendent à s’appuyer sur leurs connaissances morphologiques pour choisir ces lettres muettes dérivables.

Ces éléments permettent de constater à quel point les correspondances phonèmes-graphèmes peuvent être inconsistantes. D’ailleurs, Mousty et ses collègues (1994) ont présenté une classification de graphies dans la Batterie d’évaluation du langage écrit et de ses troubles (BELEC) et y distinguent cinq catégories de graphies (voir Tableau 1). Cette classification montre le caractère plus ou moins systématique des correspondances phonographémiques (c.-à-d. le caractère consistant/inconsistant), la présence de régularités (c.àd. les graphies dominantes/minoritaires), l’influence du contexte (c.à-d. les règles orthographiques) et la présence de lettres muettes.

Dimension morphographique

L’OL encode les unités distinctives minimales de l’oral, soit les phonèmes, mais aussi les plus petites unités significatives de la chaîne orale, soit les morphèmes (Catach, 2003). En français, 80 % des mots sont plurimorphémiques (Rey-Debove, 1984), c’est-à-dire qu’ils sont constitués d’un mot de base et d’au moins un affixe. La dimension morphographique concerne alors les informations morphologiques contenues dans les mots (Masterson et Apel, 2000, 2014), soit les mots de base et les affixes. Lors de la production de mots écrits, une erreur peut être relevée dans le mot de base (cadrage – *quadrage), dans le suffixe (maisonnette – *maisonnète) ou dans le préfixe (parapluie – *parrapluie).

Lorsque la dimension morphographique est atteinte, cela peut être le reflet d’habiletés de conscience morphologique ou de connaissances morphologiques plus faibles (Apel, Masterson et Niessen, 2004 ; Bahr et al., 2012 ; Masterson et Apel, 2000, 2010a, 2010b ; Sénéchal, 2000 ; Sénéchal et al., 2006). En effet, la conscience morphologique permet de traiter et de manipuler les informations morphologiques (Carlisle, 1995 ; Deacon, Kirby et Casselman-Bell, 2009) et, conséquemment, d’établir des relations entre les mots, leur base et leurs formes dérivées afin de guider les choix orthographiques (Apel, Masterson et Niessen, 2004, Masterson et Apel, 2014). D’ailleurs, des études (Deacon et al., 2009 ; Wolter, Wood et D’zatko, 2009) démontrent que ces habiletés expliquent une part unique de la variance des performances orthographiques.

Tableau 1

Classification des graphies selon Mousty et al. (1994)

Classification des graphies selon Mousty et al. (1994)

1. Le mot wagon est une exception.

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Démarche

Comparaison de l’analyse fine et du dénombrement des erreurs

Un système d’analyse fine des erreurs (fine-grained coding system) permet de relever des patrons d’erreurs fréquents et d’émettre des hypothèses sur les connaissances langagières impliquées dans la production de ceux-ci. De plus en plus d’études soutiennent la pertinence d’une analyse fine au-delà d’un simple score de performance (Apel, Masterson et Niessen, 2004 ; Apel et Masterson, 2001 ; Bahr et al., 2012 ; Berninger et al., 2009 ; Masterson et Apel, 2010b). L’analyse fine se distingue du dénombrement d’erreurs pour principalement deux raisons. D’une part, elle permet de mieux cerner la manière dont les scripteurs orchestrent leurs connaissances phonologiques, orthographiques et morphologiques pour orthographier (Bahr et al., 2012 ; Berninger et al., 2009). En revanche, quantifier le nombre d’erreurs permet plutôt d’obtenir un indice de la précision orthographique (Bahr et al., 2012). D’autre part, l’analyse fine oriente plus judicieusement les interventions au regard des erreurs produites (Apel et Masterson, 2001 ; Masterson et Apel, 2010b ; Reed, 2008). Le dénombrement d’erreurs permet plutôt de relever si le scripteur produit beaucoup ou peu d’erreurs comparativement à ses pairs et de déceler un retard dans l’apprentissage. Conséquemment, une analyse fine des erreurs n’a pas pour objectif de mettre une note à un élève, mais bien de saisir les connaissances langagières lacunaires ou fonctionnelles en OL, puis d’orienter les interventions.

Approches contraintes et non contraintes

Différentes méthodes d’analyse fine des erreurs ont été proposées. Ces méthodes se rattachent généralement à des mesures expérimentales afin de préciser la nature des difficultés. Deux grandes approches de cotation des erreurs sont recensées : les approches non contraintes (unconstrained approaches) et les approches contraintes (constrained approaches) (Bahr et al., 2012 ; Lennox et Siegel, 1996). Ces approches se centrent sur la précision lors de la production de mots écrits, et les erreurs sont notées comme étant acceptables ou non sur les plans phonologique et orthographique. La distinction majeure entre ces deux approches réside dans ce qui est considéré comme acceptable. Par exemple, selon une approche non contrainte (voir Bahr et al., 2012), un point est accordé aux productions qui respectent la structure phonologique du mot. En revanche, selon une approche contrainte (voir Bruck et Waters, 1988 ; Caravolas et al., 2001), une attention est en plus accordée au respect des positions des lettres et des règles. Pour illustrer cette distinction, nous retenons l’exemple du mot argent orthographié *argant. Selon une approche non contrainte, la production *argant serait considérée comme phonologiquement acceptable puisque chaque phonème est représenté par un graphème possible. En revanche, selon une approche contrainte, le mot *argant serait considéré phonologiquement inacceptable puisque devant les voyelles écrites «a, o, u», le graphème < g > correspond au phonème /g/ et non au phonème /ʒ/.

Peu importe l’approche retenue, l’analyse fine des erreurs doit permettre de différencier les connaissances langagières qui sont impliquées. Dans le cas de la production *argant, il est difficile de s’assurer que l’erreur est due à des difficultés phonologiques ou à une méconnaissance de la règle orthographique. Pour dégager certaines tendances et pour émettre des hypothèses sur les habiletés impliquées, il importe de collecter un grand nombre d’items produits par l’apprenant (Berninger et Amtmann, 2003 ; Masterson et Apel, 2000, 2010a). La compilation de plusieurs productions orthographiques et une interprétation flexible des causes relatives aux erreurs permettront de mieux comprendre les forces et les difficultés de l’élève. C’est ce que la démarche d’évaluation que nous proposons tente d’atteindre comme objectif.

La démarche proposée s’inspire d’études antérieures et s’inscrit dans une approche contrainte (Bishop et Clarkson, 2003 ; Bruck et Waters, 1998 ; Caravolas et al., 2001). Néanmoins, les erreurs phonographiques dues au non-respect des règles de positionnement sont notées afin de ne pas écarter cette information. L’appellation des types d’erreurs phonographiques et orthographiques est reprise d’autres chercheurs (Fayol, 2008 ; Masterson et Apel, 2000, 2010a ; Pacton, 2018) et les erreurs sont organisées sous les trois dimensions de l’OL (Bahr et al., 2012 ; Masterson et Apel, 2000, 2007, 2010a, 2010b, 2014).

Cette démarche a d’ailleurs été utilisée dans deux études scientifiques récentes (Godin et al., 2018a, 2018b) afin de comparer les habiletés orthographiques de 32 élèves avec et sans trouble développemental du langage (TDL) de 2e année du primaire. Pour illustrer le potentiel de cette démarche, deux cas d’élèves tirés de ces études sont présentés. Leurs performances sont comparées à l’aide de la démarche d’analyse fine des erreurs et de la cotation correcte/incorrecte.

Présentation des deux cas

Les données de Loïc (8 ans et 1 mois) et de Jérémy (8 ans et 10 mois)[1] sont présentées pour illustrer la démarche. Les deux élèves fréquentent la même école, qui est située au sud-ouest de l’île de Montréal. Ils ont tous les deux le français comme langue première et d’usage, et n’ont pas de limites cognitives. Loïc est scolarisé en classe ordinaire de 2e année du primaire et ne présente pas de difficultés langagières ni d’apprentissage. De son côté, Jérémy est scolarisé en classe de langage et a une conclusion clinique de TDL. Selon son enseignante, Jérémy a des compétences en lecture-écriture équivalentes à la 2e année du primaire.

Comparaison des deux cas à l’aide de la cotation correcte/incorrecte

Pour évaluer l’OL, deux dictées ont été passées en groupe dans la classe respective des élèves, en novembre. La première dictée est l’épreuve normalisée Ortho3 (Mousty et al., 1994). Il s’agit d’une dictée trouée de 38 phrases permettant de vérifier la maîtrise de graphies précises (pour un rappel, voir le tableau 1). La seconde dictée est une épreuve expérimentale de 45 mots isolés où un contexte sémantique est fourni (p. ex., Écris long comme dans «Le gazon est long».). La dictée est constituée de 11 mots de haute fréquence (maison, maman), de 10 mots réguliers (métro, finir, trou), de 11 mots formés au moins d’un graphème complexe et d’une règle orthographique (chaise, ciseau, ensemble) et de 13 mots comprenant une lettre muette dérivable ou étant plurimorphémiques (toit, long, boulanger, village). Le tableau 2 rapporte les résultats de l’analyse de cotation correcte/incorrecte pour les deux dictées. Ces résultats permettent de considérer que Loïc et Jérémy ont un profil similaire en OL et que leurs scores à l’Ortho3 sont dans la moyenne des enfants de 2e année du primaire.

Tableau 2

Sommaire des scores obtenus à la dictée normalisée Ortho3 et à la dictée expérimentale en recourant à la cotation correcte / incorrecte

Sommaire des scores obtenus à la dictée normalisée Ortho3 et à la dictée expérimentale en recourant à la cotation correcte / incorrecte

Note.M = Moyenne ; ET = écart-type. Les scores représentent le nombre de graphies (Ortho3) et de mots (dictée expérimentale) produits adéquatement.

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Description de la démarche d’analyse et comparaison des deux cas

Les prochaines sections décrivent les trois étapes de la démarche d’analyse fine des erreurs. Pour appuyer cette démarche, des exemples d’erreurs produites par Loïc et Jérémy à la dictée expérimentale sont fournis. L’analyse complète de leurs productions est fournie aux annexes B et C.

Dénombrement des erreurs

Avant d’entamer l’analyse, chacune des erreurs produites dans les mots écrits doit être dénombrée et codée dans un tableau de répartition de fréquence (voir grille d’analyse à l’Annexe A). Ce type de codification a pour fonctions d’examiner les variables linguistiques impliquées dans la production des erreurs (Bahr et al., 2012 ; Masterson et Apel, 2007) et d’émettre des hypothèses quant à la source des difficultés pour orienter les interventions.

Analyse de la dimension phonographique

D’abord, la première étape consiste à vérifier si la production de l’élève respecte la structure phonologique du mot, donc la dimension phonographique. Une analyse fine des erreurs phonographiques permet de relever les substitutions, les omissions, les ajouts et les déplacements phonémiques (Fayol, 2008 ; Masterson et Apel, 2000, 2010a ; Pacton, 2018).

Dans un premier temps, les substitutions phonémiques renvoient à une production d’un phonème proche sur le plan articulatoire (p. ex., les phonèmes /ʒ/ et /ʃ/, comme dans genou écrit *chenou). Ces confusions de phonèmes sont souvent associées à un mauvais traitement de l’information phonologique. Dans certains cas, les substitutions phonémiques peuvent être le reflet d’une méconnaissance d’une règle orthographique ou de certains graphèmes complexes. Par exemple, Godin et ses collègues (2018a) ont noté que le phonème /ɲ/ transcrit par le graphème complexe < gn > était encore en apprentissage au premier cycle du primaire. Les scripteurs utilisaient généralement le graphème simple < n >, qui représente aussi un phonème proche /n/ (p. ex., magnifique – *manifique). Dans de tels cas, il est difficile de se positionner quant à la source des difficultés et de confirmer s’il s’agit bel et bien d’une substitution phonémique ou d’une substitution orthographique. Il importe donc de noter ces erreurs phonographiques afin d’identifier la source des difficultés.

Puis, les omissions phonémiques réfèrent à un ou plusieurs phonèmes manquants et altérant la structure phonologique du mot à produire (p. ex., chaise – *chè ; /ʃεᴢ/ → /ʃε/). Ces omissions peuvent être le reflet d’un manque d’expérience avec l’écrit, mais surtout d’une mauvaise manipulation de l’information phonologique et de difficultés en conscience phonologique (Bishop et Clarkson, 2003 ; Masterson et Apel, 2014 ; Godin et al., 2018a). De plus, quelques études (Godin et al., 2018a ; Re, Mirandola, Esposito et Capodieci, 2014) ont montré que les élèves ayant de faibles habiletés de mémoire de travail tendent à omettre plus fréquemment des phonèmes dans leurs productions. En effet, ces capacités sont impliquées en OL (Caravolas et al., 2001 ; Lervåg et Hulme, 2010) et permettent au scripteur de maintenir la séquence de phonèmes en mémoire, tout en effectuant les correspondances phonographémiques. Bien que d’autres études soient nécessaires pour appuyer ces constats, des limites dans les capacités de mémoire de travail pourraient favoriser l’apparition d’omissions phonémiques.

Un autre type d’erreurs phonographiques est l’ajout phonémique. Il consiste à ajouter un phonème qui n’est pas présent dans la structure phonologique du mot. Différentes hypothèses peuvent expliquer ces erreurs. D’abord, l’ajout de phonèmes peut être associé à un contexte lexical ou sublexical particulier. Par exemple, Godin et ses collaboratrices (2018a) ont relevé que les ajouts phonémiques peuvent être associés à la présence de lettre muette en position finale chez les apprentis scripteurs (petit – *petite ; gentil – *gentille). Cela témoigne d’un recours partiel et inadéquat à la stratégie de flexion/dérivation pour se rappeler la consonne écrite muette. Cette équipe de chercheuses a aussi relevé l’ajout du /ə/ en contexte de syllabe consonne-voyelle-consonne dont la dernière consonne est le phonème /r/ (dormir – *doremir ; partir – *paretir). Ces ajouts phonémiques apparaissent comme le reflet d’une sursegmentation phonémique. Dans certains cas, ce type d’erreurs phonographiques peut aussi refléter une mauvaise gestion de l’information phonologique (cour – *croure). Ces ajouts sont observés chez les enfants ayant un trouble langagier et une faible mémoire de travail (Godin et al., 2018a).

Enfin, le dernier type d’erreurs phonographiques est le déplacement phonémique. Il renvoie à un ou plusieurs phonèmes déplacés dans le mot (argent – *agrent ; ruisseau – *riusseau). Ce type d’erreur est peu recensé chez les élèves (voir Godin, 2018 ; Plisson et al., 2013), mais il peut témoigner d’une représentation orthographique partielle du mot et en développement.

Pour mettre en lumière la démarche d’analyse des erreurs phonographiques, des productions de Loïc et Jérémy tirées de la dictée expérimentale sont présentées aux tableaux 3 et 4. Les productions de Loïc témoignent d’une certaine faiblesse sur le plan du traitement et de la conscience phonologiques puisqu’il commet quelques substitutions de phonèmes proches. Certaines substitutions pourraient aussi être le reflet de connaissances orthographiques en développement, notamment le graphème complexe < gn > et la règle relative au < s > intervocalique. L’analyse fine des erreurs phonographiques de Jérémy témoigne de difficultés phonologiques plus importantes, engendrant des productions incomplètes et erronées.

Analyse de la dimension orthographique

La deuxième étape de la démarche d’analyse fine des erreurs consiste à examiner les connaissances orthographiques du scripteur (Bahr et al., 2012 ; Masterson et Apel, 2000, 2010a, 2010b). Lorsqu’une erreur orthographique (ou visuo-orthographique) est relevée, la production est phonologiquement acceptable, mais le choix des graphèmes pour représenter les phonèmes est inadéquat (p. ex., chaise – *chaize). Comme pour les erreurs phonographiques, les mêmes appellations sont utilisées : les substitutions, les omissions, les ajouts et les déplacements orthographiques.

D’abord, les substitutions orthographiques représentent une confusion avec un autre graphème. Il est pertinent de préciser la nature de la substitution, par exemple en annotant si le scripteur a choisi un graphème plausible sur le plan orthographique (girafe – *jirafe) ou non (girafe – *jjirafe), s’il a opté pour un graphème plus simple (magique – *magic), plus fréquent (ciseau – *siseau) ou représentant une régularité graphotactique (sirop – *sireau). Ces annotations permettront d’orienter les interventions par la suite.

Puis, les omissions orthographiques renvoient à une production comprenant une ou plusieurs lettres omises, mais dont la structure phonologique n’est pas altérée (petit – *peti). Ce type d’erreur est moins fréquent et apparaît surtout lorsqu’une lettre muette est omise (taudis – *taudi) (Godin et al., 2018b).

Tableau 3

Exemples de productions orthographiques (Loïc) – erreurs phonographiques

Exemples de productions orthographiques (Loïc) – erreurs phonographiques

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Tableau 4

Exemples de productions orthographiques (Jérémy) – erreurs phonographiques

Exemples de productions orthographiques (Jérémy) – erreurs phonographiques

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Ensuite, les ajouts orthographiques sont des productions comprenant une ou plusieurs lettres muettes ajoutées (trou – *troue). Lorsque ce type d’ajout est apposé à la fin des mots, ces erreurs peuvent témoigner d’une sensibilité à la forte présence de lettres muettes en position finale (Gingras et Sénéchal, 2016 ; Peereman, Sprenger-Charolles et Messaoud-Galusi, 2013 ; Sénéchal et al., 2016). Conséquemment, si un élève ajoute une lettre, cela peut être le reflet d’une connaissance graphotactique.

Enfin, le dernier type d’erreur est le déplacement orthographique. Ce type d’erreur est très peu recensé (Godin, 2018), car il s’agit généralement d’une lettre muette déplacée dans le mot (haltère – *althère ; hibou – *ibhou). Comme pour les déplacements phonémiques, ces erreurs témoignent d’une représentation orthographique partielle du mot chez l’élève.

Les lettres muettes sont donc des éléments intéressants à considérer dans l’analyse d’erreurs. Comme l’ont fait précédemment certaines études (Godin et al., 2018b ; Sénéchal, 2000 ; Sénéchal et al., 2006), quatre aspects peuvent être analysés : la production adéquate de la lettre muette, la substitution de la lettre muette par une autre, l’ajout et l’omission d’une lettre muette. En cas d’erreurs, la substitution ou l’ajout peut témoigner d’une sensibilité à cette régularité graphotactique. En revanche, une omission de la lettre muette peut mettre en lumière, entre autres, deux difficultés. D’une part, cela peut témoigner d’une connaissance plus limitée de cette régularité due à une potentielle faible exposition aux mots écrits (Pacton et al., 2001 ; Sénéchal et al., 2016). D’autre part, si les erreurs affectent les lettres muettes dérivables par la morphologie, cela peut témoigner de faibles connaissances morphologiques et de difficultés à établir des liens entre les mots de même famille morphologique (Sénéchal, 2000 ; Sénéchal et al., 2006). Dans ces cas, il est fort pertinent d’analyser les erreurs à partir d’un large ensemble de mots contrôlant ces informations morphologiques.

Pour illustrer la démarche d’analyse des erreurs orthographiques, quelques productions de Loïc et Jérémy sont présentées aux tableaux 5 et 6. D’abord, Loïc apparaît sensible à la présence d’une lettre muette en position finale puisqu’il a tendance à substituer la lettre muette par une autre. En revanche, l’omission des lettres muettes dérivables apparaît comme une difficulté plus récurrente chez Jérémy (voir Tableau 6 et Annexe C). Les deux scripteurs ont également tendance à choisir des graphèmes plus simples et fréquents, ce qui montre que leurs connaissances orthographiques sont en développement.

Tableau 5

Exemples de productions orthographiques (Loïc) – erreurs orthographiques

Exemples de productions orthographiques (Loïc) – erreurs orthographiques

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Tableau 6

Exemples de productions orthographiques (Jérémy) – erreurs orthographiques

Exemples de productions orthographiques (Jérémy) – erreurs orthographiques

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Analyse de la dimension morphographique

La dernière étape consiste à examiner les informations morphologiques dans les mots plurimorphémiques. Deux éléments peuvent être pris en considération : les mots de base et les affixes. Comme le proposent Masterson et Apel (2000, 2014), l’analyse des mots plurimorphémiques doit permettre de relever si l’erreur altère le mot de base (maisonnette – *mézonette) ou l’affixe (maisonnette – *maisonnète). Si l’erreur affecte le mot de base, il importe de vérifier si l’élève peut orthographier correctement le mot de base de manière isolée. D’ailleurs, il est à noter que des erreurs peuvent être compilées dans plus d’une dimension à la fois. Par exemple, pour la production *mézonette, une erreur sera relevée pour la base maison dans la dimension morphographique et trois substitutions orthographiques (graphèmes < ai >, < s >, < nn >) seront relevées dans la dimension orthographique. C’est le cumulatif des types d’erreurs qui permettra de relever quelles connaissances langagières apparaissent plus particulièrement lacunaires.

Dans le cadre de la dictée expérimentale, peu de mots étaient plurimorphémiques, ce qui ne permet pas d’obtenir un portrait complet de la dimension morphographique. Néanmoins, quelques productions de Loïc et Jérémy sont présentées aux tableaux 7 et 8 pour appuyer les propos. De manière succincte, Loïc semble démontrer une plus grande sensibilité aux informations morphologiques dans le mot, comparativement à Jérémy, qui produit plusieurs erreurs altérant la structure phonologique des mots de base.

Sommaire de l’analyse fine des erreurs

À la suite de l’analyse des erreurs produites par Loïc et Jérémy, il est possible de postuler que ces deux élèves n’ont pas un profil orthographique similaire, contrairement à ce que la cotation correcte/incorrecte appliquée à l’Ortho3 et à la dictée expérimentale a démontré.

De manière succincte, le cumulatif des types d’erreurs de Loïc (voir Tableau 9) montre qu’il présente une faiblesse sur le plan phonologique puisqu’il confond certains phonèmes proches sur le plan articulatoire. Or, la majorité de ses erreurs phonographiques est due à la non-maîtrise d’un graphème complexe ou d’une règle orthographique. Les difficultés de Loïc se situent alors davantage dans la dimension orthographique. D’ailleurs, Loïc a tendance à substituer les lettres muettes par d’autres ou à en ajouter dans les mots, ce qui montre une sensibilité à cette régularité.

Tableau 7

Exemples de productions orthographiques (Loïc) – erreurs morphographiques

Exemples de productions orthographiques (Loïc) – erreurs morphographiques

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Tableau 8

Exemples de productions orthographiques (Jérémy) – erreurs morphographiques

Exemples de productions orthographiques (Jérémy) – erreurs morphographiques

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Le cumulatif des types d’erreurs de Jérémy (voir Tableau 10) montre que la dimension phonographique est particulièrement lacunaire. Des substitutions phonémiques sont relevées et de nombreuses omissions phonémiques sont notées. Ces erreurs phonographiques sont rarement dues à la présence d’un graphème complexe ou d’une règle orthographique. Enfin, plusieurs mots de haute fréquence ne sont toujours pas maîtrisés (p. ex., maman – *manman).

Tableau 9

Sommaire de l’analyse fine des erreurs de Loïc

Sommaire de l’analyse fine des erreurs de Loïc

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Tableau 10

Sommaire de l’analyse fine des erreurs de Jérémy

Sommaire de l’analyse fine des erreurs de Jérémy

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Conclusion

La démarche d’analyse fine des erreurs proposée présente de nombreux avantages, comparativement à la cotation correcte/incorrecte. Elle permet d’aller au-delà du score de performance en compilant les erreurs les plus fréquentes et en relevant les connaissances langagières fonctionnelles et lacunaires. Cette démarche peut être appliquée dans le cadre d’une dictée de mots ou de phrases, d’une production de texte ou encore comme analyse expérimentale à une mesure normalisée pour bonifier la cotation correcte/incorrecte.

Malgré les avantages mis en lumière, cette démarche engendre des limites qu’il importe de souligner. D’abord, ce type de démarche requiert un inventaire de mots assez large pour déceler les types d’erreurs fréquents sur lesquels il serait pertinent d’intervenir. Le choix des stimuli et le contrôle préalable des variables linguistiques s’avèrent essentiels pour identifier les forces et les difficultés des scripteurs. La sélection des items requiert donc des connaissances approfondies sur le code orthographique et un travail de longue haleine. Ce travail est plus facile à réaliser dans un contexte de recherche, ce qui n’est pas toujours le cas en milieu scolaire.

Une autre limite réside dans le fait qu’il s’agit d’un processus long et rigoureux. Dans le contexte scolaire actuel, les enseignants ou les orthopédagogues n’ont pas toujours le temps de procéder à une analyse aussi précise auprès de l’ensemble de leurs élèves.

Pour répondre à ces limites, il importe de mettre en place des recherches collaboratives, notamment afin que les chercheurs puissent soutenir les enseignants dans l’utilisation d’une telle démarche d’analyse et dans l’appropriation des concepts relatifs à l’OL.

De plus, pour les enseignants, il n’est pas nécessaire d’utiliser la démarche exhaustive à tout coup. Au début, ils peuvent recourir à la démarche complète auprès de quelques productions d’élèves afin de se familiariser avec celle-ci. Avec la pratique, les enseignants pourront se dégager de la cotation correcte/incorrecte et seront amenés à examiner avec précision les productions orthographiques. Les types d’erreurs seront donc relevés «sur le vif» et pourront alors orienter les interventions.

Cette démarche d’analyse offre une fenêtre riche en informations pour mieux situer les zones de forces des élèves et les difficultés qu’ils peuvent éprouver en OL. Elle s’avère pertinente pour les chercheurs du domaine afin de mieux saisir les habiletés qui peuvent être impliquées dans la production de mots écrits et elle fournit un levier aux enseignants pour orienter les pratiques didactiques. En recourant à une telle démarche, les enseignants peuvent améliorer la compréhension des besoins de leurs élèves et éviter la simple cotation correcte/incorrecte, qui serait la méthode la plus fréquemment utilisée (Masterson et Apel, 2010b).

De futures études testant l’efficacité d’une formation offerte à des enseignants sur l’analyse fine des erreurs et sur les possibilités de guider les interventions à mettre en place seraient fort pertinentes. Enfin, la création d’une grille informatisée permettant l’analyse fine des erreurs pourrait faciliter le travail de différents intervenants.