Abstracts
Mots-clés :
- Appropriation,
- édition scientifique,
- marginalia,
- philologie
Keywords:
- Appropriation,
- scientific publishing,
- marginalia,
- philology
Maxime Cartron et Nicholas Dion : De quelle manière est-il possible de dégager ce qu’on pourrait appeler un discours de l’appropriation porté par les multiples marques que celle-ci produit? Comment arriver à (re)construire une intentionnalité appropriante sans soi-même verser dans l’appropriation? Guillaume Peureux : Je répondrai en m’appuyant en particulier sur le travail effectué pour mon livre De main en main. Poètes, poèmes et lecteurs au xviie siècle (Paris, Hermann, 2021) et sur les recherches que je dirige avec Anne Réach-Ngô au sein de l’ITEM (l’Institut des Textes et Manuscrits modernes), dans l’équipe « Génétique 16-17 ». Lorsque l’on a l’opportunité, rare, de travailler sur des textes comportant des marques de lecture qui témoignent d’une appropriation de leur forme et corrélativement de leur signification par un lecteur scripteur, le risque n’est pas nul, en effet, comme dans toute entreprise herméneutique, de projeter une signification, d’imaginer une intention auctoriale de celle ou de celui qui a annoté un texte, qui a apposé des commentaires dans ses marges. On le fait avec Malherbe et son « commentaire » de Desportes, jusqu’à en tirer une « doctrine de Malherbe » (F. Brunot) – en s’appuyant sur ses jugements (bien/mal, réussi/raté, etc.), en réfléchissant à ce qui a conduit Desportes à écrire comme il a écrit et en proposant des réécritures de vers ou de passages plus longs. Cela signifie que l’on n’envisage ni l’absence d’intention ni la diversité des intentions en fonction de moments différents de lecture-annotation; et cela signifie aussi que l’on postule la continuité intellectuelle d’un projet de lecture ainsi que son achèvement volontaire. Pour ce qui concerne les écrits pour ainsi dire appropriés, c’est-à-dire marqués de telle sorte que l’on peut inférer des marques une altération de leur forme et de leur signification, nous n’avons à notre disposition que des bouts de phrases, parfois des mots, des signes non verbaux, des biffures. Autrement dit, l’interprétation que nous pouvons faire cherche à retrouver une cohérence à partir des traces laissées par un lecteur scripteur, à les lier entre elles, mais sans disposer des éléments contextuels indispensables (et nécessairement en partie insaisissables – que savons-nous de ce que pense un lecteur scripteur?) à la reconstitution d’une histoire documentée de l’appropriation d’un écrit. Si l’on reprend l’exemple du commentaire de Malherbe, ce sont la répétition et la systématicité des interventions dans le texte de Desportes et ses marges, mais aussi, surtout peut-être, les corrections et les réécritures, qui semblent autoriser la reconstruction du discours malherbien, reconstruction adossée à la Vie de Monsieur de Malherbe par Racan – un texte toutefois sujet à caution – et à la pratique poétique du poète caennais. Mais face à des documents moins élaborés, dans lesquels les marques d’appropriation sont moins systématiquement disposées ou dont l’analyse ne peut s’adosser à quelque autre type d’archives, la priorité de l’enjeu interprétatif doit sans doute être reconsidérée, car le risque de « verser dans l’appropriation » et de chercher à tout crin une intentionnalité est alors trop sujet à une forme de dérive. L’histoire des pratiques de lecture n’implique pas de vouloir traduire l’intention qui aurait présidé à une démarche d’appropriation par le lecteur scripteur : on cherche d’abord à décrire les procédures d’appropriation (les types de marques écrites, les gestes du lecteur documentables), les situer dans une chronologie éventuelle ou dans une chaîne d’actions (de l’annotation à la réécriture effective, la réorganisation des écrits, la réédition, etc.) ; on peut évidemment aussi faire des remarques et hypothèses sur la nature des inflexions apportées, sur l’orientation qui émerge de l’analyse des marques de lecture; on peut même se risquer à …