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Introduction

Les universités québécoises offrent des services de soutien aux étudiants éprouvant des difficultés diverses. En nombre limité, les rencontres offertes par des professionnelles et professionnels en travail social, en psychologie, en psychoéducation ou en orientation requièrent de dépister rapidement et efficacement la nature des difficultés afin de soutenir les étudiants ou de les orienter vers d’autres ressources. La situation des étudiants de cycles supérieurs diffère de celle des étudiants de premier cycle par le fait que la plupart s’engagent dans un projet de recherche, qu’ils sont plus âgés et qu’ils ont des responsabilités et des dettes accumulées (Bonin & Bujold, 2008 ; Conseil supérieur de l’éducation, 2010 ; Diallo et al., 2009). Dans ce contexte, cette étude a pour objectif de recenser ces difficultés et de les classifier afin d’élaborer une échelle de mesure. À notre connaissance, un instrument fiable, adapté au contexte québécois et aux cycles supérieurs avec projet de recherche ne semble pas disponible pour un tel dépistage. La méthode de construction et le processus de validation utilisés sont inspirés de Churchill (1979) et DeVellis (2003). La Figure 1 illustre la démarche de recherche suivie. Cet article présente chacune de ces étapes.

Étape 1 : Recension des écrits

Afin de mieux cerner les difficultés et dans le but de construire une échelle pour les évaluer, nous avons d’abord effectué une recension des écrits (1999-2017) à l’aide des bases de données PsycArticles, PsycInfo, EBSCOhost, ProQuest, ScienceDirect, Scopus, Google Scholar et Google. Les mots clés ayant guidé les recherches sont les suivants : « défis/challenges », « obstacles », « problèmes/problems », « étudiants aux cycles supérieurs/graduate students », « étudiants au doctorat/doctoral students » et « santé mentale/mental health ». Par la suite, la liste de références des articles sélectionnés a été examinée afin d’identifier d’autres études pertinentes. La recension des écrits regroupe 20 études au total.

Figure 1

Démarche utilisée pour élaborer l’EDECS

Démarche utilisée pour élaborer l’EDECS

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Étape 2 : Classification des difficultés aux cycles supérieurs par analyse de contenu

La recension des écrits a permis d’élaborer une classification préliminaire décrivant les principales difficultés aux cycles supérieurs (voir Figure 2). Les difficultés dans les 20 articles repérés ont été classifiées par deux personnes de manière indépendante avec indices de fidélité atteignant un seuil minimal de 0,80. Cette recension et la classification par analyse de contenu ont permis de cerner les neuf thèmes dont suivent ici les descriptions.

Figure 2

Classification préliminaire des difficultés aux cycles supérieurs en 9 thèmes

Classification préliminaire des difficultés aux cycles supérieurs en 9 thèmes

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Les difficultés financières

Les difficultés financières se traduisent par de faibles revenus, par la perception de ressources financières insuffisantes et par la compétition pour obtenir des bourses de recherche (Grady et al., 2014 ; Landry, 2017 ; Pyhältö et al., 2012). Au Québec, seulement 30 % des étudiants à la maîtrise et au doctorat bénéficient d’une bourse (Conseil supérieur de l’éducation, 2010). L’accès restreint au financement a un effet négatif sur la progression de l’étudiant dans son programme (Barry et al., 2018 ; Leijen et al., 2016 ; van der Haert et al., 2014).

La conciliation études et vie personnelle

Le manque de temps nuit à la conciliation des études, du travail, des obligations familiales ainsi que des relations interpersonnelles (Grady et al., 2014 ; Landry, 2017 ; Rizzolo et al., 2016). Tenter de concilier les différentes sphères de vie nécessite des décisions concernant l’établissement des priorités et l’allocation des ressources (Sverdlik et al., 2018). Certaines sphères personnelles peuvent dès lors être négligées telles que la famille, les amis, les loisirs ou encore les activités physiques. Des étudiants se retrouvent face à des dilemmes exigeant des sacrifices dans leurs études ou dans leur vie personnelle, par exemple différer la fondation d’une famille (Skakni, 2016).

La gestion du temps

Les programmes de cycles supérieurs sont moins structurés que les programmes de premier cycle et ils exigent davantage d’autonomie, notamment en période de rédaction (Pyhältö et al., 2012 ; Sverdlik et al., 2018). L’étudiant doit gérer les cours, les séminaires, les lectures, les rencontres, les colloques, la rédaction, etc. (Landry, 2017). L’étudiant qui peine à organiser son temps a de la difficulté à gérer ses priorités et à respecter les échéances.

Le travail de recherche

Le manque de préparation aux cycles supérieurs peut se caractériser par une sélection inefficace de l’information nécessaire à la rédaction : la lecture des textes sur le sujet se fait souvent une seule fois, sans stratégies ni anticipation de l’information utile (Bégin, 2013 ; Landry, 2017). Il est possible également que le passage à l’écriture soit problématique. L’étudiant demeure alors dans un processus de réflexion et de documentation, reportant la rédaction ou attendant l’inspiration (Bégin, 2013 ; Landry, 2017).

La relation avec la direction de recherche

Le manque d’encadrement ou de disponibilité de la part de la direction de recherche peut représenter une autre difficulté (Bégin, 2013 ; Grady et al., 2014 ; Landry, 2017 ; Pyhältö et al., 2012). Les délais dans la remise des corrections, l’absence de rétroaction ou de réponse aux courriels et les commentaires peu clairs ou constructifs posent aussi problème (Bégin, 2013 ; Dupont et al., 2013). Ce déficit d’encadrement peut entraîner chez l’étudiant un manque de repères quant à l’orientation de son travail et de l’insécurité sur sa capacité à effectuer les tâches requises par la règlementation de son programme (Barry et al., 2018 ; Bégin, 2013 ; Dupont et al., 2013). Enfin, il peut y avoir des tensions entre l’étudiant et sa direction de recherche en raison de personnalités incompatibles ou de désaccords quant à l’orientation du projet (Gemme & Gingras, 2006 ; Pyhältö et al., 2012 ; Yamada et al., 2014).

Le stress et l’anxiété

Le stress des étudiants de cycles supérieurs (El-Ghoroury et al., 2012 ; Gerard & Nagels, 2017 ; Landry, 2017 ; Pyhältö et al., 2012) serait le résultat de la combinaison des exigences de la formation, des contraintes de temps et de certains traits de personnalité tels que le perfectionnisme et le souci du détail (Offstein et al., 2004). Des sources de stress sont les finances, la recherche, le faible équilibre études-vie personnelle ainsi que l’isolement (El-Ghoroury et al., 2012). Gerard et Nagels (2017) montrent que 50 % des doctorants (n = 357) évaluent leur niveau de stress comme étant élevé ou très élevé. Garcia-Williams et al. (2014) indiquent que 52 % des étudiants aux cycles supérieurs (n = 301) se sentent anxieux. Plus l’étudiant se sent stressé ou anxieux, moins il progresse et plus il envisage d’abandonner ses études supérieures (Barry et al., 2018 ; Pyhältö et al., 2012 ; Rigg et al., 2013).

L’épuisement

Hyun et al. (2006) révèlent que 40 % des étudiants aux cycles supérieurs (n = 3121) se sentent épuisés. L’épuisement serait causé par les exigences des études, couplées au fait d’être employé comme auxiliaire d’enseignement ou de recherche (Rigg et al., 2013). Les étudiants les plus susceptibles d’être épuisés sont ceux qui rapportent un faible sentiment d’efficacité personnelle, un faible soutien social et un faible engagement dans leurs études (Rigg et al., 2013). De plus, une insécurité par rapport à ses finances, une relation non fonctionnelle avec la direction de recherche, une faible fréquence des contacts avec les amis, un sentiment de solitude ainsi que le stress lié à la rédaction sont des facteurs associés à l’épuisement (Bérard et al., 2019 ; Hyun et al., 2006). L’épuisement peut d’ailleurs mener à l’abandon du projet scolaire (Rigg et al., 2013).

L’isolement

En raison du manque de temps et d’énergie, l’étudiant peut avoir de la difficulté à maintenir ses relations interpersonnelles et à développer des relations avec ses pairs (Grady et al., 2014 ; Longfield et al., 2006 ; Offstein et al., 2004). Il peut vivre de l’isolement de trois façons : ne pas faire partie d’un groupe spécifique, ne pas être affilié à la vie universitaire ou ne pas être en contact avec les autres étudiants (Grady et al., 2014). Le sentiment d’isolement vécu par l’étudiant peut être accentué si ses proches ne comprennent pas les exigences de sa formation aux cycles supérieurs (Grady et al., 2014 ; Sverdlik et al., 2018).

Les symptômes dépressifs

Environ 20 % des étudiants aux cycles supérieurs présentent des symptômes dépressifs modérés, 18 % modérément sévères et 12 % sévères (Bérard et al., 2019). Les étudiants susceptibles de présenter des symptômes dépressifs sont ceux qui seraient inquiets par rapport à leurs finances (Eisenberg et al., 2007). Plus inquiétant encore, 14 % des étudiants aux cycles supérieurs auraient des idées suicidaires (Bérard et al., 2019), comparativement à 3 % de la population québécoise (ISQ, 2016). L’anxiété et la dépression, bien que vécues différemment d’une personne à l’autre, viennent fragiliser la persévérance de l’étudiant.

Étapes 3 et 4 : Élaboration des items et validation de contenu auprès d’experts

Pour chaque thème, trois à quatre items ont été créés en vue de construire l’EDECS. L’ébauche de cette échelle inclut 30 items. Cette première version selon les neuf thèmes (voir Figure 2) a été soumise à 12 experts (professeur[e]s, psychologue, orthopédagogue, conseillers d’orientation, travailleuse sociale, psychoéducatrice) ayant entre 6 mois et 25 années d’expérience (moy. = 11), dont 8 femmes, afin de s’assurer que les items reflétaient les difficultés aux cycles supérieurs (Delgado-Rico et al., 2012). Les experts pouvaient aussi faire des propositions de nouveaux items. À partir de leurs commentaires, l’EDECS a compté 43 items (8 retirés, 21 ajoutés et 13 modifiés).

Étape 5 : Préexpérimentation de l’EDECS

L’EDECS de 43 items en 9 thèmes a été soumise à une préexpérimentation auprès de 11 étudiants aux cycles supérieurs (8 femmes et 3 hommes ; 1 à la maîtrise en droit et 10 au doctorat en psychologie). Cette préexpérimentation a permis d’identifier la clarté de la consigne et des items, la durée et le processus de réponse. Le temps moyen de passation de l’EDECS était de 4 minutes 49 secondes (étendue = 3 min 6 à 5 min 41). Après la prise en compte des commentaires des étudiants, la consigne et 17 items de l’EDECS ont été reformulés pour plus de clarté.

Étape 6 : Expérimentation de l’EDECS et analyse factorielle exploratoire

Participants

À la suite de l’approbation éthique du Comité d’éthique de la recherche pour les projets étudiants impliquant des êtres humains de l’université d’attache, le recrutement s’est effectué par le biais des réseaux sociaux, des associations étudiantes, des professeurs, des agents de gestion aux études ainsi que des affiches.

Les 500 participants sont des étudiants aux cycles supérieurs du Québec (361 se décrivant comme étant une femme, 134 comme un homme, 4 comme une personne non binaire et 1 comme une personne transgenre). Parmi les questionnaires reçus, 69 étaient incomplets et ont préalablement été retirés de la base de données. La moyenne d’âge des participants est de 29,15 ans (E-T = 6,81 ; étendue = 21-67 ans). L’échantillon compte 262 étudiants à la maîtrise et 238 étudiants au doctorat. Les participants devaient être inscrits dans un programme de cycles supérieurs avec travail de recherche. Ils représentent l’ensemble des domaines d’étude et proviennent de toutes les universités québécoises francophones, excepté trois participants provenant d’une université anglophone.

Version expérimentale de l’EDECS

La version utilisée pour l’analyse factorielle exploratoire est en langue française, peut être autoadministrée et comprend 43 items. Pour chaque item, l’étudiant indique jusqu’à quel point cela représente une situation problématique, à l’aide d’une échelle de Likert à quatre points : 1 = pas du tout problématique, 2 = peu problématique ; 3 = assez problématique et 4 = très problématique. Le terme « problématique » a été sélectionné afin d’identifier ce qui pose problème pour l’étudiant, et non les situations ardues, mais jugées normales aux cycles supérieurs.

Procédure

La participation s’est effectuée en ligne par le biais de la plateforme LimeSurvey. Les participants devaient dans un premier temps donner leur consentement, puis remplir une fiche de renseignements personnels contenant 26 questions ainsi que la version expérimentale de l’EDECS (43 items).

Analyses statistiques

À l’aide du logiciel statistique SPSS (version 26), nous avons d’abord exploré la structure factorielle à partir des neuf thèmes identifiés. Cette conception préliminaire à neuf facteurs s’est avérée non concluante et ne correspondait pas aux sous-échelles de départ, les items ne s’étant pas regroupés aux facteurs attendus.

Par la suite, nous avons réalisé une analyse factorielle exploratoire en axes principaux avec rotation oblique (direct oblimin) sur l’EDECS. Ce type d’analyse est indiqué lorsque nous ne disposons pas de modèle théorique a priori pour regrouper les items (Kermarrec & Michot, 2007). De son côté, la rotation oblique est recommandée lorsqu’on suppose que les facteurs sont corrélés (Field, 2013). Le nombre de facteurs devant être retenus est déterminé à l’aide de l’examen visuel du tracé d’effondrement, lequel fournit un critère fiable avec un échantillon de plus de 200 participants (Stevens, 2002). Cattell (1966) suggère d’utiliser le point d’inflexion du tracé d’effondrement comme coupure pour la sélection de facteurs. Les coefficients de saturation des facteurs doivent être supérieurs à 0,30 pour être considérés comme significatifs (Comrey & Lee, 1992 ; Hair et al., 1998). Tabachnick et Fidell (2007) proposent les seuils suivants pour interpréter les saturations : 0,32 = faible ; 0,45 = passable ; 0,55 = bon ; 0,63 = très bon et 0,71 = excellent. Nous avons également calculé les alphas de Cronbach (α) afin d’estimer la cohérence interne des sous-échelles de l’EDECS et avons effectué des corrélations intraclasse pour évaluer leur stabilité temporelle.

Structure factorielle

Une analyse factorielle exploratoire en axes principaux avec rotation oblique a été effectuée sur les 43 items de l’EDECS. La mesure de Kaiser-Meyer-Olkin (variant entre 0 et 1) a permis de vérifier l’adéquation de l’échantillon aux fins de l’analyse. La valeur obtenue au test de KMO est de 0,93, ce qui est considéré comme « excellent » selon Hutcheson et Sofroniou (1999). À partir du septième facteur, seuls un à deux items saturaient avec un facteur principal. Trois items ne présentaient pas de saturation minimalement acceptable de 0,30 et trois items présentaient des saturations croisées. Ces six items ont donc été éliminés.

Tableau 1

Résultats de l’analyse factorielle exploratoire de l’EDECS

Résultats de l’analyse factorielle exploratoire de l’EDECS

Tableau 1 (continuation)

Résultats de l’analyse factorielle exploratoire de l’EDECS

Note. Pour augmenter la visibilité, les saturations inférieures à 0,30 ne sont pas figurées.

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Par la suite, nous avons réalisé une nouvelle analyse factorielle exploratoire en utilisant les 37 items retenus (voir Tableau 1). Le tracé d’effondrement montre une inflexion au quatrième facteur, ce qui justifie de retenir quatre facteurs. La structure factorielle résultante a révélé la présence de quatre facteurs avec une valeur propre au-dessus du critère de Kaiser de 1 et expliquant ensemble 50,84 % de la variance. Ce pourcentage est acceptable selon Streiner (1994). Les coefficients de saturation des items de l’EDECS se situent entre 0,33 et 0,88 (moy. = 0,58).

Les quatre facteurs (sous-échelles) ont été nommés en fonction du contenu des items (voir Tableau 2) : finances ; exécution des tâches scolaires/du travail de recherche ; soutien social et sens de la démarche ; et conciliation études-vie personnelle et bien-être psychologique. La version de l’EDECS conservée à la suite de l’analyse factorielle inclut donc 4 sous-échelles et 37 items. L’EDECS produit un score (calcul de moyenne) pour chaque sous-échelle, allant de 1 = pas du tout problématique à 4 = tout à fait problématique. Ainsi, plus le score est élevé, plus l’étudiant perçoit une difficulté.

Tableau 2

Cohérence interne des sous-échelles

Cohérence interne des sous-échelles

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Étape 7 : Analyse de la cohérence interne et des corrélations entre les sous-échelles

La cohérence interne des quatre sous-échelles a été démontrée à l’aide de l’alpha de Cronbach. Les valeurs (voir Tableau 2) varient entre 0,86 et 0,93, ce qui est supérieur au seuil minimal requis de 0,70 (Nunnaly, 1978).

Le Tableau 3 présente les scores moyens obtenus aux sous-échelles de l’EDECS ainsi que les corrélations entre les scores aux sous-échelles. Les scores varient entre 2,11 et 2,51 (2 = peu problématique ; 3 = assez problématique). Le score le plus faible (2,11) concerne le soutien social et le sens de la démarche. Le score le plus élevé (2,51) concerne l’exécution des tâches scolaires/du travail de recherche.

Tableau 3

Statistiques descriptives et corrélations entre les sous-échelles

Statistiques descriptives et corrélations entre les sous-échelles

Note. ** = p < 0,01 ; 1 = pas du tout problématique ; 2 = peu problématique ; 3 = assez problématique ; 4 = tout à fait problématique.

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Différences en fonction des données sociodémographiques

Des tests t ont été réalisés pour déterminer les différences de scores obtenues aux sous-échelles de l’EDECS sur des variables connues comme influençant l’engagement, l’expérience et la réussite des étudiants en formation aux cycles supérieurs (Bérard et al., 2019 ; Bonin & Bujold, 2008 ; Levecque et al., 2017). Ainsi, l’identité de genre, le niveau d’études, l’emploi, une situation de handicap, un diagnostic en santé mentale, la prolongation dans les études et la présence d’enfants à charge sont les sept variables mises en relation avec les résultats aux quatre sous-échelles (voir Tableau 4). Lorsque des différences significatives ont été constatées, la taille d’effet a été calculée par l’eta-carré (η2). Un indice de 0,01 correspond à un effet de petite taille, un indice de 0,06 correspond à un effet de moyenne taille et un indice de >0,14 correspond à un effet de grande taille (Cohen, 1988).

Les femmes ont plus de difficultés dans les finances, dans la conciliation des études avec leur vie personnelle ainsi que dans l’exécution des tâches scolaires/du travail de recherche, en comparaison avec les hommes (différences faibles).

La sous-échelle « finances » obtient aussi un score significativement plus élevé pour les étudiants de doctorat, comparativement à ceux de maîtrise, ainsi que pour les étudiants qui occupent un emploi, par rapport à ceux qui n’en ont pas (faibles différences). La sous-échelle « exécution des tâches scolaires/du travail de recherche » présente un score plus élevé chez les étudiants de maîtrise et ceux qui sont en situation de handicap, comparés à ceux qui ne le sont pas. Au contraire, elle présente un score moins élevé lorsque les étudiants ont des enfants à charge. Ces différences sont considérées comme faibles.

Tableau 4

Résultats des analyses de moyennes (tests t) selon 7 variables

Résultats des analyses de moyennes (tests t) selon 7 variables

Note. * = p ≤ 0,05 ; ** = p < 0,01 ; 1 = pas du tout problématique ; 2 = peu problématique ; 3 = assez problématique ; 4 = tout à fait problématique.

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Les participants qui occupent un emploi et ceux qui sont en situation de handicap éprouvent plus de difficultés de conciliation. Les étudiants en prolongation dans leur programme et ceux ayant un diagnostic en santé mentale présentent plus de difficultés aux quatre sous-échelles (différences entre faibles et moyennes).

Étape 8 : Vérification de la stabilité temporelle

Afin de vérifier la stabilité temporelle, 188 étudiants parmi le bassin de 500 participants ont répondu en ligne à l’EDECS une seconde fois (91 à la maîtrise, 97 au doctorat ; 135 se décrivant comme une femme, 51 comme un homme et 2 comme une personne non binaire). Ceux-ci sont âgés en moyenne de 28,97 ans E-T = 6,05 ; étendue = 21-59 ans). Les coefficients de corrélation intraclasse (voir Tableau 5) varient entre 0,91 et 0,93, ce qui est considéré comme « excellent » selon Koo et Li (2016). Les résultats soutiennent la stabilité temporelle des sous-échelles de l’EDECS.

Tableau 5

Stabilité temporelle des sous-échelles

Stabilité temporelle des sous-échelles

Note. ** = p < 0,01.

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Discussion

La démarche initiale d’identification des difficultés à partir de la littérature a permis de cerner et de catégoriser de façon préliminaire neuf thèmes. L’analyse factorielle exploratoire les a réduits à quatre thèmes. Cela semble logique, car des difficultés (p. ex., le stress, l’anxiété, la dépression) sont fortement reliées. La Figure 3 présente le modèle qui émerge de l’analyse factorielle effectuée.

Sous-échelle finances

La sous-échelle « finances » est fidèle à celle postulée initialement, ce qui suggère que les finances représentent une catégorie de difficultés aux cycles supérieurs distincte et bien définie.

Figure 3

Schéma des sous-échelles des difficultés aux cycles supérieurs émergeant de l’analyse factorielle

Schéma des sous-échelles des difficultés aux cycles supérieurs émergeant de l’analyse factorielle

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Sous-échelle exécution des tâches scolaires du travail de recherche

Les thèmes initiaux « gestion du temps » et « travail de recherche » ont fusionné pour former la sous-échelle « exécution des tâches scolaires/du travail de recherche », indiquant que la réalisation d’un travail de recherche fait appel à des compétences en gestion du temps. En effet, au moment de la rédaction du travail de recherche, le rapport au temps est différent : les repères du premier cycle ne sont plus présents. En l’absence de l’encadrement habituel, l’étudiant devient le principal responsable de son emploi du temps (Careau & Mimeault, 2020). Par ailleurs, la tâche de rédaction offre peu de renforcements à court terme et implique peu de pression sociale pour respecter les échéances.

Sous-échelle soutien social et sens de la démarche

Les thèmes initiaux « relation avec la direction de recherche » et « isolement » se sont regroupés pour constituer la sous-échelle « soutien social et sens de la démarche ». Le soutien social réfère aux ressources perçues comme disponibles dans l’environnement, ce qui englobe les relations avec les pairs, la direction de recherche, les professeurs et les membres du personnel (Vekkaila et al., 2018). Par ailleurs, les items de l’EDECS traduisant un manque de soutien social perçu se sont regroupés avec des items reflétant une perte de sens de la démarche, tels que « Ne plus être motivé(e) par votre programme d’études » et « Éprouver de la difficulté à voir la pertinence de votre programme d’études par rapport à l’ensemble de votre projet de vie ». La perte de sens de la démarche correspond à une remise en question de la pertinence du projet de formation entrepris, qui n’est plus perçu comme étant valable, intéressant ou utile (Bégin, 2013). La littérature scientifique indique d’ailleurs, tout comme nos résultats, que le manque de soutien social est significativement associé au désintérêt et au désengagement dans la formation (Caesens et al., 2014 ; Pyhältö et al., 2012 ; Vekkaila et al., 2018).

Sous-échelle conciliation études-vie personnelle et bien-être psychologique

Le thème initial « conciliation études-vie personnelle » s’est amalgamé avec les thèmes initiaux « stress/anxiété », « épuisement » et « symptômes dépressifs » pour constituer la sous-échelle « conciliation études-vie personnelle et bien-être psychologique ». Ces résultats sont cohérents avec la littérature scientifique indiquant que le déséquilibre entre les études et la vie personnelle est associé au stress, à l’épuisement, à la dépression et à un niveau plus faible de bien-être psychologique chez les étudiants de cycles supérieurs (El-Ghoroury et al., 2012 ; Evans et al., 2018 ; Galdino et al., 2016 ; Lonka et al., 2019 ; University of California Berkeley, 2014). D’ailleurs, le déséquilibre entre les études et la vie personnelle serait le plus grand prédicteur de la détresse psychologique chez les étudiants de cycles supérieurs (Levecque et al., 2017).

Variable prolongation des études

Les différences de scores observées aux quatre sous-échelles de l’EDECS entre les étudiants en prolongation de programme et ceux qui ne sont pas dans cette situation sont consistantes avec les résultats d’études précédentes montrant que la prolongation des études de cycles supérieurs est associée à la précarité financière, à une tendance personnelle à la procrastination, à un faible sentiment d’autoefficacité concernant la réalisation du travail de recherche, au peu de soutien social, à la difficulté de concilier les études avec la vie personnelle et à la détresse psychologique (Aris, 2018 ; Dupont et al., 2013 ; Lonka et al., 2019 ; Muszynski & Akamatsu, 1991).

Variable emploi

La différence de scores trouvée à la sous-échelle « conciliation études-vie personnelle » entre les étudiants occupant un emploi et ceux qui n’en ont pas est cohérente avec les études qui montrent que travailler en parallèle de ses études augmente le nombre de rôles à assumer, ce qui réduit le temps pouvant être consacré à sa vie personnelle (Offstein et al., 2004).

Variable diagnostic en santé mentale

Les étudiants ayant un diagnostic en santé mentale présentent plus de difficultés à la sous-échelle « exécution des tâches scolaires/du travail de recherche ». Dans les travaux de St-Onge et al. (2010), les résultats montrent que les étudiants ayant un diagnostic en santé mentale ressentaient peu le besoin d’aide dans la planification de leur agenda et de leur temps pour la réalisation de leurs travaux. Par contre, leur étude montre que plus de la moitié des étudiants ayant un diagnostic en santé mentale et étant sous médication rapportaient des problèmes de concentration en raison des effets secondaires de cette dernière. On peut donc se questionner si les étudiants aux cycles supérieurs vivant avec un trouble de santé mentale ont plus de difficultés avec l’exécution des tâches scolaires/du travail de recherche en raison d’une plus faible capacité de concentration. En plus des problèmes avec la réalisation des tâches scolaires, ces étudiants ont plus de difficultés avec les finances et vivent davantage une perte de sens de la démarche, comparativement à ceux n’ayant pas de diagnostic en santé mentale. Ces résultats sont cohérents avec le fait que les services les plus utilisés par les étudiants ayant un trouble de santé mentale sont l’aide pédagogique, le soutien financier ainsi que l’orientation scolaire et professionnelle (St-Onge et al., 2010).

Variable situation de handicap

D’autres comparaisons viennent aussi appuyer la relation à d’autres variables comme la présence d’une situation de handicap. Les étudiants en situation de handicap éprouvent plus de difficultés sur le plan du bien-être psychologique, ce qui est cohérent avec les résultats de l’enquête de Bérard et al. (2019), qui montrent que ces étudiants ont des niveaux plus élevés de détresse psychologique.

Variable niveau d’études

La sous-échelle « finances » indique de plus grandes difficultés pour les étudiants de doctorat, comparés à ceux de maîtrise. Cette différence semble logique puisque les dettes se sont en général accumulées à ce stade.

Par ailleurs, la sous-échelle « exécution des tâches scolaires/du travail de recherche » présente un score plus élevé chez les étudiants de maîtrise, comparativement à ceux de doctorat. Cette situation est aussi cohérente puisque, pour les étudiants de maîtrise, la rédaction est souvent leur première expérience d’un processus d’écriture et de production d’une telle ampleur et dans un cadre moins contraignant sur le plan des échéanciers que le sont les cours de premier cycle (Bégin, 2018). Il est probable que les étudiants de doctorat aient développé, durant leurs études de maîtrise, des habiletés de gestion du temps essentielles à la réalisation d’un travail de recherche. Il est aussi possible que ces différences soient le résultat d’un processus d’autosélection : les étudiants qui ont éprouvé de grandes difficultés dans l’exécution de leurs tâches scolaires/du travail de recherche pendant leur maîtrise ont moins de chances d’avoir poursuivi leurs études au doctorat. Cependant, il faut préciser que 64 participants provenaient du doctorat en psychologie, où les deux niveaux d’études (maîtrise et doctorat) ont actuellement fusionné dans le programme. Il est donc difficile de tirer des conclusions fermes à ce sujet.

Variable enfants à charge

Les étudiants parents semblent éprouver moins de difficultés dans les tâches scolaires et le travail de recherche. Il est difficile d’interpréter cette faible différence, car la littérature scientifique québécoise en cette matière n’est pas unanime. Selon Larivière et Lepage (2010), les étudiants parents peuvent bien réussir dans l’enseignement supérieur incluant cégep et université. Toutefois, un rapport du Réseau de l’Université du Québec souligne le faible taux de diplomation aux cycles supérieurs des étudiants parents (Comité scientifique de la Grande initiative réseau en Réussite, 2020). Il est possible que les étudiants parents utilisent une organisation efficace où les tâches scolaires se doivent d’être réalisées au même titre que leurs autres obligations.

Variable identité de genre

Enfin, les femmes présentent significativement plus de difficultés liées à la sous-échelle « conciliation études-vie personnelle et bien-être psychologique », comparativement aux hommes. Ce résultat est cohérent aux résultats d’études précédentes ayant montré que les femmes aux cycles supérieurs éprouvent plus de difficultés à concilier leurs études avec leur vie personnelle que les hommes et qu’elles rapportent plus de symptômes de stress, d’anxiété et de dépression (Chapell et al., 2005 ; Gerard & Nagels, 2013 ; Levecque et al., 2017 ; Mallinckrodt & Leong, 1992).

Conclusion

Cette étude a permis de concevoir et d’entamer un processus d’élaboration d’un nouvel instrument de mesure : l’Échelle d’évaluation des difficultés aux études de cycles supérieurs (EDECS). Les sous-échelles possèdent des niveaux de cohérence interne élevés et une bonne stabilité temporelle. À notre connaissance, il s’agit du premier questionnaire en langue française ayant subi un processus de validation permettant d’évaluer un ensemble de difficultés rencontrées en formation aux cycles supérieurs (avec projet de recherche). L’EDECS pourrait s’avérer utile en recherche pour étudier par exemple les effets des interventions favorisant le bien-être des étudiants.

Limites

Nous suggérons, pour les recherches futures, d’effectuer une analyse factorielle confirmatoire avec un nouvel échantillon. Bien que cette étude ait permis d’obtenir des données sur la validité de contenu (revue de la littérature, jugement d’experts), sur la structure factorielle, sur la fidélité (cohérence interne, stabilité temporelle) et sur la corrélation entre variables, des analyses supplémentaires devraient être effectuées pour obtenir d’autres preuves de validité. Les études sur l’EDECS devront donc se poursuivre en parallèle avec son expérimentation par les professionnelles et professionnels en soutien aux étudiants.

Notre échantillon incluait plus de femmes que d’hommes, ce qui constitue une autre limite. Ce débalancement peut s’expliquer en partie par les programmes d’où proviennent les répondants. Une proportion importante provient des sciences humaines, où il y a plus de femmes que d’hommes. De plus, il est possible que répondre en ligne à ce type de questionnaire motive davantage les étudiants de programmes comme la psychologie. En outre, l’échelle a été conçue pour les étudiants inscrits dans un programme de cycles supérieurs avec projet de recherche et ne reflète donc peut-être pas l’ensemble des défis de programmes sans recherche.

Considérant le contexte d’intervention brève des professionnelles et professionnels en soutien aux étudiants dans les universités, nous leur suggérons de faire passer l’EDECS avant la première rencontre avec l’étudiant ou au début de celle-ci pour faire un survol rapide de ses difficultés. L’EDECS a été conçue pour le travail clinique afin d’identifier rapidement la ou les dimension(s) où une intervention serait pertinente et afin de diriger l’étudiant vers les ressources adéquates de son institution (soutien en apprentissage, financier ou psychologique ou encore service d’orientation). Il n’y a pas de normes développées pour l’EDECS, mais le professionnel peut interpréter les scores de l’étudiant en les comparant aux scores moyens des sous-échelles obtenus avec l’échantillon d’étudiants aux cycles supérieurs au Québec (voir Tableau 4). De plus, le professionnel peut comparer les scores aux sous-échelles entre eux. Il peut ainsi identifier le score le plus élevé et, par conséquent, connaître la dimension où l’étudiant présente le plus de difficultés. Bien entendu, une discussion sur les résultats avec l’étudiant est nécessaire pour identifier les situations particulières et les causes perçues des difficultés. Un retour sur les items auxquels l’étudiant a répondu 3 (assez problématique) ou 4 (très problématique) peut notamment orienter le travail clinique.

L’EDECS constitue, pour les professionnelles et professionnels des universités chargés d’offrir des services de soutien aux étudiants, un outil supplémentaire qui dépiste les difficultés les plus fréquentes aux cycles supérieurs. Il est tout de même suggéré de demander à l’étudiant s’il vit d’autres difficultés non abordées dans l’EDECS afin de ne pas omettre une difficulté importante (p. ex., liée à la langue d’écriture ou à l’adaptation à la culture du département).