Article body

Vers 1973, il y a presque quarante ans, l’Université de Montréal devient membre de la CIUTI (Conférence internationale permanente d’instituts universitaires de traducteurs et d’interprètes), sous l’impulsion d’André Clas, alors à la direction de Meta et du Département de linguistique et de philologie. Celui-ci venait d’être créé en 1972 et serait ultérieurement renommé Département de linguistique et de traduction. C’est donc avec une grande joie que Meta se fait l’hôte du numéro spécial consacré à la CIUTI.

À cette époque, la CIUTI comptait une douzaine de membres, la plupart d’entre eux situés en Europe : comme elle le rappelle sur son site, l’Université de Montréal et un institut de Washington étaient, en 1973, les seules institutions non européennes, mais la voie de l’internationalisation était en marche, comme d’ailleurs pour Meta, qui affichait alors dix-huit ans d’existence (voir l’éditorial du numéro 54[1]). Depuis, comme chacun sait, « mondialisation » est devenu le mot-clé du tournant du xxie siècle et, comme en témoignent la diversité des articles soumis et publiés dans Meta et l’ampleur de son lectorat, la recherche et l’enseignement en matière de traduction et d’interprétation se sont développés un peu partout sur la planète.

Le statut bilingue du Canada et la défense du français par le Québec et d’autres communautés francophones ont été le moteur du développement de la traduction et des disciplines connexes, comme la terminologie et l’informatique langagière. Ayant construit de longue date une expertise particulière, le Canada est reconnu pour ses normes de qualité élevées. À l’occasion du présent numéro, et pour faire écho aux articles qui décrivent la situation en Europe ou ailleurs dans le monde, il est intéressant de faire le point sur les principaux acteurs du monde langagier au pays. On voudra bien excuser ici l’absence d’exhaustivité rendue impossible par l’espace dont nous disposons.

Sur le plan de l’enseignement, tout d’abord, les quinze universités offrant des programmes universitaires qui incluent la traduction, l’interprétation et la terminologie se trouvent réunies au sein de l’Association canadienne des écoles de traduction (ACET), fondée en 1973. Le programme de traduction de l’Université de Montréal est l’un des plus anciens et se caractérise par une place de choix accordée aux domaines de spécialité et à la terminologie, en parallèle de la traduction littéraire, de l’histoire et des autres domaines de la traductologie.

Du côté de la recherche, l’Association canadienne de traductologie (ACT), fondée en 1987, est la plus ancienne association savante en traductologie dans le monde. Réunissant actuellement près de 200 traductologues canadiens et d’ailleurs, dont un nombre appréciable de doctorants, l’ACT tient un congrès thématique annuel dans le cadre du grand congrès annuel de la Fédération canadienne des sciences humaines (FCSH). Cette rencontre, qui se veut internationale, témoigne de la vitalité de la recherche en traductologie et de la juste place que lui réserve le monde universitaire en tant que discipline constituée. Longtemps le lieu presque exclusif de la diffusion de travaux en traduction littéraire (notamment les approches féministes et postcolonialistes) ou en épistémologie, le congrès de l’ACT est témoin du développement d’autres axes de recherche, comme l’histoire de la traduction, la pédagogie ou les domaines de spécialité. Ceux-ci, perçus longtemps à tort comme limités à des considérations pragmatiques se prêtant mal à la recherche, se dotent de plus en plus de cadres théoriques permettant l’exploration de leurs différentes dimensions, et ce, bien au-delà des traditionnels problèmes terminologiques. Enfin, mentionnons que TTR est la revue de l’ACT et qu’elle fait partie, avec Meta, des organes de diffusion savante les mieux cotés au monde.

Outre les départements universitaires où travaillent les chercheurs, professeurs et étudiants de maîtrise ou de doctorat, il faut citer les centres de recherche, comme le Centre de recherche en technologies langagières (CRTL) à Gatineau ou le centre en Recherche appliquée en linguistique informatique (RALI) de l’Université de Montréal, sans oublier qu’une partie de la recherche et du développement se fait également au sein d’entreprises privées, comme chez Terminotix (logiciel LogiTerm) ou Druide Informatique (Antidote).

L’ancrage de la traductologie parmi les disciplines universitaires s’est fait en parallèle de la reconnaissance accrue de la profession. Les associations professionnelles implantées dans plusieurs provinces canadiennes (Ontario, Saskatchewan, Nouvelle-Écosse, Alberta, Colombie-Britannique, Manitoba, Nouveau-Brunswick) ont joué un rôle fondamental à ce chapitre. Au Québec, il s’agit d’un ordre professionnel, l’Ordre des traducteurs, terminologues et interprètes agréés du Québec (OTTIAQ), dont l’origine remonte à 1940 sous différentes formes associatives. L’OTTIAQ est régi par le Code des professions et l’agrément donne lieu à des titres réservés (traducteur, terminologue ou interprète agréés).

Certaines instances professionnelles oeuvrent à l’échelle du pays, ou en tout cas ne restreignent pas leur action aux provinces ou aux territoires, comme le Conseil des traducteurs, terminologues et interprètes du Canada (CTTIC), l’Association des traducteurs et traductrices littéraires du Canada (ATTLC), l’Association canadienne des réviseurs (ACR), le Réseau des traducteurs et traductrices en éducation (RTE), l’Association des travailleurs autonomes et microentreprises en services linguistiques (ATAMESL), l’Association des conseils en gestion linguistique (ACGL) et l’Association de l’industrie de la langue (AILIA), à laquelle s’est intégré récemment le Comité mixte sur la terminologie au Canada (CMTC). Le mandat de ces divers organismes leur est bien sûr spécifique, mais leurs objectifs convergent vers la protection des normes de qualité, la promotion de la profession, le réseautage des membres, la formation continue et la concertation des divers acteurs agissant dans le domaine langagier au Canada. Le plus gros employeur au pays est le Bureau de la traduction (BT). Outre ce domaine d’emploi privilégié par le statut des langues officielles, les traducteurs sont recrutés par les services linguistiques de grandes entreprises et par des cabinets dont la taille et l’ampleur sont variables ; les travailleurs autonomes et les microentreprises demeurent cependant encore majoritaires.

La question des normes se joue à différents niveaux : d’une part, les normes qui s’appliquent aux services professionnels, d’autre part, celles qui s’appliquent aux compétences attendues des professionnels.

En ce qui concerne les premières, la norme CAN/CGSB-131.10-2008, Services de traduction, une fois approuvée par le Conseil canadien des normes (CNN), a été publiée par l’Office des normes générales du Canada (ONGC). Elle détermine les exigences, en matière de prestations de service en traduction, que doivent satisfaire les fournisseurs du gouvernement fédéral, mais ne s’applique ni à l’interprétation, ni à la terminologie. S’inspirant largement de la norme européenne DIN EN 15038 (voir l’article de Peter Schmitt), elle a été conçue pour s’harmoniser autant que possible avec celle-ci, mais elle reflète cependant la perspective canadienne. Elle concerne les ressources humaines, les compétences techniques, le système de gestion de la qualité, les relations client-prestataire de services, la gestion de projet et, enfin, le processus de traduction. En mai 2009, l’AILIA a lancé un programme de certification pour encourager les entreprises à s’y conformer.

En ce qui concerne les compétences attendues des professionnels, l’OTTIAQ diffuse une grille dont la version la plus récente date de décembre 2011. Il va de soi que les compétences professionnelles attendues sont directement en lien avec la formation. À ce chapitre, l’ACET est sur le point de présenter à ses membres une grille des compétences acquises par les étudiants à l’issue d’un B.A. spécialisé en traduction, ceci en vue de l’harmonisation des formations. Le projet de grille comprend 23 compétences regroupées en six domaines : richesse et étendue des connaissances ; connaissances et application d’outils méthodologiques ; application des connaissances ; compétences en communication ; conscience des forces et des faiblesses ; autonomie et aptitudes professionnelles.

Ainsi, la vitalité de la traduction au Canada est attestée par l’existence de programmes universitaires dynamiques, des activités de recherche diversifiées, qui s’étendent de la littérature et de l’épistémologie à la traduction spécialisée, ainsi que de nombreuses instances couvrant différents aspects de l’exercice professionnel.

La CIUTI quant à elle démontre la vitalité des échanges internationaux sur le plan de la formation. Elle est une plate-forme de réflexion et de partage d’une importance inestimable. Les échanges entre les instituts de la CIUTI constituent un atout essentiel pour favoriser la mobilité des enseignants, des chercheurs et des étudiants, et pour améliorer sans cesse les formations de haut niveau qui assureront une place de choix aux professionnels langagiers du xxie siècle.