DocumentationComptes rendus

Cagneau, Irène, Grimm-Hamen, Sylvie et Lacheny, Marc (2000) : Les traducteurs, passeurs culturels entre la France et l’Autriche. Berlin : Frank & Timme, 268 p.[Record]

  • Céline Letawe

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  • Céline Letawe
    Université de Liège, Liège, Belgique

Actes d’un colloque franco-autrichien qui s’est tenu à l’Université de Lorraine en octobre 2018, Les traducteurs, passeurs culturels entre la France et l’Autriche a l’immense mérite de mettre en lumière « une catégorie de médiateurs qui occupent encore souvent “la part de l’ombre” et ne sont pas toujours reconnus comme des acteurs à part entière des échanges interculturels » (p. 7). Le volume s’inscrit dans un vaste projet de Dictionnaire des échanges culturels austro-français (DECAF), qui est né il y a une dizaine d’années et qui comptera entre autres des portraits de traducteurs et de traductrices. Après une brève introduction, c’est d’ailleurs sur quatre portraits de traducteurs que le livre s’ouvre : Joseph Laudes (1742-1793), Carl Treumann (1823-1877) et K. L. Ammer (1879-1959) vers l’allemand, Xavier Marmier (1808-1892) vers le français. Le premier portrait surprend parce qu’il est le seul texte du volume rédigé en allemand – vingt-cinq pages résumées en une demi-page seulement pour le public cible francophone. Cette présence s’explique probablement par le fait que le volume est publié par la maison d’édition berlinoise Frank & Timme et dans la collection « Forum : Österreich », où dix des quatorze volumes parus à ce jour sont en allemand. On peut néanmoins regretter l’absence d’une traduction française de ce portrait. Cette première partie de septante pages intitulée « Portraits de traducteurs » est certes intéressante pour le projet de dictionnaire, mais elle comporte finalement peu de réflexions dépassant l’étude de cas. Nous nous pencherons donc sur les deux autres parties, intitulées « Questions de réception » (cent trente pages) et « Approches, stratégies et choix traductologiques » (quarante-cinq pages). « Questions de réception » contient six contributions, qui tournent chacune autour d’une oeuvre et de sa réception en traduction. Nous retiendrons surtout la passionnante contribution d’Irène Cagneau sur la réception française de Leopold von Sacher-Masoch (p. 103-125), qu’elle retrace en quatre phases. La première (jusqu’au décès de l’écrivain en 1895) est la plus riche en traductions, principalement dues à deux traductrices, Thérèse Bentzon puis Catherine Strebinger, qui « font le triage et se gardent de ramasser ce qui sonne trop faux » (Barine 1879 : 996) dans cette oeuvre parfois jugée trop sulfureuse. La sélection qu’elles opèrent contribue fortement au succès de l’auteur auprès du public français à l’époque. À partir de 1902, la publication de La Vénus à la fourrure éclipse les oeuvres précédentes, réduisant Sacher-Masoch à un auteur masochiste, occultant le texte « au bénéfice du ‘nom conceptualisé’ de l’écrivain (masoch-isme) » (p. 105). Irène Cagneau commente : De 1910 à 1950, l’oeuvre de l’Autrichien sombre dans l’oubli, et « c’est seulement à partir des années 1960 que l’on peut observer une certaine renaissance de Sacher-Masoch en France » (p. 105). Irène Cagneau épingle bien sûr la Présentation de Sacher-Masoch de Gilles Deleuze en 1967, mais elle s’arrête surtout sur les contributions plus récentes (2010 et 2011) de Vianney Piveteau, psychanalyste et docteur en psychologie clinique. Ce dernier montre, dans son article en allemand sur les éditions françaises de Sacher-Masoch ainsi que par sa nouvelle traduction de Marzella ou le conte du bonheur, que les textes originaux ont été « malmenés […] afin de satisfaire aux pratiques et aux exigences éditoriales de l’époque » (p. 119), ce qui pose la question de la réévaluation de l’oeuvre. Nous retiendrons également la contribution d’Audrey Giboux sur la réception française de Freud (p. 127-158). D’abord traduites par des philosophes ou des médecins, les oeuvres de l’inventeur de la psychanalyse tombent rapidement entre les mains des psychanalystes, « quand bien même leurs compétences en allemand seraient sujettes à caution » …

Appendices