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Introduction

Des personnes de nationalités diverses forment la société canadienne. Selon Statistique Canada (2017), « Cette diversité [ethnoculturelle entraînée par l’évolution de l’immigration] s’observe de plus en plus dans nos garderies et nos écoles où se côtoie l’ensemble des enfants canadiens » (p. 1). Qui plus est, dans les établissements scolaires où cette diversité est moins prononcée, il reste nécessaire de préparer les jeunes à vivre dans une société pluraliste (Ministère de l’Éducation du Québec, 1998). Dans ce contexte, les professionnels de l’éducation, notamment les directions d’établissement scolaire, doivent développer de nouvelles compétences. À cet égard, un modèle de la compétence interculturelle a été élaboré pour les directions d’établissement scolaire (Gélinas-Proulx et al., 2017). Par ailleurs, bien qu’il existe des questionnaires portant sur la compétence interculturelle en milieu scolaire, à notre connaissance, aucun questionnaire n’a été élaboré spécifiquement à l’intention des directions d’établissement scolaire francophone. Il devient donc pertinent de créer un questionnaire d’autoévaluation de la compétence interculturelle de ces dernières, particulièrement pour les directions oeuvrant au Nouveau-Brunswick et au Québec, deux provinces à forte population francophone. Après la présentation de la problématique et du cadre conceptuel rattachés à la notion de compétence interculturelle des directions d’établissement scolaire, les étapes méthodologiques du processus d’élaboration du questionnaire d’autoévaluation et de recueil de preuves de validité sont précisées. Suivront ensuite une discussion concernant les implications de ce questionnaire d’autoévaluation préliminaire de même que des pistes de recherche.

Contexte et problématique

La diversité ethnoculturelle, linguistique et religieuse est accentuée, entre autres, par l’immigration. Selon le recensement canadien de 2016, ce sont 2,2 millions d’enfants âgés de moins de 15 ans qui sont nés à l’extérieur du Canada (première génération), ou qui ont au moins un parent né à l’international (deuxième génération), ce qui représente 37,5 % de la population totale d’enfants canadiens (voir Tableau 1). En comparaison, ce pourcentage était de 34,6 % en 2011 (Statistique Canada, 2017, p. 1). Au Québec, 29,4 % des enfants de moins de 15 ans sont nés à l’extérieur du pays ou ont au moins un parent né à l’international alors qu’au Nouveau-Brunswick, ce pourcentage est de 11,4 %.

Tableau 1

Statut des générations des personnes âgées de moins de 15 ans (%)

Statut des générations des personnes âgées de moins de 15 ans (%)

Note. Les données proviennent du tableau de données 98-400-X2016153 du recensement de la population de 2016 de Statistique Canada.

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En réponse à la diversité dans les établissements scolaires, plusieurs initiatives ont été prises. Par exemple, le Québec a adopté en 1998 la Politique d’intégration scolaire et d’éducation interculturelle (Ministère de l’Éducation du Québec, 1998). Celle-ci vise principalement l’apprentissage du « savoir vivre-ensemble » et précise les principes permettant de garantir le droit à l’éducation à une population diversifiée sur les plans ethnoculturel, linguistique et religieux. Plus récemment, le rapport d’évaluation de cette politique mentionne que « la formation du personnel devrait être renforcée afin de sensibiliser davantage les directions et le personnel quant à la pertinence même de l’éducation interculturelle » (Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2014, p. 94). En outre, la Politique de la réussite éducative, qui met de l’avant les valeurs d’équité, de respect et d’ouverture à la diversité ainsi que d’inclusion, est éloquente quant au rôle de la direction :

La qualité du climat de l’école, que l’on souhaite bienveillant, inclusif, ouvert à la diversité et exempt de violence, favorise le goût d’apprendre et de réussir. Le leadership de la direction d’établissement et le soutien de l’administration scolaire se reflète [sic] dans les structures organisationnelles et ont nécessairement un effet positif sur la réussite et les pratiques éducatives.

Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, 2017, p. 17

Au Nouveau-Brunswick, le gouvernement provincial a déposé le Plan d’action pour favoriser l’immigration francophone (Gouvernement du Nouveau-Brunswick, 2014). De même, le ministère de l’Éducation et du Développement de la petite enfance s’est doté de la politique 322 favorisant l’inclusion scolaire orientée vers

le respect de la diversité des élèves et du personnel scolaire quant à leur race, couleur, croyance, origine nationale, ascendance, lieu d’origine, âge, incapacité, état matrimonial, orientation ou identité sexuelle réelle ou perçue, sexe, condition sociale ou convictions ou activités politiques.

Gouvernement du Nouveau-Brunswick, 2013, p. 4

Cette politique précise que la direction d’établissement scolaire est un leader en matière d’inclusion et qu’elle doit mettre en application 11 mesures, dont celle de « Veiller à ce que les objectifs du plan d’amélioration de l’école et du plan de croissance du personnel de l’école soient alignés pour favoriser les pratiques inclusives » (Gouvernement du Nouveau-Brunswick, 2013, p. 6). De plus, selon le plan d’éducation intitulé Donnons à nos enfants une longueur d’avance (Gouvernement du Nouveau-Brunswick, 2016), « l’inclusion scolaire repose maintenant sur le respect de la diversité, ainsi que sur le principe selon lequel chaque enfant et chaque élève peut apprendre » (p. 5).

Somme toute, pour soutenir l’inclusion de tous les élèves, la direction d’établissement scolaire est appelée à jouer un rôle important (Conseil supérieur de l’éducation, 2017 ; Larochelle-Audet et al., 2018 ; Thibodeau et al., 2016). En fait, afin de mener à bien les initiatives liées à l’inclusion, plusieurs chercheurs mentionnent que les directions d’établissement scolaire doivent posséder une compétence interculturelle (Bouchamma, 2016 ; Dinnan, 2009  ; Fry, 2015 ; Madsen & Mabokela, 2005 ; Mc Andrew, 2008 ; Ouellet, 2010 ; Potvin, 2014) et promouvoir l’équité et la justice sociale pour assurer la réussite éducative des élèves (Bouchamma & Tardif, 2011 ; Gardiner & Enomoto, 2006 ; Magnan et al., 2018 ; Riehl, 2000 ; Ross & Berger, 2009 ; Ryan, 2014 ; Shields, 2017). Dans cette perspective, un modèle de la compétence interculturelle a été élaboré pour les directions d’établissement scolaire francophone (Gélinas-Proulx, 2014 ; Gélinas-Proulx et al., 2017). Toutefois, ce modèle n’est pas assorti d’un instrument pour l’autoévaluation de la compétence interculturelle des directions d’établissement scolaire. En effet, bien qu’il existe dans la littérature scientifique des instruments qui visent à évaluer la compétence interculturelle (par exemple : Bustamante et al., 2009 ; Fantini, 2009 ; Paige, 2004), ceux-ci ont été développés pour la population en général ou pour des professionnels comme les travailleurs sociaux ou pour l’école en tant qu’organisation. À notre connaissance, il n’existe aucun instrument pour que les directions d’établissement scolaire francophone du Québec et du Nouveau-Brunswick puissent s’autoévaluer relativement à leur compétence interculturelle. D’ailleurs, les chercheurs qui ont demandé à des directions d’établissement scolaire de s’autoévaluer à ce sujet ou qui ont utilisé des questionnaires dans une optique de formation des directions ont dû recourir à des instruments qui n’étaient pas conçus spécifiquement pour elles (El Ganzoury, 2012 ; Gélinas-Proulx, 2014).

Ainsi, il devient utile, sur les plans théorique et pratique, de proposer un questionnaire d’autoévaluation de la compétence interculturelle pour les directions d’établissement scolaire francophone. Cet article présente l’élaboration d’un tel questionnaire d’autoévaluation et certaines preuves pour en appuyer la validité.

Cadre conceptuel

Avant de définir le concept de compétence interculturelle, il faut présenter succinctement le concept de culture et d’interculturalité à partir des définitions plus élaborées de la thèse de doctorat de Gélinas-Proulx (2014). D’abord, le concept de culture est polysémique (Chouinard, 2010) et peut faire l’objet d’une polémique (Abdallah-Pretceille, 2011 ; Chalifoux, 1993). Dans le cadre de cet article, la définition opératoire de la culture, soit les fonctions ontologique et instrumentale, que présente Abdallah-Pretceille (2011) est retenue. Premièrement, la fonction ontologique de la culture offre à toute personne de se définir et de s’identifier aux autres dans une logique d’appartenance. Deuxièmement, la culture a une fonction instrumentale, car elle permet de s’adapter à différents environnements en admettant que l’on puisse produire des comportements et des attitudes, c’est-à-dire de la culture. En ce qui concerne l’interculturalité, cela désigne la relation et l’interaction entre des groupes, des individus ou des identités (Abdallah-Pretceille, 2011) porteurs de cultures dynamiques. Toutefois, l’inclusion, l’équité, la justice sociale et la cohésion sociale devraient aussi émaner de cette mise en relation des cultures. Enfin, les travaux portant sur le multiculturel, le pluriculturel, le transculturel et le culturel ne sont pas d’emblée rejetés quand ils s’inscrivent dans la précédente définition de l’interculturalité.

Plusieurs chercheurs et plusieurs organisations internationales de divers domaines s’intéressent à la compétence interculturelle depuis déjà une soixantaine d’années. Les travaux de certains sont reconnus par la communauté scientifique et utilisés en éducation. Il y a, entre autres, le modèle développemental de la sensibilité interculturelle de Bennett aux États-Unis (Landis et al., 2004), de nombreux travaux du Conseil de l’Europe dont ceux de Byram et al. (2003), la publication en psychologie interculturelle des Européens et des Canadiens (Berry et al., 2011) et les travaux de Lussier (1997, 2011) au Canada.

Dans la même veine, à l’issue d’une recension des écrits des 50 dernières années, Spitzberg et Changnon (2009) présentent la compétence interculturelle, aussi appelée la compétence interculturelle communicationnelle (intercultural communication competence). Ils la définissent comme étant la gestion appropriée et efficace des interactions entre des personnes qui ont différentes conceptions du monde, sur les plans affectif, cognitif et comportemental. Ils exposent également 22 modèles différents de la compétence interculturelle qu’ils ont divisés en cinq catégories, soit les modèles compositionnels (compositional models), les modèles coorientationnels (co-orientational models), les modèles développementaux (developmental models), les modèles adaptatifs (adaptational models) et les modèles de processus causal (causal path models).

Influencée par ces travaux et par ceux de Abdallah-Pretceille (2011), de Bartel-Radic (2009), de Cohen-Emerique (2000), de Deardorff (2006), de Toussaint et Fortier (2010), entre autres, ainsi que par des travaux en administration scolaire qui soulignent le leadership des directions pour l’inclusion, l’équité et la justice sociale (par exemple : Riehl, 2000 ; Ross & Berger, 2009 ; Ryan, 2010 ; Shields, 2010), Gélinas-Proulx (2014) définit la compétence interculturelle des directions d’établissement scolaire comme étant la capacité :

de se définir et d’identifier ses appartenances (fonction ontologique de la culture). Elle permet également d’établir des relations avec des personnes porteuses de cultures dynamiques qui nécessitent de part et d’autre un ajustement constant et une communication adaptée (fonction instrumentale de la culture). Une adaptation, une transformation et une intercompréhension résultent dès lors de ces relations qui doivent aussi être caractérisées par l’inclusion, l’équité, la justice et la cohésion sociales. Ce savoir-agir nécessite donc que les directions d’école mobilisent de manière intériorisée des ressources lors de tâches interculturelles complexes en contexte scolaire.

p. 52

Le modèle de la compétence interculturelle des directions d’établissement scolaire (voir la Figure 1) a été développé, d’une part, à partir du modèle initial de la compétence interculturelle (Gélinas-Proulx, 2014) conçu à la suite d’une recension des écrits et d’entrevues auprès de directions d’établissement scolaire de quatre provinces canadiennes. D’autre part, ce modèle initial a été adapté pour le Québec et le Nouveau-Brunswick à la suite de groupes de discussion avec les directions d’établissement scolaire de ces deux provinces (Gélinas-Proulx et al., 2017).

Figure 1

Modèle de la compétence interculturelle des directions d’établissement scolaire de langue française, adapté au Nouveau-Brunswick et au Québec (Gélinas-Proulx et al., 2017)

Modèle de la compétence interculturelle des directions d’établissement scolaire de langue française, adapté au Nouveau-Brunswick et au Québec (Gélinas-Proulx et al., 2017)

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Les ressources à mobiliser évoquées dans la définition de la compétence font référence aux trois composantes de la compétence interculturelle, soit les attitudes, les connaissances et les habiletés (Gélinas-Proulx, 2014). Par attitudes, il est question d’

[un] état d’esprit (sensation, perception, idée, conviction, sentiment, etc.), [une] disposition intérieure acquise d’une personne à l’égard d’elle-même ou de tout élément de son environnement (personne, chose, situation, événement, idéologie, mode d’expression, etc.) qui incite à une manière d’être ou d’agir favorable ou défavorable.

Legendre, 2005, p. 138

Quant à elles, les connaissances sont « la façon dont une personne [...] s’est appropriée [sic] les savoirs, ce qu’ils sont pour elle » (Roegiers & De Ketele, 2000, p. 47). En ce qui concerne les habiletés, ce sont les savoir-redire, les savoir-refaire, les savoir-faire cognitifs, les savoir-faire gestuels, les savoir-faire socioaffectif ou relationnel (Roegiers & De Ketele, 2000). Ces composantes sont représentées par les trois bulles bleues dans le modèle ci-dessus et se décomposent en 16 indicateurs. Les définitions des indicateurs de la compétence peuvent être consultées dans la publication de Gélinas-Proulx et al. (2017). Dans ce modèle théorique, il existe des liens entre les indicateurs des composantes de la compétence qui sont évoqués par l’utilisation du diagramme de Venn (1880). Notons que les indicateurs des composantes de la compétence s’inscrivent dans un processus de développement qui est le résultat d’expériences interculturelles de plus en plus complexes. Conséquemment, les indicateurs présentés dans le modèle se situent sur un continuum symbolisé par la flèche rouge et se développent à des rythmes variables, ce qui explique pourquoi les bulles bleues du modèle sont de différentes tailles.

En corollaire, ce modèle est préconisé pour développer un questionnaire d’autoévaluation de la compétence interculturelle des directions d’établissement scolaire de langue française au Québec et au Nouveau-Brunswick, car, à notre connaissance, c’est le seul modèle qui porte spécifiquement sur la compétence interculturelle des directions d’établissement scolaire de ces deux provinces.

Ce questionnaire d’autoévaluation vise à susciter chez les directions et chez les directions adjointes d’établissement scolaire une réflexion sur les points forts et sur les améliorations possibles quant aux composantes de la compétence interculturelle. Les directions d’établissement scolaire pourront également utiliser cet instrument pour s’autoévaluer avant et après une formation visant à développer leur compétence interculturelle. En revanche, cet outil n’a pas été développé à des fins d’évaluation pour l’embauche ou pour la rétention des directions d’établissement scolaire.

Les étapes de l’élaboration du questionnaire d’autoévaluation

L’élaboration du questionnaire d’autoévaluation de la compétence interculturelle des directions d’établissement scolaire s’est traduite par un processus en six étapes inspirées de celles qu’ont proposées DeVellis (2017) et Dussault et al. (2007), soit 1) la recension de questionnaires portant sur cette compétence, 2) la construction d’une banque d’items, 3) le recueil de preuves fondées sur le contenu, 4) l’élaboration de la version préliminaire du questionnaire d’autoévaluation, 5) le prétest et 6) le recueil de preuves fondées sur la structure interne du questionnaire d’autoévaluation. Les sections suivantes donnent le détail de ces étapes.

Étape 1 : La recension des questionnaires

Pour faire la recension des questionnaires existants relatifs à la compétence interculturelle, des recherches ont été effectuées dans différentes bases de données : Eric (mots clés : Intercultural competence OR Intercultural intelligence OR Intercultural proficiency OR Intercultural sensitivity OR Intercultural awareness AND Assessment OR test OR inventory OR scale OR measurement OR instrument OR questionnaire), ÉRUDIT et Google Scholar (mêmes mots clés, mais en français). Des efforts ont également été déployés pour retrouver les questionnaires cités par Fantini (2009) qui fait l’état des lieux des outils existants pour mesurer la compétence interculturelle dans différents domaines. De plus, quatre questionnaires connus par l’équipe de chercheurs ont été ajoutés. De ces recherches, 80 questionnaires, comprenant au moins un mot clé, ont été recensés.

Après une première lecture des questionnaires pour éliminer ceux qui ne portaient pas sur la compétence interculturelle et sur la terminologie qui en découle (par exemple, Intelligence interculturelle), 30 questionnaires provenant de diverses disciplines comme l’éducation, le counseling, l’administration ou la santé ont été retenus (voir Annexe A). Compte tenu du nombre peu élevé de questionnaires pertinents répertoriés, ceux qui portaient sur la compétence culturelle ou transculturelle ont été conservés, sachant qu’ils seraient analysés ultérieurement (étape 2) à partir du modèle de la compétence interculturelle. Ainsi, les trois premiers auteurs de cet article ont analysé ces questionnaires selon le critère de la pertinence, qui fait référence à la population et à la thématique. Est-ce que le questionnaire peut être utilisé par des professionnels de l’éducation comme les directions ? Est-ce qu’il porte sur la compétence interculturelle ou sur des concepts connexes ? Par rapport à la première question, plusieurs questionnaires s’intéressant à des étudiants ont été éliminés. L’analyse a permis de déterminer si certains questionnaires étaient conservés ou non.

À la suite de l’analyse, 14 questionnaires ont été conservés. Il s’agit de ceux de Braskamp et al., 2014 ; Bustamante & Nelson, 2007 ; Earley & Mosakowski, 2004 ; Echeverri et al., 2011 ; Gallavan & Webster-Smith, 2012 ; Hammer et al., 2003 ; He, 2013 ; Kohli et al., 2010 ; Koyama et al., 2012 ; LaFromboise et al., 1991 ; Lindsey et al., 2009 ; Mason, 1995 ; Van der Zee et al., 2013 ; Van Dyne et al., 2009 (voir Annexe A). Ces questionnaires ont ensuite servi à la construction d’une banque d’items

Étape 2 : La construction de la banque d’items

Comme le mentionne Fall (2015),

deux approches peuvent être envisagées pour générer un échantillon d’items : une approche déductive et une approche inductive. L’approche déductive consiste à s’appuyer sur les connaissances que procurent les travaux théoriques sur le phénomène étudié, connaissances qui doivent être intellectuellement cohérentes et empiriquement pertinentes. L’approche inductive, quant à elle, s’appuie sur l’insuffisance de fondements théoriques et une incompréhension du phénomène étudié. Elle nécessite d’interroger des répondants appartenant à la population concernée par le phénomène étudié.

p. 192

À l’instar de Fall (2015), l’approche déductive a été préconisée puisque les items générés pour la banque proviennent soit des 14 questionnaires retenus, soit de la recension des écrits réalisée pour élaborer le modèle de la compétence interculturelle des directions d’établissement scolaire (voir la Figure 1).

Pour sélectionner des items, les 14 questionnaires retenus ont été importés dans le logiciel d’analyse qualitative NVivo, version 12. Puis, chaque item des 14 questionnaires a été codé par consensus lors de séances de travail regroupant les trois premiers auteurs de cet article, selon une grille d’analyse fermée qui correspondait au modèle de la compétence interculturelle des directions d’établissement scolaire (voir la Figure 1). Les trois noeuds créés dans le logiciel correspondaient aux trois composantes principales du modèle de la compétence (les connaissances, les attitudes et les habiletés) et les sous-noeuds, aux indicateurs des composantes de la compétence. Une fois l’ensemble des questionnaires codés, certains indicateurs du modèle de la compétence interculturelle des directions d’établissement scolaire comportaient plusieurs exemples d’items, et d’autres en avaient peu les représentant. Par ailleurs, bien que des exemples d’items ont été codés pour tous les indicateurs du modèle, deux sous-indicateurs (Changement de ses perceptions ; Assurer la pérennité de la langue française) n’avaient aucun exemple d’item. Pour les indicateurs et les sous-indicateurs du modèle de la compétence interculturelle des directions d’établissement scolaire n’ayant aucun item ou peu d’items issus des 14 questionnaires, les trois premiers auteurs de cet article ont élaboré des items à partir de la recension des écrits réalisée pour élaborer le modèle de la compétence, et ce, pour que les indicateurs aient minimalement cinq items et que les sous-indicateurs aient minimalement un item. En tout, 124 items ont été traduits et reformulés et 50 ont été élaborés pour la banque initiale d’items. Ces derniers ont été répartis selon les trois composantes de la compétence :

  • composante Attitudes (trois indicateurs) : 61 items

  • composante Connaissances (quatre indicateurs) : 64 items

  • composante Habiletés (neuf indicateurs) : 49 items.

Une fois la banque de 174 items élaborée et représentative du modèle théorique, une démarche afin de recueillir des preuves fondées sur le contenu a été entreprise.

Étape 3 : Le recueil de preuves fondées sur le contenu

À l’instar des normes proposées par l’American Educational Research Association, l’American Psychological Association et le National Council on Measurement in Education (2014) de même que Hogan (2017), le recueil de preuves fondées sur le contenu s’est fait en deux temps.

Premièrement, le recueil a été fait auprès d’un petit groupe d’experts universitaires (n = 6) dont les intérêts de recherche étaient liés à l’interculturel. Il s’agit de cinq professeurs d’université ainsi que d’un professionnel de recherche du Québec et du Nouveau-Brunswick, soit trois femmes et trois hommes. De plus, la moitié des membres du groupe est issue de l’immigration. Leur tâche, de nature qualitative, consistait à donner leurs avis sur la formulation des items. Chaque expert devait examiner un dossier spécifique portant sur l’une des trois composantes de la compétence interculturelle, à raison de deux experts par composante, pour évaluer la formulation des items qui y étaient associés. Pour accomplir cette tâche, les experts avaient d’abord une explication du modèle théorique et de la composante qui leur avait été attribuée. Ensuite, ils devaient formuler des commentaires sur les items en fonction des critères fournis, à savoir : 1) la pertinence des items relativement à la composante connaissances (ou attitudes ou habiletés) de la compétence interculturelle, 2) le bien-fondé des items relativement à la fonction d’une direction d’établissement scolaire, 3) les forces et les faiblesses des items et 4) les suggestions d’améliorations à apporter aux items. Les experts pouvaient aussi proposer d’autres commentaires qu’ils jugeaient pertinents. Les trois premiers auteurs de l’article réunis ont ensuite examiné les commentaires un à un. Ainsi, 28 items ont été modifiés et 15 ont été supprimés en fonction des commentaires formulés par les experts. Par exemple, il y avait l’item : « 3.8.1 Je développe une communauté d’apprentissage avec tous les acteurs internes et externes de mon établissement afin de favoriser l’inclusion des différents groupes ethnoculturels (inspiré de Lindsey et al., 2009) ». À propos de cet item, un des experts a fait le commentaire suivant : « La direction peut favoriser le rapprochement des acteurs internes et externes, afin de favoriser l’inclusion des différents groupes ethnoculturels, mais cela n’est pas une responsabilité prescrite par la Loi sur l’instruction publique ». Nous avons donc choisi d’éliminer cet item. Par ailleurs, un item a été ajouté pour la composante attitudes et huit items pour la composante habiletés, et ce, afin que chaque indicateur et que chaque sous-indicateur du modèle de la compétence interculturelle ait minimalement un item associé. Tous ces derniers items ont été élaborés en tenant compte des commentaires des experts ainsi que du modèle théorique de la compétence interculturelle. À la suite de cet exercice, la banque comptait 168 items.

Deuxièmement, le recueil de preuves de contenu a été entrepris auprès d’un autre groupe d’experts universitaires et de directions d’établissement scolaire francophone. Une tâche était de nature qualitative et une autre de nature quantitative. Les membres du groupe d’experts universitaires (n = 6) provenant du Québec et du Nouveau-Brunswick avaient des intérêts de recherche liés à l’interculturel. Il s’agit de cinq professeurs d’université ainsi que d’un professionnel de recherche soit quatre femmes et deux hommes. Ils occupent leur fonction depuis 6 à 14 ans et ont entre 37 et 65 ans (les données d’une participante sont manquantes). Deux d’entre eux ne sont pas nés au Canada. Le groupe constitué de directions d’établissement scolaire a été formé par des directions recrutées au sein de la Fédération québécoise des directions d’établissement d’enseignement et de l’Association montréalaise des directions d’établissement scolaire (n = 13) de même que par des directions d’établissement scolaire du Nouveau-Brunswick recrutées au sein du District scolaire francophone Sud (n = 5). Il s’agit de 13 femmes et de 5 hommes, âgés entre 36 et 55 ans, tous nés au Canada, représentant neuf directions adjointes et neuf directions, comptant entre 2 et 21 ans d’expérience dans leur fonction. Les 24 participants ont été répartis aléatoirement dans chacune des composantes du modèle de la compétence interculturelle des directions d’établissement scolaire. Les experts universitaires s’exprimaient sur la représentativité et sur la clarté des items. Les directions d’établissement scolaire devaient se positionner seulement sur la clarté des items.

La tâche a été réalisée en ligne via la plateforme LimeSurvey. Les participants ont utilisé deux échelles de Likert en six points pour évaluer les items : la première pour évaluer la représentativité (1 = pas du tout représentatif à 6 = tout à fait représentatif), la deuxième pour évaluer la clarté (1 = pas du tout clair à 6 = tout à fait clair). De plus, chacune de ces échelles comprenait l’option « Ne s’applique pas (n/a) ». Le choix d’un continuum en six points (nombre pair) a été retenu afin que les participants ne puissent pas choisir une modalité neutre et que l’échelle amène de la variance. Enfin, les participants pouvaient ajouter des commentaires pour justifier leur réponse.

Une fois la tâche réalisée, des statistiques descriptives ont été calculées à partir des données collectées en privilégiant la moyenne et l’écart-type. Ainsi, 27 items qui avaient une moyenne inférieure à 4 pour le critère de représentativité et inférieure à 5 pour le critère de la clarté ont été éliminés. Les items qui ne répondaient qu’à une seule de ces deux conditions d’exclusion ont été reformulés. Ainsi, 43 items ont été reformulés, notamment en fonction des commentaires qualitatifs obtenus. Enfin, neuf nouveaux items, tous dans la composante habiletés, ont été composés en fonction des commentaires qualitatifs reçus.

Il est à noter que les données aberrantes de deux répondants ont été éliminées. Dans les deux cas, il s’agit de réponses qui se situaient strictement aux extrémités des échelles. À la suite de ce recueil de preuves de contenu, 150 items ont été retenus.

Étape 4 : L’élaboration d’une version préliminaire du questionnaire d’autoévaluation

L’étape 4 a été la construction d’une version préliminaire du questionnaire d’autoévaluation à partir de la banque de 150 items. Pour rappel, le modèle de la compétence interculturelle des directions d’établissement scolaire est composé de trois composantes principales (les attitudes, les connaissances et les habiletés) qui se divisent en 16 indicateurs. Cependant, certains indicateurs du modèle de la compétence interculturelle des directions d’établissement scolaire possédaient onze items, d’autres seulement deux. Afin de s’assurer que chaque indicateur soit représenté de manière égale dans le questionnaire d’autoévaluation, le même nombre d’items a été conservé pour chacun des indicateurs. Ainsi, cinq items devaient être associés à chaque indicateur, mais ce nombre pouvait être légèrement dépassé afin qu’un minimum d’un item soit associé à chaque sous-indicateur pour garder une représentativité du modèle de la compétence. Le processus de sélection des items de la banque a été effectué par l’une des chercheures ainsi que par un étudiant et une étudiante au doctorat. Dans les cas où un indicateur contenait plus de cinq items (et plus d’un item par sous-indicateur), chacun des items a été lu. Puis, le processus d’élimination a consisté à délibérer en équipe afin d’identifier les items les moins représentatifs de l’indicateur, les moins englobants de l’indicateur et ceux qui avaient été le plus critiqués lors de l’étape précédente. Les deux autres chercheurs de l’équipe ont ensuite approuvé l’élimination de 74 items. Dans le cas où il y avait moins de cinq items pour un indicateur, l’équipe de recherche a élaboré de nouveaux items à l’aide du modèle théorique de la compétence. Le processus de recueil de preuves de contenu a eu lieu au sein de l’équipe de recherche. En tout, l’équipe a créé et retenu cinq nouveaux items de la composante habiletés au regard des critères de clarté et de représentativité.

Par ailleurs, afin de vérifier la constance des réponses et pour s’assurer que le questionnaire d’autoévaluation ne soit pas rempli de façon automatique, six items, soit deux items par composante, ont été choisis aléatoirement, et des items similaires, mais inversés, ont été élaborés. En d’autres mots, six items sont en double dans le questionnaire d’autoévaluation (six non inversés et six inversés). Ainsi, si une personne répond 1 (complètement en désaccord) à l’item, il devrait répondre 6 (complètement en accord) à l’item inversé. Comme Roussel (2005) le mentionne, une recommandation classique de l’élaboration d’item est « l’introduction de quelques items inversés ou négatifs, dispersés aléatoirement dans le questionnaire […] de façon parcimonieuse, en prenant soin d’éviter les problèmes d’interprétation des énoncés » (p. 251). Ainsi, six items inversés ont été élaborés, en gardant les items originaux afin de pouvoir vérifier la cohérence des réponses des répondants. En somme, la version préliminaire du questionnaire d’autoévaluation est composée de 87 items.

De plus, une question de désirabilité sociale, inspirée de D’Amours-Raymond (2011) ainsi qu’une question « pour susciter l’attention » ont été élaborées et insérées dans le questionnaire d’autoévaluation afin de pouvoir contrôler des biais de réponse chez les répondants.

Enfin, une phrase introduit l’ensemble des items : « Dans le cadre de mes fonctions à la direction d’un établissement d’enseignement, dans quelle mesure suis-je en accord avec les énoncés suivants ? ». L’évaluation de chaque item a donc été faite grâce à une échelle de Likert en six points allant de complètement en désaccord (1) à complètement en accord (6). Comme indiqué précédemment, une échelle composée d’un nombre pair d’échelons reflète la volonté des concepteurs du questionnaire d’obliger les répondants à faire un choix, c’est-à-dire qu’ils n’ont pas la possibilité d’être neutres en choisissant la mesure centrale. Par ailleurs, comme il se peut que des directions d’établissement scolaire n’aient pas vécu les expériences mentionnées dans le questionnaire d’autoévaluation, l’option non applicable (N/A) a également été ajoutée à tous les items, de même que l’option « je m’abstiens ».

Étape 5 : Le prétest

Avant d’expédier la version préliminaire aux directions d’établissement scolaire du Québec et du Nouveau-Brunswick, l’équipe a procédé à un prétest auprès d’étudiants au diplôme d’études supérieures spécialisées (DESS) en administration scolaire (n = 11). Selon Moffat et al. (2016), le prétest permet de relever les éléments qui manquent de clarté dans les consignes et de les ajuster afin de maximiser la compréhension des répondants. De plus, Hadchiti et al. (2017) indiquent que le prétest permet de relever des incohérences potentielles dans les réponses des participants, ce qui permet d’ajuster les consignes et les items avant l’envoi à la population cible. Plus précisément, le questionnaire d’autoévaluation préliminaire a été envoyé électroniquement aux étudiants via la plateforme LimeSurvey. Ils devaient se prononcer sur une échelle dichotomique (OUI ou NON) sur : 1) l’acceptabilité de la durée nécessaire pour réaliser la tâche, 2) la qualité du français du texte soumis, 3) la qualité de la présentation visuelle du questionnaire d’autoévaluation et 4) les problèmes informatiques encourus, le cas échéant. Par ailleurs, les étudiants pouvaient également transmettre tout autre commentaire qualitatif permettant d’améliorer le questionnaire d’autoévaluation. À l’issue de cet exercice, la question « pour susciter l’attention » a été retirée, car elle n’apportait pas d’information pertinente. C’est donc toujours un questionnaire d’autoévaluation de 87 items sur la compétence interculturelle qui sera utilisé à l’étape 6, sans compter les 12 questions sociodémographiques (province, poste actuel, genre, âge, groupes ethniques, pays de naissance, environnement scolaire présentant les diversités ethnoculturelle, linguistique et religieuse, pourcentage d’élèves issus de l’immigration dans l’école, pourcentage du personnel issu de l’immigration dans l’école, langue(s) parlée(s), religion) et une question de nature qualitative qui permet aux directions de décrire leur pratique.

Étape 6 : Le recueil de preuves sur la structure interne du questionnaire d’autoévaluation

La collecte de données, par l’entremise du questionnaire d’autoévaluation électronique, s’est déroulée de novembre 2018 à février 2019. Le recrutement s’est fait auprès des directions d’établissement scolaire de deux provinces canadiennes, le Québec et le Nouveau-Brunswick. Plus précisément, au Québec, l’Association montréalaise des directions d’établissement scolaire a sollicité 618 membres, l’Association québécoise du personnel de direction des écoles environ 650 membres et la Fédération québécoise des directions d’établissement d’enseignement, 1950 membres. Au Nouveau-Brunswick, le District scolaire francophone Sud a sollicité 37 directions et le District scolaire francophone Nord-Est, 36 directions. Au total, 3291 directions d’établissement scolaire ont été sollicitées.

Plus de 250 répondants ont rempli le questionnaire d’autoévaluation électronique. Cependant, plusieurs questionnaires étaient incomplets. Ainsi, après avoir enlevé la question sur la désirabilité sociale, les répondants qui avaient 1) répondu à moins de 80 % du questionnaire d’autoévaluation et 2) répondu à 20 % et plus des items par N/A (non applicable) ont été éliminés de la base de données, car leur participation a été jugée insuffisante. Les questionnaires d’autoévaluation de 118 répondants ont donc été retenus. Il s’agit d’un taux de réponse de 4 % (118/3291 x 100).

Les répondants proviennent du Québec, soit 104 répondants (88 %) et du Nouveau-Brunswick, soit 14 répondants (12 %). Par ailleurs, 86 répondants sont des femmes (73 %) et 32 sont des hommes (27 %).

La majorité des 118 répondants occupaient un poste de direction ou de direction adjointe d’une école primaire ou secondaire. Plus précisément, 45 répondants occupaient un poste de direction d’une école primaire (38 %), 11, de direction d’une école secondaire (9 %), 28 sont à la direction adjointe d’école primaire (24 %) et 25 à la direction adjointe d’école secondaire (21 %). Les neuf autres répondants assument des fonctions de direction adjointe dans des centres d’éducation des adultes, des centres de formation professionnelle ou d’écoles primaires et secondaires combinées. Une personne travaille à la direction adjointe d’une école secondaire spécialisée (8 %).

En ce qui concerne leurs années d’expérience dans leur poste actuel, 83 répondants (70 %) comptent moins de 10 ans d’expérience. Plus précisément, 18 (15 %) possèdent moins d’un an d’expérience, 36 (31 %) de 1 à 5 ans, 29 (25 %) de 6 à 10 ans, 18 (15 %) de 11 à 15 ans, 13 (11 %) de 16 à 20 ans et 4 (3 %) plus de 20 ans.

En ce qui a trait au lieu de naissance, seulement trois répondants sur 118 (3 %) sont nés hors du Canada. Par ailleurs, 98 répondants (83 %) considéraient avoir déjà travaillé dans un environnement scolaire qui présentait de la diversité ethnoculturelle, linguistique ou religieuse. Ils ont également été questionnés sur leur perception du pourcentage des élèves et du personnel de leur établissement scolaire issus de l’immigration. Ainsi, 94 répondants (80 %) estimaient que moins de 40 % des élèves de leur établissement scolaire étaient issus de l’immigration et 113 d’entre eux (96 %) estimaient que moins de 40 % de leur personnel enseignant provenait de l’immigration.

La banque d’items a été inspectée afin de repérer les valeurs manquantes et les valeurs aberrantes. En effet, certains items ont été éliminés en fonction des critères suivants : 1) quatre items qui obtiennent la réponse « N/A » chez 20 % ou plus des répondants, 2) les six items inversés, (mais au préalable un test t a confirmé que la différence de moyenne entre l’item original et l’item inversé n’était pas significative (p < 0,05)) et 3) 16 items qui comportent des valeurs aberrantes et extrêmes ou qui ont au moins 10 valeurs extrêmes. Finalement, la banque d’items est constituée de 61 items répartis ainsi : composante connaissances (17 items), composante attitudes (14 items), composante habiletés (30 items). Enfin, les valeurs manquantes restantes (moins de 20 % des réponses par répondant et par item) ont été examinées. Toutes les réponses « N/A » et « je m’abstiens » ont été substituées par la moyenne (arrondie à l’unité près) de l’item. Les alphas de Cronbach pour ces dimensions sont de 0,91 pour la composante connaissances, de 0,84 pour la composante attitudes et de 0,95 pour la composante habiletés, ce qui indique une très bonne cohérence interne (Field, 2018).

Par la suite, à l’aide du progiciel SPSS version 27, une analyse en composantes principales avec rotation Promax a été effectuée dans le but de condenser le nombre d’items et de raffiner le questionnaire d’autoévaluation. Pour ce faire, l’indice Kaiser-Meyer-Olkin (KMO) (Cerny & Kaiser, 1977 ; Dziuban & Shirkey, 1974 ; Kaiser, 1970) et le test de sphéricité de Bartlett (1951) ont d’abord été vérifiés sur la banque composée des 61 items. L’indice KMO s’est élevé à 0,83. La valeur de ce coefficient dénote que les items peuvent se prêter à une analyse en composantes principales. De même, le test de sphéricité de Bartlett est significatif (4731,27 ; p < 0,001). Nous pouvons donc rejeter l’hypothèse nulle qui suppose que les données proviennent d’une population pour laquelle la matrice serait une matrice d’identité. Cela offre la possibilité d’effectuer une analyse en composantes principales pour rendre compte de la structure interne du questionnaire d’autoévaluation. À la suite de cette analyse, mentionnons que les 18 items dont les coefficients de saturation étaient inférieurs à 0,30 ou qui saturaient sur plusieurs composantes ont été supprimés. Le Tableau 2 présente la saturation de 43 items sur trois composantes, soit les connaissances, les attitudes et les habiletés de la compétence interculturelle des directions d’établissement scolaire.

La lecture du Tableau 2 montre qu’en premier lieu, 15 items saturent avec la composante connaissances. Les saturations s’étendent en ordre décroissant de 0,74 à 0,47, ce qui indique un très bon degré de correspondance pour les items C-1, C-2, C-3, C-4 et la composante ; un bon degré de correspondance des items C-5 à C-12 et ladite composante ; un degré de correspondance moyen des items C-13 à C-15 avec cette même composante. En deuxième lieu, 11 items saturent avec la composante attitudes. Les saturations s’étendent en ordre décroissant de 0,79 à .0,48. Cela révèle un très bon degré de correspondance pour les items A-1 et A-2 avec cette composante ; un bon degré de correspondance des items A-3 à A-8 avec ladite composante ; un degré de correspondance moyen des items A-9 à A-11 avec cette même composante. En dernier lieu, 17 items saturent avec la composante habiletés. Les saturations s’étendent en ordre décroissant de 0,72 à 0,48. Encore une fois, cela témoigne d’un très bon degré de correspondance pour les items H-1 à H-3 et la composante habiletés, un bon degré de correspondance des items H-4 à H-11 et cette composante, un degré de correspondance moyen des items H-12 à H-17 avec cette dernière composante

Tableau 2

Saturation des items du questionnaire d’autoévaluation de la compétence interculturelle au regard des composantes extraites de l’analyse en composantes principales

Saturation des items du questionnaire d’autoévaluation de la compétence interculturelle au regard des composantes extraites de l’analyse en composantes principales

Tableau 2 (continuation)

Saturation des items du questionnaire d’autoévaluation de la compétence interculturelle au regard des composantes extraites de l’analyse en composantes principales

Tableau 2 (continuation)

Saturation des items du questionnaire d’autoévaluation de la compétence interculturelle au regard des composantes extraites de l’analyse en composantes principales

Note. C : connaissances ; A : attitudes ; H : habiletés

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Par ailleurs, le Tableau 3 présente d’autres statistiques pour chacune des trois composantes du questionnaire d’autoévaluation. Ce tableau met d’abord en exergue le nombre d’items par composante. De plus, les moyennes pour les composantes relatives aux connaissances et aux habiletés sont similaires. En effet, arrondies à l’unité près, ces moyennes se chiffrent à quatre. Cela signifie que, pour ces deux échelles de mesure, les répondants sont « Légèrement en accord » avec l’ensemble des items qui la composent. Il en va autrement de la composante attitudes dont la moyenne, arrondie à l’unité près, a pour valeur cinq, ce qui correspond à la mention « Assez en accord ». Cette moyenne plus élevée comparativement aux autres pourrait s’expliquer par le fait que les composantes se développent à des rythmes variables tel qu’indiqué dans le cadre conceptuel. Bien que l’étendue obtenue par la soustraction des minimums et des maximums laisse croire à une grande dispersion des scores, les écarts-types, relativement petits, montrent plutôt que ces scores sont concentrés autour de leur moyenne respective, la rendant ainsi plus représentative de la distribution qu’elle représente. L’asymétrie et la voussure décrivent la forme des distributions. Pour une courbe dite parfaitement normale, ces deux valeurs sont de zéro, ce qui n’est pas le cas pour la composante attitudes. Par ailleurs, les alphas de Cronbach sont respectivement de 0,83 pour la composante connaissances, de 0,80 pour la composante attitudes et de 0,87 pour la composante habiletés, ce qui montre une très bonne cohérence interne. La colonne intitulée Variance expliquée montre que la composante connaissances explique près de 30 % de la variance totale, alors que les composantes attitudes et habiletés expliquent respectivement environ 11 % et 5 % pour un total approximatif de 46 %, ce qui est plutôt acceptable, compte tenu du caractère novateur de ce questionnaire d’autoévaluation. Enfin, les corrélations entre les trois composantes sont positives et statistiquement significatives. Comme le cadre conceptuel le suggère, ces trois composantes ne sont pas entièrement indépendantes l’une de l’autre.

Discussion et conclusion

Cette recherche avait pour objectif d’élaborer un questionnaire d’autoévaluation de la compétence interculturelle des directions d’établissement scolaire au regard du modèle développé par Gélinas-Proulx et al. (2017) visant la promotion de l’inclusion, de l’équité et de la justice sociale pour assurer la réussite éducative des élèves (Bouchamma & Tardif, 2011 ; Gardiner & Enomoto, 2006 ; Magnan et al., 2018 ; Riehl, 2000 ; Ross & Berger, 2009 ; Ryan, 2014 ; Shields, 2017). Ainsi, nous rappelons que cet outil n’a pas été développé pour être utilisé par des acteurs scolaires autres que les directions d’établissement scolaire, par exemple à des fins d’évaluation pour l’embauche ou pour la rétention des directions d’établissement scolaire.

Tableau 3

Statistiques relatives aux composantes du questionnaire d’autoévaluation de la compétence interculturelle des directions d’établissement scolaire (n = 118)

Statistiques relatives aux composantes du questionnaire d’autoévaluation de la compétence interculturelle des directions d’établissement scolaire (n = 118)

Note. ** p < 0,01

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Finalement, le questionnaire d’autoévaluation préliminaire contient 43 items et présente des qualités métrologiques satisfaisantes si l’on considère qu’il n’en est qu’à ses prémisses. Cela implique que les items mesurent plutôt adéquatement chacune des composantes de la compétence interculturelle. Plus précisément, l’analyse en composantes principales a permis de réduire un ensemble de 61 items à un nombre plus petit (43 items) tout en s’assurant de conserver le maximum d’information (variance), et ce, au sein de trois composantes de la compétence interculturelle, soit les connaissances, les attitudes et les habiletés. De plus, au moins un item de chaque sous-composante (appelée indicateur dans le modèle de la compétence - voir Figure 1) fait partie du questionnaire d’autoévaluation préliminaire composé de 43 items. Ainsi, les quatre sous-composantes connaissances sont en lien avec les 15 items retenus à savoir 1) la connaissance des ressources disponibles (C-4, C-6 et C-13), 2) la connaissance pédagogique pour soutenir les enseignants dans le domaine de l’interculturel et de la justice sociale (C-2, C-8, C-9, C-10 et C-11), 3) la connaissance des acteurs scolaires issus des divers groupes ethnoculturels (C-5 et C-7, C-14 et C-15) et 4) les connaissances sur des théories dans le domaine de l’interculturel et la justice sociale (C-1, C-3 et C-12). Ensuite, les trois sous-composantes attitudes sont en lien avec 11 items retenus, c’est-à-dire 1) la conscience d’autrui (A-1, A-4 et A-7), 2) la conscience de soi (A-2, A-5, A-6, A-9 et A-11) et 3) le sentiment d’autoefficacité par rapport à la diversité (A-3, A-8 et A-10). Enfin, les neuf sous-composante habiletés sont liées aux 17 items retenus soit celles 1) d’établir des relations et des comparaisons entre diverses cultures (H-6, H-13 et H-15), 2) d’inclure (H-1, H-3 et H-12), 3) de s’autoanalyser (H-2 et H-11), 4) de trouver des solutions et d’innover (H-5), 5) d’établir un réseau relationnel (H-4, H-8, H-10 et H-16), 6) de mettre en pratique des stratégies d’apprentissage des diverses cultures (H-9), 7) de planifier, d’organiser, de coordonner, de contrôler (H-7), 8) de s’adapter (H-17) et 9) d’assurer la vitalité des communautés (H-14).

Par ailleurs, si le questionnaire d’autoévaluation préliminaire de la compétence interculturelle des directions d’établissement scolaire présente certaines qualités métrologiques, il importe de mentionner également ses lacunes. La première réside dans la petite taille de l’échantillon, bien que cela s’explique par les caractéristiques de la population étudiée, soit des directions d’établissement scolaire (Hadchiti et al., 2021). En effet, le nombre de participants (118 répondants) dépasse à peine le minimum de 100 participants requis pour effectuer une analyse en composantes principales. En outre, l’étude ne répond pas au critère plus restrictif formulé par Hair et al. (2019) de même que par Tabachnick et Fidell. (2013), soit celui d’avoir au moins 5 à 10 individus par item. L’échantillon serait alors de 215 à 430 individus, une taille pratiquement impossible à atteindre au sein de la population visée.

Une deuxième limite concerne l’utilisation des échelles de type Likert. S’il est généralement admis que ces échelles sont plus appropriées pour mesurer des variables ordinales que des intervalles ou des ratios, la présente recherche, à l’instar de plusieurs recherches en sciences sociales, a effectué ses analyses en les considérant comme des échelles pour mesurer des variables d’intervalles. Cette considération, jumelée avec des distributions souvent asymétriques, peut jouer sur la variance et conduire à des résultats moins significatifs. Pour franchir cette limite, d’autres recherches pourraient reprendre cette étude en employant des méthodes d’estimation pour des données ordinales, comme les méthodes des moindres carrés pondérés en diagonale, offerts dans d’autres logiciels que SPSS.

En troisième lieu, cette recherche n’a pas considéré d’autres sources de preuves de validité comme celles qui sont basées sur le processus de réponse et celles qui portent sur les relations avec d’autres variables. De futures études pourraient s’attarder davantage à ces sources de preuves. Elle a néanmoins entamé un processus d’accumulation de preuves en s’attardant au contenu du questionnaire d’autoévaluation préliminaire. Dans cette foulée, l’étape 3 du processus d’élaboration du questionnaire d’autoévaluation préliminaire a conduit à attribuer aux experts une composante de la compétence pour des fins de recueil de preuves de validité. Ce choix a été fait pour faciliter leur travail. Toutefois, des recherches éventuelles pourraient soumettre un échantillon aléatoire d’items afin que les experts puissent les apparier aux compétences, en fonction de leur propre jugement. Par ailleurs, mais de façon modeste, cette recherche a aussi contribué à fournir quelques éléments de preuves quant à la structure interne du questionnaire d’autoévaluation préliminaire. En effet, bien que l’analyse en composantes principales n’ait pas pour objet principal de mettre en évidence des facteurs latents, ce qui est le propre d’une analyse factorielle exploratoire ou confirmatoire, elle a permis de mieux comprendre les intercorrélations entre les items et de les faire saturer sur des composantes.

Enfin, l’outil en tant que tel comporte certaines limites. Comme il s’agit d’un questionnaire d’autoévaluation préliminaire (donc autorapporté), les personnes ont tendance à s’évaluer plus positivement (Butori & Parguel, 2010 ; Choi & Pak, 2005 ; Grimm, 2010). En outre, il est difficile pour une personne de s’évaluer sur des aspects qu’elle ne maîtrise pas ou pour lesquels elle a une interprétation erronée. Ainsi, à plus long terme, il serait intéressant de développer d’autres outils comme l’évaluation 360 degrés (Bégin & Véniard, 2013). Par exemple, les élèves, les parents, les enseignants, les supérieurs immédiats de la direction et des experts externes pourraient potentiellement se prononcer sur la compétence interculturelle des directions d’établissement scolaire. De plus, il est préférable que la passation du questionnaire d’autoévaluation préliminaire se déroule dans le cadre d’une formation lors de laquelle le formateur ou la formatrice prend le temps d’expliquer le modèle de la compétence interculturelle des directions d’établissement scolaires. De même, il serait également intéressant d’adapter le questionnaire d’autoévaluation préliminaire en proposant plus d’items pour les directions d’établissement scolaire d’autres régions francophones du Canada ou de la francophonie internationale (Afrique de l’Ouest, Belgique, France, Belgique, Suisse, Afrique de l’Ouest, etc.). En parallèle, il pourrait être intéressant de considérer une traduction et une adaptation du questionnaire d’autoévaluation préliminaire à l’intention des directions d’établissement anglophones.

En conclusion, le questionnaire d’autoévaluation préliminaire de la compétence interculturelle des directions d’établissement scolaire pourrait servir d’outil pour aider une direction d’établissement scolaire à réfléchir à ses forces et à ses défis vis-à-vis de sa compétence interculturelle ou, encore, servir d’introduction à une formation sur la gestion inclusive de la diversité ethnoculturelle, linguistique et religieuse. Par exemple, le questionnaire d’autoévaluation préliminaire permet de définir si une composante parmi les trois est plus faible. Il est donc suggéré que la passation du questionnaire d’autoévaluation préliminaire se déroule dans le cadre d’une formation afin que le formateur puisse faire un retour avec les répondants pour discuter de leurs résultats et de leur interprétation de l’autoévaluation. Le questionnaire d’autoévaluation préliminaire pourrait ainsi être jumelé à d’autres méthodes de formation interculturelle (Fowler & Blohm, 2004). Des exemples de pratiques concrètes associées à la compétence interculturelle pourraient également leur être présentés (Amboulé-Abath, 2019 ; Bouchamma & Tardif, 2011 ; Larochelle-Audet et al., 2020 ; Magnan et al., 2018).