Article body

We no longer live in a world in which information conserves itself primarily in textual objects called books… but inescapably, at the threshold of a new and unsettling age [in which we have to] reimagine the scholarly enterprise…

Rosanne A. Stone, The War of Desire and Technology at the Close of the Mechanical Age

The formerly stable system — the axis writer at one end, editor, publisher, and bookseller in the middle, and reader at the other end — is slowly being bent into a pretzel. What the writer writes, how he writes and gets edited, printed, and sold, and then read — all of the old assumptions are under siege.

Sven Birkerts, The Gutenberg Elegies

Le sens donné à la notion de communauté a subi des modulations importantes au cours des dernières décennies. Cette évolution n’est pas sans lien avec l’omniprésence des technologies de la communication dans la vie quotidienne. En effet, la communauté, dans sa première acception, représente un groupe d’individus vivant dans un même lieu et partageant des intérêts, des préoccupations et une culture qui les rassemble. Or, les sociologues en sont venus à la conclusion que les communautés « do not have to be solidary groups of densely-knit neighbors but could also exist as social networks of kin, friends, and workmates who do not necessarily live in the same neighborhoods [1]. » Ainsi, la communauté n’est plus seulement définie selon des principes inhérents à l’espace (au sens de voisinage), mais elle est désormais considérée comme un réseau social qui répond, explique Yochai Benkler, à un besoin de « community, no longer satisfied by the declining availability of physical spaces for human connection [2] ». De la sorte, la notion de communauté, qui se jouait essentiellement dans l’espace physique, passe à un système d’échange qui se déploie dans l’espace abstrait du web[3]. (Il convient de préciser ici que bien avant le développement d’Internet, les sociologues de l’École de Chicago, dans leurs travaux sur les transformations des milieux urbains et l’immigration réalisés dans les années 1920 et 1930, ont montré que la répartition des communautés et des classes sociales dans l’espace de la ville était étroitement liée à l’éclatement des modes de vie, à l’émergence de l’individualisme et à la diminution des contacts directs entre les individus; par conséquent, la communauté, se déployant alors dans un espace moins uniforme malgré la proximité géographique, se jouait déjà, d’une certaine manière, dans l’ordre de l’abstrait.)

Le passage de la communauté « concrète » à la communauté virtuelle pourrait être expliqué de manière intéressante par le concept de « collège invisible », emprunté à la sociologie des sciences, qui a été proposé dans les années 1970 par Diana Crane[4]. Inspirée des travaux de Merton, la notion de « collège invisible » renvoie à un modèle de diffusion des connaissances « “par contagion” reposant sur un principe de contacts inter-personnels[5] », qui marque bien le passage, ou plutôt une sorte de transition entre les relations de « voisinage » qui définissent la communauté au premier degré et les relations virtuelles (toujours en termes de partage des connaissances en réseau) qui se développent actuellement dans l’environnement du web 2.0. En effet, la formation du « collège invisible » repose sur le fait que tous les champs de recherche se développent grâce à des réseaux informels au sein desquels certains chercheurs, plus influents que d’autres, assurent le relais des connaissances d’un cercle – ou d’un noeud de chercheurs – à un autre. L’ensemble des réseaux de connaissances ponctuels ainsi mis en relation constitue ce que Crane appelle le « collège invisible[6] ».

Depuis une vingtaine d’années, on constate que les nouvelles technologies contribuent à la reconfiguration de ces réseaux de recherche et des imaginaires qui y sont associés. C’est ainsi que le « collège invisible », en tant que réseau social et scientifique alimenté par un intérêt commun, trouve d’une certaine manière l’une de ses actualisations dans la notion de communauté virtuelle.

La communauté virtuelle se définit comme « a cyberspace supported by computer-based information technology, centered upon communication and interaction of participants to generate member-driven contents, resulting in a relationship being built up [7] ». Dans la même ligne, Howard Rheingold précise que les communautés virtuelles « emerge from the Net when enough people carry on those public discussions long enough, with sufficient human feeling, to form webs of personal relationships in cyberspace [8] ». De telles communautés, conçues pour permettre à des individus de se réunir malgré la distance physique qui les sépare, peuvent adopter différentes formes : les sites de clavardage, les jeux de rôle et les forums de discussion comptent parmi les exemples de communautés créées (soit comme un projet organisé, soit de façon spontanée) dans l’environnement virtuel et qui rassemblent des internautes autour de préoccupations communes, dans un cadre où la liberté d’expression est mise de l’avant. L’environnement virtuel individuel de chacun des utilisateurs se voit alors mis en relation avec d’autres environnements individuels[9]; c’est ce qui constitue le point de départ de la communauté. Il n’y a donc plus de contrainte liée au territoire dans la formation de la communauté, puisque le territoire bascule d’une certaine manière dans l’ordre du « symbolique[10] ». C’est dire aussi que les récentes avancées technologiques permettent de former des groupes beaucoup plus facilement :

Getting the free and ready participation of a large, distributed group with a variety of skills […] has gone from impossible to simple. […] we are living in the middle of a remarkable increase in our ability to share, to cooperate with one another, and to take collective action, […] outside the framework of traditional institutions […][11].

Dans cet ordre, une communauté virtuelle peut être constituée afin de favoriser les échanges et la mise en commun des résultats de la recherche (comme les articles et les livres savants dans le cas qui nous intéressera ici) autour d’un même objet d’étude. Car la publication d’articles et d’ouvrages savants, qui jusqu’à tout récemment impliquait nécessairement l’intervention des maisons d’édition, des presses universitaires et des organismes subventionnaires, est appelée à emprunter de nouvelles voies de diffusion. Les textes tirés sous la forme de livres ou de revues savantes sont essentiellement destinés à un groupe restreint de lecteurs, dans un environnement géographique surtout délimité par des paramètres linguistiques, géographiques (Amérique du Nord, Europe, Asie, etc.) et financiers. Les textes publiés dans les communautés virtuelles, comme ceux qui de façon plus large sont rendus disponibles en accès libre (open access) sur le web, bénéficient de la plate-forme de diffusion la plus globale qui soit, laquelle peut être consultée tout à fait gratuitement, puisqu’elle se veut à toutes fins pratiques affranchie des problématiques liées aux frontières géographiques et aux impératifs économiques — celles-là même qui régissent notamment l’achat des revues et des livres savants par les bibliothèques universitaires et les librairies.

Si elle ne porte pas encore le sceau de légitimation institutionnelle comme une revue savante bien établie qui aurait simplement migré du support papier vers le support électronique — ou dont la version imprimée aurait été reproduite intégralement afin d’être mise en circulation sur la Toile quelques mois après la publication dans son format original[12] —, la communauté virtuelle, conçue comme un espace dynamique, présente l'avantage d'illustrer les changements qui caractérisent la perception d'un objet d'étude au fur et à mesure que progresse le discours critique et qu'apparaissent de nouvelles approches dudit objet.

Le projet HyperNietzche [13] en constitue un exemple tout à fait éloquent. Piloté par Paolo D’Iorio, chercheur à l’Institut des textes et manuscrits modernes (ITEM) de Paris, le projet a été conçu pour pallier les problèmes d’archivage, d’accès et de diffusion des textes et des études savantes sur l’oeuvre et la pensée du philosophe Friedrich Nietzche. La création d’une communauté virtuelle qui rassemblerait des chercheurs des quatre coins du monde et qui favoriserait la collaboration autour de nouveaux projets à partir du fonds documentaire commun rendu disponible sur le site est apparu comme la solution indiquée. D’Iorio explique que la création de la communauté virtuelle autour de l’oeuvre du philosophe visait surtout l’établissement d’« un instrument souple et rapide qui permette aux chercheurs de comprendre d’un regard l’état des connaissances disponibles sur un certain auteur, les problèmes encore ouverts et les méthodologies à l’oeuvre[14] ».

L’HyperNietzche fonctionne selon la philosophie open source, qui renvoie à trois principes fondamentaux : (1) Open source permet de consulter tout à fait librement la version numérique d’un objet d’étude (livre, image, manuscrit, pièce d’archive, piste sonore, etc.). C’est donc une manière de redonner au public ce pour quoi il paie, indirectement du moins, c’est-à-dire ce qui est administré ou subventionné par des fonds gouvernementaux ou paragouvernementaux. (2) Travailler en open source renvoie ensuite à la possibilité d’obtenir un accès libre aux résultats des recherches menées sur ces objets d’étude; on pense ici aux publications savantes qui, diffusées sur le web, contribuent à la mise en valeur de l’héritage scientifique, historique, culturel et littéraire[15]. (3) L’adoption du cadre open source rend disponible tout à fait gratuitement et sans aucune restriction le code informatique qui compose la structure hypertextuelle du site. De cette façon, d’autres communautés virtuelles empruntant le même « modèle » pourront être créées. Si bien que le partage des connaissances ne concerne pas seulement le contenu, mais également tout ce qui a trait à l’architecture technique de l’espace virtuel.

On peut supposer qu’une communauté virtuelle organisée autour de l’oeuvre d’un philosophe — comme c’est le cas pour l’HyperNietzche — ou d’un romancier[16], ou encore autour d’un événement historique particulier, pour ne donner que ces quelques exemples, permet de donner une dimension plus internationale à des recherches qui dans certains cas auraient mis des années avant d’être accessibles aux chercheurs d’autres continents, et du coup qu’elle entraîne une progression plus rapide des connaissances dans le domaine visé. Kathleen Fitzpatrick souligne à cet égard que des liens qui étaient exclusivement établis entre collègues d’universités éloignées lors de colloques ou de rencontres de recherche sont désormais formés en ligne et qu’ils sont appelés « to flourish across greater distance, for longer durations, and among more scholars than ever before [17] ».

La réflexion sur le modèle de la communauté virtuelle comme espace de publication savante en recoupe une autre, celle-là encore plus imposante, sur la publication en accès libre (open access [18], qui est le prolongement du open source dont nous avons énoncé certains principes) et sur l’accessibilité des résultats de la recherche. Des études menées au cours de la dernière décennie montrent que les articles et les livres savants disponibles en accès libre sur le web ont un « greater research impact [19] ». Il semble en effet que ces textes aient le potentiel d’attirer un plus grand nombre de lecteurs, et ainsi d’être davantage cités — jusqu’à 336 % plus souvent, selon Stevan Harnad[20] —, puisque les chercheurs en sciences humaines et en lettres s’appuient davantage sur les ressources électroniques (auxquelles ils paraissent d’ailleurs accorder de plus en plus leur confiance) dans la réalisation de leurs travaux qu’ils ne le faisaient dans le passé. Plus encore, ils apprécient que le délai de publication soit généralement beaucoup plus court[21], ce qui leur permet, le cas échéant, de répondre plus efficacement aux exigences imposées en matière de recherche et de publication par les institutions universitaires auxquelles ils sont affiliés - exigences qui ne cessent d’ailleurs de s’intensifier d’année en année[22]. En effet, les délais de publication qu’imposent les revues et les maisons d’édition font en sorte que le contenu de certains textes devient pratiquement désuet avant même leur parution[23]. De la même manière, il arrive souvent qu’un article ou un livre accepté pour publication et qui ne paraît que deux ou trois ans après sa rédaction ne puisse être pris en compte par les comités facultaires lors de l’évaluation des dossiers de performance des professeurs, ce qui, dans certains cas, est susceptible de retarder leur promotion à un rang supérieur.

Par ailleurs, le principe de la communauté virtuelle permet de faire évoluer les textes, de les corriger, de laisser des traces des corrections, autrement dit il autorise l’enchevêtrement de plusieurs strates d’écriture et de réflexion, de telle manière que les chercheurs peuvent être définis à la fois comme des producteurs, des éditeurs et des « consommateurs » des textes en question. On parle, dans cette perspective, de la communauté virtuelle offrant un contenu « ouvert » (open content), qu’il est « possible for others to improve and redistribute » et qui est « produced without any consideration of financial reward [24] ». Ainsi, les résultats de la recherche peuvent être régulièrement mis à jour, chaque fois que de nouveaux éléments d’analyse émergent, ce qui permet aux chercheurs de proposer des travaux toujours à la fine pointe des connaissances sur le sujet concerné. Le texte savant n’est plus achevé au moment de sa publication, il ne s’avère jamais définitif. Il devient plutôt un produit « évolutif », susceptible d’être modifié au fur et à mesure que les perspectives d’analyse et que les nouvelles découvertes sur le sujet qu’il développe changent[25].

Il est également possible de lier le texte à d’autres sites ou documents d’intérêt présentés en ligne, de sorte que l’accès à la recherche ne repose plus exclusivement sur les bibliothèques, dont l’offre a été largement réduite au cours des dernières années à cause des compressions budgétaires, pas plus qu’il ne dépend des presses universitaires et des revues savantes, dont les activités restent elles aussi étroitement liées aux impératifs commerciaux. Un texte savant devient plutôt une porte d’entrée vers d’autres textes savants, ceux-ci renvoyant eux aussi à d’autres études, si bien qu’ils participent tous à la formation d’une nouvelle chaîne de savoir sans véritable noyau, ouverte sur l’ensemble du réseau virtuel de connaissances dont les ramifications se déploient pour ainsi dire à l’infini.

Le principe de la communauté virtuelle comme espace de publication savante engage également à une réflexion en lien avec la légitimité des publications sur support électronique. On le sait, le texte ne « fonctionne » pas de la même manière dans l’environnement électronique et dans la sphère de l’imprimé. À cet effet, les chercheurs ont remarqué, au cours des deux dernières décennies, « that electronic literature […] required new critical frameworks to assess its reading and writing pratices [26] ». Or, le lien de confiance qui unit l’imprimé et le lecteur depuis des siècles demeure très solide. Ce lien se fonde en grande partie sur la matérialité (réconfortante) de l’objet et sur la sanction intellectuelle qui lui a été imposée par l’éditeur. « To print necessarily means to select and, therefore, all that is printed at least connotes and often denotes some singling out process [27] », écrit Jean-Claude Guédon. À l’opposé, la question de la crédibilité des textes publiés sur support électronique demeure épineuse, l’édition électronique se butant encore à une certaine résistance, surtout chez les chercheurs en sciences humaines et en lettres. En effet, la crédibilité ne représente pas une qualité qu’on associe d’emblée à la Toile et, du coup, aux textes qu’elle met en circulation.

L’accès libre, l’un des principes sur lesquels repose la communauté virtuelle, redéfinit pourtant la relation que nous entretenons avec le savoir. Il permet de penser la recherche autrement. Plus encore, comme on l’a vu, il oblige à un repositionnement par rapport à la diffusion des connaissances. Cette nouvelle orientation passe dans un premier temps par la redéfinition du processus d’évaluation. Traditionnellement, l’évaluation par les pairs (peer-review) détermine la valeur d’un article savant. Or, dans l’environnement virtuel, ce processus connaît des transformations fondamentales.

Il arrive certes que soit instauré un processus d’évaluation reproduisant sensiblement celui qui préside au filtrage dans le cas des publications imprimées. Cependant, si on estime que l’intérêt réside surtout dans la publication du plus grand nombre possible de textes savants, il convient, selon certains, de ne pas faire intervenir quelque évaluation que ce soit avant la mise en circulation des textes. En fait, dans cette perspective, le processus d’évaluation par les pairs intervient tout de même, mais il devient la responsabilité de toute la communauté des lecteurs, non plus seulement du comité d’experts auquel s’adresse généralement un éditeur : « […] the process tends to extend to the whole community almost immediatly [28] ».

La rencontre « intellectuelle » entre les membres de la communauté virtuelle se joue donc aussi autour des questions du filtrage de l’information et de l’évaluation des contenus. Les membres de la communauté virtuelle évaluent non seulement les contributions des autres membres, mais ils interviennent aussi en y ajoutant des commentaires, en proposant des modifications, parfois même en prolongeant le texte existant. Par conséquent, il y a collaboration à la fois en termes de rédaction, de gestion des contenus et de décisions éditoriales, tout cela étant accompli selon un principe de partage et d’échange de connaissances.

Cette avenue qui consiste à laisser l’ensemble du lectorat potentiel juger de la qualité d’un article ou d’un livre savant entraîne très certainement un débat de fond sur l’institution et ses exigences. En effet, sur le web, on sait qu’il devient très difficile de déterminer ce qui peut être considéré légitime en termes institutionnels de ce qui ne doit pas l’être. Ainsi, la hiérarchisation inhérente au processus de publication savante subit un important déplacement. Le filtrage jusque-là assuré par l’éditeur ne fonctionnant plus selon les mêmes paramètres, il se produit une inversion du processus auquel nous sommes habitués : le jugement sur la qualité des textes devient ultérieur à leur publication[29]. Or, ce jugement paraît justement donner lieu à une nouvelle forme de hiérarchisation, celle-là de nature symbolique, en ce sens qu’il se crée, autour de certaines publications électroniques ou de certains sites, une sorte de consensus implicite, tout comme cela se produit pour certaines maisons d’édition auxquelles on accorde davantage de crédibilité d’un point de vue institutionnel.

Dans ce contexte, on peut s’interroger sur l’importance accordée à la publication d’articles et de livres savants dans les exigences de publication des universités à l’égard de leurs professeurs : les presses universitaires et les revues savantes établies suffisent-elles à héberger l’ensemble des textes produits par les chercheurs? La multiplication des revues « locales », parfois même imprimées à compte d’auteur, contribue-t-elle à la dilution des contenus? Les délais de publication sont-ils devenus trop longs par rapport à la fréquence des renouvellement de contrats et des évaluations de la performance à laquelle ceux-ci sont soumis? Les universités accordent-elles une valeur suffisante aux publications électroniques dans l’analyse des dossiers de publication des professeurs?

Le 28 mai 2002, Stephen Greenblatt, dans une lettre adressée aux membres de la Modern Language Association (MLA), s’inquiète justement des exigences particulièrement élevées des universités à l’égard des professeurs en début de carrière :

[…] over the course of the last few decades, most departments of language and literature have come to demand that junior faculty members produce, as a condition for being seriously considered for promotion to tenure, a full-length scholarly book published by a reputable press. A small number of departments expect the publication of two such books. […] The immediate problem, however, is that university presses, which in the past brought out the vast majority of scholarly books, are cutting back on the publication of works in some areas of language and literature. Indeed, we are told that certain presses have eliminated editorial positions in our disciplines. […] Under financial constraint, universities have been unable to provide adequate support both for library budgets and for university presses. […] And university presses, suffering severe financial losses as a result of this shift in library purchases and a general decline in book sales, have cut back on the number of books they publish annually in certain fields. Some junior faculty members who will be reviewed for tenure in this academic year are anxiously waiting to hear from various university presses. […] They face a challenge - under inflexible time constraints and with very high stakes - that many of them may be unable to meet successfully, no matter how strong or serious their scholarly achievement, because academic presses simply cannot afford to publish their books. […] [30]

Gary Hall, de son côté, rappelle que « building a career, even simply surviving as an academic, is today more than ever dependent on publications [31] ».

La publication d’articles et de recensions dans les sites de communautés virtuelles, tout comme dans des revues et dépôts de textes savants (repositories) en accès libre, permet de pallier cette situation qui devient de plus en plus problématique. En effet, au lieu de chercher à générer plus d’espace de publication en créant de nouvelles revues et maisons d’édition traditionnelles, à toutes fins pratiques condamnées à subir d’importantes difficultés au plan financier avant même leur première parution, contraintes également à dépendre des organismes subventionnaires qui eux aussi subissent les soubresauts de l’économie, les chercheurs trouvent dans l’environnement électronique l’espace de publication idéal pour une circulation à plus large échelle de leurs travaux, dont la parution ne coûte pratiquement rien. Si on pousse la réflexion un peu plus loin, on remarque que la communauté virtuelle, qui est susceptible de rassembler tant des chercheurs que des non-universitaires intéressés par le sujet dont il y question, devient du même coup un lieu d’échange privilégié de savoir entre l’institution et le public. N’est-ce pas l’une des finalités de l’université que d’établir des liens avec la collectivité? Le fait de « re-diriger » une partie des résultats de la recherche vers celle-ci représente vraisemblablement un moyen idéal d’y parvenir.

Une réflexion sur la communauté virtuelle comme lieu de publication savante doit enfin considérer ce qu’on pourrait appeler la « matérialité » des documents et des informations ponctuelles qui y sont échangés. La publication électronique, contrairement à ce que d’aucuns aimeraient croire, ne se veut pas un simple prolongement du support papier, même si matériellement parlant, le texte électronique ne s’établit pas en totale rupture avec le texte traditionnel : « les caractéristiques du livre imprimé », comme le souligne Danielle Trudeau, « se trouvent multipliées […] plutôt que transformées par le livre numérisé[32] ». Le texte électronique possède en effet sa propre singularité; il présente un potentiel de diffusion dont les possibilités dépassent largement les frontières matérielles qu’imposent le livre ou la revue traditionnels. Comme le rappellent Guylaine Beaudry et Gérard Boismenu, il est « possible de dépasser les possibilités d’une simple vitrine numérique d’un document imprimé, écrit en intériorisant les contraintes du papier[33] ». Dans cette optique, les chercheurs ont l’occasion de « participer au renouvellement des conditions d’élaboration et de transmission des contenus par lesquels ils communiquent les résultats de la recherche[34] ».

De façon concrète, les communautés virtuelles présentent des textes profitant des fonctionnalités techniques de l’environnement numérique : ils contiennent des liens intra- et intertextuels, ils peuvent s’accompagner d’un moteur de recherche, ils peuvent même apparaître dans les répertoires informatisés des bibliothèques. L’instantanéité, l’interactivité (entre le lecteur et la machine ainsi qu’entre le lecteur et les autres membres de la communauté) et l’immédiateté remplacent les longues recherches, les photocopies, le recours aux services de prêts interbibliothèques, etc. Autrement dit, il est désormais possible, comme le rappelle Geoffrey Nunberg, « to make manifest what has always been done in practice, to create systems where connections that paper can only suggest to mind […] are physically realizable and accessible to manipulation [35] ».

En somme, la communauté virtuelle — définie comme un lieu dynamique et interactif de rencontre intellectuelle où des chercheurs échangent autour de préoccupations et de sujets communs, et non plus comme un lieu de publication statique —, envisagée comme espace de publication savante, constitue un nouveau modèle de circulation du savoir et d’échange des connaissances. Il se trouve certes encore beaucoup de résistance au sein des chercheurs et de l’institution universitaire par rapport à la publication électronique des résultats de la recherche. Néanmoins, on remarque une ouverture à l’égard de ce type de diffusion, dont la production se révèle beaucoup moins coûteuse, à terme, et qui assure surtout une plus large diffusion du savoir – tout en offrant une solution idéale de diffusion des travaux des jeunes chercheurs, de qui les hautes instances universitaires exigent de plus en plus en matière de publication.

Si la lecture sur support papier demeure toujours privilégiée, la publication sur support numérique, au fondement même de la formation des communautés virtuelles « savantes », paraît en effet susceptible de mieux servir les « les nécessités de la recherche[36] » — en termes d’évolution, de mise à jour des connaissances et de collaboration entre les chercheurs consacrant leurs travaux au même objet d’étude. La communauté virtuelle se veut un lieu de rassemblement, de réflexion intellectuelle en mouvement, en évolution constante. L’environnement de l’imprimé et l’espace parfois statique de certains sites web qui ne permettent aucune interaction entre les utilisateurs font place dans la communauté virtuelle à l’interaction, qui devient le moteur du maintien et de l’évolution de la communauté, puisque l’expansion du site dépend directement de l’implication des lecteurs. Reste à voir si la valeur intellectuelle de telles publications et interventions (sous la forme de discussions ponctuelles, par exemple, entre les chercheurs) viendront à être reconnues par l’institution au même titre que les publications traditionnelles, pourtant moins accessibles, et dont le contenu est parfois déjà obsolète au moment de leur parution.