Présentation[Record]

  • François-Olivier Dorais

Cette nouvelle livraison de Mens renoue avec le plaisir des numéros à « contributions libres », un format peut-être trop souvent sacrifié, il est vrai, pour celui des dossiers thématiques clés en main. Et pourtant, la santé d’une revue savante ne se mesure-t-elle pas à sa capacité d’attirer de nouvelles plumes qui souhaitent publier à son enseigne les résultats de leurs recherches? C’est avec un vif enthousiasme que nous vous proposons, dans ce sommaire, six articles qui, chacun à leur manière, ouvrent de nouvelles perspectives sur l’histoire intellectuelle et culturelle du Canada français, en particulier en ce qui a trait aux champs littéraire, artistique et médiatique. L’article d’ouverture de ce numéro, signé par Claudia Raby, propose une réflexion à la fois riche et originale sur l’incidence de la variable du genre dans le traitement biographique de l’intellectuelle. À partir du cas exemplaire de Jeanne Lapointe, qu’elle a longuement étudié dans ses travaux, Raby explore quelques « ajustements non sexistes » applicables à la méthode de l’histoire intellectuelle. Interrogeant autant la posture narrative de la démarche de recherche que le travail analytique en lui-même, la réflexion de l’autrice invite à une saisie plus fine et plus objective de l’expérience historique des femmes intellectuelles. Suit un article de Stéphanie Proulx et d’Adrien Rannaud, qui porte sur l’histoire de l’élection annuelle de la Reine de la radio et de la télévision, véritable phénomène de la culture médiatique québécoise des années de l’après-Seconde Guerre. Les auteurs s’intéressent tout particulièrement aux modalités de représentation de la célébrité féminine qui se dégagent du récit de l’événement fait par l’hebdomadaire Radiomonde et Télémonde. Leur analyse du discours journalistique sur cette élection offre un point d’observation privilégié sur le rôle des médias écrits dans la fabrication de l’événement culturel, dans le façonnement d’une culture québécoise de la célébrité et la réactivation des rapports sociaux de genre. L’article de François Guérard nous conduit, pour sa part, sur un chemin peu balisé de l’histoire de la vie culturelle québécoise : celui de la chanson régionale, plus particulièrement celle qui s’est fait entendre au Saguenay–Lac-Saint-Jean durant la première moitié du xxe siècle. Investiguant tant du côté de la chanson régionaliste, souvent le fait des élites, que des créations émanant d’autres acteurs sociaux moins en vue, l’article explore les conditions de naissance et de subsistance des chansons d’origine locale, tout comme leurs supports de diffusion. Il nous fait aussi découvrir des répertoires oubliés, comme celui de Flore du Lac, fille de cultivateur, épouse de journalier et mère de nombreux enfants, dont les poèmes et les chansons, parfois engagées, donnent un aperçu inédit de la vie des riverains du Lac-Saint-Jean du début du xxe siècle. En conclusion, l’analyse mène à quelques réflexions sur ce que la chanson peut apporter au domaine de l’histoire. La contribution de Raphaël Pelletier propose quant à elle de sonder les origines de la géographie canadienne à partir de l’oeuvre d’Émile Miller (1884-1922), cette « comète de la vie des idées au Canada français », dont l’inscription dans le paysage intellectuel et savant est restée, à ce jour, peu étudiée. Grâce à l’analyse de l’itinéraire de Miller, l’auteur reconstitue les assises idéologiques de son discours et ses principales influences. Il s’intéresse aussi aux représentations du Canada français qui ont structuré son récit géographique, récit dans lequel on peut retracer les origines de la formalisation d’un savoir géographique disciplinarisé au Canada français. Enfin, l’auteur élargit son analyse en explorant les rapports de Miller avec le contexte intellectuel et politique du début du xxe siècle, marqué par la fragilisation de la Confédération canadienne et, comme corollaire, la …