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Simon, Sherry (2019) : Translating Sites. A Field Guide. Londres/New York : Routledge, 282 p.[Record]

  • Roch Duval

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  • Roch Duval
    Université de Montréal, Montréal, Canada

Le plus récent ouvrage de Sherry Simon, Translating Sites (dorénavant TS), s’insère harmonieusement dans la poursuite d’un domaine de recherche dans lequel l’insigne traductologue canadienne excelle depuis bon nombre d’années. En effet, TS prolonge et oriente favorablement vers de nouveaux horizons une réflexion à la fois captivante, méthodique et originale. Cet apport théorique prometteur repose essentiellement sur la reconnaissance de diverses propriétés épistémiques d’une interface, ou plutôt d’une interrelation tripartite, entre « traduction », « villes » et « mémoire ». TS foisonne d’analyses étoffées et, partant, bien documentées qui sont autant de rappels à une « invitation au voyage » conviant les traductologues ou les lecteurs avisés à se diriger d’un pas assuré sur des territoires précis, bien circonscrits et configurés par une notion heuristique qualifiée par l’auteure de « sites de traduction ». Toutefois, si l’appel paradigmatique à une « invitation au voyage », lancé initialement par Charles Baudelaire, annonçait qu’un des lieux dépeint dans le célèbre poème L’Invitation au voyage, à savoir une chambre décorée à l’orientale dans laquelle « Tout y parlerait / à l’âme en secret / Sa douce langue natale » (Baudelaire 1857 : 116), il importe en revanche de souligner que les sites de traductions auxquels fait référence Simon sont d’un tout autre genre. En effet, tandis que pour Baudelaire « Là, tout n’est qu’ordre et beauté, / luxe calme et volupté » (Baudelaire 1857 : 116), les « sites de traduction » évoqués dans TS sont plutôt de véritables loci sur lesquels circulent en s’entrecroisant, parfois harmonieusement, parfois en s’entrechoquant de manière agonistique, des mots, des langues, des histoires, des symboles chargés d’une incessible charge identitaire qu’il importe d’exhumer afin de rendre justice aux voix, aux paroles, aux discours qui ont été bâillonnés et effacés. Sans l’indispensable viatique de la notion de translation site, les parcours, suggérés dans le vade-mecum proposé par la traductologue montréalaise ne seraient que vaine errance et vagabondage capricieux. Le bref rappel à une « invitation au voyage », que nous introduisons en guise de « fil d’Ariane » pour guider notre lecture critique, n’a d’ailleurs rien de fortuit. Pour s’en convaincre, il suffit de mentionner que la phrase d’amorce de TS qualifie le présent ouvrage de guide touristique : « This is a guidebook. In its pages you will find a hotel in Sarajevo, an opera house in Prague, a memorial in Lviv, a bridge in Mostar, a museum in Ottawa, a garden in Ireland, a market in Hong Kong, a church in Toledo, among others » (p. 1). De surcroit, toujours dans l’introduction, une série de termes viennent d’ailleurs sciemment renforcer l’inflexion pérégrine ou apodémique que désire imposer Simon à son approche : « itinerary » (p. 1) ; « journey » (p. 1) ; « routes » (p. 2) ; « visit places » (p. 2) ; « border zones » (p. 3) ; « wander the streets of cities » (p. 4) ; « This guided tour of translation sites… » (p. 251). En clair, Simon rédige et organise cette fascinante visite guidée de sites foncièrement polyglottes et de zones de tensions porteuses d’histoires et de mémoires refoulées ou oubliées, comme une sorte de carnet de route dans lequel la figure traditionnelle du traducteur se transmute en cicérone hautement qualifié à activer et catalyser « la circulation des langues et l’affrontement des mémoires » (p. 2) : « Translators are often imagined as figures in motion » (p. 5). Le rôle de « figures en mouvement » confié par Simon aux traducteurs nous fait immédiatement penser à ce savoureux passage dans …

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