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À l’heure où les Kim Thúy, Bernard Pivot et Alexandre Jardin se lancent dans la Twitterature et écrivent des romans ou des nouvelles (allez savoir) de 140 caractères, voilà que deux réviseurs québécois publient un recueil de conseils aux traducteurs sous la même forme condensée. Grant Hamilton et François Lavallée sont deux figures bien connues de la traduction à Québec, au Québec et au-delà de ses frontières, deux réviseurs respectés à juste titre. Le recueil qu’ils nous proposent renferme de nombreuses pistes de solutions des plus intéressantes.
C’est la maison d’édition Linguatech qui s’est occupée de la livrée : typographie impeccable, mise en page soignée, jaquette élégante, couverture rehaussée d’une reproduction d’une oeuvre de Robert Dubuc. Un bel objet en somme, qui allie l’utile à l’agréable. En quatrième de couverture, l’acheteur potentiel est informé que l’ouvrage comprend un index de 3 000 entrées, soit en gros 40 pages sur les 160 que comporte le recueil. C’était en somme le prix à payer pour passer de deux outils virtuels à indexation intégrée, des fils Twitter, à un mode de présentation plus traditionnel sans perte de terrain sur le plan de la convivialité.
Indépendamment de la qualité de l’ouvrage, on pourrait remettre en question la pertinence de sa publication même sous format papier. Si, comme l’a déclaré le co-fondateur de l’Institut comparé de twittérature, Jacques Fréchette, avec Twitter, « chaque chair de poule devient prétexte d’une expression[1] », est-il pertinent d’en publier un recueil ?
Loin de constituer de l’acharnement pédagogique, cette transition témoigne plutôt selon moi d’un désir candide de faire profiter le plus grand nombre de judicieux conseils de réviseurs hors pair, comme l’exprime François Lavallée, ainsi que d’une ouverture vers les médias modernes de Linguatech. La démarche de Grant Hamilton était encore plus directe : c’est la réponse à la question « en quoi Twitter peut-il aider les traducteurs ? » qui a mené à la publication de l’ouvrage.
D’emblée, les deux auteurs reconnaissent la contrainte souvent décriée du nombre de caractères tout en soulignant les conséquences heureuses de cette restriction : limpidité de l’expression, facilité de mémorisation et court-circuitage des argumentations. Il leur arrive toutefois de contourner cette difficulté en consacrant plusieurs gazouillis au même terme : Grant Hamilton décortique le terme rassembleur en 6 fois 140 caractères (tweets 482 à 487) alors qu’il en consacre 4 au terme mandat (361 à 364). François Lavallée, souvent porté à faire travailler son lecteur par ailleurs, abuse moins de ces séries d’instantanés sans mise en contexte. À la réflexion, avec ces séries de gazouillis consacrés à un même terme, on n’est pas très loin d’un court article dans un ouvrage plus traditionnel du type Le traducteur averti[2] ou Les trucs d’anglais qu’on a oublié de vous enseigner[3]. À l’instar de la bande dessinée, où une série de gags en une case d’André Franquin, par exemple, tout en permettant d’aborder sous divers angles les mêmes facettes de son personnage Gaston Lagaffe, n’a pas la même saveur qu’une bande dessinée en une planche, ces séries de tweets demeurent des images autonomes ; il y manque le « récit », que le lecteur doit trouver par lui-même.
Les deux auteurs adoptant à l’occasion des points de vue différents, il peut être utile d’examiner séparément leur démarche. Les tweets de Grant Hamilton présentent souvent l’avantage d’être très pratiques, et il a pris grand soin de les classer en 76 catégories précises si l’on excepte l’inévitable fourre-tout du type General Advice. Voici une entrée typique : « 342 Conférence : A FR conférence is a talk or lecture in EN, whereas an EN “conference” is usually a congrès in FR ». Sur le plan de la concision, je dirais qu’on bat ici les ouvrages classiques puisqu’on donne à la fois les termes justes et les faux-amis en un peu plus d’une centaine de caractères.
Grant Hamilton adopte aussi à l’occasion un simple rôle d’observateur de la langue. Ainsi, lorsqu’il traite de la différence entre several et many, il se contente de dire qu’au Québec, plusieurs signifie souvent many alors qu’en France, il signifie several. Un avis légèrement plus critique aurait été apprécié. Par contre, on peut saluer son désir de décrire l’évolution de la langue, au tweet 587 par exemple, où il note la perte de popularité de shall en contexte juridique. Enfin, Grant Hamilton peut parfois se justifier en ayant recours au nombre d’occurrences dans Internet : dans le tweet 368, Offrir un cadeau, notamment, il justifie par des chiffres sa recommandation d’utiliser to give gifts, au lieu de to offer gifts. Ici encore, on peut cependant déplorer qu’il n’ait pas relevé le fait qu’en français non plus, on n’offre pas de cadeaux.
Fidèle à l’objectif qu’il se donne dans son avant-propos, ouvrir des portes, « donner des ailes et non les couper », François Lavallée dévoile davantage son esprit de pédagogue. Les solutions sont donc parfois moins pratiques et directement applicables que celles de son collègue anglophone. Ainsi, l’entrée 1 345, « Tirer les marrons du feu n’est pas du tout la même chose que tirer son épingle du jeu ! », oblige le lecteur à une étape supplémentaire. François Lavallée a aussi à l’évidence une tendance plus marquée à user d’un esprit ludique, n’hésitant pas, par exemple, à se désigner comme « votre humble serviteur ».
Moins nombreuses que chez Grant Hamilton, ses catégories sont aussi moins précises. Comment distinguer « Élaguons » de « Simplifions » et « Ouvrons nos horizons » de « Soyons ouverts », par exemple. Par ailleurs, on trouve des équivalences précises dans la section « Le mot juste », mais ailleurs également, bien sûr.
François Lavallée prend davantage position lorsqu’il s’agit de souligner des emplois abusifs dans la langue de départ. Ainsi, à l’entrée 1 253, après avoir signalé le risque de confusion entre e.g. et i.e., il ne se gêne pas pour ajouter que « les auteurs anglophones les confondent parfois eux-mêmes ».
Comment utiliser Tweets et gazouillis ? Je crois que Grant Hamilton a trouvé le mot juste dans sa préface : « I hope you have as much enjoyment perusing them as we had putting them together. » (c’est moi qui souligne).
Enfin, la question qui tue : le contenu d’ouvrages de ce genre étant accessible sur des fils Twitter, leur publication en format papier demeure-t-elle pertinente ? Il peut être utile de préciser ici que certains chercheurs universitaires remettent désormais en question la publication simultanée de versions papier et numérique de leurs ouvrages. C’est ce que me confiait récemment un chercheur dans un tout autre domaine que la traduction qui a de nombreuses publications à son actif. Or, on se trouve ici devant un cas de publication en version papier d’un contenu déjà diffusé en version numérique. Disons toutefois qu’en dépit du nombre de bénéficiaires des conseils et réflexions de ces deux réviseurs chevronnés sur leur fil respectif, il reste évidemment encore un bien plus grand nombre de traducteurs qui n’ont pas (encore) pris l’habitude de les consulter. Comme j’en fais partie, je me dis qu’après tout, nous le valons bien !