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1. Introduction

Si l’histoire de la traduction constitue aujourd’hui un champ à part entière de la traductologie (Pym 1992 ; Delisle 1997-1998 ; Bastin et Bandia 2006), celle de la traduction scientifique reste encore peu explorée (Rupke 2000) alors même que l’activité traductive a joué un rôle majeur dans la diffusion des sciences (Fischbach 1992). Au XIXe siècle particulièrement, les traductions scientifiques, abondantes et diverses, tiennent une place importante « dans la librairie comme dans une presse périodique qui se diversifie, se spécialise et connaît une croissance explosive à partir des années 1840 » (Bret 2012 : 928). Selon Pickford (2012 : 167), le traducteur de textes de spécialité est en général un expert du domaine qui a des compétences en langues et exerce la traduction de manière occasionnelle. Souvent désireux de diffuser le progrès scientifique (Bret 2012 : 954-955), le traducteur du XIXe siècle joue un rôle de premier plan dans la circulation des connaissances. D’après Browne enfin, il porte entièrement le projet de traduction : il lance le projet en choisissant lui-même son auteur et son texte, il réalise la traduction, et il fait publier le texte traduit :

At that time, the initiative for foreign publication usually rested with the translator, who was expected to get permission directly from the author and negotiate a contract with a local publisher.

Browne 2003 : 140

Selon Rupke (2000) et Browne (2003) cependant, certains traducteurs de l’époque s’approprient le texte de départ et le détournent à leur profit. Le cas de Clémence Royer modifiant le contenu de On the Origin of Species de Darwin sur sa troisième édition (1861) pour mettre en avant ses propres idées (Brisset 2006) illustre l’attitude particulière de ces traducteurs vis-à-vis du texte source :

Elle [Clémence Royer] détourne, en somme, les théories de Darwin en cherchant à les appliquer aux sociétés humaines d’une manière qui justifie les inégalités sociales, s’inscrivant ainsi dans un courant de pensée qui deviendra plus tard l’eugénisme et le darwinisme social.

Vandaele et Gendron-Pontbriand 2015 : 254

Pourtant, dans sa préface à Del’origine des espèces, Royer[1] clame sans ambiguïté sa fidélité à la pensée et au style de Darwin :

J’ai respecté autant que possible cette forme simple, mais ferme et franche. J’ai traduit aussi textuellement, plus textuellement parfois que le respect de la langue et le plaisir de l’oreille ne me l’eussent conseillé. Je crois qu’une traduction doit être un portrait ; et je n’estime pas les peintres qui flattent.

Royer 1862 : XXXIV-XXXV

Mais Royer traduit une théorie révolutionnaire, donc sujette aux controverses. Qu’en pourrait-il être de cette double perspective de la fidélité revendiquée et du texte détourné s’il s’agissait d’un texte marqué par une prédominance de gestes pratiques ? Par exemple une procédure innovante à appliquer dans le domaine chirurgical. Faut-il s’attendre à une retranscription point par point des éléments méthodologiques ? À des fluctuations sur des aspects plus théoriques ? Comment le traducteur lui-même se positionne-t-il ? Pour répondre à cette question, nous avons étudié Chirurgie antiseptique et théorie des germes, Oeuvres réunies de J. Lister, ouvrage publié en France et en Belgique au cours de l’année 1882, qui regroupe un certain nombre d’articles et de communications de Joseph Lister (1827-1912) sur l’oeuvre de sa vie : l’antisepsie (Lister 1882). Nous avons examiné le péritexte selon Genette (1987) pour prendre connaissance du projet de traduction, analysé le texte traduit en le confrontant au texte source en utilisant la typologie des stratégies de Chesterman (1997), situé le contexte de production et de réception de cette traduction – à partir des périodiques médicaux français répertoriés dans Gallica – selon l’approche historique socioculturelle de Lépinette (1997), et interprété les résultats à la lumière du cadre fonctionnaliste de Nord (2008, traduit par Adab).

2. Contexte historique

Dans le domaine médical, les progrès réalisés au XIXe siècle se font principalement dans trois directions : l’essor de la médecine anatomoclinique, l’émergence de la microbiologie avec la théorie des germes développée par Louis Pasteur et la découverte par Robert Koch du bacille du même nom, et le triomphe de la chirurgie avec la double découverte de l’anesthésie et de l’antisepsie (Halioua 2001). Cette dernière, qui est le fait de Joseph Lister, chirurgien écossais professeur de chirurgie à l’Université de Glasgow à partir de 1860 (Harding Rains 1977), transforme radicalement la pratique chirurgicale et le devenir des patients. Il faut dire qu’à l’époque les statistiques de mortalité chirurgicale sont sans appel : Lister lui-même dénombre, en 1864 et 1866, soit avant la mise en oeuvre de son premier traitement antiseptique, plus de 45 % de décès parmi ses patients amputés (Lister 1909a : XIX). C’est cependant à cette période que Pasteur fait ses premières publications sur la chimie fermentative (Debré 1994 : 295), prémisses de la « théorie des germes » selon laquelle les germes ne naissent pas spontanément (dans les plaies notamment), mais existent dans l’environnement. S’opposant à la théorie de la génération spontanée, la théorie des germes séduit Joseph Lister, car elle porte en elle la possibilité de prévenir la gangrène, fléau des hôpitaux et grande pourvoyeuse de décès, en empêchant la contagion d’un malade à l’autre grâce à la destruction des microorganismes pathogènes. Le chirurgien écossais utilise pour cela, dès 1865[2], l’acide phénique sous la forme d’une compresse imbibée d’une solution phéniquée qui éradique ces microorganismes responsables de la putréfaction des tissus lésés. Les résultats sur la survie de ses patients sont immédiats. Lister remerciera d’ailleurs Pasteur dix ans plus tard, dans une lettre datée du 10 février 1874 :

Permettez-moi de saisir cette occasion de vous adresser mes plus cordiaux remerciements pour m’avoir par vos brillantes recherches démontré la vérité de la théorie des germes de putréfaction et m’avoir ainsi donné le seul principe qui pût mener à bonne fin le système antiseptique.

Lister 1874, in Pasteur c1940-c1951 : 577[3]

Ce n’est cependant que le 30 avril 1878 que Pasteur présentera une synthèse de sa théorie et de ses applications possibles à la médecine et à la chirurgie lors d’une célèbre séance de l’Académie de médecine[4].

En 1882, année de parution de l’ouvrage qui fait l’objet du présent travail, le pansement de Lister s’est déjà imposé en Allemagne (Thaon 1876), et il a été le principal objet des discussions du 6e congrès de la société des chirurgiens allemands (Anon. 1877). Lister lui-même a fait deux ans auparavant un voyage à l’étranger, en Allemagne notamment, qui a été suivi d’un discours devant la British Medical Association à propos de l’influence très bénéfique du traitement antiseptique sur la salubrité générale des hôpitaux de chirurgie. Cette allocution, publiée dans le British Medical Journal (BMJ) (Lister 1875a), fait d’ailleurs partie des textes traduits dans l’ouvrage de Borginon. En 1879, un ouvrage écrit par le Dr Gaston Du Pré sous forme de lettres adressées à son maître le Pr Van den Corput, rassemble des données colligées durant un voyage de deux ans en Allemagne et en Angleterre, et s’inscrit également dans une logique pro-listérienne. Toujours en faveur de l’antisepsie, les écrits d’un chirurgien allemand, le chevalier Johann N. de Nussbaum (1829-1890), traduits vers le français en 1880 à partir de la deuxième édition allemande, témoignent également de l’adoption unanime du procédé de Lister par les chirurgiens germaniques.

Du côté des chirurgiens français, il en est un qui va jouer un rôle clé dans la diffusion de l’antisepsie en France. Chirurgien des hôpitaux, membre de la Société de chirurgie et rédacteur en chef du Journal de Médecine et de Chirurgie Pratiques, le Dr Just Lucas-Championnière (1843-1910) est en effet un « listérien » de la première heure. Il s’est rendu à Glasgow en 1868, puis plus tard à Édimbourg, et publie en 1876 un livre intitulé Chirurgie antiseptique, principes, modes d’application et résultats du pansement de Lister (Lucas-Championnière 1876), livre dont la seconde édition paraît en 1880 (Lucas-Championnière 1880). Il s’agit d’un manuel pratique destiné aux chirurgiens qui veulent essayer le pansement antiseptique. L’auteur y répertorie les travaux de Lister qu’il juge les plus importants et fait un état des lieux du développement de la méthode en Angleterre, en Allemagne et en France. Comme il le précise dans sa préface, le développement de la méthode peine à s’imposer sur le territoire français, d’où cette monographie pratique qu’il propose sur la question, qui devrait permettre aux chirurgiens français de maîtriser une technique révolutionnaire, pour le monde chirurgical comme pour les patients.

Un certain nombre de chirurgiens français restant cependant réfractaires au principe de l’antisepsie expliqué sous l’angle technique, le Dr Gustave Borginon (1852-1922) entreprend la traduction vers le français de 18 articles (cas cliniques, articles de synthèse) et allocutions prononcées par Lister lors de diverses réunions de sociétés médicales et chirurgicales, puis les regroupe sous la forme d’un ouvrage publié en 1882 en France et en Belgique (Lister 1882, traduit par Borginon). Les textes originaux sont tous parus dans les deux périodiques britanniques spécialisés que sont The Lancet et le BMJ. Ils couvrent une période de 14 ans et sont placés par ordre chronologique, de la publication inaugurale « Nouveau traitement des fractures ouvertes et des abcès — Observations sur les causes de la suppuration » (« On a new method of treating compound fracture, abscess, etc. », parue dans The Lancet en juillet 1867) à une allocution prononcée devant la Clinical Society of London, intitulée « La ligature de catgut » (« An Address on the Catgut Ligature », parue dans The Lancet en 1881). Borginon justifie le recours au classement chronologique en expliquant qu’il veut permettre « au lecteur de suivre pas à pas le créateur du système antiseptique dans la voie des découvertes » (Borginon 1882 : VIII).

Il existe peu de documentation en français ou en anglais au sujet du Dr Borginon. On sait cependant que ce médecin bruxellois d’origine sud-néerlandaise a terminé ses études de médecine à Louvain, avec la plus grande distinction (Elaut 1966). Sa traduction des travaux de Lister sur la chirurgie antiseptique est la seule traduction dont nous avons connaissance (bien que nous disposions d’une lettre de Lister postérieure à la publication qui signale que Borginon continue de traduire ses écrits, lettre reproduite dans Elaut 1966 : 132-133[5]). On trouve la trace de deux autres textes aux titres français qui font découvrir un homme engagé[6] : un avant-projet de loi sur l’exercice des professions médicales (Borginon 1899) et un texte portant sur l’université flamande (Borginon 1911).

D’après Elaut, « [l]a collation et la traduction des premiers écrits de Lister sur l’antisepsie est une initiative personnelle de Gustave Borginon » (1966 : 130, traduit par Brankart ; voir note 5). Celui-ci affirme que le recueil de Borginon, qui porte sur les quinze années les plus fructueuses de Lister, est également la première édition collective de son oeuvre. C’est peut-être vrai si l’on considère uniquement le français. Toutefois, nous avons trouvé une traduction vers l’allemand des travaux publiés entre 1867 et 1874, qui correspond à douze des articles traduits par Borginon et les précède de sept ans, puisque cet ouvrage en allemand a été publié en 1875 (Lister 1875b, traduit par Thamhayn). En 1909, soit 34 ans plus tard, paraîtra la version anglaise intégrale des travaux de Lister, présentée en 2 volumes intitulés Collected Papers (Lister 1909a ; 1909b).

Dans ce contexte, quel est le projet de traduction de Gustave Borginon ? Celui-ci est évoqué sans ambiguïté aucune dans son avant-propos qui compte six pages (contre 627 pour les textes traduits) :

Je me suis efforcé de rendre les pensées et même le style de l’auteur avec toute la fidélité possible. […] Mais il a fallu parfois choisir entre l’exactitude et l’élégance. J’espère que le lecteur me pardonnera le sacrifice de la seconde de ces qualités en faveur de la première qui lui est toujours assurée par la révision de l’auteur lui-même.

Borginon 1882 : IX-X

Fidélité, exactitude, et révision par Lister : un projet traductif clairement exprimé par notre traducteur. Qu’en est-il dans ses écrits ?

3. Analyse du texte traduit

Notre analyse porte sur un article de Lister publié le 21 septembre 1867 dans les deux périodiques médicaux britanniques de référence le British Medical Journal et The Lancet et intitulé « On the antiseptic principle in the practice of surgery » (Lister 1867b ; 1867c). Dans cet article, qui a pour titre en français « Le principe antiseptique dans la pratique chirurgicale » (Lister 1867/1882, traduit par Borginon), Lister détaille précisément tout ce qui concerne sa méthode antiseptique, les autres textes de l’ouvrage y faisant écho tout en se concentrant sur les applications de la méthode. Or, c’est le fondement de la méthode de Lister elle-même, à savoir la théorie des germes selon Pasteur, qui est décriée chez bon nombre de chirurgiens français, ce qui confère à la traduction de cet article tout son intérêt historique.

Il s’agit d’une allocution prononcée devant un auditoire de chirurgiens, avant la réunion annuelle de la British Medical Association tenue à Dublin au mois d’août de l’année 1866. Placé en deuxième position dans l’anthologie réalisée par Borginon, ce texte est déterminant, car Lister y évoque sa réflexion, résume la méthode sur laquelle celle-ci a débouché, et détaille son application à différents cas cliniques pour en exposer les potentialités.

L’analyse comparative du texte source (3800 mots) et du texte traduit (3802 mots), qui vise à rechercher les écarts fonctionnels au sens de Nord (2008) en les classant selon la taxinomie des stratégies de Chesterman (1997), met en évidence neuf omissions, cinq écarts de mise en page, dont quatre modifications de paragraphe (création ou suppression) et une mise en italiques d’une proposition essentielle au raisonnement de Lister, deux accentuations et deux atténuations de termes ou de propos, une implicitation, et une généralisation avec perte de spécificité. Nous présentons ci-dessous les écarts les plus saillants, que nous avons regroupés par type d’écart et classés par « saillance » décroissante (les passages modifiés sont mis en italiques).

Dans ce premier extrait, Lister explicite la filiation entre les idées de Pasteur et les siennes. Cette filiation est déjà revendiquée dans le titre même de l’ouvrage – Chirurgie antiseptique et théorie des germes, Oeuvres réunies de J. Lister – titre à la fois thématique et rhématique qui fait explicitement référence aux deux concepts novateurs constituant le contenu du discours (l’antisepsie et la théorie des germes), tout en annonçant la forme sous laquelle se présente celui-ci (un ensemble de textes). Mais le principe pasteurien de l’existence « d’organismes inférieurs » en suspension dans l’air, malgré la communication officielle de Pasteur à l’Académie des sciences en 1878 (Pasteur 1878), ne fait toujours pas l’unanimité en 1882. Dans ce contexte, exclure de la phrase which owed their energy to their vitality revient à passer sous silence une caractéristique physiologique supposée des microorganismes évoqués par Pasteur et donc connue des lecteurs, et, de notre point de vue, à éliminer un point de discorde qui pourrait freiner l’acceptation définitive de l’antisepsie.

Dans ce deuxième extrait, Borginon ramène à une simple conclusion, ce que Lister qualifie de great principle. Cette dernière expression confère aux déductions du savant un caractère universel et définitif qui disparaît dans la version traduite.

L’exemple que donne ici Lister est celui d’un jeune patient qui a eu le bras trituré de toute part dans un engrenage de machine à foire trois à quatre semaines auparavant et pour lequel il a fait le choix de tenter un traitement antiseptique au lieu d’une amputation pure et simple du fait que le pouls radial et la sensibilité des doigts étaient encore présents. Lister a déjà présenté, au début de ce même article, le cas d’un jeune garçon arrivé à son hôpital avec une fracture ouverte de la jambe survenue huit heures et demie plus tôt, et parfaitement guéri au bout de cinq semaines de traitement. Mais c’était une fracture ouverte simple, sans perte de substance, et le traitement antiseptique avait duré cinq semaines complètes. Dans le deuxième cas évoqué par Lister, celui du bras trituré, au moment où l’auteur écrit son article c’est-à-dire trois ou quatre semaines après l’accident et la mise en route du traitement antiseptique, le jeune garçon de 13 ans est en bonne voie de guérison, mais n’est pas à proprement parler guéri. Est-ce pour cette raison que le traducteur omet de préciser cette durée, estimant qu’en quelque sorte il manque une semaine de recul pour être sûr qu’une guérison totale soit à mettre au crédit du traitement antiseptique ? Une hypothèse explicative pourrait être qu’ayant constaté de visu les résultats de Lister, puisqu’il évoque dans sa préface « les faits merveilleux » dont il a été témoin pendant quelques mois de séjour à Édimbourg, Borginon estime cette durée de trois à quatre semaines à la fois un peu floue et un peu courte dans le cadre d’une argumentation destinée à prouver les extraordinaires possibilités curatives du traitement antiseptique et, finalement, préfère supprimer un élément à caution.

Ici c’est le résultat final du traitement qui est omis. Techniquement, l’omission till the sinus has closed  passe sous silence une autre modalité issue du principe antiseptique : la pose d’un drain, et son corollaire en termes de guérison, soit la fermeture de l’orifice du drain une fois qu’il a été retiré. Il est vrai qu’il est « rare » d’arrêter de panser un malade tant que sa plaie n’est pas totalement refermée. Cependant les trois modalités de la technique listérienne (pose d’un drain, réunion immédiate des berges de la plaie et pansement phéniqué), sont toutes plus ou moins discutées par certains chirurgiens. Cette omission a-t-elle aussi pour fonction d’évacuer un point de discorde ?

Les trois dernières omissions existent dans une seule et même phrase. Lister insiste tout d’abord sur le « caractère sain » qui doit être celui de la surface granuleuse, précision que le texte traduit évacue. Or, ce que l’on appelle aujourd’hui « tissu de granulation » constitue l’une des phases du processus vertueux de toute cicatrisation (Stevens et Lowe 2001 : 71), et c’est au moment où le tissu est sain que ce processus de réparation se déroule au mieux. Le traducteur peut donc avoir jugé la formule superfétatoire, surtout dans une phrase aussi longue et riche en détails. La seconde omission est surprenante, car il n’est pas d’usage de supprimer une durée, quelle qu’elle soit, quand on traduit un texte médical, et scientifique en général. Cette omission concerne cependant une expérience que Lister rapporte pour montrer que les granulations n’exsudent en elles-mêmes du pus que sous l’influence d’un stimulus anormal et non au contact d’une plaque métallique par exemple (tout simplement, car une plaque lisse ne comporte pas de recoins où d’éventuels germes peuvent se développer) ; la suppression de la traduction de or forty-eight hours ne porte donc pas sur le pansement de Lister proprement dit. Cela posé, pourquoi ôter cette durée de la traduction alors même qu’elle renforce le résultat de l’expérimentation ? Si, même au bout de 48 h en effet, il n’existe pas de pus, Lister devrait être dans le vrai. La troisième omission est la non-traduction de l’adjectif entire dans entire absence. Au lieu d’utiliser une simple négation, la traduction aurait dû être on ne percevra pasdu tout (nous soulignons), du moins si elle avait respecté la formulation très affirmative de l’auteur. Il nous semble que c’est précisément une manière d’atténuer ce caractère très affirmatif des propos tenus par l’homme de science.

Dans cet extrait, la traduction de universally par généralement rappelle celle de great principle par conclusion. Certes, la manière dont l’oxygène est considéré dans l’univers n’est pas à proprement un paramètre listérien puisque, pour Lister, ce sont les germes et non l’oxygène qui sont responsables de la putréfaction. Cela dit, le fait de supprimer l’affirmation d’universalité donne moins de force au propos… ou atténue un point de discorde.

Utiliser l’adjectif délétère, qui ne fait en lui-même référence à aucune origine explicative de la nocivité de l’air, pour traduire septic, qui rapporte ladite nocivité directement à l’existence de germes, constitue une généralisation avec perte de spécificité, ce qui a pour conséquence d’atténuer la filiation scientifique Pasteur-Lister.

La mise en italiques de cette proposition subordonnée dans la version française de l’article est une manière indirecte d’insister sur le fait que la production de pus n’est pas spontanée. Même si Lister ne mentionne pas les microorganismes pasteuriens, la non-spontanéité des évènements décrits rejoint l’idée de leur existence. Il s’agit donc d’une modification qui, contrairement aux autres, accentue le lien avec la théorie des germes, mais de manière subtile, car indirecte.

Le rattachement de la dernière phrase au paragraphe qui précède diminue la saillance de la phrase de conclusion, très affirmative (no doubt), de Lister. L’effet en est, une fois de plus, une atténuation des certitudes exprimées par Lister.

4. Discussion

Ainsi, contrairement à la préface qui annonce une traduction strictement sourcière, l’analyse de la traduction met en lumière un certain nombre de modifications par rapport au texte source. Selon la typologie de Chesterman, à l’exception des deux accentuations et deux atténuations de termes ou de propos qui sont des modifications sémantiques, soit de sens, il s’agit essentiellement de modifications pragmatiques, soit de message. Bien que ces modifications soient relativement peu nombreuses, elles convergent vers une interprétation car, en les considérant dans leur ensemble, il est possible de les classer selon deux effets produits. Le premier effet est une prise de distance avec la théorie des germes, conséquence de l’omission (1) (évacuation de l’idée de vitalité des germes) et de la généralisation avec perte de spécificité (7) (traduction de septic par délétère). Si la traduction ne nie pas la filiation avec la théorie des germes, le traducteur semble faire le choix de ne pas insister sur celle-ci. Le second effet est une atténuation des certitudes formulées par Lister et c’est celui de toutes les autres modifications rapportées, sauf la mise en italiques (8). Cette dernière, quant à elle, rappelle le lien entre l’antisepsie et la théorie des germes, mais de manière très subtile, car indirecte.

Pour tenter de comprendre ce qui se ramène à une plus grande prudence, il est nécessaire de situer le texte traduit dans son contexte socioculturel. Rivalités nationales ou perspectives différentes, un certain nombre de chirurgiens ne sont en effet pas favorables à la technique de Lister, non seulement en Angleterre, mais aussi en France. Ainsi, l’ouvrage de Nussbaum publié en 1880 a été critiqué pour son « lyrisme », ainsi que pour les « certitudes » qui y sont avancées (L. 1879). L’analyse des périodiques français de l’époque tels que Le Progrès médical, L’Union médicale, ou encore les Archives générales de médecine, met en évidence l’existence de nombreux travaux qui explorent d’autres agents antiseptiques que l’acide phénique et d’autres formules pour le pansement lui-même (Ricklin 1875 ; Petit 1876), évaluent l’intoxication phéniquée éventuelle (Haussman 1881), ou encore envisagent les différentes indications possibles pour ce pansement (Stromeyer Little et Ayme 1880 ; Anon. 1878 ; Barette 1880). Ces travaux procèdent d’une recherche scientifique qui accepte, mais approfondit, les propositions de Lister. Toutefois, les périodiques de l’époque se font également l’écho de doutes et de désaccords profonds, voire d’une agressivité, des chirurgiens français. Le principal reproche fait à Lister est la filiation intellectuelle entre le principe de son pansement antiseptique et la théorie des germes élaborée par Pasteur. Or, celle-ci n’est pas encore démontrée au début des travaux de Lister (vers 1865) et, malgré la communication de Pasteur à l’Académie des sciences en 1878, n’est pas encore vraiment admise en France au moment de la parution du recueil des traductions de Lister concernant l’antisepsie. Comme l’écrit un détracteur (anonyme) de Lister :

M. Lister admet sans réserve les idées de Pasteur, il répudie toute croyance à la génération spontanée et il est partisan de la théorie vitale de la fermentation.

Anon. 1874 : 715-716

D’autres reprochent à Lister d’être trop affirmatif, d’avancer trop de certitudes, mais aussi de porter des jugements trop sévères sur ses confrères de Londres qui, d’après lui, emploient des méthodes « indignes de la chirurgie britannique » :

Nous pensons, en effet, que M. Lister […] porte lui-même une grande atteinte à sa réputation en prononçant un jugement aussi peu mérité sur des confrères qui n’ont d’autre tort que de ne pas partager ses idées.

L. 1877 : 211

À la lumière de ce contexte de réception, on constate que les modifications observées dans la traduction répondent finalement de manière tout à fait ciblée aux reproches faits à Lister concernant la filiation de l’antisepsie avec la théorie des germes et l’excès de certitudes que le savant exprime. Il semble ainsi que la finalité de cette traduction soit de rendre Lister inattaquable, de façon à ce que rien ne puisse le décrédibiliser aux yeux des chirurgiens français. Il est nécessaire d’éviter d’alimenter les critiques déjà formulées à l’endroit de l’antisepsie et de Lister, car l’objectif de l’ouvrage est que le corps chirurgical français modifie son point de vue et donc son comportement professionnel. Borginon exprime en effet dans sa préface que peu de chirurgiens ont vraiment lu les travaux de Lister, et que ceux qui les ont lus ne les ont pas appliqués à la lettre :

Bien des échecs chirurgicaux sont en effet résultés d’une connaissance imparfaite des idées de Lister ou d’une exécution défectueuse de ses préceptes. […] À ceux-là pourrait s’appliquer justement le mot sévère du professeur Hagedorn : « C’est le chirurgien et non la méthode qu’il faut blâmer ». […] L’interprétation erronée et l’application défectueuse des idées de Lister ont été ainsi les causes principales qui se sont opposées à la diffusion de la chirurgie antiseptique.

Borginon 1882 : VI-VII

Finalement, le texte traduit cherche à contourner les dernières résistances des chirurgiens français en s’adaptant à leur perspective sur les travaux de Lister, et donc au contexte de réception. Par ailleurs, du fait qu’à côté des éléments décrits nous n’avons pas relevé de modification touchant à la technique même du pansement antiseptique, nous pouvons considérer, dans le cadre du schéma fonctionnaliste de Nord, que les éléments devant être repris sans aucune modification de sens ou de message (Nord 2008 : 86), c’est-à-dire les éléments fonctionnels du texte, sont tous présents ; ou encore que tout ce qui concerne le raisonnement proprement dit de Lister et la pratique de son pansement pourra être parfaitement suivi et compris par les chirurgiens. En ce sens, Borginon donne une version fonctionnelle du texte source.

Mais, ce faisant, Borginon reste-t-il loyal vis-à-vis de Lister ? La révision de Lister annoncée dans sa préface devrait pouvoir d’emblée faire répondre « Oui » à cette question. Borginon y évoque en particulier le « soin minutieux attesté par de nombreuses corrections » (Borginon 1882 : VI), mais Lister a-t-il réellement fait une relecture comparative ? A-t-il tout relu ou seulement des extraits ? Connaissait-il assez le français pour lire son texte traduit avec la subtilité nécessaire ? S’il est impossible de répondre aux deux premières questions, nous savons cependant que Lister jouissait d’une connaissance très avancée du français et de l’allemand (« considerable linguistic facility in French and German », Turner 1927 : 2). De ce fait, s’il a réellement relu la traduction, il est difficile d’imaginer qu’il n’ait pas remarqué les modifications faites par Borginon – au moins les omissions – surtout étant lui-même l’auteur du texte source.

Ceci nous permet d’avancer l’hypothèse que Lister a travaillé avec Borginon et approuvé, voire même suggéré, les modifications proposées dans le texte traduit. L’épitexte listérien plaide d’ailleurs dans ce sens. Nous disposons en effet de deux lettres manuscrites de Joseph Lister, adressées à Borginon et insérées in extenso dans l’article d’Elaut (1966 : 132-133), qui nous offrent une double perspective dans la mesure où la première, datée de février 1881, précède d’un an la publication de l’ouvrage, alors que la seconde, datée de février 1884, a été rédigée deux ans après celle-ci. Dans la première lettre, Lister demande à Borginon de joindre à l’ensemble des articles et allocutions traduits sa dernière étude sur le catgut, et ce malgré le court délai de publication :

Even if you feel that you cannot give them both, I should be very glad if you could introduce that on the catgut ligature. The subject is of such very great importance that I should regret its omission from your translation. And independently of this, it would be better for the credit of the translation that it should contain an article up to the most recent date.

Lister 1881, cité dans Elaut 1966 : 132-133

C’est dire si l’auteur lui-même vise à l’exhaustivité pour cette première édition en français de ses travaux. Lister semble conscient de l’importance de la traduction de son principe antiseptique dans cette langue pour sa diffusion non seulement en France, mais aussi en Europe, d’autant plus que c’est la première fois que ses articles et allocutions concernant l’antisepsie sont colligés en un recueil. Cette implication du savant s’accorderait bien, d’ailleurs, avec une relecture attentive de la traduction. Écrite trois ans après la première lettre, la seconde montre non seulement que le traducteur et l’auteur sont toujours en contact, mais aussi qu’ils sont en excellents termes. Il semble que le médecin traducteur, à l’image de celui qu’il admire tant, se soit essayé à tester les qualités antiseptiques d’un composé, le chlorate de potasse, et que Lister ait lui-même réitéré l’expérience, sans cependant être très convaincu par le résultat final. La lettre mentionne que Gustave Borginon continue à traduire en français des publications de Lister.

I have not at present any other article to send you for translation ; but I need not to say that I am gratified that you should translate the three of which you know.

Lister 1884, cité dans Elaut 1966 : 132-133

Il est aussi question de compléments apportés par Lister sous forme de matériel typographique concernant la traduction d’une allocution sur la fracture de la rotule présentée lors d’une réunion de la British Medical Society et rapportée dans le British Medical Journal de la même année (Lister 1883).

L’entente des deux hommes se poursuit donc au-delà de la publication de l’ouvrage et Borginon continue de faire des travaux de traduction pour Lister. Serait-ce le cas si la traduction n’avait pas été à la hauteur des attentes du chirurgien chercheur ?

Qu’en est-il de l’hypothèse où Lister, contrairement à ce qu’écrit Borginon, n’a pas révisé, ou mal révisé ? Le traducteur est alors responsable des modifications apportées au texte source dans la traduction et, ce faisant, il ne serait pas totalement loyal à son auteur. On pourrait dire cependant qu’il serait « fonctionnellement loyal » envers Lister puisqu’il a respecté les éléments fonctionnels du texte source. En ce sens d’ailleurs, son attitude se distingue de celle de Clémence Royer (Darwin 1862, traduit par Royer) puisqu’il ne procède pas à une appropriation du texte source : il conserve les idées de Lister et les éléments pratiques que celui-ci rapporte, tout en allégeant dans la forme la filiation avec la théorie des germes et la manière dont Lister défend ses idées, de façon à rendre le propos moins sujet à caution. On peut ainsi considérer que Borginon reste fidèle au skopos qu’il s’est fixé, en prenant les moyens qui lui semblent indispensables pour respecter au mieux cet objectif de convaincre les chirurgiens français du bien-fondé de la démarche listérienne. Dans cette perspective, il se situe vraiment dans la filiation des traducteurs militants du XIXe siècle, ce qui est cohérent avec ce qu’il annonce ailleurs dans sa préface :

Profondément convaincu de l’excellence de la chirurgie antiseptique, par la lecture des écrits de Lister et par les faits merveilleux dont j’ai été témoin pendant quelques mois de séjour à Édimbourg, j’ai éprouvé le désir bien naturel de contribuer, dans la mesure de mes moyens, à la divulgation d’un traitement éminemment utile.

Borginon 1882 : IX

mais aussi cohérent avec ce qu’il rapporte de son auteur : « [i]l ne lui suffit pas d’avoir inventé un genre de chirurgie riche en bienfaits, il lui tarde de voir ces bienfaits répandus à profusion de tous côtés […] » (Borginon 1882 : V).

Au-delà cependant de son admiration ouverte pour Lister, pourquoi Gustave Borginon s’est-il de facto posé en champion de ce savant ? Car, de notre point de vue tout du moins, il est médecin avant d’être traducteur. C’est un médecin éclairé, conscient du caractère salvateur de l’antisepsie, et il s’agit pour lui de promouvoir une méthode révolutionnaire qui permettrait d’endiguer le fléau d’une chirurgie souvent mortelle du fait de ses complications infectieuses. Borginon nous semble ainsi plus médecin dans l’âme que les chirurgiens français qui font peu de cas de la méthode ou la réalisent sans s’impliquer réellement. Sous cette perspective d’ailleurs, il nous apparaît aussi comme profondément humaniste, dans le sens où son acte traductif a pour finalité la personne humaine et sa santé.

Finalement, quelles sont les répercussions dans la communauté chirurgicale de la publication de cette traduction ? Les comptes rendus des périodiques français, généralement signés par des médecins, complètent le tableau en donnant une perspective directe de l’accueil réservé à l’ouvrage. Ainsi, pour L’Union médicale (Anon. 1882), tout l’intérêt de l’ouvrage de Gustave Borginon réside dans le fait que « chaque perfectionnement est rattaché à quelques cas chirurgicaux intéressants qui sont à la fois des exemples de son application et des preuves de sa valeur ». Le même organe de presse, s’il fustige comme Borginon « la négligence que la plupart d’entre nous [les chirurgiens] ont apportée dans l’étude détaillée et consciencieuse des manoeuvres listériennes », pointe « l’impossibilité presque absolue d’en remplir exactement les conditions [de la méthode] dans les hôpitaux de Paris, avec l’administration, les gens de service, le matériel qu’on y trouve ». Mais à quel niveau se situe cette impossibilité : à celui des chirurgiens qui ne sont pas convaincus du bien-fondé et de l’efficacité de la méthode listérienne, ou à celui des administrateurs pour le même motif ? Dans la Gazette hebdomadaire de médecine et de chirurgie (Reclus 1882) la même logique préside au propos : « On mutilera moins le pansement de Lister lorsqu’on saura le pourquoi de chacune de ses minuties ». Là encore, l’hôpital public est « à l’honneur » : « Nous ne saurions trop recommander la lecture du chapitre sixième : “De l’influence du traitement antiseptique sur la salubrité d’un hôpital de chirurgie”[…] ». Pour convaincre, y sont rapportés les résultats chirurgicaux de Lister : 19 guérisons et 16 décès sur 35 amputations avant la période antiseptique, 34 guérisons et 6 décès sur 40 amputations après. Le Progrès médical (Maunoury 1883) exprime, quant à lui, sa satisfaction de voir l’ouvrage porter le nom de l’auteur de la méthode, contrairement aux travaux publiés jusqu’alors qui étaient signés par les élèves du maître ou des chirurgiens étrangers formés à Édimbourg. Là encore, l’importance de chaque détail d’exécution des modalités antiseptiques y est soulignée. Très explicite, par contre, quant à la résistance des chirurgiens français vis-à-vis du pansement de Lister, le compte rendu des Archives générales de médecine convient que cette « méthode de pansement, à tort ou à raison nommée antiseptique, réalise de grands progrès » (on appréciera la modalité « à tort ou à raison » qui procède plus de la résistance que de l’adhésion à la théorie des germes), et considère que :

Cependant, tant que la doctrine qui est le point de départ de la méthode ne sera pas clairement établie et démontrée, les adversaires de la méthode ont le droit de la considérer comme empirique et de n’en prendre que ce que bon leur semble […] nous avouons franchement ne pas partager le lyrisme du traducteur.

Blum 1882 : 379-380

Certes la méthode permet de grands progrès, mais tant que la théorie des germes n’aura pas fait ses preuves, l’antisepsie restera infondée et, comme telle, irrecevable. Il est vrai que la « doctrine » sur laquelle elle est basée s’oppose à la génération spontanée, dont la problématique dépasse largement les dissensions personnelles : « Mais les enjeux de la génération spontanée passent finalement au-dessus des querelles de personnes pour reposer sur des débats profondément idéologiques » (Debré 1994 : 190).

Si les chirurgiens français restent encore réticents sur l’efficacité du pansement antiseptique, un médecin du nom de H. Allaeys rapportera pourtant, dans un article de vulgarisation publié en 1912 à l’occasion du décès de Lister, qu’il a été vendu en Angleterre plus d’exemplaires du livre de Borginon qu’en France et en Belgique (Allaeys 1912, cité par Elaut 1966 : 133).

En atténuant la filiation de l’antisepsie avec la théorie des germes et en modérant les certitudes affichées du discours de Lister, Borginon a ainsi opéré une manipulation destinée à faciliter la réception du principe de l’antisepsie par un corps chirurgical français plus que suspicieux. La traduction de la méthode antiseptique, c’est-à-dire les gestes pratiques, le matériel utilisé, son déroulement chronologique, ses indications, ainsi que les résultats constatés par le scientifique, est reprise point par point, à quelques détails près, et c’est en cela que la traduction de Borginon est « fonctionnaliste ». Les quelques éléments qui ne sont pas repris pourraient être le fait de l’évolution des connaissances ou d’une maturation de l’interprétation des résultats – éventuellement d’une atténuation de points discutables. Par contre, les points qui sont modifiés de manière systématique portent sur les fondements théoriques de la méthode et sur de possibles points de discorde entre Lister et son lectorat, c’est-à-dire les chirurgiens français.

Pour interpréter ces modifications sous l’angle de la fidélité à l’auteur, il faut se demander si Borginon procède de son propre chef. La révision par Lister, la teneur de l’épitexte, et surtout la collaboration du traducteur et de l’auteur bien après la publication de l’ouvrage nous font penser que cette manipulation pourrait être le fait conjoint du traducteur et de son auteur, à des fins stratégiques de diffusion d’une pratique innovante, perçue comme fondamentale en chirurgie car vitale pour les patients. Par conséquent, malgré les apparences, le traducteur Borginon aurait été parfaitement fidèle à l’auteur Lister. Loin de s’approprier le texte de départ pour le mettre au service de sa propre idéologie, ce traducteur militant du XIXe siècle aurait au contraire promu les idées listériennes dans une présentation qui optimise leur impact, tout en travaillant en accord avec son auteur, c’est-à-dire qu’il aurait été fonctionnaliste tout en étant loyal à son auteur.