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C’est à la fin du XXème siècle que la traduction audiovisuelle (TAV) devient une sous-discipline à part entière au sein de la traductologie. Au début des années 2000, les différentes modalités d’accessibilité audiovisuelle viennent s’ajouter aux formes traditionnelles de TAV, enrichissant et élargissant encore le champ de cette discipline émergente.

Ces activités étant étroitement liées aux avancées technologiques, aussi bien pour ce qui est des moyens de diffusion que des outils de la profession et de la recherche, on compte un grand nombre de productions savantes sur le sujet, et certains ouvrages collectifs comme Gambier et Gottlieb (2001), Orero (2004), Díaz-Cintas et Andermann (2009) ou encore Gambier et Ramos Pinto (2018), marquent l’évolution du domaine, à la fois fruits et témoins de sa rapide progression. Il existe aussi différents ouvrages centrés sur des modalités concrètes, comme Díaz-Cintas et Remael (2007) sur le sous-titrage, Chaume (2012) sur le doublage ou Fryer (2016) sur l’audiodescription, pour n’en citer que quelques-uns. Il est cependant rare de trouver une monographie complète qui entreprenne de faire le tour du sujet.

C’est le défi qu’a relevé Anna Matamala, qui nous présente dans son ouvrage « une photo fixe d’un monde dynamique » qui doit « servir de point de départ pour que chacun trouve un chemin différent » (p. 12, notre traduction), un panorama à la fois exhaustif et ouvert de la traduction et l’accessibilité audiovisuelles, qui s’adresse aussi bien aux étudiants qu’aux professionnels, aux enseignants et aux chercheurs.

Vingt-quatrième volume de la collection « Biblioteca de traducció i Interpretació », publié chez Eumo, effort éditorial conjoint des universités d’Alacant, Autonome de Barcelone, Jaume I de Castelló, Pompeu Fabra de Barcelone, Université de Valence et Université de Vic – Université Centrale de Catalogne, cet ouvrage est une référence en la matière dans l’espace catalanophone, mais l’ensemble des informations qui y sont présentées sont d’un grand intérêt bien au-delà de ces frontières.

Le livre contient une introduction, onze chapitres et une vaste bibliographie. Les trois premiers chapitres sont consacrés à la définition et la caractérisation des contenus audiovisuels, aux défis qu’il présentent et, finalement, aux outils et ressources disponibles pour y faire face. Les sept suivants portent sur les différentes modalités de traduction et accessibilité audiovisuelles, et le dernier est consacré aux nouvelles pratiques et aux sujets de recherche les plus récents.

Le premier chapitre définit le texte audiovisuel à partir des travaux de Zabalbeascoa (2008) pour ses caractéristiques et Castellà (1992) pour ses fonctions, puis nous fait réfléchir sur les modifications que nous y apportons, mettant ici en lumière de façon plus ou moins détaillée les nombreux critères de classification qui co-existent, par exemple ceux de Gambier (2003) ou de Chaume (2012). L’objectif de Matamala n’est pas de résoudre la question mais plutôt de mettre l’accent sur l’importance que chacun sache où situer ses propres travaux. L’auteure, quant à elle, indique qu’elle part d’une classification simple, où l’on distingue les modalités sonores, telles le doublage et l’audiodescription, des modalités visuelles, comme le sous-titrage ou l’interprétation en langue des signes (p. 30). Ce choix n’est sans doute pas anodin : Matamala est une éminente spécialiste en accessibilité audiovisuelle, où le canal sensoriel à travers lequel le public reçoit les contenus audiovisuels est essentiel. En ce qui concerne leur analyse, l’auteure propose de se centrer à la fois sur les caractéristiques des contenus traduits (Pour qui sont-ils traduits ? Quand ? Comment ? etc.) et sur l’analyse des contenus originaux. Pour cette dernière, Matamala conseille et reproduit le modèle intégré de Chaume (2003). Finalement, un second débat est abordé, celui des limites entre les champs d’étude de la traduction et de l’accessibilité. Là encore, l’auteure ne prétend pas trancher la question mais inviter les lecteurs et lectrices à y réfléchir. Quant à elle, elle situe son ouvrage là où les deux domaines se rencontrent : dans l’audiovisuel (p. 41).

Au Chapitre 2, Matamala expose les défis que présentent la traduction et l’accessibilité audiovisuelles. Tout d’abord, les variations linguistiques (telle la présence de dialectes ou de contenus originaux multilingues) et l’importance de l’équilibre entre écriture et oralité dans toutes les modalités de traduction et accessibilité audiovisuelles (p. 47). En second lieu, Matamala aborde les difficultés terminologiques. Vient ensuite le tour des références culturelles, pour lesquelles l’auteure reprend le modèle d’analyse de Pedersen (2011), de l’intertextualité et, finalement, de l’humour, trois enjeux (et défis) majeurs de toutes les modalités de traduction et accessibilité audiovisuelles.

On peut s’étonner que la nature multimodale des contenus audiovisuels ne fasse pas l’objet d’une section de ce chapitre, puisqu’elle conditionne toutes les formes de traduction et accessibilité audiovisuelles. Cela dit, cet aspect est évoqué en fonction de ses implications spécifiques dans les chapitres relatifs à chacune des modalités exposées dans l’ouvrage, dans la section « caractéristiques principales ».

Le Chapitre 3 est consacré aux outils de la traduction et l’accessibilité audiovisuelles. De nombreuses références y sont données, ainsi que de nombreux liens, utiles aussi bien pour les étudiants que pour les professionnels ou les chercheurs. Il est intéressant de noter que l’auteure commence par le commencement : la traduction audiovisuelle est avant tout une forme de traduction, les ouvrages lexicographiques constituent donc l’un des outils de base pour sa pratique. Cette section, très complète, est particulièrement axée sur l’espace catalanophone, mais on y trouve aussi de nombreuses ressources utiles pour l’anglais. Le chapitre aborde également les outils informatiques, généraux (traitement de texte, traduction assistée, etc.) et spécifiques (sous-titrage, reconnaissance de la voix, etc.), commerciaux ou en accès libre, ainsi que les techniques utilisées dans la recherche, des protocoles de verbalisation à l’oculométrie, en passant par les mesures physiologiques.

Pour ce qui est du coeur de l’ouvrage, les modalités de traduction et accessibilité audiovisuelles, l’auteure nous propose sept chapitres à la structure similaire, assurant un traitement systématique et le plus exhaustif possible du sujet. Les différentes modalités sont ordonnées de façon que l’on commence par les activités traditionnelles de la TAV : deux modalités sonores, tout d’abord, le doublage et les voix superposées, puis une modalité visuelle, le sous-titrage. Ensuite, un chapitre sur l’interprétation de contenus audiovisuels sert de « charnière », pour reprendre le mot de Matamala elle-même (p. 155), et regroupe les activités d’interprétation et d’interprétation en langue des signes, une forme d’accessibilité. Pour finir, les trois chapitres suivants sont consacrés aux autres modalités d’accessibilité audiovisuelle : le sous-titrage pour sourds et malentendants, l’audiodescription et le sous-titrage audio.

Dans chacun de ces chapitres, on retrouve tout d’abord la définition et les caractéristiques de la modalité en question, puis une section consacrée à cette modalité dans l’espace catalanophone, et une autre à la classification des sous-modalités correspondantes. Suivent les caractéristiques techniques et linguistiques, le processus de travail, les normes et recommandations et, finalement, une section consacrée à la recherche en la matière, qui passe en revue les travaux de la communauté académique sur le sujet et compile une bibliographie indispensable pour les (futurs) chercheurs en la matière.

Au travers des différentes sections, l’auteure offre une vision panoramique de chaque modalité, détaillant les pratiques établies, par exemple les différentes étapes du doublage ou les stratégies de contrôle de qualité, soulevant des questions critiques, telles que le débat sur la littéralité des sous-titres pour sourds et malentendants, ou mettant en avant des aspects plus nouveaux, comme l’introduction de voix emphatiques pour certaines traductions en voix superposées.

On apprécie, justement, que les voix superposées, ce « vilain petit canard » de la traduction audiovisuelle (p. 109) malgré sa grande présence sur nos écrans, fassent l’objet d’un chapitre à part entière. Il en est de même pour l’interprétation de contenus audiovisuels, l’autre grande oubliée de la plupart des ouvrages sur la TAV.

Le dernier chapitre, quant à lui, est un pari sur le futur : réalité virtuelle, crowdsourcing, synchronisation labiale automatique, accessible filmmaking… l’essor de ces sujets est encore à venir, mais les premiers pas en la matière sont prometteurs.

Tout au long du livre, Matamala nous offre différentes pistes de réflexion et d’apprentissage pour aller plus loin, qui se présentent sous forme de petits encadrés intitulés « Pensem-hi » et rendent la lecture plus didactique et réflexive. Dans la même optique, elle reprend non seulement la littérature de référence pour appuyer son propos, mais cite également un nombre assez impressionnant d’articles académiques, ainsi que de nombreux projets de recherche disposant le plus souvent de ressources consultables en ligne. Cette orientation vers la recherche, qui vise à offrir une vision la plus complète possible des sujets étudiés au sein de la discipline, est une invitation aux lecteurs et lectrices à approfondir les questions qui les intéressent. Toutefois, l’auteure laisse volontairement de côté certains débats inhérents à la traductologie et à l’étude de la traduction audiovisuelle, notamment en ce qui concerne les limites de la discipline : l’ouvrage se veut résolument pratique et pragmatique, il expose sans imposer, offrant des pistes de réflexion et de documentation que chacun est libre d’explorer.

Cette invitation permanente à la réflexion, ajoutée à la rigueur et l’exhaustivité des contenus présentés, fait de Traducció i accessibilitat audiovisual un ouvrage indispensable dans toutes les bibliothèques de traduction et de traductologie.