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Pour Galia & Gaia Yanoshevsky

Durant la seconde moitié du xxe siècle, le champ éditorial français a été marqué par le développement de plusieurs collections de monographies de poche illustrées consacrées aux écrivains. Dans un contexte d’après-guerre caractérisé dans l’Hexagone par l’avènement de la société de consommation et par une dynamique de démocratisation de la culture, il s’agit pour les premières de ces collections de se concevoir comme un espace de médiation entre un public cultivé aussi large que possible et un patrimoine littéraire déjà classique ou en instance de canonisation. Diverses dans leurs formes, des séries telles que « Poètes d’aujourd’hui » (Seghers, 1944-1994[1]) et « Écrivains de toujours » (Le Seuil, 1951-1981[2]) inaugurent une formule qui sera reprise et adaptée ultérieurement. Elles ont en commun de rassembler des ouvrages qui visent à offrir au lecteur une présentation globale d’un écrivain et de son oeuvre ou, plus rarement, d’ensembles d’auteurs ou d’oeuvres[3].

Pour réaliser cette ambition, les volumes publiés dans ces collections rassemblent le plus souvent des textes relevant de différents genres de discours, qu’il s’agisse de biographies, d’essais critiques, de témoignages – les trois options se succédant ou se mêlant selon des stratégies diverses –, accompagnés d’une anthologie réunissant des extraits d’oeuvres. Ces assemblages composites sont en outre agrémentés d’une iconographie à laquelle est conférée une place plus ou moins centrale, de quelques feuillets hors-textes (« Poètes d’aujourd’hui ») à des volumes au sein desquels ces images se taillent une part plus conséquente et font l’objet d’une mise en page plus travaillée (« Écrivains de toujours »). De telles collections correspondent à l’émergence d’un modèle éditorial relativement neuf[4], non tant parce qu’un discours critique y coexiste avec des fragments de l’oeuvre au sein d’un même volume qu’en raison, d’une part, de la place faite à l’iconographie et, d’autre part, de la proportion de ces ouvrages qui sont consacrés à des contemporains.

De par la nature et les fonctions de ces ouvrages, une pluralité d’acteurs entrent en relation au sein de telles collections. Le signataire du texte de présentation n’est en effet pas le seul maître du jeu et les images d’auteurs que produisent ces volumes sont le fruit de multiples interactions. Ces rapports impliquent, outre l’auteur du texte présentant l’écrivain et son oeuvre, les intervenants liés à la collection (directeur, maquettiste, etc.), l’écrivain qui fait l’objet de l’ouvrage, par la mobilisation de ses textes et de son iconographie, mais aussi, lorsqu’il est encore en vie, par de possibles interventions lors de son élaboration (sans compter les ayants droit, le cas échéant). Dans la plupart des cas, ce travail collectif présidant à leur genèse ne laisse cependant pas de traces au sein des volumes. Hormis quelques exceptions notables, ces interactions demeurent le plus souvent hors-texte, ces ouvrages paraissant régis par un cloisonnement relativement strict entre les textes de l’écrivain et ceux de ses médiateurs.

Dans le cadre des collections de ce type publiées en France, ce clivage est remis en question au sein de la collection « Poète d’aujourd’hui », en 1984, à l’occasion de la publication du volume consacré à Jean Tortel, qui comprend un entretien avec Henri Deluy[5]. Le cas de figure demeure cependant tout à fait exceptionnel, jusqu’au lancement de la collection « Qui suis-je? »[6], éditée à Lyon à La Manufacture à partir de 1985. L’interaction entre l’auteur présenté et ceux qui contribuent au façonnement de son image publique s’y affiche à travers l’intégration régulière d’entretiens, selon une formule reprise dans la collection « Les contemporains », publiée au Seuil à partir de 1988 sous la direction de Denis Roche. Compte tenu de ce que l’auteur portraituré en vient dans ce cadre à s’exprimer directement, à la faveur de dialogues avec des interlocuteurs qui, à l’occasion, sont les auteurs du livre, quelles valeurs et fonctions sont assignées aux entretiens dans ces volumes? Que disent ces dialogues du projet de ces collections et des images d’auteur qu’elles s’emploient à construire, du type de critique littéraire qui s’y élabore, notamment de la relation qui s’y tisse entre l’auteur de l’ouvrage, celui auquel il est consacré et le lectorat auquel il est destiné?

Les écrivains par eux-mêmes

Premières des collections de monographies de poche illustrées consacrées aux écrivains publiées après-guerre en France, « Poètes d’aujourd’hui » et « Écrivains de toujours » reposent sur un format fondé sur la coexistence entre un essai critique ou biographique – combinant parfois ces deux orientations –, un choix d’extraits d’oeuvres et une iconographie à laquelle est conférée une place plus ou moins prépondérante. Dans la mesure où ils ont pour finalité de faire découvrir la vie et l’oeuvre d’un auteur à travers un ou plusieurs textes de présentation combinés à des extraits de l’oeuvre relativement abondants, ces livres semblent participer, sur un plan générique global, du domaine du portrait. Sur un plan fonctionnel, dans le système de la critique littéraire moderne, ils se présentent comme des instruments de médiation particuliers, qui, en vertu de leur dimension documentaire et généraliste, tendent à conduire leurs lecteurs, idéalement du moins, à une découverte ultérieure plus approfondie de l’oeuvre présentée, dont ils n’offrent que des échantillons.

Leur rôle de seuils se traduit dans les modalités d’agencement des différents types de textes qu’ils rassemblent. Dans une majorité des volumes de « Poètes d’aujourd’hui », les extraits d’oeuvres suivent l’essai introductif, le plus souvent titré d’un très sobre « Présentation » ou « Étude » (ou, plus rarement, « Essai »). Sur les 220 ouvrages publiés au cours des 50 années d’existence de la collection[7], environ 90 % obéissent à ce principe de distribution des textes. Comme le montre la présentation des noms de l’écrivain portraituré et de son critique – celui de l’auteur présenté apparaît en premier, dans un caractère plus grand que celui de l’auteur du texte de présentation –, tout se passe comme s’il s’agissait de minorer les auteurs de ces textes introductifs pour conduire le lecteur à la découverte de l’anthologie (et donc de l’oeuvre), souvent présentée comme l’essentiel de ces volumes[8]. Le nombre de pages consacré à ces choix de textes est d’ailleurs presque systématiquement plus ample que celui réservé aux discours de présentation qui les précèdent et font souvent office de préface.

Dans la collection du Seuil, les formules paraissent sensiblement plus variées, qu’il s’agisse de reprendre celle de « Poètes d’aujourd’hui », qui lui tient lieu de modèle[9], d’insérer les extraits d’oeuvres dans le fil de l’essai critique, ou encore de procéder à des montages moins courants, comme dans le volume consacré à Jean Giraudoux par Chris Marker ou celui dévolu à Jules Michelet que signe Roland Barthes : le premier fait suivre le témoignage du jeune amateur du théâtre de Giraudoux qu’il fut durant l’entre-deux-guerres par un choix d’extraits d’oeuvres liés entre eux par de brefs segments de textes qui dressent une biographie de l’écrivain[10]; Barthes opte en revanche pour une distribution qui consiste à alterner les chapitres de son essai thématique sur l’oeuvre de Michelet avec des séquences rassemblant des extraits de textes qui illustrent le bien-fondé de ses analyses[11]. Le titre-matrice de la collection traduit avec évidence l’un des idéaux qui sous-tend ces livres : que l’écrivain y apparaisse comme présenté « par lui-même », c’est-à-dire par ses propres textes, ses oeuvres en première instance[12].

Le principe d’une présentation de « l’écrivain par lui-même » demeure toutefois, en raison de cette coexistence entre discours critique et extraits de l’oeuvre, de l’ordre de l’idéal jamais pleinement atteint, à quelques exceptions près. Le cas du Roland Barthes par Roland Barthes est sans doute le plus connu[13], qui prend au pied de la lettre le programme inscrit dans la formule-titre de la collection au sein de laquelle il s’intègre. Si pareil cas de figure apparaît comme peu fréquent[14], il ne s’agit cependant pas d’un hapax – il est suivi par celui que Michel Butor livre plus tard, dans « Poètes d’aujourd’hui[15] » –, pas plus, au demeurant, que du premier ouvrage de ce type au sein de ces collections, puisqu’il est précédé par le volume que Pierre Seghers se consacre, en 1967 déjà, dans sa propre collection[16]. Lorsque l’auteur prend ainsi en charge l’intégralité du discours critique, ces volumes bénéficient d’une aura toute particulière. Mais ils perdent dans le même temps la spécificité des ouvrages de ce type, qui réside dans la coexistence de textes issus de différentes sources : le critique et l’auteur[17].

Quoique peu usité en tant que tel au sein de ces collections, le modèle de « l’écrivain par lui-même » n’en régule pas moins les pratiques discursives des intervenants, ainsi que leur mise en scène, au point que certains contemporains, de façon moins marquée que Seghers, Barthes et Butor, sont intervenus dans la constitution du volume qui leur a été consacré, notamment en écrivant des textes pour la circonstance[18]. Ainsi, le volume consacré à Romain Rolland dans « Poètes d’aujourd’hui » prend soin de spécifier que l’auteur a contribué au choix de ses textes repris dans l’ouvrage[19], l’écrivain entendant que cette intervention soit signifiée au lecteur[20]. De même, Pierre Emmanuel signe-t-il le court texte biographique qui précède l’essai qu’Alain Bosquet consacre à son oeuvre poétique dans la même collection[21]. Si ces livres bénéficient ainsi d’une intervention de l’auteur que ce dernier assume publiquement – tous ceux qui mettent leur grain de sel dans la réalisation du livre qui leur est consacré ne le font pas… –, celles-ci demeurent toutefois strictement séparées des parties de l’ouvrage signées par le critique.

Dans « Poètes d’aujourd’hui » comme dans « Écrivains de toujours », même au sein des volumes les plus atypiques à cet égard, l’agencement des textes se caractérise par le respect d’un principe auquel il n’est presque jamais dérogé : celui d’une absence d’interactions directes entre les auteurs des différents textes rassemblés, celui du texte de présentation et celui qui fait l’objet du volume. Très tôt dans l’histoire de la collection « Écrivains de toujours », cependant, deux volumes rompent avec ce cloisonnement. Ainsi est-ce un véritable dialogue entre critique et écrivain, non dépourvu de tensions latentes[22], que nouent André Malraux et Gaëtan Picon dans l’ouvrage que le second consacre au premier en 1953. Analogue à celui adopté pour le volume dédié la même année à François Mauriac dans cette collection[23], le dispositif consiste à intégrer dans le volume lui-même des annotations de l’auteur, parfois substantielles (en particulier chez Malraux). Comme l’explique la présentation de ce dispositif particulier par l’éditeur, ces notes de l’écrivain commentent le texte qui lui est consacré :

Prenant connaissance de l’étude que Gaëtan Picon venait de lui consacrer, André Malraux écrivit en marge un certain nombre de remarques, réflexions ou précisions diverses, qui tout ensemble confirmaient la justesse de cette étude et lui fournissaient l’inestimable appoint d’un commentaire de la pensée de Malraux par lui-même[24].

S’il semble qu’il y ait comme une inclination, généralement latente, à faire dialoguer l’auteur et son critique – jusqu’à voir les deux positions se confondre à l’occasion, dans les cas de Seghers, Barthes et Butor –, le plus souvent, au sein de ces volumes, les espaces textuels dévolus à leurs interventions respectives sont clairement délimités, et leurs interactions effectives réduites à leur seule coexistence. Même dans des cas aussi atypiques que ceux de Malraux ou de Mauriac[25], les interventions du critique et de l’auteur sont nettement séparées – celles des écrivains figurent sur des pages à part, et réagissent aux propos du critique, en s’adressant parfois directement à lui dans le cas de Malraux –, de façon à faire la part de ce qui revient aux uns et aux autres. À ces deux remarquables exceptions près, les livres publiés dans ces collections ne mettent donc jamais véritablement en dialogue le critique et son auteur. De ce point de vue, en intégrant des entretiens, à partir du milieu des années 80, les collections « Qui suis-je? » et « Les contemporains » mettent en oeuvre une tentation manifeste des séries plus anciennes et inaugurent ainsi une nouvelle ère dans l’histoire de ce type d’ouvrages.

L’entretien dans les collections de monographies illustrées de poche

Dans le domaine francophone, l’histoire des collections de monographies de poche illustrées consacrées aux écrivains est marquée, au cours des dernières décennies, par une évolution générique significative. Alors que les séries nées dans l’immédiat après-guerre clivent de façon nette les textes de l’auteur qui se charge de la présentation de l’oeuvre et de son auteur et ceux qui sont de la plume de l’écrivain présenté, en revanche, à partir du milieu des années 80, deux collections se signalent par la place qu’elles accordent à de véritables dialogues entre l’auteur portraituré et certains de ses critiques. Cette transformation passe par l’intégration d’un ou de plusieurs entretiens de l’auteur présenté au sein des ouvrages. Ainsi, dès leurs premiers volumes, les collections « Qui suis-je? » (La Manufacture) et « Les contemporains » (Le Seuil) insèrent-elles ce type de dialogues, à l’occasion entre l’auteur de l’ouvrage et celui ou celle qui en est l’objet[26].

L’intitulé interrogatif de la collection « Qui suis-je? » apparaît comme un programme au regard duquel le recours au genre de l’entretien semble une évidence. Il est mis en oeuvre dès le premier volume de la collection, encore que sur le mode du paradoxe puisque ce premier « entretien », un inédit de Frédéric Dard à la forme et au titre pour le moins ironiques – « Réponses sans questions » –, n’en est pas vraiment un : il se compose de textes courts introduits par des titres thématiques en forme de questions[27]. Ce parti pris se répète, de façon plus conventionnelle, dans les volumes suivants, notamment ceux que Jean Carrière consacre, respectivement, à Jean Giono[28] et Julien Gracq[29]. Il se confirme lorsque la collection change de nom, dès 1986, lors de la parution de son treizième numéro. À partir de cette date, elle s’intitule « Qui êtes-vous? », reprenant le titre d’une célèbre émission radiophonique[30] des années 50 qui est devenu un poncif journalistique. Cette relation avec le monde médiatique se trouve en outre renforcée à travers un partenariat avec l’INA (Institut National de l’Audiovisuel), qui donne régulièrement lieu à la reprise d’entretiens radiophoniques au sein des numéros de la collection.

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Louis Bourgeois, Frédéric Dard. Qui suis-je?, Lyon, La Manufacture, « Qui suis-je? », 1985.

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Jean Carrière, Jean Giono. Qui suis-je?, Lyon, La manufacture, « Qui suis-je? », 1985.

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Jean Carrière, Julien Gracq. Qui êtes-vous?, Lyon, La Manufacture, « Qui êtes-vous? », 1986.

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Apparaissant sur la page de couverture de l’ensemble des volumes, le nom de la collection constitue une part du titre de chacun d’eux. Il apparaît en ce sens tout d’abord – c’est-à-dire pour les 12 premiers volumes – comme une question que l’auteur s’adresse à lui-même, puis, après le changement de nom, comme une question qui lui est adressée par un tiers. Ces deux titres successifs de la collection traduisent exemplairement la division marquant de son empreinte la dynamique discursive à l’oeuvre au sein de ces ouvrages qui intègrent fréquemment un ou plusieurs dialogues entre l’auteur et ses médiateurs. Sur les 54 volumes publiés dans cette collection, 28 comprennent un ou plusieurs entretiens. Au sein de ces derniers, 15 reprennent des entretiens avec d’autres auteurs que celui du livre, souvent antérieurs à son écriture – par exemple ceux consacrés à Joseph Delteil[31] et Jean Cocteau[32] –, notamment à la faveur du partenariat conclu entre la maison d’édition et l’INA (ainsi de ceux consacrés à Jean Paulhan[33], André Gide[34], André Malraux[35]). En revanche, 13 volumes présentent des entretiens, le plus souvent réalisés pour l’ouvrage, entre l’auteur du livre et l’écrivain auquel celui-ci est consacré, à l’instar de ceux de Jean Carrière au sujet de Jean Giono et Julien Gracq[36].

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Éric Marty, André Gide. Qui êtes-vous?, Lyon, La Manufacture, « Qui êtes-vous? », 1987.

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Janine Lossuz-Lavau, André Malraux. Qui êtes-vous?, Lyon, La Manufacture, « Qui êtes-vous? », 1987.

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Trois ans à peine après le lancement de « Qui suis-je? », en 1988, les éditions du Seuil publient le premier tome de la collection « Les contemporains », qui prend à certains égards la succession d’« Écrivains de toujours » au sein de la maison de la rue Jacob. Cette nouvelle collection reprend à son compte l’idée consistant à accorder régulièrement une place importante à des entretiens. La formule apparaît proportionnellement moins fréquente que dans les ouvrages édités par La Manufacture : seuls trois volumes – ceux consacrés à Claude Simon[37], Eugène Ionesco[38] et Nathalie Sarraute[39] – sur les 26 publiés comprennent un ou plusieurs entretiens[40]. Elle tend cependant à s’y préciser : les entretiens qui y figurent mettent systématiquement en dialogue l’auteur du volume et celui auquel le volume est consacré[41]. Sans doute le fait s’explique-t-il en partie par la proportion plus importante de contemporains – naturellement plus susceptibles d’accorder des entretiens… – abordés par la collection (« Qui êtes-vous? » n’hésite pas à consacrer des volumes à des auteurs dont le statut de contemporains[42] est pour le moins sujet à discussion, comme Chateaubriand ou Mary Shelley[43], ou encore, plus près de nous, Carson McCullers, décédée en 1967 et qui accorde des entretiens post-mortem – intitulés « Dialogues imaginaires » – à Jacques Tournier, auteur de l’ouvrage qui lui est consacré en 1986[44]…).

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Jacques Tournier, Carson McCullers. Qui êtes-vous?, Lyon, La Manufacture, « Qui êtes-vous? », 1986.

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Ce recours à des entretiens au sein de ce type de collections à partir du milieu des années 80 s’explique vraisemblablement par plusieurs facteurs conjugués, qui relèvent, d’une part, de la place que le genre a acquise à cette époque dans le champ littéraire et, d’autre part, de ce qu’il présente comme avantages en termes de politique éditoriale.

Concernant l’histoire de l’entretien, ce genre, dont l’inscription dans l’espace littéraire n’est pas évidente[45], n’a plus dans la seconde moitié des années 80 le statut qui était le sien durant les années 50, lors des premières années d’existence de « Poètes d’aujourd’hui » et « Écrivains de toujours ». L’entretien a, à cette époque, acquis une légitimité nouvelle au sein de la sphère littéraire. D’une part, Apostrophes fait désormais partie intégrante du paysage médiatique, en dépit des critiques dont l’émission a pu faire l’objet[46]. D’autre part, la parution de nombreux entretiens en volume[47], ainsi que d’une collection de livres d’entretiens comme celle que Belfond publie – 35 volumes entre 1966 et 1993 – a progressivement rapproché l’entretien de l’espace traditionnellement dévolu à l’oeuvre : sous ce nouveau format, les entretiens tendent à relever de l’oeuvre à part entière, en particulier lorsque les écrivains les réécrivent, voire les inventent de toutes pièces[48]. Cette légitimation progressive a relativisé la dimension journalistique initiale du genre[49]. Davantage, pour peu qu’il s’agisse de dialogues un tant soit peu étoffés, les entretiens paraissent même jouir d’une certaine faveur au sein du système de la critique[50].

Sur le plan de la politique éditoriale, la publication de collections de ce type peut relever, ainsi que l’a souligné Hervé Serry à propos d’« Écrivains de toujours », d’une stratégie consistant à intégrer au catalogue de la maison des auteurs prestigieux liés à d’autres éditeurs, tout en développant le propre réseau de l’éditeur[51]. Cependant, le caractère quelque peu ancien du modèle proposé par « Poètes d’aujourd’hui » et « Écrivains de toujours » a pu conduire, voire contraindre les éditeurs à envisager de nouvelles solutions. En effet, l’obtention des autorisations de reproduction des oeuvres composant les parties anthologiques de ces livres n’est pas toujours simple[52]. De ce point de vue, le recours aux entretiens, en ce qu’ils ne sont pas soumis au principe d’exclusivité que les auteurs contractent souvent avec leurs éditeurs attitrés, et qui porte sur leurs oeuvres, revient à réaliser le même type d’opération à moindres coûts. Ces dialogues permettent à un éditeur d’inscrire un auteur à son catalogue à travers des textes parfois devenus difficiles d’accès, voire inédits lorsqu’ils sont réalisés spécialement pour le livre.

Cette conjonction entre les intérêts bien compris des éditeurs et le statut du genre au sein du champ littéraire contribue à expliquer ce recours aux entretiens, aussi bien dans « Qui suis-je? » / « Qui êtes-vous? » que dans « Les contemporains ». En outre, lorsqu’ils sont spécialement réalisés pour le volume, de tels entretiens constituent une façon pour l’auteur d’exercer un certain contrôle sur son image telle qu’elle se trouve façonnée par des tiers au sein de collections qui ont vocation à être largement diffusées en vertu de leur format de poche. Mais si ces facteurs favorisent l’intégration de ce type de textes au sein des collections de monographies, ils n’expliquent pas son attrait particulier pour l’économie discursive de ces livres. Or, dans le cadre des agencements de textes relevant de différents genres de discours qui caractérisent ce type d’ouvrage, l’entretien présente une indéniable valeur ajoutée, en particulier du point de vue de la gestion des espaces discursifs propres au discours littéraire.

À la croisée des espaces discursifs

Sur un plan discursif, les ouvrages qui ressortissent à ces collections de monographies illustrées de poche ne sont évidemment pas versés au compte des oeuvres complètes des auteurs dont ils dressent le portrait. Les quelques exceptions à cette règle – qui n’est à vrai dire explicitement formulée que lorsque, précisément, elle se trouve transgressée – ne concernent que les ouvrages qui jouent de leur valeur atypique au sein de ces séries, à l’instar du Roland Barthes par Roland Barthes, du Pierre Seghers que le poète éditeur se consacre dans « Poètes d’aujourd’hui », ou encore des textes que certains, comme Pierre Emmanuel et, plus récemment, Jacques Derrida[53], rédigent spécialement pour qu’ils fassent partie des volumes qui leur sont consacrés. Ces livres relèvent du champ de la critique : conçus et appréhendés comme tels aussi bien par leurs auteurs que par le lectorat, ils sont répertoriés dans les bibliothèques comme des ouvrages dont l’auteur est celui qui signe le texte de présentation, même lorsque celui-ci revêt une fonction d’ordre préfaciel.

Dans les termes de l’analyse du discours, ces volumes participent de ce que Pascale Delormas a proposé de désigner à travers la notion d’« espace d’étayage », soit « la fabrique de l’image auctoriale » produite, en dehors de l’espace de l’oeuvre proprement dite, « au sein de tout l’interdiscours, c’est-à-dire, par exemple, des commentaires critiques qui la promeuvent ou la discréditent et qui donnent lieu à la reconnaissance collective dont l’oeuvre a besoin pour exister[54] » et circuler. Dans le cadre de collections de ce type, dont la vocation est patrimoniale dans la mesure où elles ont pour finalité, soit de rendre compte d’oeuvres déjà bien établies et reconnues, soit de contribuer à leur reconnaissance, il s’agit idéalement d’introduire et donc de conduire à la lecture de l’oeuvre, qui est quant à elle issue de « l’espace canonique ». La « coupure fondatrice » qui institue ce dernier procède d’une « ritualisation[55] » se traduisant au sein de ces ouvrages par la séparation marquée entre les textes de présentation et ceux qui relèvent de l’oeuvre à titre d’échantillons, sous forme d’extraits intégrés ou de morceaux choisis rassemblés dans une section spécifique.

Du point de vue du système de valeurs régissant le discours littéraire, s’il contribue à instituer l’espace canonique, l’espace d’étayage apparaît fonctionnellement comme son subordonné. Cette relation repose sur un clivage entre ce que l’on pourrait désigner, en combinant les notions proposées par Maingueneau et Delormas, comme l’espace d’étayage associé, relevant du discours de l’auteur, et l’espace d’étayage dissocié, qui est le fait de tiers[56]. Elle procède du statut des acteurs au sein du champ et, partant, des espaces discursifs qu’ils représentent – celui de l’oeuvre pour l’écrivain, celui de la critique pour l’auteur de la monographie consacrée au premier – et qui façonnent les modalités de leurs interactions. Elle constitue l’un des éléments structurants de la dynamique de circulation et de valorisation des discours au sein du champ littéraire. Selon que les textes relevant de l’espace d’étayage sont le fait de l’auteur ou de tiers, ils sont bien évidemment élaborés et perçus de façon différente. En l’occurrence, le critique occupe, par rapport à l’oeuvre, une position plus distante que celle du créateur.

Une telle configuration entre les espaces qui régissent la circulation des textes au sein du champ littéraire suppose une gradation au sein de l’espace d’étayage. Elle se fonde sur la proximité que les textes qui en participent entretiennent avec l’espace canonique qu’il s’agit pour eux d’« étayer ». Selon la dynamique sous-tendant l’espace d’étayage – comme tout espace discursif, il est à envisager comme structuré par des positionnements possibles –, l’espace canonique est donné à appréhender comme l’objet du désir discursif, pour le lecteur aussi bien que pour les médiateurs qui contribuent à son existence et à sa circulation dans l’espace public. La nature de ces relations entre les espaces discursifs au sein du discours littéraire incite les auteurs de ces textes relevant de l’espace d’étayage à manifester leur proximité avec l’espace canonique. Les procédés mis en oeuvre pour afficher des rapports de cet ordre avec l’espace canonique ont tous en commun de mobiliser des textes qui sont issus de la main de l’auteur, ce qui, dans le domaine littéraire, tend à constituer le facteur déterminant – la condition nécessaire – de l’appartenance à l’espace canonique.

Au sein de collections consacrées à dresser le portrait d’auteurs, la formule minimale est constituée par l’anthologie de textes. Ce mode d’intégration de l’oeuvre consiste, on l’a vu, à donner à lire l’auteur tel qu’en lui-même, soit à travers des citations plus ou moins développées de ses oeuvres au sein du discours critique, soit par des extraits qui suivent ce discours critique. Dans l’économie discursive de collections telles que « Poètes d’aujourd’hui » et « Écrivains de toujours », il s’agit de faire progressivement passer le lecteur du discours critique au discours de l’oeuvre, soit, au sein d’un même ouvrage, de textes relevant de l’espace d’étayage – la présentation du critique – à des textes qui relèvent de l’espace canonique, bien que ce ne soit que de seconde main. Sur un plan fonctionnel, ces extraits de l’oeuvre sont subordonnés au macro-genre du portrait, dont ils apparaissent dans ce contexte comme une composante documentaire. Greffés en dehors de leur environnement canonisant, celui d’un volume signé de l’auteur seul, ils ne bénéficient pas de l’autonomie indispensable à leur inscription effective au sein de l’espace canonique.

Dans ce contexte générique complexe, il en va de même de l’entretien, qui apparaît fréquemment comme l’un des moyens privilégiés du portrait[57]. Au sein de ces collections, ce genre fondé sur la co-construction de l’image de soi[58] permet de mettre en oeuvre cette inclination fréquente en vertu de laquelle le portrait tend vers l’autoportrait, et dont l’expression « X (l’auteur) par lui-même » – régulièrement employée à propos d’entretiens, pour les titrer par exemple[59] – livre synthétiquement la formule. Certes, les entretiens ne relèvent pas de l’espace canonique du discours littéraire. À moins qu’ils ne soient intégrés à l’oeuvre, ils s’inscrivent par principe dans l’espace d’étayage. Mais l’auteur s’y exprimant en son nom, ils participent à la fois de l’espace d’étayage dissocié (par les interventions de l’intervieweur) et de l’espace d’étayage associé (par les réponses de l’interviewé), de sorte qu’au sein de ces collections, le recours à l’entretien apparaît comme une formation de compromis permettant d’afficher une proximité de l’espace d’étayage avec l’espace canonique qu’il s’agit de faire valoir.

Ce statut intermédiaire des entretiens au sein de ces volumes se manifeste dans la place qui leur y est assignée. Au sein des ouvrages publiés dans « Qui suis-je? » / « Qui êtes-vous? », ils sont presque systématiquement situés dans une zone médiane, entre les essais critiques et, lorsqu’il y en a, les textes de l’auteur, dont ils sont en outre toujours séparés par quelques pages d’iconographie qui inscrivent ainsi dans la mise en forme du volume la différence de statut entre les textes. Ainsi en va-t-il des livres consacrés à Giono, Gracq, Paulhan ou Malraux. Lorsqu’aucun texte de l’auteur n’est repris, l’entretien constitue la dernière partie relativement développée de la table des matières – jusqu’à correspondre à la plus grande partie du livre, dans le cas de Lévinas et de Sarraute, qui constituent tout de même des exceptions au sein de la collection[60] –, et n’est suivi que par des sections informatives (bibliographie, notice biographique…[61]). Le principe général est analogue dans « Les contemporains » avec les ouvrages relatifs à Ionesco et Sarraute, à ceci près que cette collection ne présente pas de morceaux choisis.

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Simone Benmussa, Nathalie Sarraute. Qui êtes-vous?, Lyon, La Manufacture, « Qui êtes-vous? », 1987.

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Le positionnement des entretiens dans les tables des matières de ces livres traduit ainsi le clivage opérant, au sein même de l’espace d’étayage, entre deux instances – l’auteur et ses médiateurs –, soit deux types de relations de l’espace d’étayage avec l’espace canonique. Il les inscrit dans un parcours progressif conduisant le lecteur d’une présentation de l’oeuvre et de son auteur à cette oeuvre elle-même, convoquée sous forme de textes, le plus souvent inédits, dans la collection de la Manufacture, et comme finalité dans celle du Seuil. De ce point de vue, le recours à des entretiens de l’auteur présenté paraît plus opérant encore lorsque les entretiens en question sont réalisés spécialement pour l’ouvrage et mettent en dialogue l’auteur du livre et l’écrivain auquel le livre est consacré, comme au sein de quatre des volumes comprenant des entretiens dans « Qui suis-je? » / « Qui êtes-vous? » et des trois volumes des « Contemporains » qui sont dans le même cas. Sur le plan de l’économie symbolique en jeu, de tels entretiens confèrent un degré de présence plus conséquent à l’écrivain, soit à celui qui est à la source de l’oeuvre présentée.

Dans ce contexte éditorial de patrimonialisation qui repose sur une critique de sympathie, pour un écrivain, accorder un entretien à l’auteur de l’ouvrage ne va pas sans une forme d’adoubement du discours critique. En plus de permettre à l’auteur d’intervenir directement au sein d’ouvrages qui sont destinés à le présenter au public, ces entretiens affichent une proximité, voire une familiarité entre intervieweur et interviewés. Ainsi Jean Carrière expose-t-il le caractère personnel de ses relations avec Giono (« Lorsque ces “entretiens” ont été réalisés, je connaissais Giono depuis un peu plus de dix ans[62]. »). La nature de cette relation se traduit davantage encore dans le tutoiement auquel recourt l’écrivain pour s’adresser à un interlocuteur qui, pour sa part, en reste au vouvoiement, selon une disparité d’usages que l’on ne retrouve pas dans les entretiens entre, d’une part, Simone Benmussa et Nathalie Sarraute et, d’autre part, Lucien Dällenbach et Claude Simon, à l’occasion desquels le tutoiement réciproque est de rigueur :

Lucien Dällenbach : Puisque ce livre gravite autour de la question du commencement, j’aimerais t’interroger sur les ouvertures de tes textes et la façon dont tu entres en matière. […]. [U]n incipit est toujours un saut de l’aphasie dans la parole [.] Éprouves-tu ce saut comme un péril? Autrement dit : ressens-tu la peur de la page blanche[63]?

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Claude Simon, par Lucien Dällenbach, Paris, Seuil, « Les contemporains », 1988.

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Reste qu’en dépit de la familiarité entre les interlocuteurs dont ils témoignent, ces entretiens sont loin de se focaliser sur la personne de l’écrivain. Au contraire, à une époque où le doute sur la personne de l’auteur demeure un élément important de la doxa critique, ces dialogues se soustraient volontiers à ce type de regard, pour se concentrer sur l’oeuvre, en l’occurrence sur les coulisses de sa fabrique. De façon emblématique, l’entretien entre Dällenbach et Simon, intitulé « Attaque et stimuli », suit ainsi un ensemble d’« [e]xtraits de lettres provenant de la correspondance de Claude Simon avec l’auteur[64] » qui succède à l’essai du critique et qui précède directement une section reproduisant le fac-similé de pages de brouillon du romancier[65]. Compte tenu de la nature des relations qui sous-tendent leurs scènes d’énonciation, non seulement de tels entretiens[66] légitiment le discours critique – la familiarité va souvent de pair avec la connaissance, dont elle apparaît comme une forme privilégiée –, mais ils confèrent aussi une valeur ajoutée à l’ouvrage en invitant le lecteur à découvrir la face cachée de l’espace canonique.

S’il semble que tout portrait soit peu ou prou hanté par le rêve de l’autoportrait, c’est-à-dire l’aspiration à être un autoportrait, dans le même temps, l’autoportrait en appelle toujours au regard d’un tiers, en particulier pour tenir lieu d’intermédiaire au lecteur, d’autant plus efficacement s’il est effectivement intégré au discours même (l’intervieweur dans le cas de l’entretien). Au sein des collections les plus anciennes, « Poètes d’aujourd’hui » et « Écrivains de toujours », les dimensions du portrait et de l’autoportrait apparaissent déjà à maints égards comme les deux profils d’une même démarche, qui consiste à présenter discursivement et iconographiquement un auteur. Ainsi, la nature des relations entre les acteurs qui oeuvrent à la réalisation de ces ouvrages se traduit-elle dans l’agencement de textes de genres différents. Au sein de l’entretien, mobilisé dans des collections plus récentes, portrait et autoportrait alternent et finissent par se confondre, d’autant mieux lorsque l’auteur de l’essai critique ou biographique qui ouvre le livre est lui-même celui qui interroge l’écrivain. Dans ces cas de figure particuliers, le portraitiste manifeste une forme de proximité, voire d’intimité avec le sujet de son portrait et, partant, sa familiarité avec l’espace canonique que celui-ci incarne.

Fondé sur une interaction verbale, l’entretien paraît constituer à la fois une forme de pis-aller et de réalisation parfaite de cette double aspiration contradictoire qui sous-tend le genre du portrait et détermine par conséquent les positions qu’y adoptent les interlocuteurs. Un pis-aller, d’une part, car il met directement le sujet du portrait aux prises avec certains de ses interlocuteurs, éventuellement (et idéalement, semble-t-il) celui qui lui consacre un texte au sein du volume. Mais il n’est dès lors pleinement ni un autoportrait, ni un portrait, dans la mesure où il repose sur un dialogue entre le portraitiste et l’auteur et, par conséquent, sur un partage du discours. D’autre part, il s’agit d’une réalisation parfaite de l’aspiration du portrait à se faire autoportrait, dans la mesure où l’entretien, en vertu de sa forme dialoguée, permet de conjuguer les attraits du discours de l’auteur à ceux du discours critique. À la faveur de pareille configuration, le discours critique se trouve en effet légitimé par sa proximité avec l’espace canonique et, dans le même temps, l’auteur apparaît « en personne », tel qu’en lui-même enfin il se donne à lire et donne à lire ses oeuvres à ceux auxquels ces ouvrages sont destinés : leurs lecteurs.

Une collection telle que « Les singuliers », d’abord publiée chez Flohic, puis chez Argol, repose intégralement sur des entretiens, présentés comme des « rencontres ». D’un point de vue historique, elle témoigne de la place plus importante accordée aux entretiens au sein de cette niche éditoriale particulière qui rassemble des livres destinés à faire le portrait des écrivains en réunissant à leur sujet textes, iconographie et documents. À la différence des collections de poche telles que celles de Seghers, du Seuil et de La Manufacture, ainsi que de celle, faite d’entretiens, publiée à partir des années 60 par Belfond, lesquelles manifestent une vocation à s’adresser à un large public, elle vise un lectorat relativement choisi. En outre, il ne s’agit pas seulement de permettre au lecteur de prendre connaissance d’une oeuvre, mais aussi de proposer aux auteurs un format inédit leur permettant de se dire à la faveur d’une « rencontre » avec un interlocuteur choisi par leurs soins[67]. Contrairement à ce qui se joue dans « Qui suis-je? » / « Qui êtes-vous? » et « Les contemporains », un tel principe contribue à inscrire l’ouvrage produit au plus près de l’espace canonique, en raison de ce que l’écrivain apparaît à part entière comme auteur du livre.

Tout se passe comme si, depuis la fin de la seconde guerre jusqu’à nos jours, l’histoire de ces collections de monographies à vocation patrimoniale était marquée par une inclination à la reprise en main de l’espace associé par les écrivains. En l’espèce, il semble que tous les intervenants y gagnent : les éditeurs et la critique confèrent par ces formules un capital symbolique plus conséquent aux ouvrages qu’ils publient, à la faveur d’une plus grande proximité avec la figure incarnant par excellence l’espace canonique, par la capture d’une part de son prestige; les écrivains, pour leur part, n’ont guère à perdre de cette implication au sein des ouvrages qui leur sont consacrés dans la mesure où ils y gagnent en maîtrise de leur image et de sa diffusion, et il est notable que certains auteurs relativement rétifs à l’entretien (comme Julien Gracq) aient accepté de s’y livrer dans le cadre de ces volumes. La mise en oeuvre d’entretiens au sein des collections constitue ainsi, pour les acteurs impliqués dans la réalisation de ces livres, un échange de bons procédés, dont en définitive le bénéficiaire ultime est le lecteur, censé trouver dans ces dialogues un point de rencontre avec (l’oeuvre de) celui pour lequel il lit ce type de livre.